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Congrès et symposiums

Publié le 14 nov 2013Lecture 8 min

La carence martiale : nouvelle cible du traitement de l’insuffisance cardiaque

M. GALINIER, CHU Toulouse-Rangueil


Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
La carence martiale est particulièrement fréquente au cours de l’insuffisance cardiaque et entraîne de graves conséquences. Elle est à l’origine d’environ 50 % des anémies retrouvées au cours de cette maladie qui, dès qu’elle évolue, devient générale avec activation de processus inflammatoires. Mais, surtout, le fer étant un élément indispensable au fonctionnement et à la survie des cellules à haute demande énergétique comme les cardiomyocytes et les myocytes squelettiques, elle participe à l’altération de la capacité à l’exercice des insuffisants cardiaques et possède des effets myocardiques délétères. La carence martiale est ainsi un facteur pronostique indépendant de décès. Sa détection, par le dosage de ferritinémie et du coefficient de saturation de la transferrine, et sa correction sont recommandées par les dernières recommandations de la Société européenne de cardiologie(1).

Les rôles du fer sont nombreux   Il est nécessaire à la phase terminale de l’érythropoïèse, favorisant la transformation des érythroblastes en réticulocytes, et permet le transport, par l’hémoglobine, et le stockage, par la myoglobine, de l’oxygène. Mais le fer est également un cofacteur enzymatique (catalase, peroxydase), un constituant de plusieurs cytochromes et permet l’utilisation de l’oxygène par les enzymes de la chaîne respiratoire mitochondriale. Son déficit est ainsi à l’origine d’une diminution de la synthèse d’ATP au niveau mitochondrial et de la consommation en oxygène, altérant la performance des cellules musculaires cardiaques et squelettiques.   L’altération de l’érythropoïèse et sa conséquence, l’anémie, ne sont donc qu’une partie des effets délétères de la carence martiale au cours de l’insuffisance cardiaque.   Deux types de carences martiales   Le métabolisme du fer Il rend compte des deux types de carences martiales. Les pertes quotidiennes (1 à 2 mg) sont normalement compensées par l’apport en fer des protéines alimentaires (10 à 25 mg), dont uniquement 10 % est absorbé, principalement au niveau du duodénum. Un rétrocontrôle négatif par l’hepcidine, hormone de 25 acides aminés, synthétisée par les hépatocytes, régule le métabolisme du fer, diminuant son absorption au niveau des entérocytes et sa libération par les macrophages. Le fer libre étant un puissant oxydant, il doit être en permanence lié à des structures de transport ou de stockage.   La transferrine (ex-sidérophiline) est la protéine de transport du fer au niveau du sang et sa saturation en fer représente les capacités de mobilisation en fer de l’organisme, quel que soit l’état des réserves.   La ferritine, grosse molécule faisant des micelles d’hydroxyde de fer, est la protéine de stockage du fer, principalement au niveau de la moelle osseuse, sa petite partie circulante constituant un excellent reflet des réserves en fer de l’organisme.   Les causes de la carence martiale Elles sont nombreuses au cours de l’insuffisance cardiaque. Un défaut d’apport favorisé par une malnutrition, en cas d’anorexie, ou une malabsorption, pouvant être la conséquence de l’œdème des tissus digestifs secondaire à la congestion ou d’une augmentation de la sécrétion d’hepcidine, et/ou des pertes gastrointestinales par hémorragies distillantes, favorisées par les traitements antiagrégants plaquettaires ou anticoagulants, sont à l’origine d’une diminution du stock en fer et donc d’une carence martiale absolue. Un syndrome inflammatoire, par le biais des cytokines pro-inflammatoires, notamment d’IL6, augmente la sécrétion hépatocytaire d’hepcidine qui diminue l’absorption du fer qui est « piégé » par les macrophages, entraînant une diminution de sa mobilisation et donc une carence martiale fonctionnelle.   Le diagnostic de ces deux types de carence martiale La carence martiale, absolue ou fonctionnelle, repose sur l’analyse de deux biomarqueurs, la ferritine et le coefficient de saturation de la transferrine, dont le dosage, à côté de celui de l’hémoglobine, est recommandé chez les patients insuffisants cardiaques par la Société européenne de cardiologie (recommandation de classe I et de niveau C). Une ferritinémie basse, inférieure à 100 μg/l, définit une carence martiale absolue, le coefficient de saturation de la transferrine est alors également diminué (< 20 %). Un coefficient de saturation de la transferrine diminué (inférieur à 20 %), en présence d’une ferritinémie normale ou même légèrement élevée (entre 100 et 300 μg/l), définit une carence martiale fonctionnelle (figure 1).   Figure 1. Deux types de carence martiale : absolue et fonctionnelle.   Ces deux types de carence martiale peuvent être ou non associés à une anémie, définie par une hémoglobine inférieure à 13 g/dl chez l’homme et à 12 g/dl chez la femme.   La prévalence de la carence en fer Selon les études, elle est de 37 à 50 % au cours de l’insuffisance cardiaque(2,3). Si elle est plus fréquente chez les patients présentant une anémie (retrouvée alors chez 57 à 61 % des sujets), elle n’est pas rare chez les patients non anémiques (retrouvée chez 32 à 46 % des sujets). Sa fréquence est plus importante chez les femmes que chez les hommes et s’élève avec la sévérité de la maladie, qu’elle soit appréciée par la classification de la NYHA ou une augmentation des peptides natriurétiques de type B.   Les conséquences de la carence martiale Au cours de l’insuffisance cardiaque, elles sont sévères. La carence martiale participe à la réduction des capacités à l’exercice(4,5), un déficit en fer étant associé, qu’il existe ou non une anémie, à une diminution du pic de consommation en O2 et à une altération de la réponse ventilatoire à l’exercice (figure 2), ainsi qu’à une réduction de la distance parcourue au test de marche de 6 minutes. De plus, dans deux grandes séries monocentriques(2,4), la carence martiale est associée à un risque accru de décès ou d’hospitalisation, indépendamment de l’existence d’une anémie. Une récente étude multicentrique européenne a confirmé ces données (figure 3), la carence en fer, et non l’anémie, étant un facteur pronostique indépendant de survie au cours de l’insuffisance cardiaque.   Ainsi, la présence d’une carence martiale multiplie environ par trois le risque de décès, ce surrisque apparaissant précocement au cours du suivi dès le 6e mois.   Figure 2. La carence en fer est associée à une capacité d’exercice réduite au cours de l’insuffisance cardiaque en l’absence d’anémie(5). Figure 3. Carence martiale et pronostic de l’insuffisance cardiaque(3). Le traitement de la carence martiale   Il est donc nécessaire chez les patients insuffisants cardiaques. Selon les recommandations de la HAS, la voie orale reste le traitement de première intention, avec un apport de 100 à 200 mg/j de fer ferreux au moins pendant 4 mois, en raison de son faible coût et de son caractère non invasif. Néanmoins, cet apport per os ne corrige qu’environ 30 % des carences martiales au cours de l’insuffisance cardiaque du fait d’une mauvaise absorption digestive, limitée par l’œdème intestinal et la contre-régulation de l’hepcidine secondaire à la fréquence d’un état inflammatoire dans l’insuffisance cardiaque, et d’une mauvaise observance liée aux nombreux effets gastro-intestinaux indésirables du fer administré par voie orale – constipation, dyspepsie, ballonnements, nausées, diarrhées, brûlures, touchant jusqu’à 20 % des patients. Le recours à la voie veineuse est donc fréquemment nécessaire. Le fer s’administre alors par voie intraveineuse, enveloppé d’hydrates de carbone, en raison de son effet oxydant à l’état libre, préparations qui peuvent être à l’origine de réactions anaphylactiques. Les patients ayant des allergies connues ou souffrant de maladies immunitaires peuvent avoir un risque augmenté. Le dextrane pouvant entraîner des réactions anaphylactiques gravissimes, il faut lui préférer le saccharose (Vénofer®) ou le carboxymaltose (Ferinject®).   Les premiers essais thérapeutiques Réalisés avec ces différents types de fer administrés par voie intraveineuse, sur quelques dizaines de sujets, ils ont rapporté, chez des patients avec ou sans anémie, une amélioration des performances à l’effort, avec une augmentation du pic de consommation en O2 et du temps d’exercice(6), associée à une amélioration de la fonction myocardique, avec une action inotrope et lusitrope positive en analyse Doppler tissulaire(7), et à un effet de remodelage inverse, avec diminution des volumes télésystoliques et télédiastoliques ventriculaires gauches ainsi qu’une augmentation de la fraction d’éjection(8). Ces résultats favorables ont été confirmés par un grand essai multicentrique, conduit en double aveugle, chez 459 patients, l’étude FAIR-HF(9), qui a retrouvé sous l’effet d’injections de fer carboxymaltose une amélioration des symptômes et de la classe fonctionnelle de la NYHA (critères primaires) ainsi que des scores de qualité de vie et de durée de marche au test de 6 minutes (critères secondaires), sans effets indésirables, en dehors de quelques troubles gastro-intestinaux, en particulier sans réaction d’hypersensibilité sévère (figure 4).   Figure 4. Résultat de l’étude FAIR-HF(9). (FCM = en faveur des injection de fer)   Ces bénéfices sur les symptômes et la performance à l’effort sont indépendants de l’existence ou non d’une anémie (figure 5) et sont associés à une amélioration du débit de filtration glomérulaire, traduction de l’optimisation de l’hémodynamique cardiaque.   Figure 5. FAIR-HF : les bénéfices de l’administration de fer par voie intraveineuse sur l’épreuve de marche de 6 minutes sont indépendants de l’anémie.   Deux métaanalyses(10,11), ayant inclus respectivement 4 et 5 études, démontrent que l’apport en fer intraveineux, chez des patients présentant une carence martiale avec ou sans anémie, diminue significativement les hospitalisations (– 49 et 74 %), sans cependant réduire significativement la mortalité (– 27 et 34 %) (figure 6). Deux études, CONFIRM-HF et EFFECT-HF, sont en cours pour confirmer l’amélioration des performances à l’effort sous l’effet du carboxymaltose ferrique IV, avec pour critère primaire respectivement la durée du test de marche et le pic VO2.     Figure 6. Effets sur les hospitalisations (en bas) et la mortalité (en haut) de l’apport en fer intraveineux chez des patients en carence martiale : métaanalyse de 5 études(11). En pratique    En cas de carence martiale associée à une anémie ferriprive sévère ou en cas de carence martiale isolée non corrigée par l’apport en fer par voie orale, en raison d’une mauvaise tolérance ou d’un manque d’efficacité lié à une malabsorption, un apport en fer par voie intraveineuse est justifié. Si le patient nécessite une hospitalisation prolongée ou des séjours itératifs, le fer sucrose (Veinofer®) peut être utilisé à raison de 100 à 300 mg par injection et de 1 à 3 injections par semaine avec 48 h d’intervalle entre chaque injection. Dans les autres cas, il est plus aisé de recourir au fer carboxymaltose (Ferinject®), qui permet une administration en perfusion dans du NaCl 0,9 % de 500 à 1 000 mg à raison d’une fois par semaine, la posologie totale allant de 1 000 à 1 500 mg selon l’existence ou non d’une anémie associée et du poids. En raison du risque de réactions anaphylactiques, ces complexes de fer doivent être administrés dans un environnement doté d’un personnel capable de reconnaître et de traiter les réactions d’hypersensibilité et où des moyens de réanimation sont disponibles. Une surveillance étroite des signes d’hypersensibilité pendant au moins 30 minutes après chaque administration est recommandée selon les récentes directives de l’Agence européenne des médicaments (EMA). Après supplémentation, un contrôle régulier, par exemple semestriel, de la ferritinémie et du CST est nécessaire pour s’assurer que les réserves en fer sont corrigées et maintenues. Ainsi, la correction de la carence martiale, qu’elle soit associée ou non à une anémie, à cause de son impact négatif sur les performances à l’effort et le pronostic des patients, est devenu un des buts du traitement de l’insuffisance cardiaque et, comme le soulignent les dernières recommandations, un déficit en fer mérite d’être systématiquement recherché.

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