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Vasculaire

Publié le 20 déc 2019Lecture 18 min

Fémorale et paclitaxel Après l’Iliaque et l’Odyssée… la dernière tragédie grecque

Jean-Marc PERNÈS, PCVI 92, Hôpital Privé d’Antony

Kostantinos Katsanos est grec, radiologue vasculaire interventionnel à Patras, sans doute à ce jour l’un des hommes les plus honni par les actionnaires des grandes multinationales pharmaceutiques et le digne épigone des Eschyle, Sophocle et autres Euripide, eu égard à sa contribution remarquée aux Grandes Dionysies 2018… Sa dernière « œuvre » s’inscrit en effet dans la plus pure lignée des grandes tragédies hellènes, mêlant passions, hubris et… pharmakon, ce remède et poison de la Grèce antique, dont le patronyme lui-même, paclitaxel, ne déparerait pas à l’illustre galerie des guerriers d’Homère !

Acte I : DED et décès Le premier acte se joue le 18 décembre 2018 sous le titre glaçant de : Risk of death following application of paclitaxel-coated balloons and stents in the femoropoplieal artery of the leg: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials(1). Il s’achève sur la révélation d’une surmortalité significative à 5 ans dans le groupe des patients traités pour des lésions obstructives de l’artère fémorale superficielle (AFS) par des Drug Eluting Devices (DED), ballons et stents « actifs » (DEB et DES) au paclitaxel (PTX), comparativement au ballon simple. Ces conclusions sont issues d’une métaanalyse de 28 études randomisées (4 432 patients), montrant à 1 an l ’absence de différence en termes de mortalité, mais une surmortalité déjà apparente à 2 ans pour les 12 études disponibles avec ce recul chez 2 316 patients (7,2 %/3,5 % pour le groupe contrôle ; p < 0,05). Cette surmortalité augmente à 5 ans (863 patients) pour les 3 études avec le même suivi : 14,7 %/ 8,1 %, soit un Risk Ratio (RR) de 1,98, un risque absolu majoré de 7,2 %, un risque relatif de 93 %, et donc un risque de décès concernant 1 patient sur 14. Les auteurs soulignent également une relation linéaire entre la dose de PTX présente sur le DED et le décès. Les conclusions de l’article sont sans équivoque : il existe une surmortalité tardive liée aux DED, celle-ci semble dose dépendante, même si les auteurs conviennent des limitations de la métaanalyse, en particulier sa réalisation à partir des données brutes des publications et non des données individuelles (patient level data), le mélange des deux types de matériel (DEB et DES) et surtout l’absence d’explication causale à cet excès de mortalité imputé au paclitaxel. La surprise est totale Le suspect jouissait en effet à ce jour d’une solide et honorable réputation : rappelons que le PTX est approuvé depuis 1992 par la Food and Drug Administration (FDA), dans le traitement chimiothérapique des cancers, en particulier du sein et des ovaires, sous le nom de Taxol®, agent cytotoxique à haute dose, 50 à 100 ng/mg ; 200 à 300 mg sont délivrés à chaque administration, prolongée sur 3 à 24 heures, souvent répétée. Le paclitaxel utilisé en chimiothérapie est non aqueux et nécessite d’être solubilisé dans un solvant, généralement du Cremaphor®, dérivé d’huile de castor (sans Pollux, l’autre Dioscure). Ces valeurs sont très nettement supérieures à celles objectivées dans les études cliniques pivot avec les DED, autour de 1 mg en moyenne, mais pouvant atteindre 20 mg pour le traitement des lésions les plus longues, voir 70 mg dans des registres de vraie vie pour les occlusions fémorales très longues. Enfin, les quantités de PTX libéré sont nettement moindres pour les DES (0,1 à 3,5 mg) que pour les DEB (1 à 21 mg), les anciens DES coronaires n’en contenant que 200 μg. Et pour bien positionner le curseur du rapport bénéfices/risques de l’usage des DED, il convient de s’imprégner du fait que l’épée de Damoclès est suspendue au-dessus de la tête (et non des jambes…) de patients traités pour claudication (stade 2 ou 3 de Rutherford), liée à des lésions anatomiques modestes (TASC A et B : soit sténose et occlusion < 15 cm), et dont l’évaluation du traitement dans ces études randomisées se fait en comparaison du ballon nu, le POBA (plain old balloon angioplasty) des auteurs anglo-saxons, que plus aucun angioplasticien n’utilise seul depuis les calendes… grecques. Dans ces conditions, le bénéfice en termes de TLR, est certes intéressant à 2 ans, avec un RR à 0,55 (soit une réduction de TLR de l’ordre de 50 % en faveur des DED), mais nettement moins fringuant à 5 ans, avec un RR dans la métaanalyse des études randomisées avec ce recul, de 0,8, soit une réduction d’environ 20 % de gestes de revascularisation sur la lésion cible. On imagine aisément à ce stade de l’histoire, les contorsions sémantiques nécessaires pour obtenir un consentement libre et éclairé du patient… Acte II : Sérendipité ou analyse rationnelle des alarmes par notre stoïcien ? Avant de détailler les réactions, assez grégaires, voire pavloviennes, engendrées par ce pavé jeté dans la mare, souvenons-nous, au moins pour les plus anciens des lecteurs de Cath’Lab, d’un épisode presque analogue, qui ébranla, en son temps, les certitudes de la communauté cardiologique interventionnelle : les résultats des deux métaanalyses(2,3) à l’ESC de Barcelone en 2006 suggérant une surmortalité liée aux stents actifs au sirolimus… mais pas au paclitaxel (stent Taxus™, Boston Scientific). Il s’en suivi une brutale chute des implantations aux États-Unis, moins marquée en France où la réglementation en vigueur limitait les autorisations aux lésions à risque de resténose (taux de pénétration à l’époque autour de 50 %), et une prise de conscience des manquements de l’époque sur l’évaluation de la sécurité et des imperfections des prises en charge. De nouvelles dispositions plus drastiques et efficaces seront mises en place, la chevelure du Kairos ayant été saisie à temps… La 2e et la 3e génération s’habille de limus Fort heureusement, l’impact a finalement été mineur car la révolution technologique était en marche et allait se télescoper favorablement avec la catastrophe qui se profilait… ce sera l’arrivée, quasi contemporaine de ces publications, des stents de 2e, puis plus tard de 3e génération, caractérisés par l’amélioration substantielle de leur plateforme métallique, la nature du polymère (adaptée, biodégradable ou absent), le choix exclusif des limus, qui seront ainsi innocentés des griefs d’imputabilité de surmortalité, au détriment du paclitaxel, certes exempté de tout soupçon d’empoisonnement, mais irrémédiablement sacrifié sur l’autel de la prévention de la resténose, du fait de l’affirmation d’une plus faible action inhibitrice sur l’hyperplasie intimale. On peut aussi s’interroger sur les motivations qui ont poussé la recherche dédiée à la pathologie périphérique à faire le grand écart avec les conclusions cardiologiques, soit l’exclusivité du PTX comme agent d’élution (pourtant abandonné pour les coronaires), au détriment des limus (délibérément ignoré pour les membres inférieurs). Le péché originel tient peut-être à ce vent mauvais porté par l’étude SIROCCO(4), qui a éparpillé les limus loin des jambes ! Publiée en 2006 (décidément une annus horribilis pour les artères…), elle sonne le glas pour un bon moment des DES, en montrant à 2 ans un taux identique (et faible) de resténose (23 %/21 %) dans les deux sous-groupes randomisés (48 sujets/47 avec lésions type TASC C de l’AFS), stent actif (Smart™ au sirolimus, Cordis) et stent nu (Smart™ au nitinol, Cordis), avec, ironie de l’histoire, une mortalité assez rédhibitoire dans le groupe sirolimus : 7/47 versus 2/47 ! Et SYNTAX arriva De cette période agitée et à jamais engloutie de la génération Taxus™, il subsiste néanmoins quelques zones d’ombre, que n’a pas manqué de relever le solipsiste du Péloponnèse : ainsi dans la célèbre étude SYNTAX qui « randomisa » 800 patients tritronculaires et/ou avec une atteinte du tronc commun entre chirurgie de revascularisation et angioplastie-stenting (Taxus™)(5). Le suivi à 5 ans des patients non inclus dans l’étude, mais suivis dans deux registres, car ne répondant pas aux critères d’inclusion (patients accessibles aux 2 techniques), a révélé selon M. Milojevic une mortalité dans le registre PCI (198 sujets non techniquement opérables) de 30 % contre 12 % des 647 patients du registre chirurgical (non dilatables), avec une différence de mortalité cardiovasculaire (12 %/4,7 %) et, selon les termes mêmes des auteurs de l’article, de manière inexplicable, non cardiovasculaire (14,9 %/5,3 %). Par ailleurs, G. Stone, dans l’analyse du suivi à 5 ans des sujets des divers programmes cliniques TAXUS(6) (I à V comparant stent nu et stent au paclitaxel avec près de 1 400 patients dans chaque groupe), a noté, après 1 an, une divergence des courbes de survie entre 1 et 5 ans (décès 6,7 %/4,5 % ; p = 0,01), liée à un excès significatif d’infarctus (3,8 %/2,3 % ; p = 0,03) et non significatif d’autres causes de mortalité cardiaque (3,5 %/2,5 % ; p = 0,15). D’autres signaux d’alarme ont également éveillé l’attention du protagoniste, du deutéragoniste et du tritagoniste ainsi que de leurs copains dans leur travail d’enquête. En premier lieu, le constat d’une association plus fréquente de décès d’origine cardiovasculaire, mais également infectieuse, gastro-intestinale et pulmonaire à 3 ans dans l’étude IN-PACT SFA (DEB), et à 2 ans dans l’étude ZILVER-PTX (DES). Ensuite plus tardivement, dans l’agitation des vérifications des diverses databases secondaires à la publication du brûlot de K. Katsanos et al., la découverte d’une inversion malencontreuse des chiffres de mortalité à 5 ans sur les figures publiées dans Circulation en 2016(7) : 10,2 % pour le DES et 16,9 % pour le ballon nu (p < 0,03), alors qu’il fallait lire le contraire, c’est-à-dire une augmentation significative des décès à 5 ans dans le groupe stent PTX, surmortalité estimée selon les auteurs et la formule consacrée, sans relation avec la procédure ou le système d’élution médicamenteuse… Mais, ce qui a sans doute aussi mis la puce à l’oreille de nos chevaliers blancs dans la décision de conduire une métaanalyse de cette nature, a été la décision d’interrompre prématurément l’étude randomisée IN.PACTDEEP(8) qui comparait, dans deux groupes de patients présentant une ischémie critique, l’emploi de DEB au PTX/ballon nu après revascularisation endovasculaire de lésions des axes jambiers (infrapoplités ou below the knee). Cet arrêt a été motivé par le constat à 1 an d’un taux élevé d’amputation dans le groupe paclitaxel/ballon nu (8,8 %/ 3,6 %), produisant un premier électrochoc dans la communauté des spécialistes des thérapeutiques endovasculaires, avec comme conséquence, une réflexion de fond sur l’origine possible de cet état de fait. Microembolisations de cristaux de paclitaxel : hypothèse actuelle L’hypothèse de microembolisations de cristaux de paclitaxel est actuellement évoquée. En effet, chaque dispositif commercialisé de nos jours contient en proportions variables – outre la présence (ou non) d’un excipient spécifique destiné à faciliter le transfert de la molécule active –, une structure amorphe et une autre cristalline, formulation favorisant la solidité du coating sur le ballon pour la première, la libération de la drogue et sa rétention dans la paroi vasculaire locale pour la seconde (encore détectée après 60 jours, voire jusqu’à 9 mois dans certaines études animales précliniques). Ainsi, pour certains systèmes, seule une faible fraction de PTX (15 %) atteint et pénètre la paroi du vaisseau cible, avec plus de 3/4 de la quantité de PTX perdu dans la circulation systémique. À faible, unique et brève exposition (1 ng/mg), le PTX exerce son effet cytotoxique par inhibition de la prolifération des cellules musculaires lisses et des fibroblastes à l’origine de l’effet recherché sur la prévention de l’hyperplasie intimale réactionnelle et de la resténose. Après administration IV ou locale pour les DED, la molécule active disparaît très rapidement du plasma, pour ne plus être détectable au-delà de 24 heures et même si les doses de PTX utilisées sur les DED sont de bien plus faible amplitude que celles employées pour la chimiothérapie. La formulation et la voie d’administration très différentes des produits affectent vraisemblablement l’activité de la molécule active et son métabolisme, mais elles n’autorisent aucune analogie entre ces deux types d’utilisation. Il est d’ailleurs très important de noter, que même si de très faibles doses de paclitaxel sont délivrées par les DED, comparé à la chimiothérapie, des quantités situées au-dessus des seuils de détectabilité dans les études animales précliniques sont retrouvées localement et surtout dans des vaisseaux d’organes situés à distance (muscles de proximité et organes d’élimination : poumon++, foie, rein, rate) bien au-delà de la période d’administration, soit à 1 mois et parfois plus de 3 mois, avec des valeurs < 1 ng/mg. Les effets potentiels de rétention locale ou dans les tissus à distance de ces très faibles doses de PTX après une exposition par DED sont totalement inconnus. On sait en revanche que ceux-ci sont dose dépendants : cytotoxiques à haute dose et bloquant donc la malignité, pro-inflammatoire et proangiogénique (activation du NF-κB) à faible concentration (1 ng/mg), créant ainsi un environnement favorable à une dissémination de cellules tumorales, comme l’ont montré Y. Chang et al.(9). Ces effets biphasiques expliquent pourquoi un produit cytotoxique peut paradoxalement promouvoir des métastases tumorales à faible concentration, conclusion objectivée par le travail de Q. Li et al. : chez la souris, le PTX 20 mg/kg supprime la colonisation métastatique d’une tumeur alors qu’à 1 mg/ kg il l’augmente(10). Ces constatations justifient grandement la considération qui doit être de mise sur le risque potentiel des DED. Acte III : le chœur et ses coryphées... Inutile de préciser que la publication de ce travail a été suivi d’un flot de réactions, que l’on qualifiera pudiquement de réservées… assez unanimes de la part des leaders d’opinion – signataires à divers niveaux des diverses études randomisées –, et également des principaux professionnels de l’industrie – sans qu’il faille y voir bien sûr, la moindre relation de cause à effets(11). En gros, une solidarité de phratrie et une herméneutique commune : amateurisme de la méthodologie statistique, absence d’accès à la base de données individuelle, mélange des genres (DEB et DES) et, surtout, absence de toute explication plausible d’imputabilité, selon le dogme – que l’on retient surtout lorsque les métaanalyses ne sont pas favorables –, que association n’est pas synonyme de causalité, arguant notamment que les critères de référence en la matière retenus par K. Katsanos, à savoir ceux de Bradford Hill(12), datent un peu (une cinquante d’années, certes). Aussi la « base » (moi, vous, eux…) interrogée à chaud dans les divers congrès consécutifs ou les réseaux sociaux du Landernau, à la question posée : « Les résultats de cette métaanalyse vontils modifier votre pratique ? » la réponse était très majoritairement négative, témoignant au minimum d’un degré d’adhésion limité au principe de précaution… Très rapidement, après cette publication vouée au bûcher des vanités, tous les état majors se mobilisent pour affirmer dans une belle unanimité que leur propre analyse de leurs bases de données respectives ne va pas dans le sens de la version syncrétique de K. Katsanos, contredisant donc l’association potentielle PTX et mortalité tardive. Ainsi, T. Albrecht et al.(13) reprenant les 4 études randomisées (THUNDER, FEMPAC, PACIFIER, CONSEQUENT) avec le même DEB (plus commercialisé actuellement), ont noté une mortalité équivalente à 2 ans pour le DEB et le POBA (8,7 %/7 %). P. Schneider et al.(14) ont diligenté une étude indépendante à partir des data de deux études randomisées IN.PACT (Medtronic) et de 143 registres prospectifs (regroupant 1 980 patients, dont 1 837 ayant reçu un DEB et 143 un ballon nu) et n’ont pas retrouvé de différence de mortalité à 5 ans dans les deux groupes, ni de différence en fonction de la dose délivrée dans la population traitée par DEB. M. Dake et al.(15) revisitant l’ensemble du programme Zilver PTX (Cook), sont arrivés aux mêmes conclusions : pas de différence de mortalité significative à 5 ans (18,7 %/17,6 %), ni de divergence dans les quintiles du DES en fonction de la dose reçue. Enfin, tout récemment, W. Gray(16) a publié les résultats à 3 ans du programme ILLUMINATE (DEB Stellarex, Phillips), intégrant 2 études randomisées, 3 prospectives et 1 registre, pour un total de près de 2 500 sujets et retrouve une survie équivalente (92 %) dans les deux groupes (POBA et DEB). K. Ouriel(17) réfute l’idée d’une surmortalité liée au Stellarex. Il préside la compagnie indépendante SYNTACTX qui a été mandatée par la société Bard, pour réévaluer la mortalité du programme Lutonix (3 études randomisées LEVANT 1 et 2, LEVANT Japan et 1 registre nord-américain en cours LEVANT 2, ce dernier incluant 657 sujets). Il constate l’absence de différence de mortalité entre les 1 093 patients avec DEB et les 250 du groupe POBA à 2 ans (RR à 0,99 ; 86 %/ 84 % de survie), avec une survie supérieure mais jugée non significative (p = 0,08) dans le groupe POBA à 5 ans comparativement au DEB (88 %/80 %) pour l’étude la plus représentative, à savoir LEVANT 2, ce qui interpelle quand même un peu l’auteur dans sa discussion finale… Enfin, dans ce que l’on pourrait appeler la vraie vie, celle de patients non sélectionnés, A. Secemsky et al.(18), à partir de la base de données nord-américaine MEDICARE (année 2016) analyse les données de sujets ayant eu une revascularisation endovasculaire fémoropoplitée (1 863 institutions nord-américaines, 16 650 patients avec 50 % d’ischémie critique dont 5 899 traités avec un DED, DEB ou DES), et ne met pas en évidence de séparation de la courbe de mortalité à 2 ans dans les 2 bras (32,5 %/34,3 %). En Allemagne, chez 64 771 patients ayant bénéficié de l’usage d’un DED, extraits de la base de données sur les 11 dernières années de 9 millions d’assurés de la German Barmer, E. Freisinger(19) conclut également à la sécurité d’usage des DED, en l’absence de mise en évidence d’une quelconque surmortalité liée à leur emploi. Acte IV : la réponse du chorège La réaction des autorités de régulation, en particulier aux États-Unis, par la FDA, ne se fait pas attendre : dès janvier 2019, elle adresse une première lettre aux professionnels de santé les prévenant de cette alerte, tout en réalisant sa propre analyse méthodologique des résultats du travail de K. Katsanos et al., qui est publiée en mars avec un message clair et compendieux : « il existe bien un signal sur la sécurité des DED, il ne s’agit pas d’une erreur de méthodologie statistique car leurs conclusions reproduisent celles de K. Katsanos avec une mortalité à 5 ans pour chacune des 3 études pivot réalisées aux États-Unis (IN-PACT, ZILVER PTX, LEVANT), chez 975 sujets, de 20,1 % contre 13,5 % dans le groupe témoin (surmortalité de 50 %) ! À ce stade, la FDA recommande donc aux utilisateurs de continuer le monitoring des patients traités, d’informer les patients du risque de surmortalité et de discuter le rapport bénéfices/risques des alternatives thérapeutiques. Les 19 et 20 juin, la FDA a organisé une réunion publique, pour soumettre à un panel d’experts scientifiques, tous américains (médecins et statisticiens), ses ultimes informations(20). Elles sont issues de l’analyse réalisée à partir des 4 études pivot disponibles aux États-Unis avec un recul de 3 ans et plus (les 3 précédemment signalées, plus l’étude ILLUMINATE-Stellarex). Les données étaient obtenues à la source (patient level data) chez les 1 090 patients traités par un DED (non pas en intention de traiter, mais ceux ayant réellement reçu un DED), afin de répondre ainsi aux critiques des contempteurs de la méthodologie originelle. Là encore, l’autorité a confirmé la présence d’un signal tardif de mortalité avec une surmortalité à 5 ans dans chacune des 3 études de la cohorte DED comparée au groupe témoin : 19,8 %/12,7%, ce qui est également le cas à 3 ans, sauf pour l’étude ILLUMINATE avec le ballon actif Stellarex (pas de différence avec le ballon nu), affirmation adoubée par le panel d’experts. Le RR est de 1,72, ce qui correspond à un risque relatif accru de mortalité par DED de 57 %… La FDA et le panel se sont accordés pour admettre que l’intensité de ce signal devait être interprétée avec prudence dans la mesure où les intervalles de confiance de chaque étude pivot étaient larges, que le mélange de divers outils (DEB et DES) pouvait polluer les résultats, qu’il existait une quantité de perdus de vue à 5 ans non négligeable (entre 15 et 38 %), mais d’amplitude identique dans les 2 bras (DED et POBA), et que surtout il n’apparaissait aucun mécanisme physiopathologique identifiable pour expliquer cette « anomalie ». En sus des études pivot réalisées aux États-Unis, la FDA a également entrepris l’analyse des autres études randomisées internationales hors États-Unis, ainsi que des registres répertoriés (incluant plus de 200 patients). Elle conclue à l’absence de séparation claire entre les courbes Kaplan Meier de survie entre DED et POBA, mais estime que les faibles effectifs, la plus courte durée d’observation, ainsi que la proportion plus importante de perdus de vue, sont autant de paramètres inadéquats pour espérer détecter un signal tardif péjoratif sur la sécurité des DED. Ces facteurs étant encore plus prégnants dans les publications des registres (6 au total États-Unis et hors États-Unis, avec un taux de perdus de vue oscillant entre 14 ET 74 %…), FDA et panel d’experts considèrent qu’aucune conclusion scientifique sur le signal tardif de mortalité ne peut être tirée de leurs résultats. La FDA s’est bien sûr penchée sur les diverses causes de mortalité affiliée aux DED : il s’agit, et ce pour tous les dispositifs à élution utilisés, d’une surmortalité de tout type, à la fois cardiovasculaire (CV) et non cardiovasculaire, sans signal clair pour une étiologie spécifique CV ou un type particulier non CV, avec une proportion importante de cause de décès décrite comme « autre » ou « inconnue », ce qui limite forcément l’interprétation de ces résultats. Enfin, l’une des informations importantes fournies par ce travail de galérien de la FDA est l’absence d’argument pour une relation entre la dose délivrée par le DED et la mortalité. En août de cette année, la FDA et le panel d’experts, après avoir reconnu le principe de l’existence d’un signal de mortalité tardive liée aux DED ont fait des recommandations (encadré). En marge des préconisations nord-américaines, certaines institutions de régulation européennes ont également pris leurs propres résolutions : ainsi, en Grande-Bretagne, dès le mois de juin, le Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (UK MHRA), après consultation d’une pléiade d’experts nationaux, a imposé l’arrêt de l’usage des DED chez les patients claudiquants, tout en maintenant l’autorisation en cas d’ischémie critique. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), après consultation d’un groupe d’experts nationaux et audition des divers sociétés savantes impliquées, a considéré dès mai 2019 que le risque possible de surmortalité tardive lié aux DED devait être pris en compte lors du choix du traitement de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) et recommande d’utiliser préférentiellement les options thérapeutiques alternatives aux DED, de n’en réserver l’utilisation qu’aux patients avec lésions à fort potentiel de resténose, après qu’ils aient été informés des avantages de ce choix par rapport à l’augmentation du risque de décès suggéré et qu’ils aient donc été associés à la prise de décision. Enfin, le Cardiovascular and Interventional Radiological Society of Europe (CIRSE) est à ce jour la seule société savante à avoir exprimé sa position, à savoir que pour la majorité des patients traités par revascularisation pour AOMI, les alternatives aux DED doivent être privilégiées et que ces dispositifs ne peuvent être utilisés qu’après consentement du patient, prévenu du risque de surmortalité. Acte V : épilogue Pour autant que l’on puisse en juger à ce stade, il n’y a sans doute pas d’incendie mais suffisamment de fumée autour d’un signal de sécurité en rapport avec les DED. L’heure n’est donc pas à l’hystérie ou à la panique, mais à respecter un agenda scientifique visant à pénétrer la fumée, circonscrire le feu et à ne pas le laisser s’étendre, soit instaurer donc un moratoire jusqu’à plus amples informations. Il est donc bien délicat d’anticiper la fin de l’histoire, qui incontestablement est loin d’être écrite. Notre collègue K. Katsanos apparaîtra-t-il pour la postérité comme le nouveau Sisyphe qui a piégé Thanatos et qui l’a payé cher… ou un disciple d’Ésope, le génial créateur de fables impérissables ? Faudra-t-il lui demander de faire le court voyage vers Delphes pour trouver une émule contemporaine de la Pythie, ce qui risque de prendre du temps vu le cahier des charges (une ménagère de plus de 50 ans, vierge) et consulter l’oracle ou plus vraisemblablement attendre pour connaître la réponse, de voir grossir les cohortes des patients atteignant les 5 ans de recul pour que la masse critique soit atteinte et s’affranchir des polémiques dans l’interprétation des signaux de sécurité, en espérant bien sûr que tout cela n’aura été qu’un vilain cauchemar inspiré par Epialès… Conclusion Peut-être devra-t-on pour les futurs DED, privilégier comme excipient, plutôt que le Iopromide, le sorbitol ou l’urée, la thériaque de Mithridate, le sang de la Gorgone ou l’eau du Léthé pour qu’ils oublient leur vie antérieure et en retrouvent une seconde, éternelle… Au-delà de ce présent exercice de style jubilatoire, il est bon de rappeler que les mythes grecs ont posé de manière visionnaire la tension axiologique et les interrogations éthiques qui nous déchirent et nous divisent aujourd’hui : il y était déjà question de robots qui se retournent contre leur maître, de pièges technologiques tendus par des tyrans, de quête d’immortalité qui tourne mal… À méditer…

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