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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 06 mar 2007Lecture 9 min

Y a-t-il des indications d'ablation du nœud auriculo-ventriculaire ?

P. DEFAYE, CHU Grenoble

L’ablation du nœud auriculo-ventriculaire (NAV) est une technique déjà très ancienne puisque ce fut la première application de la radiofréquence en rythmologie en 1981 par l’équipe de Scheinman en Californie. Pendant une quinzaine d’années, cette technique a été appliquée à des patients présentant une fibrillation auriculaire, permanente ou paroxystique, rapide, réfractaire aux médicaments bradycardisants, parfois responsable d’une insuffisance cardiaque et surtout mal tolérée.

La technique, bien connue, et encore appelée « ablate and pace », consiste à réaliser l’ablation de la conduction auriculo-ventriculaire par radiofréquence associée à la mise en place d’un stimulateur cardiaque, VVIR si la FA est permanente, ou DDDR si la FA est paroxystique. Bien que ce geste n’élimine pas la fibrillation auriculaire, il a été démontré qu’il supprime souvent les symptômes liés à l’arythmie et qu’il améliore la qualité de vie, la tolérance à l’effort et la fonction ventriculaire gauche. Cette technique a longtemps été la seule alternative aux médicaments antiarythmiques ou bradycardisants, en cas de FA réfractaire. Le développement rapide de l’ablation curative de la fibrillation auriculaire au niveau de l’abouchement des veines pulmonaires et de l’oreillette gauche a clairement montré sa supériorité sur l’ablation du nœud auriculo-ventriculaire. Effectivement, depuis 1998 et la première publication de Michel Haissaguerre sur l’ablation spécifique de la FA focale, il a rapidement été très clair que l’on pouvait guérir au moins un certain type de FA par cathéter contrairement à l’effet palliatif de la technique « ablate and pace ». Les indications d’ablation du nœud auriculo-ventriculaire se sont par conséquent réduites.   Pourquoi l’ablation du NAV ne peut être qu’une technique exceptionnelle de traitement de la FA ? Malgré l’amélioration fonctionnelle, indiscutable pour la majorité des patients, après ablation du nœud auriculo-ventriculaire et mise en place d’un stimulateur, il est vite apparu que cette technique ne devait être réalisée qu’exceptionnellement.   Des inconvénients liés à la stimulation Une altération de la fonction ventriculaire Une des premières ablation par radiofréquence, réalisée par notre équipe, en 1994, avait été l’ablation du NAV. Il s’agissait d’une patiente > 80 ans, en FA rapide, non ralentie par les antiarythmiques et en grande insuffisance cardiaque. Malgré le retour rapide à une fréquence cardiaque régulière et plus « physiologique » après ablation et mise en place d’un stimulateur VVIR, le geste n’avait pas évité l’évolution vers le décès par insuffisance cardiaque réfractaire. Ce cas clinique nous avait particulièrement marqué à l’époque. Il montrait déjà les limites de cette technique. L’explication probable est la création d’asynchronismes intra- et interventriculaire, liée à la stimulation cardiaque conventionnelle. La création de ces asynchronismes contrebalance défavorablement les effets attendus de la diminution de la fréquence cardiaque, en aggravant la dysfonction ventriculaire gauche et en augmentant le risque rythmique ventriculaire et auriculaire. Un certain nombre d’études récentes ont confirmé à long terme l’altération de la fraction d’éjection ventriculaire gauche liée au remodelage induit par la stimulation de l’apex du VD. D’autres arguments importants sont en défaveur de cette technique. Une stimulodépendance Il est clair que l’on remplace une pathologie par une autre sans éliminer la première (la FA). On crée un bloc auriculo-ventriculaire complet et les conséquences de ce geste peuvent en être toutes les complications de la stimulation cardiaque au long cours. Nous provoquons très souvent une stimulodépendance. Cette dépendance est un élément important. Les recommandations classiques concernant l’ablation du NAV sont de créer un BAV haut situé avec rythme de relais idioventriculaire. Malheureusement, l’obtention de ce rythme de relais n’est pas toujours prévisible. Par ailleurs, la stimulation au long cours peut « éteindre » ce rythme. On connaît également l’ensemble des complications et des contraintes de la stimulation cardiaque au long cours, auxquelles ces patients peuvent être soumis : ruptures de sondes, pannes de stimulateurs, infections. Le risque de torsades de pointe Un autre problème a longtemps été évoqué. C’est le risque de mort subite lié à l’ablation du nœud auriculo-ventriculaire, probablement en rapport avec des torsades de pointe, dues à l’augmentation de l’intervalle QT. Les premières études sur le suivi à long terme ont montré une incidence de mort subite comprise entre 2 et 6 %. On recommande classiquement, pour éviter cette complication gravissime, de programmer la fonction stimulation entre 80 et 90/min durant le premier mois post-stimulation. L’étude de Ozcan (N Engl Med 2001) sur 334 patients a confirmé une incidence de mort subite de 1,2 %, mais celle-ci survient dans la majorité des cas dans les 48 heures. Le traitement AVK reste indiqué Il s’agit typiquement d’une technique palliative car la fibrillation auriculaire persiste avec son cortège de risques, notamment thromboembolique. L’action de la technique « ablate and pace » est uniquement une amélioration de la symptomatologie fonctionnelle. Le traitement anticoagulant doit être formellement poursuivi. Tous ces arguments ne sont donc pas en faveur du développement de cette méthode, qui ne peut donc être proposée en 2006 que dans des cas particuliers.   Quand doit-on proposer une ablation du NAV en 2006 ? L’ablation spécifique de la FA a donc pris le pas sur l’ablation « palliative » du NAV. Il est clair que l’on peut guérir la plupart des FA paroxystiques, dans un centre expérimenté, par cathéter, au prix parfois de plusieurs procédures. On ne doit donc, à notre sens, jamais proposer ce geste en première intention comme traitement d’une FA paroxystique en 2007. L’autre problème est celui des FA permanentes. Les techniques spécifiques de radiofréquence évoluent, de mois en mois, dans cette indication. Cette technique n’est réalisable qu’au prix de lignes et/ou de l’ablation spécifique de potentiels fragmentés dans l’oreillette gauche. Les taux de succès ne sont, pour l’instant, que d’environ 40 %. Cette technique n’est pratiquée, avec efficacité, que dans des centres hautement spécialisés, où les opérateurs peuvent se relayer pour obtenir un rythme sinusal en fin de procédure. On ne peut donc discuter l’ablation du NAV, comme alternative, que dans le cadre des FA permanentes, rapides, mal tolérées sous traitement médical bien conduit. En revoyant nos statistiques de 2006, nous n’avons pas pratiqué d’ablation du NAV, hormis chez des patients en insuffisance cardiaque réfractaire désynchronisée pour lesquels l’indication de resynchronisation était l’indication primaire d’implantation. Nous n’avons pas pratiqué d’ablation palliative du NAV pour fibrillation auriculaire paroxystique. Il ne subsiste donc, à notre sens en 2007, que deux indications d’ablation de la jonction auriculoventriculaire.   La resynchronisation cardiaque chez les patients en fibrillation auriculaire et en insuffisance cardiaque Les grandes études, et donc les recommandations actuelles, concernant la resynchronisation sont précises : insuffisance cardiaque systolique au stade III à IV de la NYHA, en rythme sinusal, avec fraction d’éjection ≤ 35 %, associée à un QRS > 120 ms, sous traitement médical optimal. Pourtant, cette technique semble tout aussi efficace chez les patients en fibrillation auriculaire sous couvert de l’ablation du nœud auriculo-ventriculaire. Les patients en FA n’ont pas de synchronisme AV. La programmation d’un DAV est impossible pour assurer une capture biventriculaire permanente. La capture permanente ne peut être obtenue que par ablation du NAV. Pourquoi les patients en fibrillation auriculaire ne sont-ils pas une indication de classe I à ce jour ? Les études randomisées publiées, aussi bien celles démontrant un bénéfice fonctionnel (MUSTIC, MIRACLE…) que celles prouvant un bénéfice en termes de survie (COMPANION, CARE-HF), n’ont inclus que des patients en rythme sinusal. Pourtant, en pratique clinique, nous obtenons des résultats équivalents chez les patients en fibrillation auriculaire, sous réserve qu’une capture ventriculaire permanente soit obtenue. Elle ne peut s’obtenir, habituellement, si l’on désire une capture permanente, que par une ablation de la jonction atrioventriculaire par radiofréquence. L’étude de Gasparini (J Am Coll Cardiol, juillet 2006) est très intéressante. Elle évalue la réponse fonctionnelle de la resynchronisation chez un groupe de patients en FA et un groupe en rythme sinusal (RS). La même amélioration est retrouvée en RS et en FA. Deux sous-groupes de patients ont été étudiés en FA : un sous-groupe de patients dont la fréquence cardiaque est « contrôlée » par les médicaments (85 % de stimulation) et un sous-groupe où les patients ont bénéficié de l’ablation du NAV. La symptomatologie fonctionnelle est évaluée à 4 ans. Une amélioration de la FEVG, un effet de remodelage inverse, et une tolérance à l’effort meilleure sont retrouvés uniquement dans le deuxième sous-groupe de patients (ablation NAV). Plusieurs raisons expliquent la nécessité de l’ablation du NAV en cas de FA permanente et resynchronisation. D’abord, la régularisation complète du rythme cardiaque va optimiser les phases diastoliques et systoliques du cycle et, ainsi, améliorer de façon globale le synchronisme. Si l’ablation n’est pas réalisée, il y a nécessité de stimuler à fréquence plus rapide, ce qui est délétère. La survenue de « pseudo-fusions » tend d’ailleurs à surestimer le pourcentage de stimulations. Au total, la stratégie « pace and ablate », puisque l’ablation n’est réalisée que secondairement, quelques semaines après implantation du CRT, paraît être une excellente stratégie chez ces patients insuffisants cardiaques sévères, en FA, désynchronisés. On pourrait mettre en concurrence à cette méthode l’ablation spécifique du tissu auriculaire en cas de FA associée à l’insuffisance cardiaque. La faisabilité de la méthode a été démontrée par P. Jaïs (N Engl J Med 2004). Malgré tout, nous pensons qu’en 2006 et en l’absence d’amélioration des outils thérapeutiques, l’ablation, dans ce cadre là, ne peut être réalisée en routine. Si l’insuffisance cardiaque avec dysfonction ventriculaire gauche, couplée à une désynchronisation électrique ou échographique, est le phénomène prédominant, la technique couplant resynchronisation et ablation du NAV dans un second temps donne d’excellents résultats. Parfois, l’amélioration fonctionnelle et hémodynamique de la fonction ventriculaire gauche, en diminuant les pressions de remplissage, peut expliquer le retour en rythme sinusal à long terme de FA anciennes, après resynchronisation (figures). Figure 1. Patient de 60 ans ayant bénéficié d’un remplacement valvulaire aortique et mitral en 1993. Il est en FA permanente, alternant avec un flutter gauche depuis 10 ans malgré 4 chocs électriques externes. Le diamètre de l’oreillette gauche est de 50 mm. La fraction d’éjection est à 35 %. Il présente une dyspnée d’effort stade III. Figure 2. Ce patient présente une TV spontanée mal tolérée en novembre 2004. Figure 3. Il s’agit de l’ECG réalisé après implantation en novembre 2004 d’un défibrillateur biventriculaire (CRT-DAI) à ce patient. Une sonde de défibrillation ventriculaire droite et une sonde de stimulation ventriculaire gauche dans une veine latérale coronaire ont été implantées. On décide, en raison de la FA ancienne, de ne pas implanter de sonde atriale droite. Après choc endocavitaire de 21 J, un rythme sinusal est restitué. En raison des antécédents, on pense que la FA va récidiver rapidement. L’ECG montre l’excellente efficacité de la resynchronisation ainsi que la dissociation V-A. Figure 4. Quelques mois après resynchronisation, devant la persistance du rythme sinusal au long cours, on réalise l’atrialisation du CRT-DAI. Il s’agit de l’ECG réalisé en décembre 2006, 14 mois après atrialisation du CRT-DAI. L’amélioration fonctionnelle a été spectaculaire, à tel point que le rythme sinusal s’est maintenu à long terme, parallèlement à l’amélioration de l’hémodynamique. Il s’agit d’un superbe résultat de l’ablation du nœud auriculo-ventriculaire associée à la resynchronisation cardiaque. Les patients très âgés en FA rapide, réfractaires aux antiarythmiques et très symptomatiques En dehors de l’insuffisance cardiaque, l’ablation du NAV et la stratégie « ablate and pace » peut être proposée aux patients très âgés chez lesquels l’ablation spécifique de la fibrillation auriculaire ne peut s’appliquer. Le nombre de centres pouvant réaliser ces procédures est trop faible pour pouvoir multiplier ces gestes ; en outre, cette technique reste longue et difficile, contrairement à l’ablation du NAV. Chez les patients du « quatrième âge », très symptomatiques, en fibrillation auriculaire, rebelles aux médicaments, on peut donc encore parfois proposer cette stratégie thérapeutique. Cela ne concerne que de rares patients, car le traitement pharmacologique suffit généralement à ralentir le rythme cardiaque. Le développement des techniques de resynchronisation fait proposer l’association de la resynchronisation à l’ablation du NAV, pour éviter l’aggravation des asynchronismes induits par la stimulation ventriculaire droite. Dans une étude récente (Tops, JACC octobre 2006), la stimulation ventriculaire droite, dans cette indication, induit un asynchronisme responsable d’une aggravation de la classe NYHA chez 50 % des patients. On discutera donc l’implantation d’un stimulateur de resynchronisation, en première intention, dans cette indication.   Conclusion   L’ablation du NAV a donc perdu de sa « superbe » par rapport à l’ablation spécifique du tissu atrial, traitement curatif de la fibrillation auriculaire. Après l’engouement initial des années 80-90, cette technique ne doit maintenant être proposée qu’en cas de resynchronisation cardiaque (par pacemaker ou défibrillateur biventriculaire) chez des patients en FA et, exceptionnellement chez de rares patients très âgés en FA réfractaire et pour lesquels l’ablation spécifique ne peut être envisagée.

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