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Thérapeutique

Publié le 17 avr 2007Lecture 10 min

Les bêtabloquants chez les patients atteints d'asthme ou de BPCO : quelles contre-indications reste-t-il en 2007 ?

P.-R. BURGEL, Service de pneumologie, hôpital Cochin, Paris

Les bêtabloquants sont des antagonistes des récepteurs bêta-adrénergiques. Ils s’opposent aux effets cardiovasculaires délétères de l’adrénaline, en particulier au niveau des récepteurs bêta-adrénergiques situés sur le myocarde. Le bénéfice clinique des bêtabloquants est bien établi dans la maladie coronaire avec une réduction importante de la mortalité en phase aiguë d’infarctus et dans le postinfarctus(1). Les bêtabloquants sont également efficaces dans le traitement de l’hypertension artérielle et de l’insuffisance cardiaque.

Les maladies obstructives pulmonaires (asthme et BPCO) sont classiquement des contre-indications à l’utilisation des bêtabloquants en raison du risque de bronchospasme pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Les études épidémiologiques montrent d’ailleurs une sous-utilisation des bêtabloquants chez les patients atteints de maladies obstructives pulmonaires(2). Deux métaanalyses récentes ont suggéré que certains bêtabloquants pourraient être prescrits aux patients atteints de maladies obstructives bronchiques sans aggravation de la pathologie respiratoire(3,4). Dans cet article, nous discutons les mécanismes physiopathologiques conduisant à l’aggravation de l’obstruction bronchique après l’administration d’un traitement bêtabloquant. Nous évaluons ensuite les données objectives sur la tolérance des bêtabloquants chez les patients asthmatiques et chez les patients atteints de BPCO. L’objectif est de proposer une attitude pratique concernant l’utilisation des bêtabloquants chez ces patients.   Mécanismes physiopathologiques de l’hyperréactivité bronchique liée aux traitements bêtabloquants Les traitements bêtabloquants ne provoquent pas d’hyperréactivité bronchique chez les sujets normaux. Ils peuvent cependant aggraver l’obstruction bronchique et diminuer l’effet bronchodilatateur des bêta2-agonistes chez les patients ayant un asthme ou une BPCO(5,6). La compréhension des mécanismes de l’effet bronchoconstricteur des bêtabloquants nécessite un bref rappel anatomophysiologique. L’apparition d’un bronchospasme après la prise de bêtabloquants semble liée à la contraction du muscle lisse bronchique. Il n’existe cependant pas d’innervation adrénergique au niveau du muscle lisse bronchique. Cependant, les récepteurs bêta2-adrénergiques sont présents sur le muscle lisse et leur activation par les bêta2-agonistes provoque une relaxation des fibres musculaires bronchiques (bronchodilatation). L’innervation cholinergique est présente dans l’ensemble de l’arbre bronchique et la libération d’acétylcholine par les terminaisons nerveuses cholinergiques augmente le tonus musculaire bronchique : l’activation par l’acétylcholine des récepteurs muscariniques M3 situés sur le muscle lisse provoque la contraction des fibres musculaires lisses. À l’opposé, l’activation des récepteurs muscariniques M2 situés au niveau des ganglions cholinergiques exerce un rétrocontrôle négatif sur la libération d’acétylcholine. Les anticholinergiques sont de puissants bronchodilatateurs qui agissent par blocage des récepteurs muscariniques (principalement de type M3) situés sur le muscle lisse. Les mécanismes conduisant à l’apparition d’un bronchospasme après l’administration de bêtabloquants sont mal compris. Les principales études ont été réalisées sur des tests de provocation bronchique au propranolol, administré par voie inhalée ou intraveineuse. Ces études montrent que : – le blocage des récepteurs bêta-adrénergiques est nécessaire à l’effet bronchoconstricteur du propranolol(7) : la forme lévogyre du propranolol provoque un bronchospasme alors que la forme dextrogyre (dépourvue d’activité bloquante sur les bêtarécepteurs) reste sans effet ; – les anticholinergiques ont un effet protecteur sur la bronchoconstriction induite par les bêtabloquants et lèvent la bronchoconstriction établie après une inhalation de propranolol, indiquant que l’activation du système cholinergique est impliquée dans la réponse bronchique au propranolol(5). La pilocarpine, un agoniste des récepteurs muscariniques M2, permet de limiter la bronchoconstriction induite par le propranolol(8). Ces récepteurs M2 sont inactifs chez les patients asthmatiques, ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, la sensibilité accrue des asthmatiques aux effets bronchoconstricteurs des bêtabloquants(9) ; – d’autres mécanismes imparfaitement compris (par exemple des effets alpha-adrénergiques) pourraient également intervenir chez les patients asthmatiques(10).   Faut-il préférer les bêtabloquants cardiosélectifs ?   Une pharmacologie séduisante Les récepteurs bêta1-adrénergiques sont prédominants au niveau du myocarde, alors que le muscle lisse bronchique exprime préférentiellement les récepteurs de type bêta2. Les bêtabloquants non cardiosélectifs sont des antagonistes des récepteurs bêta1 et bêta2-adrénergiques. Les bêtabloquants cardiosélectifs ont été développés pour inhiber les récepteurs bêta1, mais pas les récepteurs bêta2-adrénergiques : la sélectivité est définie par une affinité > 20 fois pour les récepteurs bêta1 par rapport aux récepteurs bêta2(11). Ainsi, les bêtabloquants cardiosélectifs ont été conçus avec l’idée de préserver l’effet bénéfique cardiovasculaire (supposé lié à l’antagonisme des récepteurs bêta1) en limitant les effets secondaires bronchiques (supposés liés à l’antagonisme des récepteurs bêta2).   Des effets cliniques mais probants Ce schéma séduisant mérite d’être nuancé à la fois en termes d’efficacité cardiovasculaire et de tolérance pulmonaire. Si l’efficacité cardiovasculaire des bêtabloquants semble préférentiellement liée à leurs effets sur les récepteurs bêta1, la présence de récepteurs bêta2 sur le myocarde suggère que le blocage bêta2 puisse contribuer aux effets de ces molécules. L’effet cardiovasculaire des bêtabloquants inhibant sélectivement les récepteurs bêta1 pourrait être différent de celui des molécules moins sélectives. Du point de vue respiratoire, les données disponibles indiquent que les bêtabloquants non cardiosélectifs peuvent entraîner des bronchospasmes même lorsqu’ils sont utilisés à très faibles posologies (cas des bronchospasmes induits par les collyres au timolol chez les patients asthmatiques). Les bêtabloquants réputés cardiosélectifs semblent mieux tolérés sur le plan respiratoire(3), mais peuvent aussi provoquer des bronchospasmes chez les patients asthmatiques(12). Cette donnée soulève des interrogations sur la sélectivité réelle de certains bêtabloquants réputés cardiosélectifs. Baker a ainsi montré dans un modèle cellulaire in vitro, la faible sélectivité pour les récepteurs bêta1 par rapport aux récepteurs bêta2 de molécules classées comme cardiosélectives telles que l’acébutolol ou du métoprolol (tableau)(13). Au total, il pourrait être intéressant de disposer de molécules ayant une sélectivité plus importante que les molécules actuelles pour les récepteurs bêta1 par rapport aux récepteurs bêta 2. Il faudra cependant démontrer que ces molécules sont aussi efficaces que les autres dans la prévention des risques cardiovasculaires et que leur caractère sélectif permet d’éviter l’apparition d’une obstruction bronchique. La complexité des mécanismes de la bronchoconstriction après administration d’un bêtabloquant dépasse sans doute la seule sélectivité bêta1/bêta2.   L’asthme reste une contre-indication aux bêtabloquants L’asthme est une pathologie fréquente touchant environ 8 % de la population mondiale. Cette prévalence élevée explique l’association aux maladies cardiovasculaires (HTA, coronaropathie, insuffisance ventriculaire gauche) qui sont également fréquentes et dans lesquelles les traitements bêtabloquants sont recommandés. Les bêtabloquants sont classiquement contre-indiqués chez les patients asthmatiques.   Une métaanalyse remet en cause cette contre-indication La métaanalyse de Salpeter(3) a porté sur les études randomisées contre placebo évaluant les effets des bêtabloquants cardiosélectifs sur le volume maximal expiré la 1re seconde (VEMS), la présence de symptômes respiratoires et la réponse aux traitements bêta2-mimétiques chez des patients ayant une hyperréactivité bronchique (test de réversibilité aux bronchodilatateurs montrant une amélioration du VEMS > 15 % ou test de provocation bronchique à la métacholine, positif, ou asthme défini selon les critères de l’American Thoracic Society). Cette métaanalyse portant sur 19 études (240 patients ayant une hyperréactivité bronchique) montre qu’une dose unique de bêta-bloquants cardiosélectifs a peu d’effets sur le VEMS et les symptômes respiratoires immédiats(3). L’analyse des 141 patients ayant eu un traitement plus prolongé entre (3 et 30 jours) n’a pas montré d’effets délétères sur le VEMS et les symptômes respiratoires. Les auteurs concluent à une bonne tolérance respiratoire des bêtabloquants cardiosélectifs chez ces patients et suggèrent de ne pas interrompre les bêtabloquants chez les patients ayant une maladie respiratoire non sévère avec une hyperréactivité bronchique non spécifique(3).   Mais cette métaanalyse est critiquée(14) Les patients ayant eu une exacerbation récente de leur asthme étaient exclus de ces études, ne permettant pas de généraliser ces résultats à tous les patients asthmatiques. La bonne tolérance des bêtabloquants cardiosélectifs en phase de stabilité de l’asthme ne préjuge pas de leur effet potentiellement délétère en cas de survenue d’une exacerbation d’asthme (par exemple, déclenchée par une infection virale ou une exposition allergénique). Ainsi, en l’absence d’études de longue durée (> 1 an) évaluant la sécurité d’utilisation des bêtabloquants cardiosélectifs sur la survenue et la sévérité des exacerbations d’asthme, les conclusions de Salpeter et coll. sont prématurées. Plusieurs éléments sont à prendre en compte : – la sévérité du bronchospasme induit par un bêtabloquant est imprévisible ; – les bêtabloquants peuvent provoquer des bronchospasmes sévères même chez des patients ayant un asthme modéré ; – une très faible dose d’un bêtabloquant peut suffire à provoquer un bronchospasme ; – la cardiosélectivité des bêtabloquants reste une notion relative (voir plus haut) et même les bêtabloquants réputés les plus cardiosélectifs (par exemple, le céliprolol) peuvent avoir des effets bronchoconstricteurs(15). De ce fait, il apparaît toujours raisonnable en 2007 de contre-indiquer les bêtabloquants chez les patients asthmatiques. Dans certains cas très sélectionnés et en l’absence d’alternative thérapeutique, les bêtabloquants peuvent cependant être discutés.   Bénéfices et problèmes posés par les bêtabloquants chez les patients atteints de BPCO   Une association très fréquente L’association d’une BPCO et de maladies cardiovasculaires, en particulier coronaire, est très fréquente. Les deux pathologies ont des facteurs de risque communs (âge, tabagisme) et la BPCO est un puissant facteur de risque indépendant de morbidité et de mortalité cardiovasculaire(16). Les comorbidités cardiovasculaires ont un rôle majeur dans le pronostic vital et fonctionnel des patients atteints de BPCO(17). Chez les patients atteints de BPCO modérée à moyenne, la mortalité d’origine cardiovasculaire est plus importante que la mortalité d’origine respiratoire(17). La présence d’une BPCO est également un facteur de mauvais pronostic chez les patients ayant une maladie coronaire symptomatique.   Un pronostic plus sévère Berger et coll. ont étudié la mortalité à 3 ans après une revascularisation coronaire percutanée chez 4 284 patients. La présence d’une BPCO multipliait par 2 la mortalité à 3 ans (mortalité de 21 % chez les patients ayant une BPCO et de 9 % chez les patients n’ayant pas de BPCO ; p < 0,001)(18). Les bêtabloquants sont les traitements de référence pour prévenir la mortalité chez les patients atteints de maladie cardiovasculaire. La BPCO est l’une des raisons majeures pour ne pas prescrire de bêtabloquants en postinfarctus(2). L’absence de traitement bêtabloquant en postinfarctus est associée une augmentation des événements cardiovasculaires et à une survie plus courte(19).   Une efficacité des bêtabloquants démontrée L’étude de Gottlieb et coll. suggère que les patients atteints de BPCO sont ceux qui tirent le plus grand bénéfice sur la survie d’un traitement bêtabloquant en postinfarctus(19). Chez les patients atteints de BPCO traités pour une hypertension artérielle, les bêtabloquants sont également les molécules les plus efficaces pour réduire la mortalité(20). Ces études incitent fortement à la prescription de bêtabloquants chez les patients atteints de BPCO en cas d’indication cardiovasculaire.   Une tolérance apparemment correcte La tolérance respiratoire des traitements bêtabloquants chez les patients atteints de BPCO a été relativement peu étudiée. La métaanalyse de Salpeter a montré la bonne tolérance d’une dose unique de bêtabloquants cardiosélectifs sur le VEMS et les symptômes respiratoires(4). Les quelques études ayant évalué la tolérance respiratoire des bêtabloquants sur une plus longue période ont une durée de suivi généralement inférieure à 3 mois(4) et montrent l’absence d’aggravation de l’obstruction bronchique et des symptômes respiratoires(4). L’absence d’étude de longue durée ne permet pas de conclure strictement à la sécurité des bêtabloquants chez ces patients. Cependant, l’importance des bénéfices attendus incite à une prescription plus large des bêtabloquants chez les patients atteints de BPCO.   Surveiller la fonction respiratoire (EFR) L’optimisation du traitement de la BPCO dans ce cadre peut faire appel aux traitements anticholinergiques qui, au moins en théorie, pourraient prévenir les effets respiratoires des bêtabloquants. Dans tous les cas, une surveillance régulière de la fonction respiratoire (épreuves fonctionnelles respiratoires) s’impose afin de dépister précocement une aggravation respiratoire qui sera souvent progressive dans ce cadre. Lorsque les bêtabloquants sont indiqués, le choix de bêtabloquants cardiosélectifs est souvent préconisé(4), mais une étude récente montre que la tolérance respiratoire du carvédilol, un bêtabloquant non cardiosélectif, est bonne sur une cohorte de 31 patients atteints de BPCO suivis en moyenne plus de 2 ans(21). Des études sont nécessaires pour apprécier l’efficacité sur la survie et la tolérance respiratoire sur le long terme des bêtabloquants chez les patients atteints de BPCO. L’identification de facteurs prédictifs de mauvaise tolérance respiratoire permettrait de sélectionner les candidats à un traitement bêtabloquant.   En pratique   L’asthme reste une contre-indication aux bêtabloquants du fait du risque de bronchospasme sévère, dont la date de survenue (parfois plusieurs mois ou plusieurs années après le début du traitement bêtabloquant) est imprévisible Chez les patients atteints de BPCO, les maladies cardiovasculaires (en particulier la maladie coronaire) sont responsables d’une morbidité et d’une mortalité très importantes. La non-prescription des bêtabloquants chez les patients ayant une BPCO et une pathologie coronaire est associée à une surmortalité. Le risque respiratoire des bêtabloquants chez les patients ayant une BPCO est réel, mais semble moins important que chez les patients asthmatiques. La contre-indication relative des bêtabloquants dans ce contexte est donc à mettre en balance avec leur bénéfice important. En cas de bénéfice cardiovasculaire net des bêtabloquants (par exemple en postinfarctus), il apparaît licite de proposer un traitement bêtabloquant qui sera poursuivi en fonction de sa tolérance respiratoire.

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