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Explorations-Imagerie

Publié le 30 nov 2010Lecture 7 min

Élévation inexpliquée des troponines - Pensez aux interférences!

J.-P. BERTINCHANT, A. POLGE, G. CAYLA, M. RUBINI, C. SOULIER, P.-F. WINUM, CHU Nîmes

Les recommandations donnent au dosage des troponines (I ou T), marqueurs très spécifiques, un rôle central dans le diagnostic, le pronostic et la décision thérapeutique chez les patients admis pour un syndrome coronarien aigu, en association avec les données cliniques, ECG et l’imagerie. La cinétique des troponines qui associe croissance et décroissance des concentrations (figure) est l’argument majeur pour le diagnostic d’infarctus du myocarde (IDM) lié à une obstruction coronarienne. Une élévation des troponines est également fréquemment observée dans des situations cliniques, aiguës ou chroniques, où existe un dommage myocardique non lié à une occlusion coronarienne (myocardite, péricardite, arythmies, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, embolie pulmonaire, choc septique). Cette élévation peut être persistante (insuffisance cardiaque, insuffisance rénale) et pronostique. Il existe aussi des situations cliniques où, le dosage des troponines étant réalisé de manière systématique, une élévation significative et persistante des troponines (plus ou moins en plateau lorsque les dosages sont répétés), est constatée de manière inexpliquée ou jugée discordante avec un tableau clinique qui est parfois complexe. Ces « faux positifs », qu’illustrent les observations suivantes, doivent faire évoquer la possibilité d’interférences qui, bien que rares (survenant dans moins de 1 cas sur 5 000 dosages) doivent être connues des cliniciens et des biologistes, de façon à éviter des investigations et des procédures inutiles (Panteghini M et al. 2009). Des interférences négatives sont également rarement rapportées.

Observation 1 Un homme de 62 ans, insuffisant respiratoire chronique sévère secondaire à une BPCO post-tabagique, est admis en réanimation pour détresse respiratoire aiguë. L’évolution nécessite une trachéotomie et une antibiothérapie prolongée. Malgré les complications (thrombose veineuse profonde, nécessité d’une alimentation entérale provisoire), il n’existe pas de défaillance cardiaque. Les concentrations de TnI (Access) systématiquement réalisées sont fortement positives et persistantes pendant l’hospitalisation (figure). Les ECG sont non modifiés. L’échocardiographie répétée est normale. Devant la discordance entre le tableau clinique et l’élévation de TnI, jugée trop importante pour être liée à la pathologie présentée, la possibilité d’une interférence est évoquée. Le prétraitement des plasmas avec un agent inactivant les anticorps hétérophiles (Scantibodies Laboratory) montre une normalisation des taux de TnI.   Figure. Cinétique de troponine dans l’IDM et en cas d’interférences faussement positives.   La présence d’anticorps hétérophiles à l’origine des concentrations anormalement élevées de TnI est démontrée. La production ponctuelle d’anticorps hétérophiles pourrait être liée au contexte infectieux et possiblement transitoire. Observation 2 Un homme de 57 ans sans antécédents, est admis en urgence pour perte de connaissance survenue lors d’une chute à vélo. Un traumatisme de l’épaule est constaté. Le patient ne présente aucune douleur thoracique. L’ECG est normal. Un dosage de troponine I (TnI) (Beckman- Access II) systématiquement réalisé est positif à 18,5 μg/l. Des concentrations répétées sont fortement positives avec une cinétique en plateau. L’échocardiographie, la coronarographie et l’IRM cardiaque sont normales. La possibilité d’une interférence est évoquée. Après dilution, la TnI persiste à concentration élevée. Le prétraitement du plasma avec un agent inactivant les anticorps hétérophiles (Scantibodies Laboratory) montre un résultat identique élevé, éliminant la présence de ces anticorps. Le dosage du sérum avec un autre immunodosage de TnI (Architect Abbott) est négatif. L’élévation de TnI est liée à une interférence positive avec l’immunodosage Beckman et n’est pas la conséquence d’une anomalie myocardique. Observation 3 Une femme de 45 ans est hospitalisée pour malaise. L’interrogatoire retrouve des malaises anciens avec palpitations et céphalées. L’examen clinique et l’ECG sont normaux La TnI est élevée à l’admission à 1,86 μg/l (Abbott-Architect). Le bilan biologique, y compris le facteur rhumatoïde, est normal. Il n’y a pas de vaccination récente, pas de maladie systémique connue, pas de contact avec des animaux. L’échocardiographie et la coronarographie sont normales. La cinétique de TnI montre une élévation persistante des concentrations (figure). La présence d’anticorps hétérophiles est éliminée. Le dosage du sérum avec les immunodosages de TnT et de TnI (Beckmann-DXi) donne un résultat négatif.   L’existence d’une interférence avec la technique utilisée (Abbott-Architect) est démontrée. La nature de cette interférence (moléculaire, génétique, immunologique?) reste à préciser. Commentaires « Faux positifs » Différents facteurs (anticorps, facteurs analytiques) peuvent interférer avec les immunodosages de troponine rendant compte d’une élévation « faussement positive » des concentrations : La présence d’anticorps endogènes dans la circulation sanguine (anticorps hétérophiles, facteur rhumatoïde) est à l’origine d’interférences avec de nombreux immunodosages (marqueurs cardiaques, HCG, FSH, LH, TSH, marqueurs tumoraux). Dans le cas des immunodosages de troponine I et T, ces anticorps reconnaissent et se lient avec les anticorps anti-troponine, en prenant la place de la troponine. Dans les immunodosages de TnI et TnT commercialisés, des agents bloquants sont associés dans le but de minimiser ces interférences. Celles-ci peuvent cependant persister malgré leur présence. Parmi les anticorps hétérophiles, décrits comme des anticorps IgM dirigés contre de multiples antigènes animaux (mouton, cheval, rat, bovins, etc.), les HAMA (Human Anti- Mouse Antibodies) sont les plus fréquemment à l’origine d’interférences. En effet, les anticorps anti-souris sont utilisés dans la plupart des immunodosages diagnostiques in vitro. L’utilisation des anticorps dans la radio-imagerie et le traitement des tumeurs cancéreuses (immunothérapies) explique la fréquence des HAMA dans la circulation sanguine. Dans la population générale, la fréquence des anticorps hétérophiles est variable et a été évaluée jusqu’à 40 %. Leur concentration est augmentée après vaccination, transfusion sanguine, en cas de contact avec des animaux domestiques ou exposition à des protéines animales (professions spécifiques : vétérinaires, éleveurs, préparateurs en alimentation animale), après exposition à certains agents microbiens. En fonction de la durée de contact avec les antigènes étrangers, l’élévation des anticorps pourrait être transitoire ou permanente. La présence de facteurs rhumatoïdes dans la circulation sanguine (de l’ordre de 5 % chez les sujets sains) peut expliquer une élévation faussement positive de TnI chez environ 1 % des patients. Comme pour les anticorps hétérophiles, le degré d’interférence est différent selon les immunodosages de TnI utilisés. Lorsque l’interférence est suspectée, des anticorps antisérums polyclonaux dirigés contre les facteurs rhumatoïdes peuvent l’éliminer. Dans certaines maladies autoimmunes, la présence d’autoanticorps peut être associée à une élévation faussement positive de troponine. Les observations 2 et 3 soulèvent l’hypothèse de l’existence de structures moléculaires, différentes des anticorps hétérophiles et des facteurs rhumatoïdes, dont la conformation est voisine de celle des anticorps. Ces structures sont à l’origine de résultats faussement positifs en cas d’utilisation de techniques immunologiques dites « sandwich » (cas de la troponine).   Une élévation faussement positive des concentrations de troponine liée à des facteurs analytiques (formation incomplète du caillot, présence de microparticules) peut être considérée comme actuellement écartée dans la mesure où, à ce jour, l’utilisation exclusive de plasma sans gel séparateur garantit l’absence d’interférence. « Faux négatifs »  Il existe plus rarement des facteurs pouvant expliquer des faux négatifs des troponines. Ce sont principalement l’hémolyse et les auto-anticorps anti-troponine.   • L’hémolyse n’a pas d’effet constant et des faux négatifs comme des faux positifs pour TnI et TnT sont décrits. En routine, seuls les échantillons non ou peu hémolysés sont analysés. • Des auto-anticorps anti-troponine I, initialement qualifiés de « facteur interférent » par Eriksson (N Engl J Med 2005), peuvent être à l’origine de faux négatifs. Ces auto-anticorps sont des IgG circulantes présentes chez les sujets sains (13 %), chez des patients atteints de cardiopathies ou d’infections (13 %) ou présentant des maladies auto-immunes (20 %) (Adamczyk M. et al. 2009). Les autoanticorps anti-troponine I sont dirigés contre la séquence entière de la TnI, incluant la région cardiaque spécifique. Les faux négatifs produits par leur présence sont observés pour des valeurs faibles de TnI. Dès que la concentration de TnI est supérieure au titre des auto-anticorps, l’inhibition est levée et  le dosage se positive. La signification clinique des auto-anticorps anti-troponine reste à préciser. Que faire en cas d’élévation inexpliquée de troponine et de suspicion d’interférence ? Le clinicien évoque la possibilité d’une fausse positivité et d’une interférence devant une élévation des concentrations de troponine : • lorsqu’il existe une discordance entre le tableau clinique qui n’est pas en faveur d’une atteinte myocardique (liée ou non à une obstruction coronarienne) et une élévation des troponines le plus souvent importante, nettement supérieure au seuil de positivité ; • lorsque la cinétique classique de croissance et décroissance des concentrations des troponines est absente et remplacée par une cinétique en plateau persistante et quasi constante lors de dosages répétés. En cas de suspicion clinique d’interférence, le clinicien avertit le biologiste de son institution qui réalise des investigations techniques (échantillonnage répété, nouvelle centrifugation, dilution, utilisation d’anticorps bloquants, utilisation d’immunodosages de TnI différents de celui utilisé en routine dans l’institution et/ou utilisation de l’immunodosage de TnT pour doser l’échantillon), afin d’identifier la cause éventuelle de cette interférence. Simultanément, le biologiste se rapproche de la société qui produit le test afin de réaliser auprès de celle-ci une « complainte qualité » qui vise à « tracer » les anomalies rencontrées et à quantifier la fréquence de l’interférence. Les investigations techniques supplémentaires nécessitent du temps et l’identification précise de l’interférence est souvent décalée par rapport au séjour hospitalier du patient qui est informé de la suspicion d’interférence qui peut être persistante ou transitoire et des risques de positivité d’autres dosages (TSH). Plus exceptionnellement, la possibilité d’une interférence négative doit être connue, pouvant rendre compte d’une discordance entre les données cliniques et biologiques (retard de positivité de la troponine dépendant de la technique utilisée). Conclusion La mise en évidence d’une interférence nécessite une collaboration étroite et un dialogue constant entre le clinicien et le biologiste. En fournissant au clinicien une information actualisée sur les performances et les limitations potentielles des dosages, le biologiste contribue à réduire le risque d’explorations injustifiées. Les sociétés ont aussi un rôle important en caractérisant les substances entraînant des interférences avec les dosages commercialisés, en recherchant en permanence de nouveaux facteurs d’interférence et en les corrigeant par une amélioration continue des immunodosages. En pratique Devant une élévation de troponine inexpliquée ou discordante avec le tableau clinique : - répéter les dosages ; - suspecter une interférence si les concentrations de troponine sont significativement élevées de manière persistante avec peu de variations (cinétique en plateau) ; - contacter le biologiste pour investigations complémentaires (recherche anticorps, utilisation d’autres immunodosages) ; - si l’interférence est confirmée, en informer le patient (risque de positivité permanente et avec d’autres dosages) et éviter l’utilisation ultérieure de l’immunodosage de troponine en cause.

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