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Polémique

Publié le 28 fév 2011Lecture 11 min

Dernières recommandations (ESC/EACTS) sur la revascularisation myocardique - L’angioplastie mise sous tutelle ?

R. CADOR, Clinique Bizet, Paris - P. RICHARD, Clinique Saint-Martin, Caen

Le groupe de travail commun (Task Force) de la Société Européenne de Cardiologie (ESC) et de l’Association Européenne pour la Chirurgie Cardio-Thoracique (EACTS) a publié fin 2010 des recommandations sur la revascularisation myocardique. Nicolas Danchin, membre de ce groupe de travail avait du reste prolongé le débat dans le dernier numéro de Cath’Lab (n° 12, décembre 2010). Depuis, la polémique n’a cessé d’enfler : le congrès High Tech en a été le théâtre à travers un débat houleux et peu courtois qui restera dans les annales d’un congrès pourtant coutumier de ce type de passe d’armes. Derrière la mise en scène forcée et simulée de ce type de controverse, un certain nombre de points sont évidemment sujets à polémique.

Ces recommandations représentent un travail original car issu d’un groupe d’experts réunissant à parts égales des représentants des cardiologues interventionnels, des chirurgiens cardiaques et des cardiologues « cliniciens ». Loin de se résumer aux quelques tableaux polémiques souvent présentés, il s’agit d’un travail considérable de 55 pages, complet et extrêmement documenté (plus de 250 références) divisé en 12 chapitres : - score et stratification du risque ; - processus de prise de décision et d’information du patient ; - place des tests d’ischémie, de l’imagerie non invasive et de recherche de viabilité avant revascularisation ; - revascularisation du patient coronarien stable ; - revascularisation du SCA ST- ; - revascularisation du SCA ST+ ; - revascularisation dans des situations cliniques particulières : diabétiques, insuffisants rénaux, valvulaires relevant d’une chirurgie, chirurgie carotidienne, artéritique, insuffisants cardiaques ; - aspects techniques spécifiques de la chirurgie de pontage ; - aspects techniques spécifiques de l’angioplastie (lésions à risque, stents actifs) ; - traitement antithrombotique entourant la revascularisation ; - prévention secondaire ; - suivi post-revascularisation.    La richesse du document justifie que tout angioplasticien prenne le temps de le lire attentivement pour se faire sa propre opinion.  L’exercice de style des recommandations est, il faut bien le reconnaître, difficile d’autant que celles-ci ont choisi d’abandonner le consensus mou et la forme de présentation habituelle – une simple revue de littérature – pour un résumé en une succession de 41 tableaux et 5 algorithmes qui obligent à autant de parti pris. Pourtant, les auteurs le reconnaissent volontiers : pour l’angor stable, ils estiment à plus de 4 000 le nombre de situations cliniques et anatomiques possibles et en concluent qu’il n’est pas possible de proposer des recommandations spécifiques pour chaque scénario. Ces recommandations ne sont donc qu’une base de réflexion.  Tous les chapitres et les tableaux ne sont évidemment pas polémiques, certains sont même très favorables à l’angioplastie. Trois d’entre eux sont incontestablement, autant sur la forme que le fond, discutables : la nécessité de la constitution d’une Heart Team, les indications de la revascularisation et le choix du mode de revascularisation dans l’angor stable et l’ischémie silencieuse.  La Heart Team  (tableau 1) Selon ces recommandations, il est désormais nécessaire d’obtenir un avis consensuel avant toute décision de revascularisation et de son mode : c’est la fameuse Heart Team qui doit se constituer avec des angioplasticiens, des cardiologues cliniciens, des chirurgiens cardiaques, des médecins référents et d’autres spécialistes (gériatres, anesthésistes, réanimateurs, etc.).  C’est cette équipe qui est supposée prendre la décision consensuelle basée sur des données scientifiques et présenter au mieux au patient les alternatives thérapeutiques pour une information éclairée.  Un « processus de décision multidisciplinaire équilibrée » (sic) est une façon élégante de dire que le cardiologue interventionnel ne peut plus prendre seul une décision de revascularisation.  Une telle procédure est tout d’abord une vraie révolution intellectuelle. Si les staffs ont toujours existé, la pratique médicale est basée sur une relation entre un patient et son médecin, ce dernier proposant et informant seul celui-ci de la démarche diagnostique et thérapeutique. Il devra évidemment se justifier si nécessaire sur la base des données scientifiques disponibles et du dossier du patient. Comme on ne demande pas à un cardiologue de ville de « staffer » le dossier de tous les patients valvulaires avec un chirurgien cardiaque, il est étonnant qu’on puisse remettre en cause la compétence et l’objectivité du cardiologue interventionnel, notamment dans des situations où l’angioplastie et la chirurgie se font concurrence.  Cette procédure est très certainement contraignante car ni les médecins ni les patients ne sont prêts à revenir à des pratiques qui obligent à attendre plusieurs jours que le staff se soit réuni pour prendre une décision de revascularisation.  Cette contrainte concerne tout particulièrement les centres non dotés de chirurgie cardiaque sur site. De plus, elle restreint de fait le champ de l’angioplastie ad hoc.  Elle sera évidemment conflictuelle car beaucoup de chirurgiens cardiaques comptent sur une discussion systématique de tous les dossiers pour récupérer une activité qui n’a cessé de s’effriter ces dernières années. Surfant sur ces mêmes recommandations, il leur sera légitime de prétendre que la monolésion de l’IVA proximale relève plus de la chirurgie que de l’angioplastie (I versus IIa). Leur réserve sera de fait consignée et pourra être utilisée à charge contre l’angioplasticien en cas de complication.  Cependant, il est honnête de reconnaître également que cette recommandation répond probablement à une dérive certaine aboutissant à des angioplasties non totalement justifiées pour les patients à faible risque et qui a exclu le chirurgien cardiaque du processus décisionnel (le limitant à opérer les patients que l’angioplasticien ne souhaite ou ne peut pas dilater).  Indications de la revascularisation dans l’angor stable et l’ischémie silencieuse (tableau 2) Ce tableau d’apparence anodine et consensuelle pose un certain nombre de questions.  Il distingue à la fois le bénéfice sur le pronostic et les symptômes.  Globalement, la règle est de recommander une revascularisation quelles que soient les lésions en cas : - d’angor stable à condition qu’il persiste sous traitement médical ;  - de dyspnée ; - d’insuffisance cardiaque.    S’il s’agit d’une reconnaissance du principe de la revascularisation complète en cas d’insuffisance cardiaque, l’importance donnée au symptôme dyspnée, dont on connaît la valeur toute relative, est étonnante.  Plus contraignante est l’exigence d’un traitement médical optimal pour justifier une revascularisation, hormis les situations où elle se justifie sur le plan purement pronostique (sténose de l’IVA proximale, du tronc commun ou d’une artère unique fonctionnelle et preuve d’une ischémie sur plus de 10% du ventricule gauche).  Par exemple, la découverte d’une sténose très serrée d’une coronaire droite proximale dominante ou de l’IVA moyenne à l’occasion d’un angor d’effort non encore traité ne justifierait pas de revascularisation de première intention sauf si le patient a bénéficié au préalable d’une quantification de l’ischémie (scintigraphie, IRM, échographie à la dobutamine). Ces recommandations ne retiennent pas non plus d’indication légitime de revascularisation chez un patient asymptomatique sans preuve d’ischémie. La découverte d’une lésion (hors tronc commun et IVA proximale) sur un scanner coronaire n’implique donc la réalisation d’une coronarographie en vue d’une revascularisation que si elle est précédée d’un test d’ischémie concluant.  A contrario, il est décevant que malgré les nombreuses études ayant montré la valeur toute relative d’un cut-off de 50 % pour l’évaluation visuelle d’une lésion, la place de la FFR ne soit pas mieux affirmée notamment chez les patients asymptomatiques.   Ce chapitre pointe tout particulièrement les limites d’un exercice qui consiste à faire rentrer dans un tableau une multitude de situations cliniques et anatomiques différentes.  Le choix du mode de revascularisation dans l’angor stable  (tableau 3) Ce fameux tableau a irrité bon nombre d’angioplas ticiens car il positionne côte à côte la chirurgie et l’angioplastie dans 8 situations anatomiques différentes.  Le contraste est saisissant et douloureux car la chirurgie cardiaque obtient dans 7 cas une classe de recommandation supérieure et apparaît comme le bon élève de la revascularisation.  Une analyse calme et apaisée de cette présentation est cependant nécessaire.  Il est important par ailleurs de distinguer classes de recommandations et niveaux de preuve.  Ces derniers n’interviennent pas dans le choix du mode de revascularisation car ils ne sont que le témoin de la qualité scientifique de l’argumentaire justifiant la classe de recommandations. Il est légitime que l’angioplastie, qui n’a atteint que très récemment sa maturité technique, tant sur le plan pharmacologique que technique, n’ait pas le même niveau de preuve que la chirurgie cardiaque qui a très peu évolué depuis 15 ans.  Une classe de recommandation IIa signifie qu’il existe certes une divergence d’opinion mais surtout que le poids de l’opinion et des preuves scientifiques est en faveur de la technique. Ainsi pour les 3 situations où la chirurgie est en classe I et l’angioplastie est en classe IIa, la chirurgie n’est pas préférable et l’angioplastie peut être préférée à la seule condition que le patient ait été informé des deux alternatives possibles et puisse choisir en toute connaissance de cause. Une telle attitude ne pourra en rien être critiquée ou attaquée notamment sur le plan médicolégal.  Concernant les patients tritronculaires avec score Syntax élevé avec ou sans lésion du tronc commun, il n’est en rien scandaleux que le dossier soit systématiquement discuté collégialement et que l’angioplastie ne soit proposée qu’en cas de risque chirurgical élevé. Au patient librement informé de choisir l’angioplastie s’il le souhaite avec un sur-risque de réintervention qui lui aura été clairement présenté.  La seule réserve concerne les lésions isolées du tronc commun distal qui semblent rester la chasse gardée de la chirurgie (classe I versus IIb) avec une vraie discordance entre les données brutes du tableau et le texte des recommandations qui précisent que : « les résultats de SYNTAX sur les lésions du tronc sont en faveur de l’angioplastie notamment en cas de score Syntax faible ». Cette phrase suffit théoriquement à justifier une telle alternative.  Enfin, les chirurgiens cardiaques ne manqueront pas de noter que le poids des preuves scientifiques n’est pas en faveur de la chirurgie (IIb) en cas d’atteinte monoou bitronculaire respectant l’IVA proximale y compris en cas de lésions complexes et chez le patient diabétique. Ils devront si un tel patient leur est adressé le rediscuter avec la Heart Team pour une décisio n collégiale. Ce qui est vrai pour les uns, l’est pour tout le monde…  Indications des angioplasties ad hoc  (tableau 4) L’information du patient étant mise au premier plan, se pose légitimement la question de la place de l’angioplastie ad hoc, c'est-à-dire la possibilité de réaliser une angioplastie dans le même temps que la coronarographie.  En dehors des situations aiguës et évidentes, les recommandations autorisent la réalisation d’une angioplastie dans la foulée chez les patients stables en cas de resténose (non récidivante) ou chez les patientsmonoou bitronculaires mais à l’exclusion des lésions de l’IVA proximale ostiale ou complexe ou des lésions à haut risque qui justifient une concertation multidisciplinaire. Beaucoup de bruit pour rien  L’analyse critique de ces recommandations pourrait se poursuivre sur les différents autres chapitres.  Le chapitre sur le SCA ST- ne retient pas l’indication de stratégie invasive en cas de niveau de risque faible avec une classe III bien sévère pour une stratégie qui fait aussi bien que la stratégie conservatrice chez ces patients et alors que les précédentes recommandations laissaient jusqu’alors le choix entre ces deux alternatives. Elles insistent également sur l’absence de preuve sur le concept de revascularisation complète dans cette indication et suggèrent, une fois la lésion coupable traitée, une preuve d’ischémie (ou mieux une FFR) avant de dilater les autres lésions.  Dans le chapitre sur les techniques d’angioplastie, la recommandation est d’implanter un stent actif chez tous les patients, sauf en cas de contre-indication à une bithérapie. La CNAM appréciera…  La lecture de ces recommandations reste extrêmement intéressante et l’important est de ne pas en faire une lecture pointilleuse et les considérer comme des règles de prescription rigides mais plus comme une base de réflexion pour fixer des stratégies thérapeutiques cohérentes et justifiées.    Si elles s’en tiennent à cette philosophie, ces recommandations ne devraient donc pas bouleverser profondément nos pratiques quotidiennes mais nous obligent incontestablement à plus de rigueur et de la formalisation. Dans le cas contraire, il s’agirait d’une remise en question profonde et inacceptable du mode d’exercice de notre métier à savoir notre pleine responsabilité individuelle dans la prise en charge du patient qui nous est confié.  Il n’y a donc probablement pas de quoi s’énerver, mais restons vigilants !   

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