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Trucs et astuces

Publié le 01 déc 2021Lecture 6 min

Ablation de FA chez les insuffisants cardiaques : faut-il s’obstiner à ablater ?

Guillaume ABEHSIRA, Neuilly-sur-Seine

Depuis des années, la question du traitement de la fibrillation atriale (FA) chez le patient insuffisant cardiaque (IC) reste en suspens. Environ 50 % des patients IC feront de la FA dans leur vie et celle-ci augmente de 3 fois le risque de décès, de poussée d’IC, tout en diminuant de manière drastique la qualité de vie de ces patients(1).

À travers différents mécanismes physiopathologiques (perte de la systole atriale, fréquence cardiaque élevée, irrégularité de la contractilité du VG en FA, fibrose atriale, majoration du volume et des pressions cardiaques), la FA et l’IC sont au centre d’un cercle vicieux, pouvant être chacun cause ou conséquence. La restauration d’un rythme sinusal (RS) au long cours serait « théoriquement » responsable d’un remodelage atrial inverse dont l’objectif physiopathologique serait de contrer ce cercle vicieux. Le traitement de la FA et de l’IC a connu de grandes innovations ces dernières années, notamment sur le plan médicamenteux pour l’IC (sacubitril, inhibiteurs des SGLT2). Sur le plan rythmique, l’ablation de FA est au cœur de la prise en charge avec une place de plus en plus validée par les recommandations internationales. Stratégie de contrôle du rythme ou de la fréquence ? La question du choix entre contrôle du rythme ou de la fréquence cardiaque est débattue depuis longtemps. Bien que certaines études suggèrent que la restauration d’un rythme sinusal soit associée à une amélioration de la qualité de vie ou de critères biologiques/échographiques(2), les grands essais cliniques n’ont jamais réellement démontré une supériorité de l’une ou l’autre stratégie sur des critères forts comme la mortalité. En 2008, l’essai AF-CHF(3) n’avait pas montré de différence sur la mortalité, mais l’ablation n’était pas utilisée. Beaucoup plus récemment, une métaanalyse(4) a montré qu’un contrôle du rythme, chez les patients de la FA et de l’IC, améliorait les paramètres échographiques (FEVG, taille de l’OG) et la qualité de vie, sans diminuer la mortalité ou les hospitalisations. Ce point reste donc débattu. Stratégie de contrôle du rythme par ablation ou traitement antiarythmique ? L’ablation de FA dans les années 2000 a rapidement mis en évidence son intérêt dans des études à faible effectif, en termes d’amélioration des capacités fonctionnelles, de la FEVG, des symptômes et de la qualité de vie(5,6). Ces études démontraient aussi les risques d’effets secondaires des antiarythmiques. En 2016, Di Biase (essai AATAC)(7) a démontré une supériorité de l’ablation de FA versus amiodarone dans la restauration d’un rythme sinusal au long cours. En 2018, l’étude CASTLE-AF(8) est l’une des premières études à comparer le contrôle du rythme par ablation à une stratégie médicamenteuse par antiarythmiques ou ralentisseurs. Avec 200 patients dans chaque groupe et un suivi médian de 3 ans, cette étude a montré une supériorité de l’ablation de FA chez les IC sur un critère composite de mortalité et d’hospitalisation pour IC (figure 1) ; 30 % des patients faisaient de la FA paroxystique et 70 % de la FA persistante, avec une majorité de patients en classe II et III de la NYHA. La moitié des ablations consistait en une isolation des veines pulmonaires (VP) associée à d’autres lésions et les patients subissaient en moyenne 1,3 ablation avec 10 % de crossover du traitement médical vers l’ablation. Le rythme sinusal perdurait chez 63 % des patients ablatés contre 22 % sous traitement médical. Le taux de complication de l’ablation était de 8 % environ, en majorité non sévères. Figure 1. Étude CASTLE-AF montrant la supériorité de l’ablation de FA versus traitement médical. A contrario, en 2019, deux études négatives ont troublé le monde de la rythmologie. L’essai randomisé AMICA(9) sur des FA persistantes chez des patients à FEVG < 35 % n’a montré aucun bénéfice de l’ablation sur la mortalité et la FEVG comparativement à un traitement médical optimal. De même, l’étude CABANA(10), tant débattue sur son interprétation, n’a pas montré de supériorité en intention de traiter de l’ablation (> 50 % de FA persistante) comparativement au traitement médical, sur un critère composite incluant la mortalité totale, les AVC, les arrêts cardiaques ou les saignements majeurs, dans ce qui reste la plus grosse étude sur ce sujet (1 100 patients dans chaque groupe). Cependant, dans le sous-groupe des patients IC faisant de la FA (environ 15 % des sujets), les résultats tendaient à confirmer ceux de CASTLEAF montrant un bénéfice significatif de l’ablation dans ce groupe de patients. Par conséquent, début 2021, une nouvelle analyse de CABANA a été publiée(11), portant sur les patients avec IC au début de l’étude (n = 778/2 204). Sur ce groupe on note que 9 % avait une FEVG < 40 % et 12 % une FEVG entre 40 et 50 %. La très grande majorité (75 %) avait donc une FEVG conservée ; 378 patients ont été randomisés dans le groupe ablation et 400 dans le groupe traitement médical. En intention de traiter, sur 5 ans, on note une réduction significative de 36 % du critère principal (risque de décès, AVC invalidant, hémorragie sévère ou arrêt cardiaque) dans le groupe ablation (figure 2). Figure 2. Étude CABANA 2021 montrant la supériorité de l’ablation de FA versus traitement médical sur le critère composite (décès, hospitalisation, AVC et saignement majeur) dans une population d’insuffisants cardiaques. Le risque de décès de toute cause est réduit de 43 % dans le groupe ablation et le risque de récidive de FA est diminué de 44 %. La charge en FA est moindre dans le groupe ablation avec un score de qualité de vie amélioré de 5 points. Au final, quels patients ablater ? L’isolation électrique des VP reste le gold standard de l’ablation de FA, notamment dans la FA paroxystique. Malheureusement, en grande majorité, les patients IC sont découverts à un stade avancé de la maladie, en FA persistante, parfois de longue date, avec échec ou récidive précoce après CEE, une OG très dilatée, cicatricielle, avec de nombreuses zones de bas voltage < 0,05 mV rendant le résultat de l’ablation très incertain. L’objectif de cet article n’est pas de discuter des différentes stratégies d’ablation de FA (VP seules, lignes, CAFE, rotors, etc.), mais de l’arsenal thérapeutique de plus en plus large (cryothérapie, radiofréquence haute densité, alcoolisation du ligament de Marshall, ablation de FA hybride) et des techniques en devenir (électroporation, laser infrarouge, utilisation de l’IA, etc.) qui nécessiteront forcément une réévaluation des études réalisées dans le domaine de l’ablation de FA chez les patients IC. À l’heure actuelle, il faut s’obstiner à bien sélectionner les patients chez qui le bénéfice d’une ablation plus ou moins extensive sera supérieur aux risques : FA paroxystique ou persistante < 1 an, OG peu ou moyennement dilatée, absence d’autres comorbidités (HTA, œnolisme, SAOS, obésité), absence de fibrose atriale. Ces patients sont généralement de bons répondeurs à l’ablation (en dehors des réelles cardiopathies rythmiques). Les recommandations ESC 2021 sur la prise en charge de l’IC, publiées fin août, font la part belle à l’ablation de FA dans l’IC en passant d’un stade IIb à IIa (figure 3). Malheureusement, une très faible proportion de ces patients sont ablatés. En effet, en 2020 une large étude observationnelle rétrospective américaine(12) portant sur 120 000 patients avec IC à FEVG altérée ou préservée et faisant de la FA, a révélé que seulement 3 % d’entre eux avaient été ablatés de leur FA… Figure 3. Recommandations ESC 2021 sur la prise en charge de la FA dans l’IC.

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