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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 24 avr 2007Lecture 10 min

Mon attitude la plus fréquente en 2007 devant... Une FA compliquée d'insuffisance cardiaque

J.-F. LECLERCQ, Paris et Le Chesnay

La première réponse qui vient à l’esprit est : je traite l’insuffisance cardiaque. La seconde est : je l’anticoagule si ce n’est pas déjà le cas. Tels sont les deux objectifs prioritaires, puisque les deux complications principales de la FA sont l’embolie cérébrale et la décompensation ventriculaire.

Sphinx en argent partiellement doré. Art thrace, IVe siècle avant J.C. L’énigme du sphinx : quelle est l’arythmie que tu ne feras jamais enfant, que tu toléreras très bien adulte (car paroxystique) et qui risque bien de te tuer à la fin de ta vie ? La réponse est bien sûr : Fibrillation Auriculaire. Faut-il hospitaliser le patient ? Dans quel ordre, comment, et pour cela, faut-il hospitaliser le patient ? La FA est une affection fréquente et il est hors de question d’encombrer les urgences des hôpitaux, déjà surchargées, de patients qui n’ont aucun bénéfice à tirer d’une hospitalisation. Tout dépend donc : - du degré d’insuffisance cardiaque : si le patient est en œdème pulmonaire, cela ne se discute pas ; - de la cardiopathie ischémique ou valvulaire importante : le passage en FA est une complication majeure et il est souvent préférable de mettre en route les traitements en milieu hospitalier. Sinon, l’hospitalisation est vraisemblablement inutile, mais ce n’est pas toujours si simple : la tolérance hémodynamique d’une FA est difficilement prévisible chez un patient donné, et aussi chez un même patient en fonction de la longueur des accès ; tel patient avec un VG apparemment normal et une banale hypertension tolérera très bien des accès de FA de quelques heures, mais se mettra en subœdème pulmonaire au bout de 3 ou 4 jours de FA persistante. Schématiquement, la tolérance hémodynamique d’une FA dépend de l’état cardiaque sous-jacent, mais aussi de la fréquence ventriculaire, de son irrégularité et, surtout, de la durée de la FA. Cas particulier : les FA sur préexcitation, rares, mais qui peuvent occasionner une mort subite si la fréquence ventriculaire est très élevée. Donc si le QRS est élargi et que le diagnostic du mécanisme de cet élargissement n’est pas évident : préexcitation, bloc de branche fonctionnel, organique, toxicité médicamenteuse (use-dependency des antiarythmiques de classe IC), etc., la FA mérite d’être hospitalisée. De même, la constatation d’ESV nombreuses, polymorphes ou en salves doit faire conseiller l’hospitalisation.   Les traitements à domicile Il est aussi possible de garder le patient au domicile et d’entreprendre trois types de traitements.   Traitement de l’insuffisance cardiaque Un diurétique, un IEC et/ou un sartan sont à débuter immédiatement. Quant au troisième traitement utile, bêtabloquant, est à manier avec discernement. Ici, son intérêt est double : améliorer la performance du VG mais aussi (et parfois surtout) ralentir le rythme ventriculaire. Si ce dernier est très élevé, il est irremplaçable. Les digitaliques ne parviennent qu’à ralentir d’environ 10 % la fréquence au repos, et leur effet disparaît totalement à l’activité. Ils peuvent, certes, être utilisés, mais n’en attendons pas plus que cela. Seuls les bêtabloquants peuvent ralentir correctement un rythme ventriculaire rapide en cours de FA. Donc, si la cadence est nettement élevée, à 110-120/min de moyenne à l’ECG, une petite dose de bêtabloquant est certainement utile d’emblée. Dans le cas contraire, il est préférable d’attendre quelques jours que les signes d’insuffisance cardiaque congestive se soient améliorés avant d’initier tout doucement le bêtablocage. Personnellement, je ne dose pas le BNP, j’ausculte les poumons et je regarde la radio (chacun son truc). C’est uniquement en cas de contre-indication formelle (en pratique un asthme vrai) qu’on songera à utiliser les anticalciques (vérapamil ou diltiazem).   Traitement anticoagulant Il est évidemment indispensable et ce, de façon urgente, puisque le risque embolique est majeur en cas de FA avec insuffisance cardiaque. Donc de deux choses l’une : - le patient est déjà sous AVK et il faut contrôler l’INR, - le patient n’est pas déjà sous AVK et il faut débuter simultanément un AVK et de l’héparine en attendant que l’INR monte. Reste à choisir entre héparine à la seringue, vraie héparine sous-cutanée ou HBPM : même si ces dernières n’ont pas l’AMM dans cette indication, on dispose d’un travail comparatif avec l’héparine non fractionnée qui ne montre pas de différence. Donc cela dépend essentiellement de facteurs pratiques, et il n’y a pas de règle formelle en la matière. Il importe en revanche de poursuivre l’héparine tant que l’INR est en-dessous de 2,5.   Traitement antiarythmique C’est seulement lorsque les deux premiers volets du traitement auront été réalisés qu’on s’attaquera à celui-ci. En effet, administrer un traitement antiarythmique à un patient en pleine insuffisance cardiaque et non anticoagulé exposerait à deux risques : - celui de majoration de la dysfonction ventriculaire (tous les antiarythmiques sont plus ou moins inotropes négatifs), - celui d’une embolie de régularisation, dont l’incidence était de l’ordre de 5 % dans les séries historiques de patients non anticoagulés. En revanche, chez un patient qui n’est pas en œdème pulmonaire et qui est anticoagulé correctement, provoquer le retour en rythme sinusal est la chose la plus importante à faire. On commence alors, chez un patient en état stable, un traitement médical antiarythmique. Seuls les médicaments des classes I et III de Vaughan-Williams sont efficaces dans la FA. Si le patient a eu des signes francs d’insuffisance cardiaque, les antiarythmiques de classe I sont contre-indiqués, et il ne reste plus que les classes III. En pratique, donc on débutera un traitement par amiodarone en prévoyant une petite charge initiale. C’est seulement si le patient a déjà fait une hyperthyroïdie avec ce produit que l’on utilisera le sotalol, nettement moins efficace. Le taux de réduction en rythme sinusal est de l’ordre de 30 à 40 % après 3 semaines de traitement par amiodarone, dans une FA d’apparition récente. Si ce n’est pas le cas, on programmera une cardioversion en poursuivant l’amiodarone, et le bêtabloquant ou le vérapamil/diltiazem, mais en stoppant le digitalique si on l’avait utilisé. Cette cardioversion a les meilleures chances d’efficacité avec une technique appropriée : électrodes collées à usage unique en antéro-postérieur, choc biphasique à intensité maximale d’emblée. Dans une FA récente, si l’on respecte ces précautions, le taux de succès est très proche de 100 % et il est exceptionnel que l’on doive recourir à une cardioversion interne, qui n’est utile en pratique que chez les patients ayant un énorme thorax. Les complications immédiates du choc sont rares et sans gravité : le BAV « lésionnel » régresse toujours après quelques secondes et ne nécessite au plus que quelques coups de poing thoraciques, la FV ne se voit pas si le choc est correctement synchronisé sur le QRS (ce qui ne pose guère de problèmes avec des électrodes collées) et est toujours récupérée par un 2e choc immédiat. Les trois complications sérieuses possibles sont : - la dysfonction sinusale, éventualité fréquente sous amiodarone et bêtabloquant. Elle sera traitée par atropinisation mais peut révéler une maladie rythmique auriculaire méconnue et nécessiter secondairement une implantation de stimulateur double chambre ; - l’embolie de régularisation, principalement cérébrale. C’est la complication majeure du choc électrique. Son incidence était de l’ordre de 4 à 5 % avant l’anti- coagulation systématique. Elle est considérablement réduite chez un patient correctement anticoagulé, mais n’est pas nulle. Elle est liée à la migration d’un thrombus de l’auricule gauche. Celui-ci étant parfaitement visible à l’échographie transœsophagienne (ETO), je ne fais pas de choc sans faire une ETO immédiatement avant (au cours de la même anesthésie générale) même chez un patient anticoagulé de longue date. Certes, la rentabilité de cet examen est faible (la fréquence des thrombi de l’auricule est de quelques pour cent) mais les séquelles d’hémiplégie sont souvent majeures et ma responsabilité médico-légale est évidente puisque j’ai un moyen simple de savoir en faisant une ETO s’il y a ou non un thrombus de l’auricule. Donc je suis obligé de la faire… - l’œdème pulmonaire dans les heures qui suivent une régularisation de FA. C’est franchement rare et mal expliqué au plan physiopathologique (la reprise de la contraction de l’OD avant celle de l’OG expliquerait l’inondation pulmonaire ?) mais cela peut se voir, même sur cœur peu malade. Tout ceci explique qu’à mon sens, surtout chez un patient ayant eu de l’insuffisance cardiaque, une cardioversion ne doit pas être pratiquée en ambulatoire et il faut garder le patient hospitalisé la nuit suivante. Je sais que la mode est d’aller de plus en plus vite et qu’il est souvent difficile de résister aux pressions du patient, du médecin traitant et des tutelles, mais la sécurité doit primer en la matière.   Et après ?   Donc le patient est revenu en rythme sinusal ; il prend de l’amiodarone, un AVK, un IEC et/ou un sartan, et le plus souvent un bêtabloquant. Que fais-je ? Rien… en ce sens que je continue tout ça : l’amiodarone et l’IEC ou le sartan pour diminuer le risque de rechute, et l’AVK pour diminuer le risque embolique. Les diurétiques, eux, seront stoppés dès que possible puisqu’ils ne servent qu’à traiter les symptômes. Seule l’utilité du bêtabloquant peut être discutée si la dysfonction ventriculaire gauche s’améliore brutalement en rythme sinusal, ou si la coprescription avec l’amiodarone ne ralentit pas trop la fréquence. Dans ces cas, je les arrête progressivement. Et j’attends… la rechute de la FA ou l’hyperthyroïdie iatrogène. Le risque de rechute varie considérablement en fonction de plusieurs facteurs : l’existence et l’importance de la cardiopathie sous-jacente, la taille de l’OG qui va de pair avec l’ancienneté de la FA, le flux à l’entrée de l’auricule à l’ETO, le degré de récupération de l’activité mécanique de l’OG le lendemain du choc et le type de cardioversion (si la FA s’est régularisée sous amiodarone sans qu’il ait été nécessaire de choquer, ce risque est moindre). Il décroît de façon exponentielle avec le temps et très vite, la grande majorité des rechutes se faisant dans les 3 mois qui suivent la cardioversion.   Réévaluer au bout de quelques mois Il est donc utile, pour ne pas dire indispensable, de réévaluer la situation après quelques mois de ce traitement, et tout particulièrement en fonction de la FEVG. Si celle-ci s’est normalisée ou presque (> 50 %), l’IEC, le sartan, le bêtabloquant et l’amiodarone se discutent. Personnellement, je poursuis l’indication d’un sartan compte tenu des papiers récents expérimentaux et cliniques montrant leur bénéfice dans la prévention de la FA. Si le patient n’a pas de cardiopathie ischémique, j’arrête les bêtabloqueurs et l’amiodarone que je remplace par un classe I-C, habituellement la flécaïne. S’il est coronarien, je poursuis les deux, en utilisant souvent un bêtabloquants avec activité intrinsèque (par exemple l’acébutolol) pour ne pas avoir de bradycardie sinusale trop importante. Enfin, si la FEVG reste basse, je poursuis l’ensemble du traitement. En aucun cas je n’arrête les anticoagulants qui sont poursuivis à vie avec un INR cible entre 2 et 3 (en l’absence de prothèse mécanique). Cette cible sera abaissée lorsque le patient aura atteint 85 ans car le risque de saignement intracérébral augmente nettement chez le grand vieillard. Recommandations 2006 ESC/AHA/ACC pour le maintien du rythme sinusal dans la FA. Que fait-on quand le patient rechute ?   Le taux de rechutes avec une monothérapie antiarythmique est d’environ 50 % à un an. S’il ne s’agit que d’accès paroxystiques ou persistants mais s’arrêtant sans choc, on peut se contenter d’augmenter la dose d’antiarythmique si c’est possible. S’il s’agit de FA persistante nécessitant un choc électrique, il faudra changer de traitement après une nouvelle réduction. Sur cœur peu malade (pas de coronaropathie, FEVG correcte en rythme sinusal), l’association amiodarone/flécaïnide est une option défendable. Sur cardiopathie ischémique ou sur cardiomyopathie, seule l’augmentation de dose d’amiodarone est possible. Discuter l’ablation : l’incidence de l’hyperthyroïdie sous amiodarone est de 20 à 25 % à 5 ans dans les séries récentes ; on comprend que l’on va donc très rapidement être amené à discuter une ablation par radiofréquence dans l’oreillette gauche. Cette technique lourde, dangereuse, donne les meilleurs résultats dans la FA paroxystique. Ses chances de succès dans la FA persistante sont moins élevées, et il est souvent nécessaire de la réaliser plusieurs fois pour obtenir de meilleures chances de succès : il ne suffit pas ici d’encercler les ostia des 4 veines pulmonaires, il faut réellement empêcher l’oreillette de fibriller en effectuant de multiples lignes d’ablation, comme le font les chirurgiens quand ils font l’intervention du labyrinthe (maze en anglais). Les risques de cette véritable chirurgie par cathéter à cœur fermé sont : l’hémopéricarde (quelques pour cent), l’embolie cérébrale, la fistule OG-œsophage (mortelle quasiment à tout coup). Son indication ne peut donc pas être portée à la légère. Pourtant, c’est bien sûr chez ces patients qui sont en insuffisance cardiaque lorsqu’ils sont en FA et qui vont beaucoup mieux en rythme sinusal qu’elle est la plus utile. Il ne s’agit pas là d’une indication symptomatique, mais bien d’une indication vitale quand on connaît le pronostic de l’insuffisance cardiaque chronique, plus grave que bien des cancers à 5 et 10 ans. C’est bien pour cela que les recommandations récentes conjointes ESC/AHA/ACC la placent très tôt dans la discussion, dès l’échec d’une monothérapie antiarythmique (figure). Ainsi, l’ablation de l’oreillette gauche, technique qui n’est pas mature, notamment pour la FA persistante, est la seule à donner des chances durables de rythme sinusal au long cours chez les patients ayant de l’insuffisance cardiaque en cours de FA. C’est pour cela que tous les experts s’accordent à la recommander dans ces cas, malgré sa lourdeur, ses risques et les problèmes logistiques que cela pose.

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