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Congrès et symposiums

Publié le 09 jan 2011Lecture 10 min

L'étude ROCKET-AF avec le rivaroxaban atteint son objectif dans la FA

E. MESSAS, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris

L’étude ROCKET-AF qui évalue le rivaroxaban dans la fibrillation auriculaire (FA) fut l’un des événements majeurs de la dernière session scientifique de l’American Heart Association à Chicago le 15 novembre 2010. On peut d’ores et déjà affirmer qu’après les résultats de l’étude RE-LY avec le dabigatran, présentée à l’ESC à Stockholm en septembre 2009, cette dernière étude sonne le glas des antivitamines K après plus de 30 ans de bons et loyaux services.
Les résultats de cette étude ont été particulièrement discutés par les investigateurs et les participants au congrès, avec comme conclusion commune : le rivaroxaban et le dabigatran sont des alternatives crédibles et scientifiquement prouvées aux anti-vitamines K chez les patients avec FA à risque augmenté d’événements thromboemboliques.
Nous suivrons donc attentivement, dans les mois à venir, les recommandations des différentes institutions d’autorisation de mise sur le marché (FDA, EMA) et des sociétés savantes qui auront pour but de mieux préciser les indications et les populations cibles de ces nouveaux anticoagulants.

L’étude Le présentateur, Kenneth W. Maahafey, rappela dans son introduction, l’intérêt du rivaroxaban, qui est un facteur anti-Xa, inhibiteur compétitif direct et spécifique, dont la demi-vie est de 5 à 13 h ; il est éliminé pour un tiers par voie rénale directe et métabolisé via le cytochrome CYP 450 pour les deux autres tiers. Il est administré en une prise quotidienne, sans nécessité de test de surveillance. Ce médicament a été étudié de façon extensive, sur plus de 25 000 patients à ce jour : en postopératoire, chez des patients présentant une thrombose veineuse profonde, une embolie pulmonaire, ou un syndrome coronaire aigu. Méthodologie Les critères d’inclusion étaient une FA avec au moins 2 facteurs de risque sur 3 provenant de la liste CHADS2 : présence d’une insuffisance cardiaque, d’une hypertension artérielle, d’un âge supérieur ou égal à 75 ans, et d’un diabète ou d’une FA avec antécédent d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un accident ischémique transitoire (AIT) ou d’un embole artériel systémique. Au total, 14 264 patients furent randomisés en double aveugle, en 2 groupes : rivaroxaban 20 mg/j (15 mg/j chez les patients présentant une clairance de la créatinine entre 30 et 49 ml/min) ; warfarine avec une cible d’INR à 2,5 qui restait acceptable entre 2 et 3. Afin de conserver le double aveugle, l’étude était réalisée en double dummy, c'est-à-dire qu’un groupe recevait du rivaroxaban et un comprimé placebo identique à la warfarine et un autre groupe de la warfarine et un comprimé placebo identique au rivaroxaban. Dans les deux groupes, un monitoring de l’INR était réalisé de façon mensuelle et selon les guidelines habituels. Le critère principal de l’étude était la survenue d’un AVC ou d’une embolie systémique n’intéressant pas le système nerveux central. Plan statistique Le nombre de 14 264 patients était calculé dans la perspective d’un taux annuel d’évènements de 2,3 % dans le groupe warfarine avec une erreur de type 1 à 0,05. 405 évènements étaient attendus pour une puissance de l’étude supérieure à 95 %. Dans la méthodologie initiale de l’étude, l’évaluation du critère primaire d’efficacité devait être réalisé en deux étapes : - une première étape testant la non infériorité entre les deux traitements sur la population des patients pleinement compliants au protocole (per protocol on treatment population, N = 14 054) ; - une deuxième étape, si ce test de non-infériorité était démontré par une recherche de supériorité sur la population de patients sous traitement (on-treatment safety population, N = 14 143) correspondant aux patients qui ont reçu aux moins une dose du traitement de l’étude (rivaroxaban ou warfarine) incluant ainsi les patients ayant violé le protocole au cours de l’étude, puis sur la population en intention de traiter (ITT Intention To Treat population, N = 14 171), c'est-à-dire la population incluant tous les patients randomisés y compris ceux n’ayant jamais reçu les traitements de l’étude. L’évaluation des critères secondaires (critère primaire + décès vasculaire, critère primaire + décès vasculaire + infarctus, chacun des facteurs pris de façon indépendante, AVC avec déficit invalidant) était réalisée sur la population sous traitement sauf pour la mortalité toute cause qui était analysée sur la population en ITT. Le critère d’évaluation primaire d’innocuité (primary safety evaluation) était les hémorragies majeures ou les hémorragies non majeures cliniquement significatives. Cette étude a été réalisée dans 45 pays, 1 178 centres et 14 264 patients. Caractéristiques de la population Cette étude fut bien conduite, avec très peu de perdus de vue, 18 dans chaque groupe. Le taux d’arrêts prématurés était comparable dans les deux groupes (23,9 vs 22,4 % dans le groupe warfarine). Le suivi moyen était d’un peu moins de 2 ans dans les deux groupes (706 et 708 jours). L’âge moyen était de 73 ans, et 21 % des patients avaient une clairance de la créatinine < 50 ml/min. Les patients inclus étaient à haut risque thromboembolique avec un score CHADS2 moyen de 3,48. Plus de la moitié étaient insuffisants cardiaques, 90 % étaient hypertendus, 40 % avaient un diabète, 17 % avaient eu un infarctus du myocarde et, surtout, plus de la moitié avaient déjà eu un AVC ou un AIT et étaient donc traités en prévention secondaire. Les résultats   Sur le critère primaire d’efficacité Le test de non infériorité entre les deux groupes (évalué sur la population de patients compliant au protocole) était positif avec un taux annuel d’événement de 1,71 % dans le groupe rivaroxaban versus 2,16 % dans le groupe warfarine (Hazar ratio (IC95 %) : 0,79 (0,66, 0,96) ; p < 0,001) (figure 1). Le test de supériorité entre les deux groupes était positif (HR IC (95%) : 0,79 (0,65, 0,95) ; p = 0,015) sur la population sous traitement, alors qu’il n’était pas significatif dans la population en intention de traitement (HR IC (95%) = 0,88 (0,74 ; 1,03) ; p = 0,117) (figure 2). La supériorité dans l’état actuel des données fournies ne peut donc pas être retenue. Sur les critères d’efficacité secondaire Le groupe rivaroxaban était plus efficace sur le taux annuel combiné de décès vasculaire, d’AVC et d’embole artérielle (3,11% vs 3,63% dans le groupe warfarine, p = 0,034), sur les AVC hémorragiques (0,26 % vs 0,44 %, p = 0,024) et sur les embolies artérielles non cérébrales (0,04 % vs 0,19%, p = 0,003). Les autres critères ne sortaient pas avec, entre autre, une absence de différence significative sur les AVC ischémiques pris isolément (1,62 % vs 1,64 %, p = 0,58). On ne retrouvait pas non plus de différence significative sur le taux d’infarctus du myocarde ou sur la mortalité totale. Le pourcentage du temps où le patient avait un INR efficace (TTR,time therapeutic range) entre 2 et 3 était de 57,8 %, avec une valeur de 43 % pour le 25e percentile et de 70,5 % pour le 75e percentile. L’efficacité du rivaroxaban n’était cependant pas démentie, même dans le sous-groupe de patients avec un TTR > 65 %. Innocuité   On ne retrouvait pas de différence significative entre les deux groupes pour le critère primaire de tolérance (événements hémorragiques majeurs et cliniquement significatifs non majeurs) (p = 0,442), pas plus que pour chacun des paramètres pris séparément (figure 3). L’évaluation par sous-groupe des complications hémorragiques retrouvait une diminution significative des événements hémorragiques graves (hémorragies intracrâniennes, hémorragies fatales et hémorragies d’organes) dans le groupe rivaroxaban avec cependant une plus grande tendance aux saignements (davantage de transfusions ou de chutes d’hémoglobine ≥ 2 g/dl) (figure 4). On ne retrouvait pas de différence entre les deux groupes sur les autres effets indésirables, en particulier sur le niveau des enzymes hépatiques, ce qui met fin à ce jour au débat sur l’hépatotoxicité éventuelle du rivaroxaban. Conclusion des auteurs   Le rivaroxaban est non inférieur à la warfarine en prévention des AVC et des événements emboliques non cérébraux chez des patients présentant une FA avec au moins 2 facteurs de risque ou un AVC. Si, dans la population sous traitement, il est supérieur à la warfarine, cette supériorité n’est pas confirmée dans la population en ITT. Le taux d’AVC hémorragiques est significativement inférieur dans le groupe rivaroxaban dans les deux populations (ITT et sous traitement) alors qu’on ne retrouvait pas de différence significative entre les deux groupes pour les AVC ischémiques. Le taux de saignements majeurs et cliniquement significatifs est similaire dans les deux groupes. Le taux de saignements intracrâniens et fatals est significativement inférieur dans le groupe rivaroxaban. Discussion méthodologique   Population plus grave Après avoir rappelé le Black Box Warning de la FDA en octobre 2006 sur la warfarine et sur son risque élevé d’effets secondaires graves, H. McHylek (Boston) a également souligné combien la nécessité de la surveillance du traitement par les INR excluait potentiellement des millions de patients à travers le monde. C’est une des raisons qui ont incité à trouver une alternative à la warfarine. Les anti-Xa ou IIa semblent en être une valable puisque, grâce à leurs pharmacologies, ils ne nécessitent pas de surveillance biologique, les rendant accessibles à tout type de population. En comparaison avec les quatre dernières études évaluant les anti-thrombotiques dans la fibrillation auriculaire, la population de l’étude ROCKET est incontestablement plus à risque d’événements thromboemboliques, avec des patients plus âgés, ayant davantage de comorbidités, dont plus de la moitié sont en prévention secondaire. Elle présente dans le même temps, un risque accru d’hémorragie majeure en raison de son score CHADS2 élevé (3,5 en moyenne) et de la variabilité importante de l’INR chez les patients insuffisants cardiaques qui représentent plus de 60 % de la population étudiée. Taux d’INR en zone efficace Dans cette étude, le TTR était en moyenne de 57,8 %. Ainsi, moins de 50 % des patients avaient un TTR > 58-60 % (niveau ayant démontré une supériorité versus un traitement antiagrégant plaquettaire par aspégic-clopidogrel, étude ACTIVE W), ce qui est en défaveur du comparateur warfarine. Par comparaison, le temps médian passé dans la fenêtre thérapeutique (INR entre 2 et 3) des essais récents réalisés sur la FA dont RE-LY, ACTIVE-W et SPORTIF III et V était en moyenne de 64 à 68 %. La problématique de la statistique L’analyse en intention de traiter permet d’éviter les biais associés aux perdus de vue qui sont par définition non randomisés au cours de l’étude, et donc de conserver pleinement le caractère randomisé de l’étude, et sa solidité scientifique. Mais, cette analyse peut favoriser un biais de sélection vers l’équivalence entre les traitements par une diminution artificielle des effets secondaires graves dans le groupe nouveau traitement (rivaroxaban) ou par la diminution artificielle de l’efficacité du traitement de référence (warfarine dans notre cas). À la lumière de ces principes, et aux vues des résultats présentés de cette étude (en attendant la publication complète de l’article), on peut raisonnablement déduire les conclusions suivantes : • Le rivaroxaban est non inférieur à la warfarine (sur une population per protocole ou en intention de traiter) dans la prévention de survenue d’AVC ou d’embolies artérielles systémiques chez des patients en fibrillation auriculaire à risque moyen ou élevé d’événement thromboembolique. • La différence de résultats retrouvée entre les populations en intention de traiter (pas de supériorité) et sous traitement (supériorité) doit faire poser la question de l’adhérence au traitement des patients et du risque encouru à l’arrêt inopiné de ce traitement qui a une demi-vie de 5 à 13 heures vs 20-60 heures pour la warfarine. C’est pour cela que les résultats ne retrouvant pas de supériorité dans la population en intention de traiter sont probablement plus proches de la vie réelle. • Le rivaroxaban permet une diminution des saignements intracrâniens et fatals au prix cependant d’un risque accru de baisse de l’hémoglobine et de nécessité de transfusion. Afin de mieux comprendre la différence de résultat entre les deux populations (sous traitements et en intention de traiter), il faudra probablement attendre la publication complète de l’article décrivant de façon plus détaillée le design de l’étude et l’impact du décalage de un mois (entre la période de traitement et du suivi des patients) sur l’interprétation des résultats. Comparaison avec les autres antithrombotiques de la FA   Bien qu’il soit hasardeux de faire des comparaisons entre le dabigatran, le rivaroxaban ou l’apixaban en l’absence d’étude comparative directe entre ces molécules, on peut simplement rappeler succinctement les résultats du dabigatran dans la FA présentés à Stockholm en septembre 2009. L’étude RE-LYréalisée selon la méthode PROBE(Prospective Randomized. Open Blinded End-point) comparait l’efficacité du dabigatran (110 mg x 2 et 150 mg x 2) vs warfarine chez des patients en FA avec risque thromboembolique modéré (score CHADS moyen = 2,1, dont 32,4 % des patients inclus avec score CHADS ≥ 3). Les résultats retrouvaient une équivalence d’efficacité entre le dabigatran 110 mg x 2 et la warfarine (avec un TTR moyen à 64 %) associée à une diminution significative des effets secondaires hémorragiques dans le groupe dabigatran (réduction des AVC hémorragiques, des saignements majeurs et intracrâniens). Et pour la première fois un nouvel anti-coagulant dans une étude randomisée à grande échelle pouvait démontrait avec le dabigatran à la dose de 150 mg x 2/j, une supériorité vs warfarine sur le critère primaire d’AVC ou d’embolie artérielle sans sur-risque hémorragique sur une population en intention de traiter. Le seul bémol était une augmentation significative de la dyspepsie et des hémorragies gastro-intestinales. Cette molécule a obtenu récemment l’agrément de la FDA à la dose de 150 mg et de 75 mg en deux prises chez les patients en fibrillation auriculaire à risque d’événements thromboemboliques.   Même si à ce jour aux vues des données présentées, l’étude ROCKET ne permet pas de conclure à la supériorité du rivaroxaban sur la wafarine, elle reste une étude rigoureuse réalisée en double aveugle et avec une tolérance acceptable sans augmentation du taux d’arrêt prématuré du traitement ou de doute sur son intolérance gastro-intestinale ou sur un impact possible sur le nombre d’infarctus du myocarde. En résumé, ROCKET-AF avec rivaroxaban est une étude solidement menée en double aveugle, sur une population à haut risque, emboligène et hémorragique. On retrouve une non-infériorité sur les événements vasculaires cérébraux ou non cérébraux, avec des saignements majeurs comparables (mais avec une augmentation aux recours à la transfusion) et sans problème d’interruption prématurée du traitement pour des effets secondaires et ceci en une prise unique journalière pouvant être tolérée en cas d’insuffisance rénale modérée, mais dont la demi-vie relativement courte pourrait exposer rapidement au risque de récidive thromboembolique en cas d’interruption inopinée du traitement. En pratique   L’étude ROCKET-AF annonce une avancée majeure dans la prise en charge du patient avec FA et à risque moyen ou élevé d’événements thromboemboliques. Elle permet, à l’instar de l’étude RE-LY avec les anti-IIa, de valider une nouvelle classe thérapeutique, les anti-Xa. Grâce à sa prise unique, à l’absence de nécessité de contrôle biologique et à sa non-infériorité aux AVK, le rivaroxaban, à l’instar du dabigatran, constitue une alternative sérieuse aux AVK en prévention des événements thromboemboliques. Ces nouvelles classes thérapeutiques ont donc un bel avenir devant elles, et on attend avec impatience leurs autorisations de mise sur le marché, ainsi que les recommandations des sociétés savantes afin de pouvoir les utiliser au plus vite chez nos patients aux INR trop souvent capricieux.

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