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Vasculaire

Publié le 05 avr 2011Lecture 12 min

Infarctus cérébral : prise en charge à la phase aiguë

L. LE GUENNEC, C. LAMY, Hôpital Saint Anne, Paris

La précocité de la prise en charge des infarctus cérébraux à la phase aiguë est fondamentale. En effet, dans les premières heures de l’ischémie cérébrale, il peut exister une zone dite de pénombre ischémique au sein de laquelle le parenchyme cérébral est encore viable. L’objectif du traitement est alors de rétablir la perfusion de la zone d’ischémie, afin d’éviter la constitution d’un infarctus cérébral ou d’en limiter l’extension. La thrombolyse par voie intraveineuse (IV) est d’autant plus efficace que son délai d’administration est court. Il s’agit donc d’une course contre le temps (Time is brain)(1,2). En dehors de la thrombolyse, qui ne concerne actuellement qu’un nombre limité de patients, certaines mesures thérapeutiques générales s’appliquent à tous les types d’AVC. Il est bien établi qu’une prise en charge dans des structures spécialisées, les unités neurovasculaires (UNV), réduit le risque de mortalité et de séquelles, et cela quels que soient l’âge des patients et le type d’AVC(2-6).

Prise en charge initiale L’appel rapide des secours dépend de la reconnaissance des symptômes de l’AVC par les patients et leur entourage. Or, le niveau de connaissance des Français relatif à l’AVC est assez faible et disparate. Dans une enquête IPSOS récente, seuls 34 % des sujets interrogés ont identifié la survenue brutale d’une faiblesse d’une moitié du corps comme étant le premier symptôme d’un AVC(7).   Il est aussi déterminant que les professionnels de santé intervenant dans la filière de prise en charge des AVC sachent évoquer le diagnostic et réaliser l’évaluation clinique initiale. La connaissance de l’heure précise de début des symptômes, la recherche de signes de gravité et l’estimation du déficit neurologique sont essentielles pour envisager une éventuelle thrombolyse et pour décider de l’orientation du patient. Les mesures symptomatiques utiles en préhospitalier sont d’assurer une bonne oxygénation du patient, de ne pas faire baisser sa pression artérielle et de ne pas administrer d’antithrombotiques avant la réalisation d’une imagerie cérébrale(8). Diagnostic Le diagnostic d’AVC doit être évoqué devant tout déficit neurologique focal d’installation soudaine. Jusqu’à 30 % des patients chez qui le diagnostic d’AVC est suspecté ont une autre pathologie, neurologique ou non. L’imagerie cérébrale en urgence est donc indispensable pour affirmer rapidement le diagnostic d’AVC et en préciser le type, infarctus ou hémorragie(9). L’IRM est préférée au scanner chaque fois que possible en raison de sa meilleure sensibilité à la détection de l’ischémie cérébrale, en particulier dans les premières heures. Cet examen permet d’éliminer une hémorragie cérébrale et de confirmer, grâce aux séquences de diffusion, l’existence d’un infarctus cérébral récent, en précisant le(s) territoire(s) artériel(s) et la présence de lésions anciennes. L’imagerie du parenchyme est couplée à une angiographie par résonance magnétique du polygone de Willis à la recherche d’une occlusion artérielle et, si possible à une séquence de perfusion qui permet d’évaluer le retentissement hémodynamique de cette occlusion (figure 1). L’ensemble des données d’imagerie permet, au côté des données cliniques et paracliniques, de poser au mieux l’indication d’une thrombolyse. En cas de non accessibilité ou de contre-indication à l’IRM, le scanner cérébral permet facilement d’éliminer une hémorragie cérébrale. En l’absence d’hémorragie, c’est souvent sur la normalité du scanner, associée à un déficit de survenue brutale, que repose le diagnostic d’infarctus cérébral à la phase aiguë. Selon l’appareillage dont dispose le plateau technique, le scanner cérébral peut être couplé à un angioscanner du polygone de Willis et un scanner de perfusion. Si le patient est adressé au-delà de la 6e heure, la stratégie diagnostique est assez semblable. L’ischémie artérielle est alors plus facile à diagnostiquer au scanner. Toutefois, cet examen reste décevant pour l’ischémie du tronc cérébral et les petites lésions et il est difficile de distinguer les lésions ischémiques anciennes des lésions récentes. A. IRM. Séquence de diffusion. Infarctus récent dans le territoire sylvien profond droit (flèche). B. ARM intracrânienne: occlusion de l’artère cérébrale moyenne droite (flèche). C. Diminution du coefficient apparent de diffusion (ADC) (en bleu sur la cartographie) dans la zone en hypersignal diffusion, témoignant de l’œdème cytotoxique. Traitement de l’ischémie cérébrale aiguë Thrombolyse IV La grande majorité des infarctus cérébraux résulte d’une occlusion artérielle par un mécanisme thrombotique ou thrombo-embolique(10). L’objectif de la thrombolyse IV par l’altéplase est de désobstruer l’artère occluse et de restaurer le débit sanguin cérébral dans la zone ischémiée ; son efficacité dépend fortement du délai d’administration ; elle est actuellement démontrée jusqu’à 4 h 30 après l’apparition des symptômes. Les essais randomisés (tableau 1) Les études réalisées avec la streptokinase ont toutes été interrompues en raison d’une augmentation de la mortalité et des hémorragies cérébrales symptomatiques dans le groupe traité. En revanche, suite aux résultats favorables de l’étude pivot NINDS(11), l’utilisation du rt-PA a été approuvée aux États-Unis à partir de 1996, ce qui représentait un progrès majeur dans la prise en charge des AVC. Dans cet essai, le rt-PA était administré par voie veineuse à la dose de 0,9 mg/kg dans les 3 heures après le début des symptômes. Chez les patients ayant reçu le rt-PA, le risque absolu de décès ou dépendance était diminué de 11 à 13 % à 3 mois, selon le critère de jugement utilisé, ce qui correspond à 110 à 130 événements évités pour 1 000 patients traités. Il n’y avait pas d’augmentation de la mortalité, le taux d’hémorragie cérébrale symptomatique était de 6,4 % dans le groupe traité contre 0,6 % dans le groupe placebo(11). Dans 3 autres essais, ECASS I et II, ATLANTIS, il n’a pas été montré de bénéfice de ce traitement administré dans une fenêtre horaire plus large(12-14). Dans la métaanalyse Cochrane, portant sur 930 patients traités par le rt-PA dans les 3 heures, issus pour plus de 50 % de l’étude NINDS, il était conclu à une réduction relative d’environ 40 % du risque de décès ou de dépendance avec le rt-PA (OR : 0,64 ; IC 95 % : 0,50-0,83), sans augmentation du risque de décès(15). L’analyse combinée des données individuelles des différents essais thérapeutiques suggérait que le bénéfice du traitement pourrait exister jusqu’à 4 h 30(16) (figure 2)(16). Ce bénéfice du rt-PA IV dans la fenêtre 3 h-4,5 h a été confirmé par l’étude ECASS III avec un taux d’hémorragies symptomatiques comparable à celui observés dans les essais antérieurs(17). Figure 2. Relation entre l’effet favorable du rt-PA (évalué par odds ratio) et le délai d’administration du traitement, d’après(16). Risque de transformation hémorragique La survenue d’une transformation hémorragique symptomatique constitue la complication la plus grave de la thrombolyse des infarctus cérébraux. Les études de registres nationaux ou internationaux ont permis de confirmer que le taux de complications hémorragiques en pratique courante était comparable à celui des essais randomisés(18), y compris dans la fenêtre 3-4,5 h(19). Ces données confirment la faisabilité de la thrombolyse IV « dans la vie réelle ». De nombreux facteurs de risque ont été identifiés à partir des essais et des études de cohorte (tableau 2). Tout traitement antithrombotique est prohibé dans les 24 heures qui suivent la thrombolyse mais la prise préalable d’un traitement antiplaquettaire ne constitue pas une contre-indication au traitement par rt-PA et ne paraît pas associée à un excès de risque d’hémorragie symptomatique(1). En pratique L’AMM européenne du rt-PA IV dans les 3 premières heures pour le traitement de l’infarctus cérébral a été accordée en 2002. Ce traitement a fait l’objet de recommandations de la Société française neurovasculaire(20). Une surveillance rapprochée en UNV de l’état neurologique et des paramètres vitaux, en particulier de la pression artérielle est indispensable. Perspectives pour la thrombolyse intraveineuse Améliorer l’accès à la thrombolyse On estime qu’environ 1 % seulement des patients atteints d’AVC bénéficient d’une thrombolyse en France, alors que l’estimation est proche de 5 % aux États-Unis et au Canada(2). Trois études européennes ont estimé que 6 à 22 % des patients sont potentiellement éligibles à la thrombolyse. L’éducation de la population et des médecins, le développement des UNV, la structuration des filières et l’utilisation de la télémédecine devrait améliorer le nombre de patients susceptibles de bénéficier de la thrombolyse(5). Élargir la fenêtre thérapeutique Le traitement par rt-PA est maintenant recommandé par l’European Stroke Organisation et la HAS dans la fenêtre 3 h-4,5 h chez les patients qui répondent par ailleurs aux critères de l’AMM(3,8). La possibilité de sélectionner par l’IRM les patients pouvant bénéficier de la thrombolyse au-delà de cette fenêtre est en cours d’évaluation. De même des essais thérapeutiques utilisant de nouveaux fibrinolytiques sont en cours. Nouvelles stratégies thérapeutiques Le rt-PA intraveineux ne permet une recanalisation artérielle que dans moins de 50 % des cas en moyenne(21). Le résultat est meilleur dans les occlusions distales que proximales, les occlusions des gros troncs artériels constituant souvent des échecs de la thrombolyse IV(1,2). De nouvelles stratégies thérapeutiques sont à l’étude pour améliorer le taux de recanalisation artérielle(4). La thrombolyse intra-artérielle (IA) devrait en théorie permettre des taux de recanalisation plus élevés en administrant des doses plus faibles de produit. L’accessibilité à ce traitement est toutefois faible et les données provenant d’essais randomisées très limitées. La métaanalyse des essais randomisés PROACT I (40 patients) et II (180 patients) ayant évalué l’efficacité de la pro-urokinase administrée dans les 6 heures d’une occlusion de l’artère cérébrale moyenne a montré une réduction du risque de décès ou de handicap (OR : 0,55 ; 0,31-1,00) et une augmentation non significative du risque d’hémorragie symptomatique (OR : 2,39 ; 0,88-8,47)(10). Les indications actuelles de la thrombolyse IA se limitent à des situations particulières, discutées au cas pas cas : occlusions proximales de l’artère cérébrale moyenne, occlusions en T de la terminaison de l’artère carotide interne et occlusions de l’artère basilaire chez des patients non éligibles pour une thrombolyse IV, jusqu’à 6 heures pour les occlusions de l’artère cérébrale moyenne, voire au-delà pour les occlusions du tronc basilaire du fait de leur gravité extrême. La pro-urokinase n’étant pas disponible, c’est le rt-PA qui est utilisé en pratique(4). Différents types d’interventions endovasculaires permettent une désobstruction des artères  cérébrales à la phase aiguë des infarctus (thrombolyse mécanique) : pièges, laser, ultrasons, système d’extraction ou d’aspiration du thrombus. Certains dispositifs sont autorisés aux états-Unis ou dans d’autres pays mais ils n’ont jamais été évalués par des essais randomisés. Il n’y a donc pas de preuve de leur efficacité et la petite taille des séries publiées ne permet pas d’affirmer que ces dispositifs sont sans danger. Les approches combinées IV-IA et/ou thrombolyse mécanique semblent prometteuses(22) ; des évaluations sont en cours. Traitements neuroprotecteurs La cascade d’événements biologiques impliquée dans l’ischémie cérébrale a été la cible de nombreux traitements neuroprotecteurs évalués à la phase aiguë des infarctus cérébraux. Plus de 1 000 molécules ont été testées chez l’animal et une centaine ont fait l’objet d’études chez l’homme. Malgré des résultats expérimentaux souvent encourageants, et parfois des essais de phase 2 chez l’homme, aucun essai clinique de phase 3 n’a malheureusement montré de bénéfice clinique à ce jour(23). Les raisons de ces échecs demeurent mal comprises ; parmi les hypothèses, le délai d’administration trop long et l’hétérogénéité des populations incluses sont évoqués(2). Traitement antithrombotique(2-4) Antiplaquettaire L’aspirine est le seul antiplaquettaire ayant fait la preuve de son efficacité pour prévenir la récidive ischémique précoce et améliorer le pronostic des infarctus cérébraux à la phase aiguë. Il doit être entrepris dès que possible, à la dose de 160 à 300 mg par jour, sauf si un traitement thrombolytique est envisagé. Un relais est pris après la phase aiguë pour les infarctus non cardioemboliques par des doses plus faibles d’aspirine (75 mg à 300 mg par jour) ou un autre antiplaquettaire (clopidogrel ou association aspirine-dipyridamole). Anticoagulant Les objectifs du traitement par héparine à la phase aiguë de l’infarctus cérébral sont de prévenir l’extension d’une thrombose artérielle ou veineuse, la récidive d’embolies cérébrales et la maladie thromboembolique veineuse. À dose efficace L’utilisation d’héparine à dose hypocoagulante n’est actuellement pas recommandée à la phase aiguë de l’infarctus cérébral. Cette recommandation en défaveur de l’héparine provient de plusieurs essais thérapeutiques ayant montré que l’administration d’anticoagulants à dose efficace (héparine non fractionnée, héparines de bas poids moléculaire [HBPM], ou héparinoïdes) augmentent le risque de transformation hémorragique symptomatique et systémique, sans bénéfice clinique en termes de mortalité ou d’évolution fonctionnelle, y compris en cas d’infarctus lié à une fibrillation auriculaire(24). Ces essais thérapeutiques ont cependant des limites (absence d’inclusion des patients à très haut risque de récidive, faible nombre de patients traités très précocement, absence de prise en compte de l’hétérogénéité physiopathologique des infarctus cérébraux). L’héparine à dose efficace reste prescrite par certaines équipes dans des indications particulières, présumées à haut risque de récidive (cardiopathies à très haut risque embolique telles que les prothèses valvulaires mécaniques, présence d’un thrombus intraluminal, sténoses serrées et occlusions récentes des gros troncs artériels) ; la décision est alors prise au cas par cas, en analysant le rapport bénéfices/risques, le traitement étant entrepris pour une durée la plus courte possible. À dose préventive Jusqu’à un tiers des patients alités ayant un déficit du membre inférieur développe une thrombose veineuse, et l’embolie pulmonaire constitue une cause importante de décès chez les patients ayant un infarctus cérébral. Le traitement anticoagulant réduit d’environ 80 % le risque de thrombose veineuse, symptomatique ou non, et d’environ 40 % celui d’embolie pulmonaire symptomatique. Un traitement préventif des complications veineuses par HBPM à faible dose est ainsi recommandé dès les 24 premières heures chez les patients ayant un infarctus cérébral responsable d’une immobilisation. Traitement antiœdémateux(2-4) L’œdème ischémique est une des principales causes de mortalité hospitalière après un infarctus cérébral. Les infarctus hémisphériques étendus et les infarctus du cervelet sont associés à un risque de décès brutal. L’état de vigilance de ces patients doit être étroitement surveillé ; en revanche, l’utilisation systématique d’antiœdémateux (mannitol, glycérol) n’est pas recommandée. L’efficacité de l’hémicraniectomie décompressive a été démontrée pour les infarctus sylviens compressifs (« infarctus sylviens malins ») par la métaanalyse de 3 essais randomisés européens(25). L’hémicraniectomie décompressive a réduit la mortalité de plus de 50 % et permis à 22 % de patients de plus d’être en vie avec un handicap résiduel mineur. La décision chirurgicale doit être prise dans les 24-48 heures après le début de l’hémiplégie, sur des données cliniques (score NIHSS > 16, présence de troubles de la vigilance précoces dès les premières heures) et radiologiques (volume de l’infarctus en diffusion > 145 cm3) après information des proches (figure 3). Pour les infarctus cérébelleux compressifs, un traitement chirurgical consistant en un craniectomie sous-occipitale décompressive et/ou drainage ventriculaire externe peut être indiqué en cas d’aggravation liée à une hydrocéphalie ou une compression du tronc cérébral. Figure 3. Patiente de 35 ans, hospitalisée pour une hémiplégie gauche brutale. Aggravation clinique à 12 h du début des symptômes avec apparition de troubles de conscience. NIHSS 18. IRM. Séquence de diffusion (A). Infarctus sylvien étendu (volume 147 cm3). Réalisation d’une hémicraniectomie décompressive en urgence. Scanner cérébral de contrôle après hémicraniectomie (B). Amélioration rapide de l’état de conscience en post-opératoire. Hémiplégie gauche séquellaire ; marche possible sans canne (score de Rankin : 3) à 6 mois. Mesures générales(2-4) Les unités neurovasculaires L’efficacité de l’hospitalisation en UNV, indépendamment de tout traitement spécifique, a été largement démontrée ; elle réduit le handicap et la mortalité par rapport à des soins traditionnels. Son efficacité est liée à la prévention et au traitement des complications neurologiques et extra-neurologiques. Tous les malades en bénéficient et devraient y avoir accès(8). Les UNV permettent de surveiller de façon continue des patients à la phase aiguë de l’infarctus (monitoring cardiaque, surveillance de la pression artérielle, de la glycémie, de la température, du déficit neurologique), tout en complétant le bilan étiologique et en débutant les mesures de prévention secondaire et la rééducation. Mesures générales de prévention et de prise en charge des complications générales Elles incluent le maintien de la liberté des voies aériennes supérieures et le maintien d’une ventilation adéquate, la détection et la prise en charge des troubles de déglutition, très fréquents à la phase aiguë des infarctus, des troubles urinaires, des complications cutanées et infectieuses. En pratique La prise en charge des infarctus cérébraux a considérablement progressé au cours des deux dernières décennies. Les AVC sont devenus une urgence médicale, en raison de la possibilité de traiter certains d’entre eux par thrombolyse IV. Les patients atteints d’AVC doivent bénéficier d’un accès rapide et prioritaire à l’imagerie cérébrale et vasculaire et de la compétence d’une équipe spécialisée au sein d’une unité neurovasculaire.

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