Publié le 22 déc 2023Lecture 6 min
Place de l’IRM dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée
Olivier LAIREZ, Cardiologie et maladies vasculaires, CHU de Toulouse
Parmi les multiples examens d’imagerie non invasifs disponibles pour l’exploration des cardiomyopathies, l’IRM cardiaque est probablement le plus complet. Pourtant, son indication ne figure pas en première ligne : elle n’apparaît que derrière l’échocardiographie, examen de première intention, essentiellement dans le cadre du bilan étiologique.
Devant des symptômes et signes d’insuffisance cardiaque, l’algorithme diagnostique implique la classification de l’insuffisance cardiaque en fonction de la fraction d’éjection, qui, si elle est préservée, nécessite d’objectiver la présence d’anomalies structurelles ou fonctionnelles compatibles avec une dysfonction diastolique ou une élévation des pressions de remplissage(1). À ce titre, l’échocardiographie reste l’examen de premier recours, permettant à la fois de mesurer la fraction d’éjection et d’explorer la fonction diastolique et la structure myocardique (figure 1).
Figure 1. Algorithme diagnostique d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée selon l’association d’insuffisance cardiaque de la société européenne de cardiologie. D’après(2).
Pour autant, en cas de mauvaise fenêtre acoustique ou d’examen non contributif, du fait de son excellent contraste spontané, l’IRM cardiaque reste l’examen le plus performant pour mesurer les volumes ventriculaires et atriaux, et donc la fraction d’éjection du ventricule gauche, mais également pour mesurer la masse ventriculaire gauche et détecter les anomalies de structure. Car la réelle plus-value de l’IRM cardiaque réside dans sa capacité de caractérisation tissulaire du myocarde, utile à la fois pour le diagnostic positif en permettant de quantifier la fibrose myocardique diffuse, mais surtout pour le diagnostic étiologique grâce notamment au rehaussement tardif.
Diagnostic positif : les anomalies structurelles
Bien que ce ne soit pas son utilité principale, l’IRM cardiaque reste l’examen de référence pour mesurer les volumes et la masse ventriculaires. Le contraste spontané entre myocarde et cavité permet la délimitation précise du myocarde et la quantification des volumes, sans extrapolation géométrique (figure 2). Dans le contexte d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp), l’IRM cardiaque permet d’explorer une hypertrophie du ventricule gauche ou une dilatation de l’oreillette gauche associée à la dysfonction diastolique. Ainsi, et bien que les mesures aient été validées en échocardiographie, l’algorithme diagnostique proposé par l’association Insuffisance cardiaque de la Société européenne de cardiologie retient une masse ventriculaire gauche indexée supérieure à 149 g/m2 chez l’homme et 122 g/m2 chez la femme ou un volume de l’oreillette gauche supérieur à 34 mL/m2 comme un critère majeur d’ICFEp, ou un une épaisseur pariétale supérieure à 12 mm comme un critère mineur (figure 3)(2).
Figure 2. Mesure des volumes ventriculaires en IRM. Délimitation de la cavité ventriculaire gauche en diastole de la base vers l’apex.
Figure 3. Critères morphologiques de diagnostic d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. D’après(2).
La plus-value de l’IRM cardiaque sur les autres examens dans le diagnostic d’ICFEp réside dans sa capacité de quantification de la fibrose diffuse, substrat de la cardiopathie, grâce à la cartographie du T1 (T1 mapping) permettant la mesure du volume extra-cellulaire après administration de gadolinium(3). La fibrose myocardique diffuse quantifiée en IRM est associée à la dysfonction diastolique dans l’ICFEp(4). Le degré d’extension de la fibrose en IRM permet d’objectiver le substrat anatomique de la dysfonction diastolique et d’estimer le degré de sévérité de la cardiopathie. La norme du T1 varie sensiblement d’une IRM à l’autre, mais se situe globalement entre 950 et 1 050 ms. La fibrose myocardique diffuse et d’une manière générale l’augmentation du volume extracellulaire s’accompagne d’une augmentation T1, avec des valeurs pouvant atteindre 1 250 ms comme dans certains cas d’amylose cardiaque. À ce titre, en plus de la mise en évidence des anomalies structurelles du myocarde, l’IRM cardiaque permet de quantifier la charge en fibrose, ou la charge amyloïde dans le cas des amyloses cardiaques.
Diagnostic étiologique
La principale indication de l’IRM cardiaque dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée se situe dans le bilan étiologique de la cardiomyopathie (figure 1). L’IRM cardiaque de stress sous vasodilatateur artériolaire permet d’explorer la perfusion myocardique et de dépister une ischémie myocardique qui pourrait participer à la dysfonction diastolique. La présence d’une ischémie myocardique en IRM cardiaque de perfusion est retrouvée chez 12 % des patients, avec une séquelle de nécrose sous la forme d’un rehaussement tardif chez 9 % des patients en présence d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée sans coronaropathie connue(5).
Comme énoncé plus haut, la cartographie du T1 va permettre de quantifier le degré de fibrose et de volume extra-cellulaire. Parmi les étiologies de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, la maladie de Fabry se caractérise à sa phase initiale par une surcharge intracellulaire qui va aboutir à un stade plus avancé de la maladie à l’apparition d’une fibrose extracellulaire diffuse mais prédominante au niveau du segment basal de la paroi inférolatérale du ventricule gauche où elle peut prendre un aspect de fibrose de remplacement avec amincissement pariétal. Dans la maladie de Fabry, la surcharge purement intracellulaire du début de la maladie aboutit à la diminution du T1 qui va se normaliser au cours du temps puis augmenter avec l’évolution fibrosante de la maladie. Ainsi, la cartographie du T1 et la mesure du volume extracellulaire vont permettre de faire un phénotypage par imagerie pour orienter vers un diagnostic étiologique en fonction du profil de la cardiomyopathie(6).
Mais ce sont indéniablement les séquences de rehaussement tardif qui font la plus-value de l’IRM dans le bilan étiologique en permettant d’explorer le myocarde in vivo. Le principe consiste à explorer les zones de stase du gadolinium 10 à 15 minutes après administration. Le gadolinium stagne dans les zones d’augmentation du volume extracellulaire : zones d’œdème en aigu et zones de fibrose en chronique. C’est ensuite la sémiologie radiologique du rehaussement tardif qui va permettre d’orienter l’étiologie de la cardiopathie (figure 4). Parmi les étiologies d’ICFEp, l’amylose cardiaque occupe une place importante, particulièrement chez les sujets âgés(7). Si l’IRM cardiaque n’est pas l’examen de référence dans le diagnostic étiologique de l’amylose cardiaque où la scintigraphie osseuse à une place centrale, elle n’en demeure pas moins intéressante pour quantifier la charge amyloïde grâce à la cartographie du T1 et à la mesure du volume extra-cellulaire(8), mais également pour confirmer une atteinte cardiaque en cas de suspicion d’amylose à chaînes légères pour laquelle une scintigraphie osseuse normale ne permet pas d’écarter le diagnostic. Dans cette situation qui n’empêchera pas la nécessité d’apporter la preuve histologique de l’amylose, l’IRM cardiaque permet de mettre en évidence des zones de rehaussement tardif qui correspondent aux zones de dépôts fibrillaires au sein du myocarde(9).
Figure 4. Sémiologie du rehaussement tardif en fonction des différentes étiologies d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée.
L’IRM cardiaque est donc un excellent examen pour objectiver la présence d’une cardiopathie qui n’a pas fait la preuve de son étiologie et inciter à pousser plus loin les investigations diagnostiques.
Évaluation du pronostic
En permettant de quantifier la fibrose diffuse, mais également de détecter la fibrose de remplacement grâce aux séquences de rehaussement tardif, l’IRM cardiaque permet d’appréhender le degré de sévérité de la cardiomyopathie et de mieux cerner le pronostic. Si dans le domaine de l’insuffisance cardiaque la fraction d’éjection est un mauvais outil d’exploration du pronostic, la présence de rehaussement tardif est associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire et du risque d’événements rythmiques ventriculaires, quelle que soit la fraction d’éjection(10).
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