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Échocardiographie

Publié le 06 déc 2017Lecture 7 min

Bilan avant chirurgie extracardiaque : que reste-t-il des tests d’ischémie myocardique ?

Jean-Luc Monin, CHU Henri Mondor, Créteil

Avant 2011, les tests d’ischémie myocardique (scintigraphie ou échographie de stress) occupaient une place importante dans la stratification du risque avant chirurgie extracardiaque, notamment avant chirurgie vasculaire. Ceci était dû en grande partie aux nombreuses publications du groupe DECREASE, dirigé par Don Poldermans (Université ERASMUS, Rotterdam, Pays-Bas), qui dirigeait également les recommandations européennes sur ce sujet. Tout a changé le 16 novembre 2011, lorsque Don Poldermans a été renvoyé à grand bruit de son poste de Chef de service et de son poste à l’ESC pour fraude scientifique, jetant du même coup le discrédit sur l’ensemble des publications du groupe DECREASE.
Les recommandations 2014 sur la prise en charge avant chirurgie non cardiaque sont communes aux deux sociétés savantes de cardiologie et d’anesthésie (ESC/ESA). Ces recommandations ont marqué un net retour en arrière, concernant notamment la pratique des tests d’ischémie myocardique et la prescription des bêtabloquants. Qu’en est-il de ces recommandations ESC/ESA 2014 ? Sont-elles applicables à la lettre en pratique courante ? Nous allons tenter de répondre à ces deux questions.

Algorithme de prise en charge   Les recommandations 2014 proposent une démarche de stratification du risque en 7 étapes (encadré)(1). Les deux premières étapes relèvent du bon sens : L’étape 1 : en cas d’intervention non cardiaque urgente, les examens préopératoires sophistiqués n’ont pas leur place et la chirurgie est prioritaire ; charge aux cardiologues d’accompagner la prise en charge médico-chirurgicale, notamment en donnant toute précision nécessaire sur la fonction ventriculaire gauche, les pathologies cardiaques connues et sur les traitements à maintenir ou à interrompre transitoirement en période périopératoire. L’étape 2 concerne les pathologies cardiaques instables : infarctus ou syndrome coronaire aigu de moins de 30 jours, insuffisance cardiaque décompensée, valvulopathie sévère et symptomatique ou troubles du rythme graves ; dans ce cas la prise en charge cardiologique est prioritaire et l’intervention chirurgicale doit être retardée.   Quelles sont les interventions à haut risque ?   L’étape 3 concerne le risque propre de la chirurgie extracardiaque (tableau 1)(1). Il s’agit du risque cumulé d’infarctus myocardique non fatal/décès cardiovasculaire directement lié à l’intervention. Dans le groupe à haut risque, on trouve essentiellement la chirurgie aortique, les pontages artériels des membres inférieurs, la chirurgie hépatobiliaire, la duodéno-pancréatectomie, la cystectomie totale, l’œsophagectomie, la pneumectomie et les greffes pulmonaires ou hépatiques. D’après les guidelines 2014, seules ces interventions à haut risque justifient d’envisager un test d’ischémie myocardique(1). Capacité fonctionnelle du patient/Facteurs de risque cardiovasculaire   Les étapes 4 à 7 concernent la capacité fonctionnelle du patient, avec un seuil fixé à 4 METS. En pratique, un effort de 4 METS correspond à une marche en terrain plat d’une centaine de mètres en 2 à 3 minutes (3 à 5 km/h) ou à monter 2 étages à pied(1). En cas de capacité fonctionnelle réduite, on doit rechercher des facteurs de risque cardiovasculaire parmi les 5 suivants : 1/ cardiopathie ischémique (angor ou antécédent d’infarctus), 2/ insuffisance cardiaque, 3/ accident vasculaire cérébral transitoire ou constitué, 4/ insuffisance rénale ou, 5/ diabète insulino-requérant. Finalement d’après les recommandations ESC/ESA 2014, les tests d’ischémie myocardique doivent être réservés aux patients ayant à la fois : – une mauvaise capacité fonctionnelle (< 4 METS) ; – une chirurgie extracardiaque à haut risque ; – au moins 3 facteurs de risque cardiovasculaire(1).   Comment adapter ces recommandations en pratique ?   On constate donc que la place des tests d’ischémie myocardique s’est considérablement réduite suite au discrédit de l’ensemble du programme DECREASE dont la quasi-totalité des études a probablement été falsifiée de manière grossière, pouvant aller jusqu’à l’invention pure et simple des données cliniques ou d’événements indésirables(2). Doit-on pour autant appliquer à la lettre l’attitude très restrictive recommandée par les nouvelles recommandations ? Comme toujours, le clinicien garde heureusement son libre arbitre et une marge de manœuvre, sous réserve d’une réflexion sur le rapport bénéfice/risque qui doit toujours figurer par écrit dans le dossier du patient et dans les courriers adressés aux correspondants. Un exemple courant : le patient coronarien connu qui ne fait pratiquement plus aucun effort à cause d’une coxarthrose invalidante peut difficilement être évalué en termes de capacité fonctionnelle. On peut certes argumenter que la prothèse totale de hanche fait partie des interventions à risque intermédiaire (tableau 1). Cependant, l’infarctus myocardique en postopératoire d’une prothèse de hanche n’est pas exceptionnel et de ce fait, il ne me semble pas illégitime de proposer un test d’ischémie dans ce cas, même si cela relève d’un niveau de recommandation très faible (classe IIb, tableau 2). Quand proposer une coronarographie, éventuellement suivie d’une revascularisation myocardique ?   Les indications formelles de coronarographie sont les mêmes qu’en dehors du contexte préopératoire : syndrome coronaire aigu (avec ou sans sus-décalage de ST) ou ischémie myocardique documentée avec angor résistant au traitement médical (tableau 3)(1). Une mention spéciale est faite pour l’endartériectomie carotidienne, compte tenu de l’existence d’une seule étude randomisée en faveur d’un bénéfice de l’angioplastie coronaire quasi systématique dans ce cas(3). Les indications de revascularisation myocardique sont également sensées suivre les guidelines pour la maladie coronaire stable : il paraît donc légitime (indication de classe I) de proposer une revascularisation en cas de sténose serrée du tronc commun ou de l’IVA proximale, de lésions bi ou tri-tronculaires sévères avec dysfonction VG systolique ou d’ischémie myocardique étendue (> 10 % de la masse VG, ce qui ne représente guère plus de 2 segments/17)(4). Cependant, il est important de rappeler qu’aucune étude à ce jour n’a démontré le bénéfice d’une revascularisation myocardique « préventive » avant une chirurgie extracardiaque. De ce fait, en présence d’une ischémie myocardique documentée avant chirurgie extracardiaque à haut risque, la revascularisation myocardique est proposée du bout des lèvres par les recommandations (classe IIb, tableau 4)(1). Quand pratiquer un ECG ou une échographie cardiaque de repos ?   Ici les recommandations sont un peu plus claires malgré un niveau de preuve scientifique au plus bas (niveau C) : l’ECG de repos est légitime (classe I) avant chirurgie à haut risque et en présence de facteurs de risque. Plus discutable : l’ECG peut être envisagé en cas de facteurs de risque ou chez un patient âgé de plus de 65 ans en cas de chirurgie à risque intermédiaire (classe IIb). Certainement pas d’ECG préopératoire avant chirurgie à faible risque et en l’absence de facteur de risque (classe III)(1). L’échocardiographie de repos peut être envisagée (classe IIb) avant une chirurgie extracardiaque à haut risque ; on imagine que le seul intérêt serait de dépister une dysfonction systolique VG asymptomatique ou une valvulopathie sévère, a priori dépistée par une auscultation cardiaque attentive. Aucune indication d’échographie cardiaque de repos avant chirurgie à risque intermédiaire ou faible (classe III)(1).   Quid des traitements médicamenteux : bêtabloquants, statines, aspirine ?   Plus encore que les tests d’ischémie, le traitement bêtabloquant peropératoire a fait les frais du scandale Poldermans. En effet, la plupart des données en faveur de ce traitement émanaient des études DECREASE(2). À l’opposé, la très large étude randomisée POISE (plus de 8 300 patients) a certes montré une réduction de 27 % du nombre d’infarctus peropératoires dans le groupe bêtabloquants(5), cependant le risque d’accident vasculaire cérébral était multiplié par 2 dans le groupe bêtabloquants, d’où une mortalité globale supérieure de 30 % par rapport au groupe placebo(5). Cet effet délétère du métoprolol (introduit sans titration quelques heures avant l’intervention) s’explique probablement par une bradycardie/hypotension excessive pendant la période peropératoire(5). De ce fait, l’introduction des bêtabloquants sans titration en préopératoire immédiat est désormais contre-indiquée (classe III) ; il en est de même pour les bêtabloquants avant toute intervention à faible risque d’événements cardiaques(1). La seule certitude demeure de poursuivre le traitement bêtabloquant chez les patients bien équilibrés sous ce traitement (classe I)(1). En dehors de ce cas, y compris en cas de chirurgie à haut risque chez un patient fragile ou d’antécédents coronariens avérés, l’introduction des bêtabloquants en préopératoire est très controversée (classe IIb) et doit faire appel à d’autres molécules que le métoprolol : de préférence l’aténolol ou le bisoprolol(1). Concernant les statines, il est également recommandé de maintenir ce traitement lorsqu’il était déjà prescrit (classe I) ou de l’introduire au moins 2 semaines avant une chirurgie vasculaire lourde (classe IIa)(1). En dernier lieu, le rapport bénéfice/risque est très probablement en faveur de l’interruption temporaire de l’aspirine chez les patients devant subir une intervention à risque hémorragique significatif (classeIIa)(1).   Conclusion   Les recommandations ESC/ESA 2014 pour la prise en charge périopératoire des patients avant chirurgie non cardiaque laissent donc peu de place aux tests d’ischémie myocardique et encore moins à l’introduction d’un traitement bêtabloquant. Ce recul spectaculaire s’explique aisément par le discrédit jeté sur l’ensemble du programme DECREASE qui supportait quasiment à lui seul ces deux pratiques depuis plus de 10 ans. Il est toujours difficile d’accepter une telle volte-face, qui nous laisse volontiers perplexe, notamment pour ceux d’entre nous (dont je fais partie) qui croient beaucoup à la valeur pronostique des tests d’ischémie. Certes, les recommandations actuelles réduisent de manière drastique les indications des tests d’ischémie, en pratique aux interventions à haut risque, chez des patients ayant à la fois une incapacité à l’effort et au moins 2 facteurs de risque cardiovasculaire.   En pratique   Chaque praticien garde son libre arbitre et il ne semble pas déraisonnable de rechercher une ischémie myocardique avant une intervention à risque intermédiaire (prothèse totale de hanche, chirurgie du rachis) chez un patient coronarien connu, sans autre facteur de risque. En présence d’une ischémie significative et si la coronarographie montre une sténose serrée de l’IVA proximale (voire du tronc commun), il semble également logique de proposer une revascularisation myocardique avant l’intervention extracardiaque. Précisons toutefois que le niveau de recommandation d’une telle prise en charge est faible (classe IIb) et qu’aucun bénéfice en termes de survie n’a jamais été démontré. "Publié dans EchoCardiographie"

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