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Polémique

Publié le 31 aoû 2011Lecture 10 min

Que faire quand gronde l’orage de la reperfusion ?

J.-P. MONASSIER, unité de cardiologie interventionnelle privée de Sud-Alsace, Fondation du Diaconat, Mulhouse

“ … Our job in the patient with myocardial ischemia is not only to increase the coronary blood supply but to act as a myocardial cell saver”*. 
L’avez-vous déjà vu ? Je suis certain que OUI ! 
À en croire les merveilleux essais cliniques qui tracent depuis 30 ans le chemin glorieux de l’angioplastie primaire en phase aiguë d'infarctus myocardique, ce que je vais écrire ci-dessous n’existe pas. 
L’artère est occluse, on aspire, on « stente », l’artère est ouverte… passez, il n’y a rien à voir ! Si le patient évolue mal, il le doit à son état gravissime initial ou, encore, il est arrivé trop tard. L’angioplastie n’a pu sauver son myocarde et parfois n’a pu éviter son décès. 
Que la reperfusion elle-même puisse se rendre coupable de certaines catastrophes est un fantasme de chercheur qui ne nourrit sa connaissance qu’à partir de l’infarctus du rongeur. Pas de traces du Early Hazard qui, dans de grands essais de thrombolyse (GISSI-1)(1), montrait pourtant une surmortalité précoce alors que le bénéfice, incontestable, de la reperfusion n’apparaissait que dans un second temps.  

 Je vais pourtant vous expliquer que certains angioplasticiens, qui sont euxmêmes « aux fourneaux » (depuis quelques décennies) et connaissent la reperfusion non seulement par l’intermédiaire des métaanalyses, mais aussi par ce qui se passe sous leurs yeux au moment de la réouverture du vaisseau, affirment preuve à l’appui(2-4), que les fondamentalistes ont raison. La reperfusion tue des cellules et… parfois le patient. Des solutions simples sont pourtant disponibles.  Le syndrome malin de reperfusion  Il se déroule au cathlab et se présente sous une forme plus ou moins complète(4), le plus souvent bénigne, parfois sévère. Il se produit au moins partiellement dans un tiers des cas. Plusieurs éléments de gravité variable se produisent isolément ou sont associés. La récidive douloureuse  Vous avez pu constater que fréquemment, après avoir ouvert le vaisseau responsable de l’infarctus, parfois simplement après passage du guide, le patient signale une majoration de sa douleur thoracique pouvant prendre une forme hyperalgique exigeant des doses croissantes d’antalgiques majeurs(2). La majoration du sus-décalage de ST  Elle se produit généralement parallèlement à l’évolution du syndrome douloureux(2). Souvent modéré et bref, cet accroissement du sus-décalage de ST est susceptible de prendre une forme impressionnante et durable (figure 1). Dans de rares cas, cet événement tarde à se résorber. Dans sa manifestation la plus importante, il correspond toujours à un infarctus étendu, un pic élevé de troponine, une élévation précoce du BNP et à terme à une fraction d’éjection basse. Figure 1. Forme impressionnante d’un sus-décalage de ST. (J. P. Monassier ra l.(2)) Tachycardies et fibrillations ventriculaires  Les tachycardies et fibrillations ventriculaires de reperfusion sont effectivement plutôt rares contrairement aux données expérimentales où nombre d’animaux (sauf les rongeurs) meurent dès la reperfusion par ce mécanisme. Chez l’homme, il inquiète peu, le choc électrique réglant en général le problème. Toutefois, on assiste parfois à un réel orage rythmique, les fibrillations ventriculaires rechutant de nombreuses fois(4).  Rythme idioventriculaire accéléré  Banal, me direz-vous ! En outre, il représente pour beaucoup un signe de reperfusion efficace. Ce point ne fait pas l’unanimité, et même s’il réagit presque toujours à l’atropine, il s’accompagne parfois d’une dégradation hémodynamique majeure(4). Dégradation hémodynamique  Cette dernière, heureusement exceptionnelle, peut conduire à un tableau de dissociation électromécanique(3) (figure 2) ne répondant que très mal aux manœuvres physiques de réanimation et aux catécholamines. Elle est une des causes de décès (rares) sur table. On l’attribue alors à un choc cardiogénique initial, le décès n’étant pas secondaire à la reperfusion mais à la sévérité de la pathologie. Il faut pourtant se souvenir que la reperfusion ne permet jamais le redémarrage immédiat de la contraction du myocarde ischémié ! Si ce tableau dramatique survient, il est dû à la reperfusion. Le no-reflow  Ce point fait, quant à lui, l’unanimité. Si une désobstruction coronaire n’aboutit pas au résultat escompté, la responsabilité en revient à une mauvaise perfusion distale due à des embols fibrino-plaquettaires. Je ne vais pas m’élever contre une littérature extrêmement fournie sur le sujet, d’autant plus que ces migrations périphériques sont angiographiquement visibles dans nombre de cas… Mais pas toujours ! Rappelons que le phénomène a été décrit par R.A. Kloner et al. sur un modèle de chien dont on avait ligaturé l’IVA et dont tout thrombus était absent(5). Cherchez l’erreur. Le no-reflow est en fait multifactoriel(6). Il faut toutefois admettre que lorsqu’il se produit dans sa forme massive ou dans son expression plus discrète exigeant une mesure minutieuse du blush-grade l’ischémie se poursuit. Il doit donc être prévenu.  Figure 2. Mort sur table des infarctus graves. La thromboaspiration : Docteur Jekyll ou Mister Hyde ?  Cette technique désormais appliquée par tous les cardiologues interventionnels est « une étrange histoire » comme celle du Docteur Jekyll, obsédé par sa double personnalité. Mais à l’inverse du roman de Robert Louis Stevenson (1886), c’est ici le bon côté de ces deux facettes qui l’emporte à tel point que certains la considèrent comme le gold standard de l’angioplastie primaire. Mais à quel prix ? L’occlusion coronaire aiguë est secondaire à la formation d’un thrombus fibrinoplaquettaire sur une plaque fissurée. Le no-reflow est la conséquence de l’embolisation distale de tout ou partie de ce thrombus… avec quelques réserves toutefois. La solution est de l’extraire avant de traiter la lésion pariétale sous-jacente et les lésions de reperfusion sont évitées. Oui, mais !!!  L’ouverture « brutale » en « tout ou rien » de l’artère thrombosée par extraction du thrombus induit automatiquement une réoxygénation massive et instantanée des cardiomyocytes. Les choses peuvent alors se compliquer. Comment ne pas être surpris que dans les nombreux essais ayant fait appel à l’un ou l’autre de ces aspirateurs ou extracteurs, les événements immédiatement consécutifs n’aient pas été étudiés. Or, je les observe. Ces outils ont fait leur preuve (surtout dans les études TAPAS et EXPIRA(7-11) qui montrent un bénéfice significatif en termes de survie(11)). Ils ont donc une utilité indiscutable mais pour autant règlent-ils tous les problèmes ? Certes non. Le post-conditionnement : une coquetterie de biologiste ? Gonfler un ballon au contact de l’occlusion puis le dégonfler et répéter cette séquence plusieurs fois, est-ce vraiment un acte de cardiologie interventionnelle ? Même si Z.Q. Zhao et al.(12) ont montré chez l’animal que cette stratégie diminuait la taille de l’infarctus et améliorait la perfusion périphérique, il ne s’agit là encore que de données expérimentales. En outre, les infarctus de ses rats étaient provoqués par ligature de l’IVA donc sans thrombus. Or, pratiquer ce geste en clinique risque de mobiliser le caillot et d’aggraver la situation. Donc le post-conditionnement tarde à convaincre de son utilité.  Pourtant des essais dits « de preuve de concept »(13-16), méthodologiquement incontestables, montrent une diminution très significative de la libération enzymatique et un bénéfice échographique confirmé à 6 mois (figure 3).    Figure 3. Le post-conditionnement induirait une diminution très significative de la libération enzymatique et un bénéfice échographique confirmé à 6 mois. Par ailleurs, un résultat identique peut être obtenu à l’aide d’une injection intraveineuse de 2,5 mg de ciclosporine avant la désobstruction du vaisseau(17). C’est la raison pour laquelle une large mobilisation de nos équipes en faveur de l’étude CIRCUS née à Lyon (Michel Ovize) pourrait nous faire franchir un pas majeur.  Faut-il revisiter notre technique ?  Dans l’attente des résultats de cette étude, que faire ? Thromboaspiration manuelle et post-conditionnement sont-ils définitivement antinomiques ou peut-on mettre à la disposition de nos patients les deux méthodes ? L’orage a lieu !  Vous avez décidé de débuter par une aspiration. Dans les secondes qui suivent et dans certains cas, vous observez un syndrome malin de reperfusion plus ou moins dramatique. Dans cette situation, le gonflage immédiat d’un ballon au siège préalable de l’occlusion vous donnera beaucoup de plaisir et de soulagement. Si le patient déclenche une fibrillation ventriculaire, elle s’interrompra très rapidement sans choc électrique (je dispose de certains cas dûment enregistrés mais soumis pour publication). En outre, l’injection prudente de bêtabloqueurs évitera les récidives. M. Galagudza et al.(18) avaient montré, chez 46 rats divisés en deux groupes, après une fibrillation ventriculaire de reperfusion que ceux ayant été « réocclus » retrouvaient tous un rythme sinusal. Le même type d’expérience a été réalisé par N.N. Petrishchev et al. du même groupe(19) (article en langue russe, résumé en anglais) en cas de FV résistantes au choc électrique. Bien plus tôt, E.D. Grech et D.R. Ramsdale(20) avaient utilisé ce geste « salvateur » chez un patient présentant après reperfusion un RIVA responsable d’une détresse hémodynamique. Le regonflage ou le gonflage du ballon aura le même effet sur le segment ST et la douleur thoracique : le ST diminuera d’amplitude, la douleur régressera et redeviendra supportable. Je n’ai jamais eu à pratiquer ce geste en cas de catastrophe hémodynamique et ne peut donc dire quel en serait le résultat. La littérature est muette sur le sujet (figure 4). Mais l’aspirateur est encore en place ou je viens de le retirer !  Au lieu de le retirer lentement, de vérifier le résultat, de s’extasier devant le thrombus extrait on peut, une fois l’aspiration terminée, retirer le « cathéter » et le remplacer par un ballon de taille « moyenne ». Cela prend (chronométrage réalisé) 45 secondes à condition que le ballon soit prêt sur la table. Or la fenêtre d’efficacité du début du post-conditionnement est d’environ une minute.  Figure 4. Regonflage du ballon coaxial. L’avenir : “We can have a dream !”  Si une molécule cardioprotectrice prévenant les lésions de reperfusion (l’enjeu pour certains serait de 40 % de sauvetage myocardique supplémentaire) prouvait son efficacité (par exemple la ciclosporine (2,5 mg/kg IV avant la désobstruction) – accrochonsnous à CIRCUS (il faut 800 IVA occluses et randomisées !) – le Graal du cardiologue interventionnel impliqué dans le traitement de l’infarctus myocardique aigu serait atteint :  - l’artère est occluse ;  - injecter la ciclosporine ;  - aspirer ;  - compléter par l’implantation du stent si nécessaire.  Et puis… si cela ne suffit pas et que la reperfusion reste « chahutée », on regonfle le ballon.  Et si la nuit est longue, un second rêve, pour l’instant plus loin encore de la réalité, ferait débuter la protection myocardique dans l’ambulance en associant la ciclosporine et des manœuvres de préconditionnement à distance : cycles d’ischémie d’un membre obtenus en exerçant puis en le levant plusieurs fois, avec une pression supérieure à la pression systolique(16). En pratique Utiliser un guide long. Préparer d’emblée sur table un ballon coaxial (qui permet de contrôler l’absence de thrombus résiduel extensif et d’injecter adénosine ou vérapamil).   Effectuer l’aspiration. Dès l’aspiration terminée, sans injecter, monter le ballon et le gonfler.  La situation étant stable ou restabilisée, réaliser le post-conditionnement par 4 cycles chacun comportant une inflation et une déflation d’une minute.    Vous aurez ainsi mis à la disposition du patient les deux techniques modernes de protection myocardique et, au lieu du off-on habituel vous aurez réalisé une reperfusion contrôlée dont nous parlent les chirurgiens depuis E.R. Rosenkranz et G.D. Buckberg(21) à une époque où ceux qui sont chargés le plus souvent de se lever la nuit pour désobstruer les artères n’étaient pas encore nés. N’est-ce pas, chers jeunes confrères chefs de clinique ?     Note de l’auteur : Ce texte est resté volontairement pratique, raison pour laquelle je n’ai abordé ni les mécanismes des lésions de reperfusion ni ceux de la protection myocardique ni encore les données électriques et biologiques qui permettent de suspecter a priori une reperfusion difficile. L’ouverture du vaisseau est nécessaire, le flux distal doit être le plus optimal possible mais la protection myocardique associée est le troisième volet de notre acte, dernière étape à franchir avant de pouvoir dire que le problème de l’infarctus au cathlab est résolu. 

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