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Polémique

Publié le 30 nov 2010Lecture 6 min

L’angioplastie est-elle trop utilisée en France ?

N. DANCHIN, Hôpital européen Georges Pompidou, Paris

« Finalement, par quelque bout que l’on prenne les choses, il semble bien que l’on dilate trop en France. » 
 
La maladie coronaire est vraiment une maladie singulière. Si l'on sait que les infarctus sont causés par des occlusions coronaires, on sait aussi que toutes les occlusions n'entraînent pas d'infarctus, et en particulier que les occlusions de sténoses initialement serrées n'entraînent généralement pas d'accidents cliniques graves…

En fait, les occlusions à l'origine des infarctus (les infarctus qui demandent une prise en charge immédiate, ceux avec susdécalage de ST) surviennent le plus souvent sur des plaques initialement peu serrées (< 50 %), qui se fissurent et sont à l'origine d'un thrombus qui vient brutalement boucher l'artère : le myocarde passe alors, en quelques minutes, d'un état où il était parfaitement irrigué, à un état d'ischémie complète. À l'inverse, l'occlusion d'une sténose initialement serrée se fait généralement beaucoup plus « en douceur », l'ischémie chronique répétée engendrée par la sténose avant son occlusion permettant au myocarde de se préparer, par des phénomènes de préconditionnement et par le développement d'une circulation de suppléance.    Dès lors, on comprend mieux l'apport d'une technique comme l'angioplastie coronaire : dans les situations aiguës, c'est sans conteste la méthode la plus utile pour rouvrir rapidement l'artère occluse et permettre de sauver du myocarde ; les résultats cliniques sont alors remarquables. En revanche, dans la maladie coronaire stable, où il s'agit précisément de traiter des sténoses serrées, l'angioplastie, contrairement à l'impression intuitive que nous pourrions avoir, ne permet pas d'améliorer le pronostic. Dans la maladie coronaire stable, l'amélioration pronostique par la revascularisation myocardique est essentiellement présente dans les formes anatomiquement les plus sévères, avec atteinte multitronculaire, et touchant les segments initiaux de la coronaire gauche, tronc commun ou IVA proximale. Mais alors, comme le disent les toutes récentes recommandations de la Société européenne de cardiologie (ESC) et de l'Association européenne pour la chirurgie cardiothoracique (EACTS), entre les deux méthodes de revascularisation (chirurgie et angioplastie) c'est la chirurgie qui doit être privilégiée.    Sur les 8 situations cliniques et anatomiques décrites dans les recommandations, 7 ont un niveau de recommandation I pour la chirurgie et une seule pour l'angioplastie (les atteintes mono- ou bitronculaires sans lésion de l'IVA proximale) (tableau).  Ceci étant posé, est-ce que nous dilatons trop en France ? Faisons un rapide calcul. Il y a moins de 40 000 infarctus avec sus-décalage chaque année en France, dont 25 % arrivent hors délai. La proportion de syndromes coronaires aigus sans sus-décalage est à peu près la même, dont environ la moitié peut justifier, d'après les mêmes recommandations, un traitement par angioplastie. L'évaluation de la population incidente de maladie coronaire stable est plus difficile ; probablement environ 80 000 des 270 000 coronarographies réalisées chaque année le sont pour suspicion d'angor ou pour ischémie silencieuse documentée ; près de 40 % sont normales ou subnormales, et 55 % objectivent des atteintes mono- ou bitronculaires, dont toutes ne se prêtent pas techniquement à un geste d'angioplastie (occlusions complètes chroniques peu propices, lésions trop diffuses, etc.) (registre ONACI, D. Blanchard) ; une estimation « optimiste » du nombre possible d'angioplasties dans cette situation serait de 25 000 à 30 000.  Reprenons, au vu de ces chiffres, les indications d'angioplastie justifiables en théorie : 30 000 infarctus, 20 000 syndromes coronaires aigus sans sus-décalage, 30 000 stables, on arrive ainsi à 80 000 interventions « conformes aux recommandations » par an. Or les derniers chiffres estiment le nombre annuel d'angioplasties en France de 110 000 à 120 000 !  Dilatons-nous plus que nos voisins européens ? Une autre façon de voir les choses consiste à comparer la situation française à celle des pays voisins. Les statistiques de l'European Heart Network ont été publiées en 2009. Le rapport présente les données sur la prévalence des maladies cardiovasculaires en Europe au début des années 2000, mais aussi sur leur prise en charge, en particulier sur la revascularisation myocardique et l'angioplastie coronaire. On y observe de larges variations dans l'utilisation de l'angioplastie selon les pays : sans surprise, le Royaume-Uni est en dernière position, tandis que la France se classe en tête de peloton, derrière l'Allemagne et très proche de la Belgique (figure 1).     Figure 1. Nombre dʼangioplasties par million dʼhabitants dans les principaux pays européens. En somme, une place honorable et raisonnable. Mais les choses se gâtent si l'on prend en compte l'incidence de la maladie coronaire dans les différents pays européens : comme on le sait, la France est le pays où la maladie coronaire est la moins fréquente. Si nous regardons maintenant les chiffres annuels des angioplasties, en le rapportant à l'incidence standardisée de la maladie, le paysage devient tout autre.     La France est alors, de loin, le plus gros utilisateur de l'angioplastie, avec un taux qui dépasse de 60 % celui de l'Allemagne, et qui est de plus du double de ceux de la Belgique, des Pays-Bas ou de l'Italie (figure 2).    Figure 2. Nombre dʼangioplasties rapporté à lʼincidence de la maladie coronaire dans les principaux pays européens. Finalement, par quelque bout que l'on prenne les choses, il semble bien qu'on dilate trop en France. Nous ne sommes certainement pas à ce point médicalement en avance sur les Pays-Bas pour justifier une utilisation plus de deux fois plus fréquente de l'angioplastie.    En fait, l'une des origines du problème vient sans doute du fait que les cardiologues interventionnels prennent trop souvent leurs décisions seuls. L'opérateur est alors juge et partie et il peut être facilement victime de deux tentations : dilater des sténoses « simples » qui n'ont pas de retentissement clinique, uniquement parce qu'il les voit (le fameux réflexe oculosténotique) ou, à l'opposé, se lancer dans des dilatations plus complexes, sur une maladie coronaire plus diffuse, au prétexte que les outils actuellement disponibles le permettent, mais sans considérer que les résultats à long terme pourraient être meilleurs avec un traitement chirurgical. En conclusion Les nouvelles recommandations européennes ont d’ailleurs reconnu ce travers (qui est loin d’être exclusivement un mal français) et elles insistent sur la notion d’équipe pluridisciplinaire (« Heart team ») qui doit prendre collégialement les décisions de revascularisation, hors des situations les plus aiguës (typiquement, l’infarctus aigu) ou les plus simples (lésions monotronculaires simples, première resténose, par exemple). Espérons donc que la France saura s’inscrire dans la philosophie des nouvelles recommandations et que l’approche des indications des gestes de revascularisation deviendra maintenant plus collégiale. 

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