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Cardiologie générale

Publié le 23 mar 2004Lecture 11 min

Vingt ans d'évolution des paradigmes en cardiologie

N. DANCHIN, hôpital européen Georges Pompidou, Paris

Les 20 dernières années ont amené des bouleversements considérables dans notre compréhension de la physiopathologie des maladies cardiaques, bouleversements s’accompagnant de changements radicaux de nos pratiques. Sans vouloir passer en revue l’ensemble de notre discipline, certaines évolutions de nos courants de pensée méritent d’être rappelées, qui illustrent l’évolution rapide de notre mode de pensée.

        Pathologie coronaire : du spasme à la rupture de plaque   Fin des années 70, début des années 80 : la période du spasme coronaire La fin des années 70 et le début des années 80 ont été « la période du spasme coronaire », explication centrale du déclenchement des syndromes coronaires aigus. Dans la foulée des travaux d’Attilio Maseri, le spasme était omniprésent : au stade aigu de l’infarctus, il était considéré comme un facteur déclenchant prépondérant ; dans toutes les formes d’angor de repos ou aggravé, le spasme était soit le mécanisme responsable, soit un élément de déstabilisation de la maladie. Simultanément, les antagonistes calciques, médicaments par excellence du spasme, prenaient un essor considérable. Enfin, l’hypothèse du spasme générateur de lésions coronaires « fixées » était avancée avec de nombreux arguments convaincants.   Courant des années 80 : évolution des conceptions Au fil des années, et avec l’utilisation désormais totalement routinière des explorations coronarographiques, puis de l’échographie endocoronaire, la pensée a progressivement évolué, tandis que l’utilisation des antagonistes calciques ne semblait pas permettre une stabilisation de l’évolution de la maladie athéroscléreuse. L’évolutivité de la maladie coronaire n’est plus apparue comme un phénomène linéaire (aboutissant à l’occlusion progressivement de plus en plus marquée de la lumière artérielle), mais bien comme une progression discontinue : les épisodes instables (nouvellement appelés syndromes coronaires aigus) résultant de l’accroissement plus ou moins inopiné du degré de sténose.   Année 90 : ancrage du concept « rupture de plaque » Et s’est développé ainsi, à partir des années 90, le concept de rupture de plaque (liée à une fragilisation de la chape fibreuse recouvrant la plaque), concept popularisé par Peter Libby.   Plus récemment : hypothèse d’érosion Plus récemment, l’accent a également été mis sur la possibilité d’érosion de la plaque, dont les mécanismes initiaux diffèrent de ceux de la rupture, mais qui aboutit à des conséquences analogues : l’accumulation plaquettaire pouvant évoluer soit vers l’occlusion coronaire complète, soit vers une incorporation dans la plaque qui « grossit » alors rapidement ; cette activation des plaquettes qui adhèrent à la brèche pariétale et s’agrègent provoque, en outre, une vasoconstriction artérielle, qui vient en quelque sorte rappeler à notre souvenir l’idée du spasme.       Infarctus du myocarde : le rôle central de la thrombose   1980 : une révolution conceptuelle Pour ce qui est de l’infarctus, la révolution conceptuelle a eu lieu en 1980. Jusque-là, le rôle essentiel de la thrombose était discuté, en particulier aux États-Unis. Les premières angioplasties coronaires étaient d’ailleurs réalisées sans couverture par aspirine. En 1980, étaient publiés dans Circulation les résultats d’une étude anatomo-pathologique réalisée immédiatement au décours d’un infarctus : les auteurs reconnaissaient la présence de thrombus dans l’artère coupable, mais expliquaient doctement qu’il s’agissait forcément de thromboses survenues après le déclenchement de l’épisode aigu, conséquence et non cause du mal.       La thrombose en est le facteur déclenchant Ce n’est que 6 mois plus tard que venait la preuve définitive du rôle déclenchant de la thrombose, grâce à un travail de De Wood qui montrait la présence d’une occlusion coronaire thrombotique quasi systématique sur les coronarographies effectuées lors des toutes premières heures.       Une désobstruction mécanique ou chimique Un peu plus tard, Rentrop montrait la possibilité d’une désobstruction mécanique de l’artère responsable d’un infarctus en utilisant le guide qui avait servi à monter la sonde de coronarographie, puis l’intérêt d’une thrombolyse in situ. Ainsi, les premières études ayant apporté la preuve de l’intérêt de la thrombolyse dans l’infarctus aigu ont-elles réalisées avec la thrombolyse intracoronaire. Et ce sont elles qui ont servi de fondement théorique à l’utilisation de la thrombolyse par voie intraveineuse.   Une nouvelle définition de l’IDM Parallèlement aux progrès réalisés dans le traitement de l’infarctus, l’apparition des nouveaux marqueurs de la nécrose myocardique (troponine Ic et troponine T) a conduit à une redéfinition de l’infarctus, reposant sur l’association d’une augmentation des marqueurs, et soit d’une douleur prolongée, soit d’anomalies électriques. Mais les choses ne sont certainement pas figées et la définition de l’infarctus n’est sans doute toujours pas complètement « stabilisée » à l’heure actuelle.   Athérosclérose   Contrôle lipidique et stabilisation des plaques, inflammation, impact grandissant du diabète Lipides En dehors de la meilleure connaissance de l’évolution de la maladie athéroscléreuse, les concepts sur le rôle des lipides ont considérablement évolué à la suite des essais thérapeutiques avec les statines. L’association entre hyperlipidémie et maladie coronaire était, certes, connue de très longue date, mais l’idée d’une stabilisation de la maladie coronaire grâce à des traitements hypolipémiants n’était pas communément admise, en particulier à cause des essais thérapeutiques non concluants conduits avec certains fibrates. Il a fallu attendre les années 1990 pour que resurgisse véritablement ce concept, à la suite de l’étude 4S, puis des études WOSCOP, CARE et LIPID. Avec les résultats des essais plus récents (ALLHAT, PROSPER, HPS, ASCOT), une relation quasi linéaire a été constatée entre la réduction du risque et la baisse du LDL cholestérol obtenue grâce aux médicaments. Tout récemment, l’étude REVERSAL a permis de constater un parallèle entre la baisse du LDL cholestérol et la stabilisation anatomique de l’athérosclérose coronaire, constatée par échographie endocoronaire, fournissant ainsi un substratum anatomique aux constatations cliniques. Mais en dehors du contrôle lipidique, d’autres facteurs nutritionnels interviennent, comme en attestent les études évaluant l’impact du régime méditerranéen, avec encore d’assez nombreuses incertitudes (par exemple le rôle des apports en oméga-3) qui laissent encore de beaux espoirs pour la recherche clinique dans ce domaine. Inflammation Le rôle de l’inflammation dans le développement commençait tout juste à être évoqué dans le milieu des années 80. Actuellement, l’inflammation est considérée comme un mécanisme central, à la fois du développement des lésions athéroscléreuses, mais aussi de leurs complications. La piste infectieuse (Chlamydia pneumoniae) a suscité un grand engouement il y a quelques années, pour s’éteindre doucement actuellement. Les corrélations entre CRP ultrasensible et pronostic cardio-vasculaire ont été confirmées par de nombreuses études épidémiologiques et les interactions entre CRP et statines font l’objet de nombreux travaux de recherche. Enfin, l’intérêt de traitements anti-inflammatoires commence à être évalué dans des études cliniques.         Diabète Dans les années 80, le diabète était loin des préoccupations des cardiologues et l’infarctus loin de celles des diabétologues. Vingt ans après, il représente un élément central de la problématique cardiologique ; une interrogation Medline note 70 articles sur diabète et infarctus en 1983 et 580 en 2003. Au cours de ces 20 dernières années : - nous avons ainsi appris que le risque cardio-vasculaire du diabétique non coronarien était pratiquement comparable à celui d’un sujet ayant fait un infarctus du myocarde ; - nous savons aussi que l’atteinte coronaire du diabétique est plus diffuse que celle des non-diabétiques ; - enfin, il est dorénavant clair que la prise en charge thérapeutique du diabétique coronarien doit être spécifique. Mais on a encore le sentiment que beaucoup de chemin reste à parcourir dans notre connaissance des interactions entre diabète et cœur, et il ne fait aucun doute qu’avec son petit frère, le syndrome métabolique, le diabète représentera une thématique cardiologique majeure dans les années qui viennent.       Insuffisance cardiaque   Avec le vieillissement de la population et l’amélioration du pronostic des maladies cardiaques causales, l’insuffisance cardiaque est devenue un enjeu de santé publique majeur, imposant des perspectives de prise en charge nouvelles, comme l’hospitalisation à domicile. Les 20 dernières années ont été le théâtre d’une mutation profonde dans notre mode de pensée du traitement de cette pathologie.       Le rôle clef de l’inhibition neurohormonale Il y a 20 ans, les digitaliques et les diurétiques représentaient le traitement de référence et les principaux espoirs étaient placés dans les nouveaux médicaments inotropes positifs. Il a fallu rapidement se rendre à l’évidence : des médicaments capables d’améliorer en aigu les paramètres hémodynamiques s’avéraient délétères au long cours. Les digitaliques eux-mêmes ne paraissaient plus avoir toutes les vertus dont ils étaient initialement parés. À l’inverse, deux catégories de traitements allaient devenir les références dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. La révolution des IEC : leurs effets hémodynamiques bénéfiques étaient tout juste explorés au début des années 80. La décennie qui a suivi a permis de documenter de façon formelle leur impact favorable au long cours, en termes de morbi-mortalité. Les bêtabloquants : quand les contres-indications deviennent des indications. Les bêtabloquants ont longtemps été considérés comme contre-indiqués dans l’insuffisance cardiaque ; en 1983, seuls 13 articles évoquaient le lien entre les deux et un article de Waagstein et des auteurs suédois (Beta-blockers and dilated cardiomyopathies : they work) faisait alors office de précurseur visionnaire. Vingt ans plus tard, 283 articles évoquaient cette thématique et, entre les deux, les bêtabloquants étaient devenus l’un des traitements majeurs de l’insuffisance cardiaque, quelle qu’en soit l’étiologie.   L’insuffisance cardiaque diastolique L’IC diastolique était déjà considérée comme une pathologie importante au début des années 80 ; 20 ans après, elle reste une préoccupation véritable, mais peu de progrès réels ont été accomplis pour ce qui est de sa prise en charge et on ne peut qu’espérer que les 20 prochaines années seront plus « productives » dans ce domaine.       La resynchronisation ventriculaire Il y a tout juste 10 ans, naissait l’idée de la resynchronisation ventriculaire chez les patients insuffisants cardiaques ayant des troubles conductifs auriculo-ventriculaires ou intraventriculaires. Les premières études ont validé le concept en montrant une amélioration des paramètres hémodynamiques. Les études plus récentes montrent une amélioration concomitante des paramètres fonctionnels. Enfin, le couplage au défibrillateur implantable paraît être une voie thérapeutique prometteuse, qui était bien sûr totalement inimaginable il y a 20 ans.       Rythmologie   Le médicament de l’extrasystole peut tuer plus que l’extrasystole elle-même, ou : mieux vaut guérir la complication que tenter de la prévenir… Les troubles du rythme ventriculaire étaient déjà considérés comme des marqueurs de gravité il y a 20 ans. Les médicaments Comme dans le cas de l’insuffisance cardiaque avec l’amélioration hémodynamique due aux inotropes positifs, les antiarythmiques qui permettaient une réduction des troubles du rythme constatés sur les enregistrements Holter paraissaient offrir des perspectives thérapeutiques prometteuses ; avec les résultats, en 1989, de l’étude CAST, il est apparu clairement que les critères de jugement intermédiaires (surrogate endpoints) ne pouvaient pas suffire pour valider l’efficacité d’un traitement en termes de morbi-mortalité. La défibrillation Faute de pouvoir gommer sans danger les troubles du rythme, et en raison des progrès de la technologie, les efforts se sont portés, au cours des années 90, sur le traitement a posteriori de leurs complications les plus graves, tachycardie ventriculaire et fibrillation ventriculaire, au moyen des défibrillateurs implantables. L’amélioration du pronostic vital grâce à ces nouveaux outils a été confirmée dans plusieurs études aux résultats concordants et les défibrillateurs font désormais partie du paysage cardiologique quotidien, même si la France demeure encore à la traîne des grands pays industrialisés à cet égard.   Thérapie génique, thérapie cellulaire   La thérapie génique, terme magique du début des années 90, n’a pas été, jusqu’à présent, à la hauteur des espérances que certains y plaçaient. Les maladies cardio-vasculaires « communes » (maladie athéroscléreuse, hypertension artérielle, etc.) sont à l’évidence des maladies génétiquement complexes, où interagissent des gènes protecteurs et des gènes de susceptibilité.       Méthodologie : des méga essais prospectifs aux registres   La partie émergée de l’ « iceberg » La fin du XXe siècle a vu l’apogée des grands essais thérapeutiques prospectifs, piliers de la médecine fondée sur les preuves. De nombreuses études, à partir des essais ISIS et GISSI, ont inclus des milliers, voire des dizaines de milliers de patients. Elles ont apporté des renseignements essentiels qui ont guidé notre démarche thérapeutique depuis lors. Mais on peut penser que ce type d’études a maintenant atteint ses limites. Avec la réduction constante de la mortalité des maladies cardio-vasculaires, les populations nécessaires pour pouvoir démontrer de façon statistiquement significative la supériorité d’un nouveau traitement par rapport aux traitements de référence atteignent des dimensions astronomiques, rendant les études presque impossibles à mettre en œuvre. En même temps, les conditions d’inclusion dans de tels essais sont obligatoirement restrictives, si bien que seule une petite fraction de la population cible participe effectivement aux études.       Les registres ou la « vraie vie »   C’est la raison pour laquelle des méthodes d’évaluation alternatives et complémentaires se sont mises en place au cours des dernières années, avec le développement des registres qui permettent d’observer les conditions de prise en charge des patients « dans le monde réel ». Même si les conclusions tirées de tels registres ou observatoires n’ont pas la rigueur des essais prospectifs randomisés, les enseignements qu’ils fournissent sont considérables et viennent conforter ou parfois nuancer les conclusions apportées par les études randomisées classiques. Il y a fort à parier que les registres vont continuer à se développer au cours des prochaines années, avec une méthodologie en amélioration constante.       Des critères de substitution ? Il est possible également que de nouveaux médicaments soient mis sur le marché après des études prospectives de taille « intermédiaire » portant sur des critères de substitution validés, et que la pertinence de ces nouveaux traitements soit ensuite évaluée sur le terrain, dans des registres prospectifs ; une telle démarche devrait permettre la poursuite de la recherche pharmacologique dans notre discipline.       En conclusion   Vingt ans de progrès, 20 ans d’évolution rapide de notre pensée, alimentée par une recherche fondamentale toujours plus performante, mais aussi par l’évolution des technologies qui nous permettent d’apprécier avec toujours plus de précision les phénomènes biologiques les plus intimes. Vingt ans qui nous rappellent aussi que la science doit savoir rester modeste : la vérité d’aujourd’hui n’est jamais celle de demain !

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