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Chirurgie

Publié le 12 déc 2006Lecture 7 min

Les plaies du cœur

P. DONZEAU-GOUGE, institut Jacques Cartier – I.C.P.S., Massy

Les plaies du cœur représentent « l’urgence des urgences ». Leur traitement a longtemps été considéré comme irréalisable ; ainsi Billroth déclarait en 1881 que « tenter de suturer une plaie cardiaque doit faire perdre l’estime de ses confrères ». Néanmoins, en 1896, le chirurgien allemand L. Rehn réalisa avec succès la première suture d’une plaie du ventricule droit. Les plaies du cœur sont faites par armes blanches (poignard, stylet, pic à glace, aiguille à tricoter, tournevis…) ou par balles (pistolet, fusil, éclats de missiles…).

    Le ventricule droit au premier plan Dans les plaies par armes blanches, la cavité ventriculaire droite est le plus souvent atteinte isolément dans 35 % des cas, le ventricule gauche isolément dans 25 % des cas et l’oreillette droite beaucoup plus rarement. Cependant, dans 30 % des cas la plaie intéresse plusieurs cavités cardiaques. D’autres structures peuvent être lésées comme les artères coronaires, les valves cardiaques ou les gros vaisseaux intrapéricardiques (principalement l’aorte ascendante et le tronc de l’artère pulmonaire). Les plaies du cœur par balles peuvent léser les mêmes structures mais de façon beaucoup plus délabrante car aux lésions créées par la balle elle-même s’ajoutent celles engendrées par la migration de fragments osseux animés d’une énergie propre dispensée par la balle.   Une extrême urgence Quelle que soit la nature de l’arme et l’importance des lésions, tous les auteurs s’accordent sur la nécessité de raccourcir au maximum le temps entre la prise en charge du blessé et la thoracotomie. Même quand ce temps est inférieur à une demi-heure, la mortalité atteint 74 % pour les plaies par armes à feu et 63 % pour les plaies par armes blanches. Pour cette raison, le blessé doit être conduit dans la structure chirurgicale qui puisse le prendre en charge la plus proche. Il faut savoir que moins de 8 % des plaies du cœur opérées nécessitent une circulation extracorporelle immédiate.   À l’admission : faire le diagnostic Le blessé arrivé aux urgences, le diagnostic de plaie du cœur est évoqué d’après les circonstances du traumatisme, la nature, voire la présence de l’agent vulnérant et dans ce cas il doit être laissé en place jusqu’à l’ouverture du péricarde. La reconstitution mentale du trajet de l’agent vulnérant est facile pour les armes blanches, plus difficile pour les armes à feu dont la balle peut avoir été directement transfixiante mais peut aussi avoir eu un trajet très atypique. Le plus célèbre trajet atypique d’une balle est décrit dans le rapport Warren à propos de l’assassinat du président J-F. Kennedy. La balle n°3 « tirée » par L.-H. Hoswald toucha dans le dos le président puis blessa en plusieurs endroits (épaule droite, poumon droit, poignet droit et cuisse gauche) le gouverneur Connally qui était assis devant lui. La balle peut aussi demeurer au sein d’une cavité cardiaque. Anatomiquement, l’aire de projection du cœur sur la paroi thoracique antérieure est un quadrilatère dont les angles supérieurs sont situés dans le deuxième espace intercostal (EIC) à 1 cm de part et d’autre du sternum. L’angle inférieur droit est situé dans le 6e EIC à 1 cm du sternum et l’angle inférieur gauche est situé dans le 5e EIC à 8 cm de la ligne médiane. À l’arrivée en salle d’urgence : quel traitement ? À l’arrivée en salle d’urgence, la situation clinique va dicter la stratégie thérapeutique. Lorsque le blessé est inconscient, sans signes vitaux évidents, ou semi-conscient avec un tirage respiratoire, un pouls filant, une pression artérielle imprenable, le pronostic est sombre. Il faut réaliser une thoracotomie immédiate de ressuscitation en salle d’urgence même. C’est l’ «emergency room thoracotomy» des Anglo-Saxons. Si le patient est en état de choc avec des signes vitaux et un tableau de tamponnade, il doit être conduit immédiatement en salle d’opération. Certains réalisent en salle d’urgence une ponction péricardique évacuatrice. L’évacuation de 40 à 50 ml de sang suffit souvent à améliorer l’hémodynamique, au moins temporairement, le temps du transfert au bloc opératoire. Si le patient a une hémodynamique correcte, on peut se donner le temps d’une échocardiographie si elle est disponible en urgence. C’est l’examen clé pour faire le diagnostic lésionnel. Au bloc opératoire — ou en salle opératoire d’urgence quand elle existe — les mesures de ressuscitation sont entreprises, dont certaines réalisées avant l’arrivée à l’hôpital. Une ETO pourra éventuellement être réalisée selon l’état du blessé. On y parviendra par l’une des deux voies d’abord dont le choix est conditionné par la structure d’admission du blessé. Si celui-ci a été admis dans un service de chirurgie cardiaque et/ou thoracique et/ou vasculaire, le chirurgien pourra aborder le cœur par une sternotomie médiane car il dispose du matériel et a l’habitude de cette voie d’abord. Cependant, le plus souvent, le blessé est reçu dans une unité de chirurgie viscérale et dans ce cas la voie d’abord de la cavité péricardique la plus rapide et la plus aisée est une thoracotomie antéro-latérale gauche, sous-mammaire, dans le 4e espace intercostal gauche. Le péricarde est ouvert, le sang est aspiré et les caillots évacués. L’hémodynamique s’améliore immédiatement. Le bilan des lésions cardiaques va être réalisé dès l’évacuation des caillots qui ont assuré l’étanchéité de la brèche cardiaque et permis la survie du blessé jusqu’à la salle d’opération. • Une brèche ventriculaire, le plus souvent droite, sera comprimée digitalement avant d’être suturée par un ou plusieurs points en U renforcés par des bandelettes de Téflon®. Si la dilacération est plus importante, on pourra aveugler la brèche ventriculaire à l’aide d’un patch suturé à distance de cette brèche et renforcé par de la colle biologique injectée entre la paroi ventriculaire et le patch synthétique ou péricardique. • Une plaie de l’oreillette droite pourra être contrôlée par un clamp puis suturée de même qu’une plaie de l’aorte ascendante ou du tronc de l’artère pulmonaire. • Une plaie ventriculaire près d’une artère coronaire sera contrôlée par des points en « U » dont les deux brins passeront au dessous de l’artère. Une plaie d’une artère coronaire pourra être contrôlée par suture ou ligature et la distalité de l’artère revascularisée par un pontage. • En ce qui concerne les structures intracardiaques : valve tricuspide plus fréquemment que mitrale, valve aortique ou septum interventriculaire, la réparation ne peut être réalisée que sous circulation extra-corporelle. De la disponibilité de celle-ci, selon la structure d’accueil du blessé, dépendra le moment de la réparation. Avant la fermeture du thorax, on s’assurera que les structures de voisinage n’ont pas été intéressées : les plèvres seront ouvertes au moindre doute pour inspecter les poumons et le trajet des artères mammaires, une plaie du diaphragme imposera une exploration des viscères intra-abdominaux par laparotomie.   À la sortie de l’hôpital Dans les suites opératoires et à distance, le blessé devra bénéficier d’une surveillance cardiologique qui pourra mettre en évidence secondairement une déhiscence septale le plus souvent ventriculaire, une insuffisance valvulaire par atteinte du tissu des valves ou de l’appareil sous-valvulaire, ou encore une atteinte coronaire. Si les résultats globaux de mortalité, déjà cités, des plaies du cœur ne sont pas très favorables ; en revanche, quand les blessés arrivent vivants à l’hôpital, on compte 80 % de survivants chez les blessés par armes blanches mais seulement 40 % de survivants chez les blessés par armes à feu.   La chirurgie à distance… Ces plaies du cœur donnent souvent lieu à des anecdotes parfois heureuses et drôles. C’est ainsi que 16 ans avant que J. Marescaux ne réussisse l’intervention Lindbergh en opérant, depuis New-York, via satellite et un robot, une patiente en salle d’opération à Strasbourg de cholécystectomie, nous avons été amenés, en dialoguant par téléphone avec les anesthésistes, à guider un chirurgien viscéral à opérer avec succès une plaie du ventricule droit par arme blanche. La dernière plaie du cœur que nous ayons opérée concerne un jeune homme de 17 ans qui au cours d’une violente discussion nocturne avec son père dans leur cuisine, faute de disposer d’un tantõ (sabre court japonais) et de la culture traditionnelle du seppuku (argotiquement hara-kiri), s’est saisi d’un couteau de cuisine qu’il s’est planté dans le thorax. Le SMUR appelé en urgence a voulu transporter le disciple de Y. Mishima dans le centre chirurgical susceptible de l’opérer le plus proche. Les deux centres contactés étant occupés par des urgences, nous avons reçu le blessé après 45 kilomètres de transport. Le patient livide et conscient a été conduit directement au bloc opératoire. Après avoir réalisé une sternotomie, le péricarde a été ouvert, un doigt chirurgical s’est substitué au couteau qui a pu être enlevé. La brèche ventriculaire droite a été contrôlée par suture et colle biologique. Le patient a eu des suites simples. Nous n’avons pas su lorsqu’il a repris, plus tard, la discussion paternelle, s’il imita Eamon de Valera, premier Président de la République d’Irlande, qui fut arrêté en plein discours et condamné à une année de prison. Lorsqu’il fut relâché, il commença ainsi son premier discours : « comme je le disais avant d’être interrompu si brutalement… ».   En conclusion   Les plaies du cœur représentent « l’urgence des urgences » et doivent être traitées dans la structure chirurgicale la plus proche susceptible de les prendre en charge. Leur pronostic est lié à la nature de l’agent vulnérant – les armes blanches créent moins de lésions que les armes à feu – et surtout à la rapidité du transfert. Le pronostic est directement lié au temps qui sépare la prise en charge du blessé de l’ouverture du péricarde. Si le blessé arrive vivant en salle d’opération, il a de bonnes chances de survivre (80 % pour les blessés par armes blanches mais seulement 40 % pour les blessés par armes à feu).

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