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Prévention et protection

Publié le 25 jan 2011Lecture 8 min

Prévention primaire et prévention secondaire : quelles différences ?

J. FERRIERES, CHU Rangueil, Toulouse

La prévention ne fait pas partie du mode de pensée classique du cardiologue. En effet, toutes nos études et notre formation ont été centrées sur la résolution de problèmes liés à un symptôme d’appel émis par le patient. La sémiologie nous a appris à reconnaître les signes et les symptômes des différentes maladies et nous sommes appelées à traiter les maladies avérées. Cette approche est très adaptée aux pathologies aiguës ainsi qu’aux maladies infectieuses. Il faut bien se remémorer qu’il y a quelques siècles, il n’y avait pas de maladies chroniques et que seules les épidémies et la famine dominaient la scène. On pourrait avoir une vision très critique de la médecine actuelle en traduisant le proverbe chinois de la figure ci-contre(1). En fait, la situation n’est pas aussi caricaturale car le cardiologue dans sa consultation journalière essaie à la fois de faire de la prévention et du traitement bien que cela ne soit pas très aisé en raison de la charge de travail.

Les définitions admises universellement De manière générale, il existe trois formes de prévention différentes : la prévention primaire, la prévention secondaire et la prévention tertiaire (figure 1)(2). La prévention tertiaire est tournée vers la gestion du handicap. Il s’agit donc d’une approche thérapeutique qui est un petit peu éloignée de la pratique de la cardiologie courante car elle nécessite l’intervention de nombreux acteurs de santé qui interviennent au domicile du patient ou sur le lieu de son activité professionnelle. Ainsi, avec l’aide du médecin du travail, il pourra y avoir une adaptation du poste de travail au handicap du patient et avec l’aide des services sociaux, le domicile du patient pourra être aménagé afin qu’il puisse y vivre plus convenablement. La prévention secondaire concerne des patients qui présentent une maladie avérée qui est diagnostiquée ou qui peut ne pas l’être. Figure 1. Les différentes formes de prévention. Dans ce dernier cas, c’est tout l’intérêt du dépistage qui permet de repérer des cas avérés de maladie qui n’aurait pas été diagnostiqués si le test de dépistage n’avait pas été entrepris. La prévention secondaire concerne également des malades chez lesquels on veut éviter une rechute ou une aggravation de leur forme clinique. La prévention secondaire fait donc appel à l’ensemble des thérapeutiques médicamenteuses et chirurgicales afin de stopper ou de ralentir la progression de la maladie. La prévention primaire s’adresse à l’ensemble de la population générale puisque nous sommes tous à risque de développer la maladie en question. La prévention primaire peut essayer de corriger des modes de vie ou des expositions à risque comme la présence de facteurs de risque reconnus de la maladie athéroscléreuse. Les rythmologues utilisent souvent le terme de prévention primaire alors qu’il s’agit de malades porteurs de maladie cardiovasculaire avancée. Les rythmologues utilisent ce vocable pour signifier qu’ils veulent éviter le premier épisode de troubles rythmiques graves chez un patient donné. Il s’agit donc dans ce cas précis de diminuer l’incidence de troubles du rythme sévères et non pas de prévention primaire. Comme souvent en médecine, le terme de prévention primaire est resté alors qu’il n’est pas approprié à cette situation de prévention secondaire. Les frontières de la prévention en pratique quotidienne Les limites de la prévention primaire en pathologie cardiovasculaire sont souvent difficiles à cerner. Comme le disent souvent les malades ayant fait un infarctus du myocarde, ils étaient en parfaite forme la veille de leur accident coronaire aigu. Un dépistage approprié aurait peut-être pu leur éviter cet événement aigu en mettant en évidence une maladie coronaire avérée dans une forme préclinique. La cardiologie moderne propose toute une série d’examens anatomiques performants permettant d’évoquer la présence d’une maladie coronaire avérée. C’est le cas du scanner coronaire ou de l’IRM cardiaque qui peuvent déceler des plaques d’athérosclérose coronaire ou des cicatrices d’infarctus du myocarde alors que le patient n’a jamais eu de symptômes. C’est aussi le cas de la médecine vasculaire qui peut mettre en évidence des plaques d’athérosclérose ou des sténoses significatives au niveau des différents axes vasculaires alors que le patient n’a pas de symptômes connus. Au niveau international, on considère qu’un patient est en prévention primaire lorsque l’ensemble de l’interrogatoire, de l’examen clinique et des examens qu’il a réalisés ne permettent pas de conclure à la présence d’une pathologie cardiovasculaire. Si le patient se présente avec un dossier comportant des plaques carotidiennes ou aortiques avérées, on peut en conclure qu’il est à risque cardiovasculaire supérieur mais aucun essai clinique n’a montré à ce jour que l’intensification du traitement préventif chez ce sujet particulier permettra d’être plus performant que si l’on applique les recommandations actuelles basées sur la présence de facteurs de risque traditionnels. En pratique, un patient sans symptôme clinique ancien ou actuel doit être considéré comme un patient en prévention primaire. Le poids respectif de la prévention primaire et secondaire dans l’évolution de la mortalité Lors de l’ouverture des soins intensifs cardiologiques dans les années 1960-70 ou quand le défibrillateur a commencé à être utilisé par les cardiologues et les réanimateurs, il est certain que le traitement intensif et aigu de la maladie coronaire a sauvé des millions de vie. La diffusion progressive de la fibrinolyse, des anticoagulants, de l’angioplastie coronaire et du pontage aorto-coronaire ainsi que toutes les thérapeutiques de prévention secondaire a permis de diminuer considérablement la mortalité à la phase aiguë et chronique de la maladie coronaire. Cependant, ces traitements remarquablement efficaces ne peuvent avoir d’effet au niveau de la population générale que s’ils sont suffisamment diffusés et suffisamment utilisés chez les patients les plus à risque. De nombreux auteurs dans les pays développés ont calculé la part respective de la prévention primaire et de la prévention secondaire dans l’évolution de la mortalité coronaire dans les années les plus récentes(3). On est très surpris par les résultats obtenus qui apparaissent dans la figure 2. Figure 2. Pourcentages de diminution de la mortalité coronaire attribuée aux traitements ou à l’évolution des facteurs de risque dans différentes populations. D’un pays à l’autre, on constate que les résultats sont globalement similaires avec un impact du contrôle des facteurs de risque qui est supérieur à la mise en route des traitements vis-à-vis de l’évolution de la mortalité coronaire. Ces différents résultats viennent d’être confirmés dans un article paru très récemment où des calculs ont été faits au niveau de la province d’Ontario au Canada (4). Au Canada, de 1994 à 2005, 48,3% de la baisse de la mortalité coronaire est expliquée par l’évolution des facteurs de risque alors que l’ensemble des thérapeutiques de la maladie coronaire aiguë ou chronique explique 42,6 % de la baisse de la mortalité coronaire. Plus précisément, 0,7 % de la baisse est expliqué par la mise en route de l’angioplastie primaire à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde et 1 % de la baisse de la mortalité coronaire est imputable à l’angioplastie et à la chirurgie coronaire dans la maladie coronaire stable. En d’autres termes, les traitements aigus sauvent beaucoup de vies mais la mise en route des mesures préventives en population générale a un effet largement supérieur dû à la diffusion de ces thérapeutiques à un nombre beaucoup plus important de sujets à risque. Un autre mode de présentation des résultats consiste à calculer l’impact des différentes mesures de prévention selon les stades de la maladie. Avec ce mode de présentation (figure 3), on comprend mieux l’impact relatif des mesures qui sont prises uniquement vis-à-vis de la phase aiguë(5). Les arrêts cardiaques extrahospitaliers constituent une source très importante de décès car ces décès surviennent en général en dehors de toute possibilité de réanimation cardio-pulmonaire. Les formes aiguës de la maladie coronaire constituent une part importante de la mortalité. Cependant, ce sont les patients chroniques qui constituent les plus grandes sources de mortalité évitable et c’est surtout les sujets asymptomatiques qui sont les plus gros pourvoyeurs de décès. Par conséquent, les mesures préventives qui ont le plus de chances d’avoir une efficacité populationnelle sont celles qui s’adressent aux sujets à risque et non pas aux sujets malades dans les formes aiguës. De toute façon, les sujets ayant une présentation aiguë de leur maladie cardiovasculaire seront amenés à consulter alors que les sujets à très haut risque pourtant apparemment sains, risquent de décéder de manière subite alors qu’ils n’auront pas eu l’opportunité de consulter. Figure 3. Morts (barres vertes) et morts qui pourraient être prévenues ou retardées grâce aux différentes interventions (barres bleues) pour les différents états des différents patients. Toutes ces publications ne visent pas à minimiser le travail des cardiologues qui pratiquent l’urgence ou les mesures invasives mais simplement à replacer les mesures thérapeutiques dans leur contexte qui est celui de la société. Il vise aussi à faire comprendre que le traitement aigu est ponctuel alors que l’on s’adresse à une maladie chronique dont le traitement, par essence, doit être continu. Enfin, le traitement qui s’adresse à des patients à risque a plus de chances d’être efficace à long terme car il s’agit de formes mineures de la maladie. Traiter un patient lourd avec une altération sévère de la fonction ventriculaire gauche repousse la mort de quelques mois à quelques années mais ne saurait en aucun cas être la meilleure façon d’allonger son espérance de vie. Faire le lien entre la cardiologie et la société L’emploi du temps du cardiologue est bien chargé et les besoins sont immenses. Faire de la prévention primaire ou secondaire nécessite beaucoup de temps, souvent des interactions avec la famille et idéalement, des interventions ponctuelles sur le milieu de vie. Le tabac, l’exercice physique et la nutrition sont probablement les meilleures armes du cardiologue vis-à-vis du patient de demain. Dans la figure 4, on trouve des recettes qui paraissent futiles mais qui ont probablement un rôle majeur au niveau du risque cardiovasculaire populationnel(6). C’est quand même une ironie de l’histoire de la cardiologie moderne que nos collègues nord-américains reconnaissent les bienfaits de notre nutrition et de notre mode de vie français. Vu sous une autre perspective, cela signifie que le meilleur avocat de la nutrition et des modes de vie sains est probablement le cardiologue. Le médecin spécialiste ne doit pas se réfugier derrière la technique car le patient peut croire que les efforts personnels sont inutiles si des traitements modernes sont à notre disposition. Le cardiologue sortira grandi s’il fait corps avec la société dans laquelle il vit. Mieux manger pour prévenir Il est recommandé de manger doucement et en présence d’autres personnes et seulement à table. Le concept de repas en tant qu’outil de communication et de culture sonne juste et peut très bien être une explication majeure au « Paradoxe Français ».

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