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Explorations-Imagerie

Publié le 16 mar 2004Lecture 10 min

Du bon usage des tests - L'exemple des D-dimères

G. LAIRY, Centre hospitalier Sud-Francilien, Corbeil-Essonnes

La maladie thromboembolique (MTE) est une maladie sournoise, tant dans son expression veineuse que pulmonaire. Les phlébites profondes peuvent se révéler par des signes extrêmement préoccupants (phlegmatia cœrulea dolens), mais aussi passer totalement inaperçues, comme l’ont montré les recherches systématiques (postopératoires ou après voyage aérien).

Par ailleurs : « quand on pense à l’embolie pulmonaire, on n’y pense pas encore assez ». En effet, une embolie doit être suspectée devant une perte de connaissance brutale, mais aussi devant une simple fièvre inexpliquée. L’embolie pulmonaire peut aussi passer totalement inaperçue, notamment chez « le cardiaque », comme en témoignent les contrôles anatomiques de séries de patients décédés. La situation du médecin est d’autant plus délicate que l’absence de diagnostic précoce peut être très lourde pour le pronostic du patient et que le traitement probabiliste n’est pas non plus sans risque. L’absence de signe ou de syndrome pathognomonique de la MTE et l’abondance relative des moyens diagnostiques obligent à adopter une démarche raisonnée. Il serait, en effet, tout à fait inutile, dangereux et coûteux d’utiliser, dans un ordre aléatoire, tous les examens paracliniques existants. Certains sont simples et disponibles en routine, mais d’autres supposent l’existence de plateaux techniques… accessibles. C’est la clinique qui, associée à l’analyse critique des résultats obtenus au fur et à mesure d’un algorithme, doit aboutir à une probabilité suffisante pour décider ou non d’un traitement. C’est dans ce contexte que l’arrivée des dosages des D-dimères a apporté un grand espoir, mais a aussi donné lieu à de nombreuses erreurs d’interprétation. Ce test s’inscrit en réalité dans une analyse décisionnelle illustrant bien l’intérêt du raisonnement bayesien.   Que sont les D-dimères ?     Cas clinique Vous recevez un patient de 45 ans, cadre dynamique, venant d’effectuer un voyage par avion vers la Côte Est des États-Unis. Il n’a pas d’antécédent particulier et ne fume pas. Il existe un surmenage certain et ce patient se plaint d’une dyspnée d’effort récente qu’il juge invalidante. L’examen clinique, en particulier des membres inférieurs, est normal en dehors d’une tachycardie à 105 par minute, au début de l’enregistrement de l’électrocardiogramme qui, par ailleurs, est normal. De nombreux articles sont publiés sur les risques thromboemboliques des voyages aériens ; vous suspectez une embolie pulmonaire, mais demander une scintigraphie de ventilation-perfusion ou un scanner spiralé paraît excessif. Le dosage des D-dimères est possible dans le laboratoire du quartier. Est-ce une bonne solution ?    Ce que recouvre l’appellation D-dimères Lors de la formation d’un caillot, la thrombine transforme le fibrinogène en fibrine. Les monomères de fibrine se polymérisent spontanément. Le facteur XII activé réunit deux domaines « D » pour aboutir à la formation d’un caillot solide de fibrine. Des sites « monomère – D-D – monomère » sont des sites antigéniques (appelés communément D-dimères) et sont libérés dans la circulation sous l’effet de la plasmine, lorsque débute la lyse naturelle et spontanée du caillot. La présence de D-dimères circulants témoigne donc, en toute rigueur, de la thrombolyse plus que de la thrombogenèse. Enfin, l’appellation de « D-dimères » est abusive, car il s’agit en réalité d’un mélange de produits de taille variable (dimères, trimères, tétramères, etc.). Cette précision n’a pas seulement un intérêt scientifique, mais explique aussi la variation de réactivité, selon la proportion de chaque produit, des divers anticorps utilisés pour la recherche des D-dimères. Technique de mesure La technique actuellement reconnue, dite ELISA de deuxième génération (enzym-linked immunosorbent assay), remplace la version classique qui a elle-même remplacé la technique au latex. À la suite de contrôles de qualité, une mise au point de l’AFSSAPS a été faite début 2001 pour recommander l’abandon de ces tests manuels au latex, dans le diagnostic d’exclusion de la MTE. Situations cliniques d’élévation des D-dimères Les D-dimères à un taux de plus de 500 µg/l dans la recherche d’une MTE est en faveur du diagnostic (vrais positifs), mais d’autres situations (faux positifs) peuvent donner une élévation : ce sont les coagulations intravasculaires disséminées, la menace de toxémie gravidique, mais aussi une grossesse normale et surtout une tumeur maligne solide, notamment métastatique, une infection, une nécrose ou une inflammation profonde, une chirurgie récente, avec ou sans hématome et, enfin, l’âge > 70 ans. Pour certains auteurs, ce dosage serait intéressant au cours de la surveillance du traitement des thromboses veineuses profondes, pouvant aider dans la décision de l’arrêt des anticoagulants. D’autres ont pu démontrer sa valeur dans l’exclusion de thromboses veineuses cérébrales chez des sujets jeunes céphalalgiques. Seule la recherche initiale, à visée diagnostique, dans la maladie thromboembolique sera retenue ici.   Valeur du test « D-dimères »     La première étape avant l’utilisation d’un test est d’avoir la connaissance, dans des circonstances voisines de celles dans lesquelles le praticien se trouve, de la capacité du test à distinguer les patients malades de ceux qui ne le sont pas. Cette capacité se mesure par rapport à un autre examen considéré comme la référence en la matière (le gold standard). Elle s’exprime par la sensibilité (proportion de patients atteints de la maladie considérée et correctement dépistés par le test) et la spécificité (nombre de patients bien classés comme non malades, par le même test).   • À partir de nombreux essais en situation réelle, il semble qu’au seuil de 500 µg/l, la sensibilité du test « D-dimères ELISA rapide » dans la recherche d’une EP est d’environ 98 % et sa spécificité de 40 %. • Ces valeurs sont respectivement de 87 et 57 % pour les thromboses veineuses profondes.           Qu’indiquent ces valeurs ? Elles expriment le fait que, sur 100 patients ayant une MTE, 98 sont identifiés par la recherche des D-dimères et qu’à l’inverse, sur 100 patients indemnes de MTE, 60 auront des D-dimères supérieurs au seuil de 500 µg/l. VPP et VPN Chez un patient dont l’état évoque le diagnostic de MTE, ces chiffres bruts sont en réalités de peu d’utilité, puisqu’en l’occurrence, la certitude de la maladie n’existe pas. Ce qui intéresse le clinicien, c’est d’avoir une idée de la probabilité de la maladie devant un test positif ou négatif. Ces probabilités après le test (tableau 1) sont la valeur prédictive positive (VPP) ou négative (VPN – probabilité de ne pas avoir la maladie lorsque le test est négatif). Le complément de cette dernière (1-VPN) est donc la probabilité de l’existence de la maladie, malgré un test négatif.    Valeur de VPP et VPN Une troisième étape doit déterminer le domaine de probabilités (autrement dit la valeur des VPP et VPN) qui sera utile dans la prise en charge du patient.         Accepte-t-on qu’une probabilité post-test < 5 % se traduise par l’arrêt des recherches et l’absence de traitement ? Autrement dit, accepte-t-on le principe de ne pas diagnostiquer la maladie, qui va continuer à évoluer, dans 5 cas sur 100 ? Considère-t-on qu’une probabilité de 75 ou 90 % est suffisante pour arrêter (ou ne pas déclencher) les investigations et engager un traitement ?     Comment évaluer le test « D-dimères » ?     La première évaluation est celle de la probabilité a priori de ce diagnostic dans une population correspondant au profil du patient considéré. Elle peut se faire sur le « bon sens clinique » mais il est difficile de le quantifier. On peut surtout s’aider de travaux effectués dans ce contexte. Wells (Clin Chest Med 2003) propose l’utilisation de scores selon une liste de critères purement cliniques (tableau 2). À partir du score obtenu, il est possible de classer le patient dans un niveau de risque faible, moyen ou élevé et de le traduire en probabilités. C’est cette probabilité qui va servir dans la deuxième phase du raisonnement.         Comment calculer la probabilité de la maladie ?   Il existe plusieurs moyens selon le résultat du test. • Le plus immédiat est de se servir de la matrice du tableau 1 et de simuler avec une population fictive (de 1 000 cas par exemple) le calcul des effectifs de chaque case à l’aide des qualités du test (sensibilité et spécificité) et après avoir déterminé l’effectif a priori des malades (1 000 fois la probabilité obtenue au stade précédent). Un exemple est donné par le tableau 3.         • Il est aussi possible d’utiliser les notions de « likelihood ratio » et « d’odds », comme cela est très bien décrit dans les ouvrages traitant de la décision médicale (Grenier B. Décision médicale. Paris : Masson, 1990 : 97). Cette dernière méthode permet d’effectuer rapidement les calculs pour différentes probabilités a priori et de visualiser rapidement les différentes situations (figure). Cette présentation graphique met particulièrement bien en évidence l’intérêt d’une recherche négative des D-dimères dans la réduction de probabilité et son faible apport lorsqu’elle est positive.          Valeur prédictive positive (VPP) et 1-valeur prédictive négative (1-VPN) selon la probabilité a priori, après test aux D-dimères.          Dénouement du cas clinique Selon les travaux de Wells, notre cadre a un score de 1,5. La probabilité d’une embolie pulmonaire est faible, estimée selon cet auteur à 10 %. Par ailleurs, le praticien estime qu’une probabilité d’embolie ≤ 2 % (ce seuil peut varier selon la tolérance au risque du médecin) est suffisante pour stopper les recherches et rassurer le patient. La recherche des D-dimères, dans ce cas, fournit une probabilité posttest de 15 % en cas de positivité et de 1 % en cas de négativité. La valeur prédictive négative du test est donc utile et l’examen peut être demandé.   Commentaires Contrairement à ce qui est parfois écrit, un test négatif à la recherche de D-dimères n’exclut pas l’existence d’une MTE. Le raisonnement n’est vrai que si la probabilité a priori est faible (< 15 % avec le test ELISA rapide [figure]). Si le praticien a l’intime conviction clinique qu’une embolie pulmonaire est très vraisemblable, il doit orienter les recherches sans utiliser le test. Dans notre cas clinique, si l’immobilisation pendant le voyage avait été prise en compte dans le calcul du score (ou s’il y avait un antécédent de phlébite), la recherche de D-dimères pourrait être considérée comme inutile. Des algorithmes ont été proposés dans cette optique (Kearon. CMAJ 2003). La démarche vue ici à propos des D-dimères peut être généralisée à l’ensemble des tests paracliniques utilisés en cardiologie. On peut citer, parmi les plus anciens, l’électrocardiogramme d’effort et la scintigraphie myocardique, mais les plus récents (dosage de troponine, de BNP ou échographie de stress) n’échappent pas à une utilisation raisonnée, en raison de l’absence de sensibilité et de spécificité à 100 %. Le schéma exposé peut aussi être appliqué à l’aptitude d’un praticien à se conformer à des recommandations (issues de la médecine fondée sur des preuves, par exemple celles concernant la recherche de déficits protéiques et/ou une atteinte génétique devant une MTE). Le praticien devient lui-même le test et l’audit de ses dossiers permet de mettre en évidence sa sensibilité (la proportion de cas dans lesquels la recommandation a été appliquée) et sa spécificité (pourcentage de dossiers dans lesquels on constate que le traitement ou l’examen n’ont pas été utilisés, conformément à la recommandation). La somme des « vrais positifs et vrais négatifs » rapportée au nombre de dossiers donne une idée de la performance du praticien quant au respect de cette recommandation. Ce qui a été vu pour un test isolé peut être généralisé pour une succession d’examens. Le résultat du premier (la probabilité a posteriori du premier) devient la probabilité a priori du suivant. Ce raisonnement n’est vrai que si les deux tests sont indépendants, c’est-à-dire n’exploitent pas les mêmes éléments physiopathologiques et/ou n’utilisent pas les mêmes méthodes. L’exemple courant en cardiologie est le test d’effort suivi, lorsque la probabilité a posteriori reste intermédiaire, d’une scintigraphie myocardique ou d’une échographie de stress. L’échelle de points de Wells peut d’ailleurs être considérée comme un premier « test », avec ses valeurs prédictives, le dosage des D-dimères n’étant alors qu’un deuxième test. Conditions de validité des tests Pour être valides, les qualités des tests doivent être établies lors d’études réalisées avec la même rigueur que la recherche clinique (comparaison en aveugle avec le gold standard ), et les résultats chiffrés doivent comporter la taille des échantillons et/ou l’intervalle de confiance des pourcentages obtenus. Les patients recrutés doivent être aussi proches que possible de ceux rencontrés dans la pratique courante. L’affection recherchée doit être présente à des degrés de sévérité divers ou à des stades différents. Enfin, plusieurs études sont nécessaires pour juger de l’utilité du test dans des environnements différents, afin d’éviter les biais toujours possibles chez les « défenseurs » du test. Application du raisonnement. Une fois la validité du test établie, l’utilisation du raisonnement « bayesien » devra être prudente, en ne confondant pas des situations apparemment voisines dans lesquelles les performances du test sont différentes (phlébite et embolie pulmonaire par exemple ; cf. supra). Il ne s’agit, par ailleurs, que d’une aide dans la recherche diagnostique ou pronostique et les résultats chiffrés ne doivent pas faire perdre de vue l’imprécision de certaines hypothèses de départ (liées à l’interrogatoire, à l’examen clinique ou à un premier résultat douteux).    En bref   Cette analyse de la décision médicale est malgré tout passionnante, car elle formalise et rationalise le raisonnement du clinicien. Elle rend plus accessible le « bon sens clinique » que nous respections chez nos Maîtres. Ceux-ci avaient en réalité acquis au fil du temps, sans les nommer, les notions de prévalence dans une situation donnée, ainsi que la connaissance des qualités (et donc des pièges) des quelques tests alors à leur disposition.     Bilbiographie sur demande à l’auteur.

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