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Insuffisance cardiaque

Publié le 15 oct 2021Lecture 8 min

Désadaptation à l’effort des patients insuffisants cardiaques pour une prise en charge personnalisée

Marc BATONGA et coll.*, Institut de cardiologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière - IHU ICAN, Paris

La principale conséquence d’une insuffisance cardiaque est la limitation des capacités à l’effort des patients. Cela va d’une baisse de la performance sportive jusqu’à une limitation dans les mouvements du quotidien. Cliniquement, cette limitation se manifeste par une fatigue et des douleurs musculaires anormales qui en général inquiètent peu les patients mettant ces symptômes sur le compte d’un manque d’activité physique. En revanche, la dyspnée est un signe d’alarme. Derrière cette apparente simplicité clinique, il existe une diversité des mécanismes responsables de la désadaptation à l’effort chez l’insuffisant cardiaque. Leur identification est nécessaire à une prise en charge personnalisée du patient, elle se fait lors d’une exploration à l’effort couplée à l’analyse des échanges respiratoires, VO2 ou épreuve fonctionnelle respiratoire (EFX).

• Paramètres de la VO2 permettant d’étudier les différentes étapes de l’adaptation cardiorespiratoire à l’effort Les différents paramètres recueillis lors d’une VO2 peuvent être regroupés en réponse cardiorespiratoire d’amont (couplage ventilation/perfusion pulmonaire, remplissage cardiaque) et en réponse cardio-circulatoire d’aval (fonction systolique, réponse circulatoire périphérique et métabolisme musculaire) (figure 1). Paramètres de la réponse cardio-respiratoire d’amont L’adaptation ventilatoire à l’effort s’accompagne d’une augmentation du débit ventilatoire VE (VE = FR × Vt) liée à l’accélération de la fréquence respiratoire, FR, et à l’accroissement du volume courant (Vt) en puisant dans les volumes de réserve inspiratoire (VRI) et de réserve expiratoire (VRE). Durant tout l’effort, la capacité inspiratoire CI (CI = VRI + Vt) reste constante. Si elle diminue c’est qu’il existe une anomalie de la mécanique ventilatoire comme une distension thoracique dynamique. Physiologiquement, l’adaptation ventilatoire n’est pas le facteur limitant de l’effort et au maximum de l’effort, il doit persister plus de 20 % de la capacité ventilatoire fonctionnelle totale que l’on peut estimer en multipliant par 35 le volume expiré maximal seconde (VEMS), il s’agit de la réserve ventilatoire. Le rapport ventilation/perfusion pulmonaire est étudié par l’évolution du rapport espace mort/volume courant (Vd/Vt) qui doit diminuer à l’effort. En effet, l’augmentation de la perfusion artérielle pulmonaire contribue au recrutement des alvéoles, à l’enrichissement en CO2 du gaz alvéolaire qui se traduit par l’accroissement du CO2 dans l’air expiré estimé par la PetCO2 (pression expirée en CO2), qui augmente en début d’effort jusqu’au franchissement du premier seuil. La pente VE/VCO2 ou efficience ventilatoire, c’est le débit ventilatoire nécessaire pour éliminer un litre de CO2 (normale < 30, pathologique > 40). La pente est liée à la qualité de la vascularisation des alvéoles et à leur enrichissement en CO2 et, de nouveau, toute gêne à la vascularisation pulmonaire va retentir sur la pente VE/VCO2. Ainsi, chez l’insuffisant cardiaque, la pente VE/VCO2 reflète principalement l’augmentation de la pression télédiastolique ventriculaire gauche, mais aussi la sévérité de la maladie artérielle pulmonaire qui complique souvent l’insuffisance cardiaque et qui est liée à la dysfonction endothéliale et aux micro-thromboses. La valeur de la pente est un des éléments du pronostic de l’insuffisance cardiaque. Paramètres de la réponse cardio-circulatoire d’aval Le pic de VO2, c’est le débit maximal d’O2 inspiré, transporté dans la circulation et consommé par les tissus. Il est exprimé en ml/min/kg et en pourcentage de la valeur théorique, donnée par les équations de Wasserman qui intègrent la taille, le sexe et le morphotype, mais qui s’avère peu fiable chez la femme et pour les morphotypes extrêmes. La puissance circulatoire est calculée à partir du pic de VO2, c’est la VO2 multipliée par la pression artérielle systolique maximale, l’équivalent du travail cardiaque (pression artérielle systolique x débit cardiaque), un chiffre sans unité normalement supérieure à 3 500. Le premier seuil ventilatoire (SV1) marque le passage d’un métabolisme musculaire purement aérobie à un métabolisme aéro/anaérobie avec production d’acide lactique responsable de la fatigue, des douleurs musculaires et de l’essoufflement. Le SV1 intègre la réponse circulatoire périphérique et la qualité du métabolisme oxydatif du muscle squelettique. Sa valeur détermine le niveau d’entraînement et permet d’estimer le niveau d’autonomie des patients. La réponse chronotrope : l’insuffisance chronotrope est définie comme une accélération insuffisante de la fréquence cardiaque à l’effort, mais en pratique clinique son évaluation est difficile. Deux critères sont utilisés : le pourcentage de la fréquence maximale théorique (FMT, donnée par la formule d’Aqtrand FMT = 220 - âge) atteint, et la réserve chronotrope (FC max observée-FC repos/FMT-FC repos), qui doit être supérieure à 80 %. Mais ces critères sont souvent pris en défaut et c’est plus la dynamique de la réponse chronotrope avec l’augmentation de l’effort qui doit être considérée. • Situations cliniques typiques d’anomalie d’une des étapes de l’adaptation cardiorespiratoire à l’effort Défaut de la réponse cardio-respiratoire • Insuffisance cardiaque congestive L’insuffisance cardiaque avancée peut-être associée à une authentique maladie respiratoire. La figure 2 montre une courbe débit volume typique d’un patient en insuffisance cardiaque congestive marquée par un aspect restrictif et une obstruction bronchique distale due à l’œdème et à la fibrose pulmonaire. À l’effort, le patient a du mal augmenter le volume courant (Vt), l’augmentation du VE se fait alors par tachypnée qui est rapidement limitée, le patient hyperventile avec une efficience ventilatoire limitée (VE/VCO2 = 60). • Insuffisance cardiaque associée à une maladie respiratoire Mais tous les patients insuffisants cardiaques essoufflés n’ont pas une congestion pulmonaire. Très souvent, la dyspnée est due à une altération de la fonction respiratoire liée par exemple à un broncho-emphysème ou une obésité abdominale, qui devient un facteur limitant à l’effort lorsque la fonction respiratoire est anormalement sollicitée pour maintenir une bonne oxygénation musculaire, alors que le débit cardiaque augmente insuffisamment. C’est le cas du patient de la figure 3, 48 ans, obèse, souffrant d’une cardiomyopathie dilatée à coronaires saines (FEVG à 35 %) sous traitement optimal et qui se plaint d’une dyspnée NYHA III. La courbe débit volume réalisée avant l’effort montre un aspect de restriction liée à l’obésité et une obstruction bronchique. À l’effort, le pic de VO2 est modérément diminué (21,7 ml/min/kg), le SV1 est correct. En revanche, le patient est incapable d’augmenter son Vt, la réserve inspiratoire en fin d’inspiration est d’emblée < 100 ml et la CRF est fixe. Il existe aussi une hyperventilation avec une faible efficience ventilatoire (rapport VE/VCO2 40). C’est bien le poumon qui limite l’effort. Figure 3. Patient porteur d’un CMD et d’un bronchoemphysème. (A) courbe débit volume montrant un aspect restrictif et une obstruction bronchique (traces grises) ; lors de l’effort (traces de couleur), incapacité de mobiliser les volumes de réserve ventilatoire (B) adaptation cardiocirculatoire conservée à l’effort avec un SV1 tardif, une performance modérément diminuée (Pic VO2 16 ml/min/kg, charge 110 W, PA 160 mmHg ). (WT, début de l’effort ; VT1, premier seuil ventilatoire SV1 ; R, récupération). Défaut de la réponse cardio-circulatoire d’aval En absence de congestion pulmonaire lorsque la rétention hydrosodée est bien contrôlée, c’est la fatigue et les douleurs musculaires qui renseignent sur la tolérance de l’insuffisance cardiaque avec comme curseur, le franchissement du SV1. Plus le SV1 est précoce, survenant pour une faible charge, plus l’insuffisance circulatoire est sévère, le muscle est rapidement mal oxygéné lors de l’exercice, il doit de nouveau utiliser le métabolisme anaérobie au prix d’une acidose. Un véritable cercle vicieux peut alors se mettre en place : SV1 précoce rendant l’effort pénible qui entraîne une diminution d’activité physique qui aggrave le déconditionnement avec un SV1 encore plus précoce, etc. À l’inverse, le maintien d’un conditionnement périphérique notamment grâce à une bonne trophicité musculaire (activité physique régulière) ou chez un patient jeune peut compenser une mauvaise fonction pompe. La figure 4 montre un exemple de dissociation entre une relative bonne tolérance à l’effort et une fonction cardiaque très altérée. Ce patient de 58 ans, porteur d’une cardiopathie ischémique avec dysfonction VG sévère, sous un traitement optimal se plaint d’une gêne fonctionnelle à l’effort modérée NYHA II. En effet lors de l’épreuve d’effort, le premier seuil, SV1 est franchi relativement tardivement pour une charge de 60 W et la pente VE/VCO2 est basse ce qui confirme la bonne tolérance à l’effort. Mais lorsqu’on considère la performance cardiocirculatoire, elle est effondrée avec une faible montée tensionnelle et une puissance circulatoire < 2 100. Ce patient jeune a une bonne trophicité musculaire qui compense une insuffisance sévère de la fonction pompe. Défaut de la réponse électrophysiologique Les anomalies de l’électrophysiologie cardiaque sont des causes très fréquentes de limitation des capacités physiques chez les patients insuffisants cardiaques. Mais leur diagnostic est difficile lors d’une consultation ou d’un test d’effort simple et, en revanche, facilité par la VO2. La première cause d’un défaut de réponse chronotrope à l’effort chez l’insuffisant cardiaque est bien sûr la prise d’un traitement bradycardisant, bêtabloquant et/ou ivrabradine. Leur tolérance fonctionnelle est difficilement prévisible, car elle ne dépend pas seulement du pourcentage de réduction de la fréquence cardiaque maximale théorique, mais avant tout de la pente fréquence cardiaque/charge et de l’amplitude de la réponse chronotrope. D’autres défauts de l’électrophysiologie cardiaque nécessitent une analyse plus fine de la VO2. La figure 5 montre la VO2 et l’ECG d’un patient de 65 ans souffrant d’une CMD à coronaires saines (FEVG 27 %), appareillé avec un PM-DAI triple chambre. Le cœur est bien resynchronisé durant la plus grande partie de l’effort, le SV1 est franchi tardivement et la pente VE/VCO2 est basse. Mais vers 120 watts, la resynchronisation s’interrompt, le patient est de nouveau en BBG. Au même moment la VO2 se casse, reste en plateau de même que la PA, et l’effort doit être rapidement arrêté pour une VO2 de 16 ml/kg/min, 58 % de la théorique, soit une limitation importante de la capacité à l’effort. L’ACFA est responsable d’un plateau de fréquence cardiaque atteint plus ou moins rapidement lors d’un effort et qui en constitue la principale limite. La figure 6 est un exemple de plateau atteint dès le début de l’effort chez ce patient de 70 ans en ACFA porteur d’une CMD (FEVG 40 %) et souffrant d’une dyspnée d’effort NYHA III. Ce tracé illustre aussi l’étroite dépendance entre la VO2 et la fréquence cardiaque, chaque brève accélération de la cadence ventriculaire est suivie par une augmentation de la VO2. Le résultat est une capacité à l’effort très limitée (pic de VO2 9 ml/kg/min, 41 % de la théorique) et un SV1 précoce franchi à 31 W). • Au total Les progrès des traitements de l’insuffisance cardiaque capables d’agir sur des cibles multiples, l’importance de la reprise d’activité physique, et de l’amélioration de la qualité de vie font de la compréhension fine de la désadaptation à l’effort une étape clé de la prise en charge des patients insuffisants cardiaques. La VO2 est la pierre angulaire de cette évaluation, mais elle ne doit pas se limiter à quantifier la limitation à l’effort c’est-à-dire la diminution du pic de VO2, elle doit aussi apporter des informations physiopathologiques nécessaires à la prise en charge personnalisée des patients.

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