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Cardiologie générale

Publié le 15 nov 2018Lecture 20 min

Lipides : pourquoi des recommandations sur un même sujet et élaborées à partir des mêmes données scientifiques peuvent-elles être divergentes ?

François DIEVART, Clinique Villette, Dunkerque

Établir un texte de recommandations thérapeutiques pour la pratique clinique consiste à transposer des faits bruts, les données de la science, en recettes pratiques afin d’améliorer l’état de santé d’une population. Pourtant, partant des mêmes faits bruts, divers textes de recommandations sur un même thème, les lipides, peuvent proposer des stratégies thérapeutiques différentes. Pourquoi ? Parce que plusieurs logiques sont à l’œuvre dans ces démarches, logiques pouvant poursuivre des intérêts contradictoires qu’il faut tenter de concilier. Et ainsi la valeur des données scientifiques disponibles peut être diversement appréciée de même que leur interprétation peut être différente.

En 2013-2014, de nouvelles recommandations pour la prise en charge des dyslipidémies ont été émises en Amérique du Nord (ACC et AHA) et en Angleterre (NICE) qui proposaient de recourir exclusivement aux statines et de les utiliser à une dose proportionnelle au risque du patient pris en charge, indépendamment de ses paramètres lipidiques. Ce faisant, elles abolissaient les seuils et cibles d’intervention basées sur le LDL-C. Et les principales recommandations qu’elles proposaient étaient gradées avec les plus hauts niveaux de recommandations et de preuves. D’emblée, quelques sociétés savantes de lipidologues ont indiqué qu’elles ne souscrivaient pas à ces recommandations. En 2016, les recommandations européennes (ESC) pour la prise en charge des dyslipidémies proposaient toujours des cibles lipidiques, dépendantes du niveau de risque avec des grades de recommandations IB pour les cibles les plus basses. Elles proposaient aussi, à défaut de pouvoir atteindre ces cibles, que le LDL soit au moins diminué d’une valeur relative définie (c’est-à-dire diminué de 50 %). Ces recommandations préconisaient aussi une prise en charge des triglycérides qui pouvait faire recourir aux fibrates ou aux oméga-3 par exemple. En 2015, les recommandations nord-américaines de la National Lipid Association (NLA) indiquaient que tant le LDL-C que le non-HDL-C étaient les cibles du traitement lipidique, et ce alors que les recommandations de 2013 de l’ACC et de l’AHA indiquaient qu’il n’y avait jamais eu d’études ayant eu comme objectif d’abaisser et/ou d’évaluer le non-HDL-C et donc que ce paramètre ne devait pas être pris en compte. Pourquoi ces divergences ? Quelle attitude relève du plus haut niveau de preuve ? Ou n’est-on qu’en face d’interprétations différentes de faits scientifiques, interprétations reflétant des écoles de pensée différentes ? Fixer un objectif de LDL-C, est-ce une attitude scientifiquement validée et bénéfique ? Depuis au moins la décennie 1980, et les premières recommandations nord-américaines pour la prise en charge des dyslipidémies, il a été proposé que les divers paramètres lipidiques soient contenus, par la diététique ou la thérapeutique, en-dessous de certaines valeurs pour le cholestérol total, pour le LDL-C et pour les triglycérides ou au-dessus d’une certaine valeur pour le HDL-C. Ce modèle, qui ne reposait alors sur aucune preuve du bénéfice d’une telle attitude reposait sur des données d’observation épidémiologique montrant une relation linéaire, et même loglinéaire et sans seuil, entre certains paramètres lipidiques et le risque CV. Arbitrairement donc, des valeurs ont été désignées comme ne devant pas être dépassées afin de garantir un risque CV qui soit le plus bas possible. À ce sujet, il est intéressant de lire les arguments ayant fait que la NLA en 2015 recommande que le non-HDL-C soit une cible thérapeutique (encadré) : on y verra qu’il s’agit d’arguments physiopathologiques et épidémiologiques, sans que des essais thérapeutiques spécifiques aient démontré la valeur de cette attitude. Il s’agit donc d’une interprétation que l’on pourrait dénommée « lipidologique » des données disponibles. Puis vinrent les essais thérapeutiques, notamment et surtout ceux menés avec les statines. Et, l’observation du niveau de LDL-C atteint dans les groupes traités a contribué à proposer des valeurs cibles de LDL-C de plus en plus basses, au fur et à mesure que celles-ci diminuaient dans les essais cliniques. Chez les patients à haut risque, dans les recommandations, on est ainsi passé de valeurs cibles de LDL-C inférieures à 1,25 g/l, à des valeurs inférieures à 1,00 g/l puis inférieures à 0,70 g/l et en 2017, une société savante a même proposé dans certains cas une valeur cible inférieure à 0,50 g/l. Puisque ces valeurs étaient celles atteintes dans les groupes traités par statine, cette démarche a été considérée par certains comme scientifiquement validée, permettant de fusionner une interprétation « lipidologique » des données avec une vision que l’on pourrait dénommée de « méthodologistes », c’est-à-dire, fondée sur des preuves. Mais, proposer une cible lipidique en fonction des taux de LDL-C atteints dans les essais cliniques est-elle la seule analyse possible des résultats de ces essais cliniques ? Est-ce une démarche réellement validée ? Est-ce une démarche bénéfique et sans risque ? Proposer une cible de LDL-C est une des interprétations possibles des résultats des essais thérapeutiques, non exclusive Les études ayant évalué des hypolipémiants, et majoritairement des statines, n’avaient pas et n’ont jusqu’à ce jour, jamais eu comme objectif d’évaluer les effets cliniques associés à l’atteinte d’une cible particulière de LDL-C. Ces études ont évalué des hypolipémiants à dose le plus souvent fixe, contre placebo, dans des populations particulières. Pour démontrer un bénéfice clinique, ces études ont d’abord inclus des patients à très haut risque, risque caractérisé notamment par un LDL élevé. Puis au fur et à mesure des succès enregistrés, l’effet des traitements a été évalué, toujours contre placebo, dans des populations à plus bas risque caractérisées notamment par un LDL-C plus bas. Dans certains essais, conduits chez des patients traités par une statine à une certaine dose, il a été évalué si l’utilisation d’une statine à plus forte dose apporte un bénéfice supplémentaire. L’objectif a toujours été d’évaluer une molécule et/ou une dose donnée d’une molécule. Pour faire un parallèle avec l’hypertension artérielle, dans ce domaine ce sont le plus souvent des cibles tensionnelles qui ont été évaluées, cibles que l’on pouvait atteindre avec divers traitements ayant donc été considérés comme traitements validés en cas de succès. Les essais effectués sans cibles tensionnelles ont été faits pour comparer des traitements entre eux dans des groupes ayant des chiffres tensionnels équivalents et à l’objectif fixé. L’objectif principal des études conduites dans l’hypertension est de déterminer si en abaissant les chiffres tensionnels en dessous de certaines valeurs absolues il existe un bénéfice clinique sans risque associé. Dans les dyslipidémies, l’objectif était d’évaluer des traitements contre placebo, principalement, mais sans objectif lipidique absolu, la valeur atteinte sous traitement étant celle permise par l’effet du traitement et indiquant, a posteriori, qu’il existe un bénéfice à atteindre cettevaleur (vision lipidologique) ou que le traitement est bénéfique et sans risque, même à des valeurs basses de LDL-C (vision méthodologique). Dans le domaine des lipides et essentiellement dans celui de l’évaluation des statines, quand sont croisées une vision lipidologique et une vision méthodologique des essais thérapeutiques prenant en compte les paramètres lipidiques et non le traitement, il a été démontré que toutes les études effectuées ont eu des résultats concordants. Et leur synthèse peut être formulée comme suit : – à toute diminution de 1 mmol/l de LDL-C, est associée une réduction relative de 22 % du risque d’événements CV majeurs en 4 à 5 ans ; – l’ampleur du bénéfice clinique est dépendante du temps, de plus en plus élevée avec le temps mais tendant à devenir stable au-delà de 4 à 5 ans (limites de durée des essais thérapeutiques disponibles) ; – l’effet clinique corrélé à la diminution du LDL-C est indépendant de la valeur de base des paramètres lipidiques : que le LDL-C soit élevé ou pas, que le HDL-C soit élevé ou pas, que les triglycérides soient élevés ou pas ; – cet effet est indépendant des paramètres démographiques de base (genre et âge) ; – cet effet est indépendant de la situation clinique de base (prévention primaire ou secondaire, diabète ou pas...). Ces résultats ont cependant certaines limites concernant les statines parmi lesquelles : – il n’y a pas de bénéfice clinique chez les insuffisants rénaux dialysés ; – il n’y a pas de réduction significative des AVC hémorragiques et peut-être une augmentation de ce risque précocement après un AVC hémorragique ; – il existe une augmentation du risque de diabète (dont les conséquences cliniques ne sont pas connues). L’augmentation du risque de diabète paraît liée aux statines et non à la diminution du LDL-C. Dès lors, sous réserve des limites citées, une autre modalité d’analyse des résultats des essais cliniques pouvait être envisagée : – les statines (voire divers hypolipémiants) sont des traitements permettant de réduire le risque CV indépendamment des caractéristiques de base des patients et donc indépendamment des paramètres lipidiques de base ; – l’analyse des paramètres lipidiques n’est donc pas un élément indispensable à la prise de décision thérapeutique ; – plus un patient est à risque d’événement CV, quelle que soit la valeur de son LDL-C, plus il justifie que ce risque soit diminué et les statines doivent donc être proposées à doses d’autant plus importante que le risque CV est élevé. Comme il a été jugé que ce mode d’analyse était plus pertinent, plus en accord avec des preuves cliniques de la prise en charge des « dyslipidémies », une vision méthodologique a fini par l’emporter et c’est donc ce mode d’analyse qui a été retenu en 2013 dans les recommandations nord-américaines de l’ACC et l’AHA et en 2014 dans les recommandations anglaises du NICE. Dès lors que ces recommandations faisaient quasi-abstraction des paramètres lipidiques, elles ne pouvaient qu’être critiquées par les tenants de l’hypothèse lipidique. Par simplification ou schématisation, il est possible de dire que les lipidologues jugent qu’il faut principalement raisonner en fonction des paramètres lipidiques, le risque n’étant qu’une composante associée à la prise en charge des lipides et que les méthodologistes jugent qu’il faut principalement raisonner en fonction du risque, les paramètres lipidiques n’étant qu’une composante associée à la prise en charge du risque. Ainsi, des visions différentes, fruits d’écoles de pensée et de méthodes différentes peuvent conduire à des recommandations différentes. Le médecin profane ou simple observateur ayant alors de quoi être perdu face à des visions différentes qu’il peut juger comme perturbantes pour sa pratique et relevant plus de querelles de chapelle sans intérêt pour lui. Alors comment faire pour être pratique ? Rejeter une école pour l’autre par opinion, culture ou pragmatisme ? Ou tenter de faire une synthèse comme semble avoir voulu le faire la Société européenne de cardiologie en proposant tout à la fois une cible de LDL-C mais, en cas de non-atteinte, en abaissant d’une valeur relative le LDL-C sans tenter d’atteindre la cible par tous les moyens ? En matière de synthèse, il est tentant de faire une analogie avec la politique : les partis politiques dits de gouvernement depuis 1969 en France, ont dominé la scène politique parce qu’ils ont pu faire une synthèse alliant des opinions divergentes dans une optique soit de pragmatisme, soit de conquête de pouvoir... mais cela c’était avant mai 2017 où un autre type de synthèse a chamboulé le paysage... Si l’on reprend la synthèse faite par l’ESC, comment évoluera-t-elle et tiendra-t-elle face aux nouvelles données (voir dossier précédent sur l’actualité dans le domaine des lipides [Cardiologie Pratique n°1135 du 1er février 2018]) qui montrent qu’il n’y a pas de valeur seuil ou cible de LDL-C mais un continuum, face aux résultats de l’étude HPS-3 REVEAL qui indique que l’apo B et le non- HDL-C peuvent être un meilleur reflet de l’effet d’un traitement que le LDL-C, face à l’arrivée de l’anti-PCSK9 et à la possibilité d’associer au moins 3 classes thérapeutiques sans risque particulier (statines, ézétimibe et anti-PCSK9) mais pour un bénéfice de plus en plus modique lorsque le LDL-C est de plus en plus bas alors que le coût de la prise en charge s’accroît ? Nouveaux défis, nouvelles interprétations, nouvelles logiques à confronter et nouveaux arbitrages en perspective. Et, au milieu, le médecin de terrain un peu plus perdu... Proposer d’atteindre une cible de LDL-C est-il une attitude scientifiquement validée ? La réponse à cette question est évoquée dans les paragraphes précédents et les auteurs des recommandations nord-américaines ont avancé, parmi les points principaux à l’origine de leurs nouvelles propositions, qu’aucune étude jamais, n’avait évalué un objectif lipidique et que de fixer un tel objectif n’est donc pas une attitude scientifiquement validée. Même si pour certains elle peut sembler au premier regard, pertinente et au deuxième regard, pratique. L’exemple de l’étude TNT illustre les deux interprétations qui peuvent être faites de la méthode et des concepts d’un essai thérapeutique dans le domaine des lipides (figure 1). En regardant la figure expliquant le rationnel de l’étude, il y a ainsi deux visions possibles que certains jugeront différentes et d’autres complémentaires. Figure 1. Un mode d’expression du protocole de l’étude TNT. • Dans une première vision, dénommée méthodologique, il est possible d’estimer que, chez des patients ayant un certain niveau de risque (prévention CV secondaire), l’objectif de l’étude TNT est de proposer à tous un traitement par statine, en l’occurrence l’atorvastatine à 10 mg/j et, qu’ensuite ces patients sont randomisés pour soit continuer à recevoir l’atorvastatine à 10 mg/j, soit la recevoir à 80 mg/j : ce qui est évalué, c’est donc l’efficacité et la sécurité d’une forte dose d’un médicament par rapport à une plus faible dose. Si l’étude est positive (ce qui fut le cas), il pourra être conclu que, chez des patients recevant déjà une faible dose de statine, quelle que soit leur valeur de LDL-C, augmenter la dose au maximum permis par l’AMM apporte un bénéfice supplémentaire, sans risque particulier. Si un critère lipidique (LDL-C compris entre 1,00 et 1,30 g/l sous atorvastatine 10 mg/j) a par ailleurs été choisi dans les critères d’inclusion, c’est, d’une part, pour satisfaire à l’esprit selon lequel le groupe contrôle doit recevoir les meilleurs soins et, d’autre part, potentiellement, pour veiller à ce que le LDL-C de départ ne soit pas trop bas, pouvant limiter la puissance de la démonstration. Ainsi, pour cette école, ce qui est évalué dans une étude comme TNT, c’est la sécurité et l’efficacité d’une forte dose de statine et le LDL-C n’est qu’une donnée accessoire ou complémentaire, censée être, ou non, le vecteur de l’effet thérapeutique. Et d’ailleurs, le schéma de l’étude aurait été plus pertinent s’il avait été exprimé d’une autre façon (figure 2). Figure 2. Un autre mode possible d’expression du protocole de l’étude TNT. • Dans une deuxième vision, dénommée lipidologique, il est possible d’estimer que, chez des patients ayant un certain niveau de LDL-C, tendre à le diminuer plus encore puisse améliorer le pronostic et que l’étude TNT poursuit principalement cet objectif. Pour cela, il est logique d’utiliser une faible dose de statine amenant les patients à une valeur donnée de LDL-C et d’augmenter la dose pour les amener à une valeur encore plus basse. Si l’étude est positive, il pourra donc être conclu, en prenant en compte les valeurs de base et les valeurs sous traitement de LDL-C, que chez les patients ayant un LDL-C supérieur à 1,00 g/l, l’abaisser à 0,77 g/l est efficace à diminuer les événements CV majeurs et sans risque associé. Un LDL-C inférieur à 0,80 g/l peut donc devenir une nouvelle cible thérapeutique validée. Pour cette école, ce qui est évalué dans l’étude TNT c’est une nouvelle cible lipidique et la statine n’est que le vecteur de l’atteinte de celle-ci. Pour soutenir une interprétation, lipidologique ou méthodologique, plutôt qu’une autre, on peut ensuite tenter de renforcer la valeur de la théorie défendue par des arguments complémentaires. Les lipidologues utiliseront alors la droite de régression liant baisse absolue du LDL-C et diminution relative des événements CV majeurs pour défendre le fait que, peu importe le traitement utilisé, ce qui est l’élément garant de l’effet clinique, c’est la diminution absolue du LDL-C. Et de 2015 à 2017, après les résultats des études IMPROVE-IT, FOURIER et HPS-3 REVEAL, ils ont de nouvelles raisons d’avoir raison. La priorité est donc la baisse du LDL-C. Les méthodologistes utiliseront les résultats de l’étude HPS-1 qui ont montré que, chez des patients à risque CV élevé, prescrire une statine à une certaine dose, en l’occurrence la simvastatine à 40 mg/j, sans prendre en compte la valeur du LDL-C de base et sans tenir compte de celle d’arrivée, permet, par rapport au placebo, de diminuer les événements CV majeurs et la mortalité totale. Cette étude montre bien tout à la fois qu’il faut traiter le risque CV en priorité et avec des molécules dont le rapport bénéfice-risque a été évalué comme favorable contre placebo. En revanche, dans d’autres essais, certains traitements, comme les fibrates ou l’acide nicotinique, permettent des modifications favorables des paramètres lipidiques mais n’ont pas d’effet significatif sur le pronostic CV et ont des effets indésirables devant conduire à ne pas les utiliser. La priorité est donc l’évaluation rigoureuse du rapport bénéfice-risque des molécules. Proposer d’atteindre une cible de LDL-C est-il une attitude bénéfique et sans risque ? Pour juger du rapport bénéfice-risque d’une stratégie consistant à proposer une cible de LDL-C, prenons le cas d’un patient pour lequel la cible thérapeutique est fixée à 1,00 g/l du fait d’un risque CV élevé, et prenons deux situations cliniques : – dans la première situation, le patient a un LDL-C spontanément à 0,98 g/l : il est à la cible et donc, selon les recommandations, il ne faut pas lui proposer de traitement. Or, les données acquises de la science ont démontré qu’il est encore possible de diminuer le risque CV de ce patient en ajoutant un traitement, en l’occurrence une statine. Proposer une recommandation qui incite à ne pas traiter ce patient est donc une perte de chance ; – dans la deuxième situation, le patient a un LDL-C de base à plus de 2 g/l et il reçoit la dose maximale tolérée de statine et en sus de l’ézétimibe mais son LDL-C reste à 1,30 g/l. Il n’est donc pas à la cible. En l’état des lieux, en France, pour satisfaire aux recommandations, le médecin devra ou devrait ajouter un traitement pour tenter d’atteindre l’objectif. Si le choix se porte sur un fibrate, d’une part, cette association n’a pas démontré apporter un bénéfice clinique, d’autre part, elle expose en association aux statines à une augmentation des événements musculaires indésirables, et, spécifiquement à une augmentation du risque veineux thromboembolique et de pancréatite. Dans ce cas, suivre les recommandations expose à un surcoût de prise en charge sans bénéfice supplémentaire et à des risques cliniques accrus. Si elles ne sont potentiellement pas validées et pas dénuées de risque, pourquoi proposer des cibles lipidiques ? Pour plusieurs raisons potentielles parmi lesquelles les suivantes, selon des interprétations qui n’engagent que leur auteur. • Une première raison est que cela est en conformité avec l’école des lipidologues qui met au centre de la réflexion les paramètres lipidiques. Raisonner autour d’une cible lipidique plutôt qu’autour d’un traitement spécifique, comme par exemple les statines, renforce l’idéologie lipidologique. C’est ici une logique académique qui est à l’œuvre. • La deuxième raison est qu’une cible, si elle s’appuie sur les données d’observation issues des essais cliniques (valeur du LDL-C atteinte dans les essais pertinents), reste un compromis permettant d’avoir une assurance que d’atteindre un chiffre absolu particulier de LDL-C est bénéfique et sans risque. C’est ici une logique à prétention scientifique qui est à l’œuvre. • La troisième raison est que cela rend plus pratiques et surtout concordantes, notamment pour les médecins, les modalités de prise en charge des dyslipidémies. Atteindre moins de 1 g/l est un résumé simple, sinon simpliste de l’attitude à adopter, mais bien pratique pour fixer une conduite à tenir et établir un contrat d’objectif avec un patient. C’est ici une logique pragmatique qui est à l’œuvre. • La quatrième raison, pour beaucoup de décideurs, est qu’une valeur absolue de LDL-C est un marqueur simple qui peut donc devenir un indicateur, au sens purement administratif du terme, de jugement de la qualité des soins et des pratiques. Peu importe son aspect arbitraire, pour une administration, dès lors qu’une valeur a été promue dans un texte de recommandations, elle devient l’indicateur permettant d’évaluer des pratiques des médecins et permet à l’administration de justifier une des formes de sa pratique, voire de son existence. C’est ici une logique administrative qui est à l’œuvre. • Une cinquième raison, qui est à l’origine d’une littérature pléthorique, redondante, lassante, est que dès lors qu’il y a un objectif lipidique, il est possible de faire des registres et de quantifier les taux de patients à l’objectif et montrer qu’il n’est pas idéal, et donc qu’il y a « un besoin non satisfait », le fameux « unmet need » de la littérature anglaise. Ceci permet de montrer qu’il est utile de disposer de traitements plus puissants, différents et complémentaires et que l’industrie est là pour prendre en compte cet « unmet need ». C’est ici une logique marketing, faisant partie d’une logique industrielle, qui est à l’œuvre. Ainsi, on comprend qu’une cible absolue de LDL-C satisfait à plusieurs logiques et qu’il est difficile de la remettre en cause. Comment dès lors raisonner ? L’objectif de cet article, et notamment de ce paragraphe, n’est pas de faire en sorte que son auteur se substitue aux équipes élaborant des recommandations. Il est d’analyser les tenants et aboutissants potentiels de textes de recommandations concernant la prise en charge des dyslipidémies afin de montrer que ces textes parce qu’ils doivent concilier plusieurs logiques et interprétations des données disponibles, peuvent aboutir à des propositions de pratiques différentes, plus ou moins fondées selon le mode d’interprétation que l’on choisit. L’objectif est de répondre à une question : que faire ou plutôt pourquoi des messages différents et discordants ? Et ceci n’a rien à voir avec la polémique médiatique qui ne repose sur aucun argument ou méthode scientifiques sérieux en dehors d’une espèce d’obsession d’allure paranoïaque de ses promoteurs. Et l’on sait que la logique particulière des paranoïaques peut être séductrice... Pour recentrer notre propos, envisageons simplement, qu’alors qu’un texte de recommandations est promu comme étant un état de la science, il ne peut s’abstraire des contingences humaines analysées en sociologie, notamment sociologie des sciences. Ainsi, élaborer une stratégie de traitement devant conduire à élaborer un texte de recommandations justifie de prendre en compte les diverses logiques à l’œuvre (éthique, économique, utilitariste, de santé publique...) et les déterminants de ces logiques. Chaque logique tire le raisonnement dans un sens qui lui est propre et chacun raisonne selon ses logiques et valeurs. À partir de mêmes faits dénommés scientifiques, les divers textes de recommandations, les AMM et les indications des molécules ne peuvent pas ne pas diverger. Ainsi, pour reprendre un exemple complémentaire rappelé dans un ouvrage récent (E. Nouguez. Des médicaments à tout prix. Sociologie des génériques en France. Presse de SciencesPo, octobre 2017) les institutions européennes, lorsqu’elles ont voulu créer un marché européen du médicament ont dû arbitrer entre trois logiques : « favoriser une industrie pharmaceutique forte et capable de concurrencer ses homologues américaines ou japonaises (logique industrielle) ; permettre aux consommateurs/patients d’accéder à des médicaments innovants et sûrs (logique thérapeutique) ; limiter les coûts qui pèseraient sur les régimes de protection sociale des États membres (logique financière) ». C’est ainsi à l’aune, entre autres, de ces trois logiques que doivent être analysées les obtentions d’AMM, les fixations des prix et de remboursement des médicaments. À la lecture d’un des paragraphes précédents consacré plus spécifiquement à l’étude TNT, il a été possible de constater que les deux grandes logiques qui s’affrontent dans l’interprétation des données issues des essais thérapeutiques sont une logique de lipidologues et une logique de méthodologistes en pharmacologie. On peut tenter une synthèse de ces deux logiques, qui correspondrait à une troisième interprétation des résultats de l’étude TNT et qui aboutirait à la conclusion suivante : abaisser le LDL-C en dessous de 0,80 g/l, dès lors que c’est au moyen d’une statine (voire au moyen de l’atorvastatine 80 mg/j), apporte un bénéfice clinique sans risque particulier associé. Pourquoi ces deux logiques semblent s’affronter ou se confronter ? Pour une raison simple dans son principe : celui concernant l’évaluation d’une stratégie thérapeutique censée être médiée par un critère intermédiaire qui sera modifiée par un traitement. Le méthodologiste va examiner plus particulièrement l’aspect thérapeutique, le lipidologue va concentrer son observation sur le critère intermédiaire. Il en est de même concernant la pression artérielle et la glycémie par exemple. Ainsi, dans ce type de problème, les valeurs spécifiques des deux composantes de l’interrogation, le critère intermédiaire et le rapport bénéfice-risque du traitement, doivent être vérifiées. Pour que le critère intermédiaire puisse être validé et prétendre à devenir un critère de substitution, il ne faut pas seulement appuyer son raisonnement, qui ne serait alors qu’une croyance, sur des arguments physiopathologiques et épidémiologiques, il faut avoir pu démontrer dans plusieurs essais thérapeutiques, tous concordants ou dont les paradoxes éventuels sont clairement expliqués, que, quel que soit le moyen utilisé pour faire varier ce critère, dès lors que ce moyen est sûr et sans risque spécifique, le risque corrélé à la valeur de ce critère variera dans le même sens et de façon proportionnelle à sa variation. Si cette condition est remplie, le critère intermédiaire peut devenir un critère de substitution. Il peut donc être considéré qu’une hypothèse physiopathologique est validée. De plus, il peut être alors accepté qu’un traitement qui modifie dans un sens favorable ce critère et qui ne com- porte pas de risque spécifique puisse être mis à disposition des médecins et des patients sans avoir démontré qu’il exerce un effet clinique bénéfique. Avant 2017, tous les éléments n’étaient pas réunis pour faire du LDL-C un critère de substitution et deux logiques pouvaient donc et devaient se confronter. Les tenants de la logique lipidique étaient certains d’avoir raison du fait d’une relation loglinéaire entre le cholestérol et le risque CV et des données de la recherche fondamentale. L’histoire leur a donné raison. Toutefois, l’histoire actuelle du HDL-C est là pour rappeler que des raisonnements appuyés sur les mêmes supports peuvent être trompeurs. Les tenants de la logique méthodologique avaient raison de douter tant les surprises et les déconvenues ont été nombreuses dans cette voie thérapeutique. Mais, il est possible de considérer que les principaux paradoxes apparus dans l’expl ration de cette voie thérapeutique sont maintenant expliqués. Il a fallu pour cela posséder un nombre de données importantes et avoir pu les analyser de multiples manières pour arriver à comprendre. Reste maintenant à proposer une conduite à tenir et donc potentiellement des recommandations qui concilient les faits scientifiques disponibles, les nouveaux modèles qu’ils ont permis d’élaborer ou les anciens modèles qu’ils ont permis de valider avec la pratique et plusieurs autres logiques : pragmatisme, efficacité, économie de la santé... Ce que l’on sait maintenant, c’est que plus le LDL-C est bas, spontanément mais aussi sous traitement (et c’est là la nouveauté principale des deux dernières années), et ce, jusqu’à des valeurs de moins de 0,20 g/l, plus faible est le risque cardiovasculaire. Dans certains cas, c’est-à-dire sous certains traitements (qui ne seront pas disponibles mais cet élément a valeur informative) ou quand les triglycérides sont trop élevés, le dosage ou le calcul du LDL n’est pas un bon reflet de la charge athérogène plasmatique et l’utilisation de l’apoB ou du non- HDL-C peut paraître plus informative. Plus le LDL-C est bas, spontanément mais aussi sous traitement (et c’est là la nouveauté principale des deux dernières années), et ce, jusqu’à des valeurs de moins de 0,20 g/l, plus faible est le risque cardiovasculaire. Alors continuer à fixer des cibles devient une démarche plus compliquée et : – faut-il continuer à fixer des cibles ou plutôt juger que traiter un risque c’est additionner des traitements bénéfiques, peu importe le niveau de LDL-C atteint, même s’il est très bas ? – ou faut-il déplacer la valeur de ces cibles encore plus bas en fonction du risque CV absolu de départ ? Le débat quitte les logiques méthodologiques et lipidiques qui peuvent être considérées comme satisfaites (jusqu’à ce qu’éventuellement un nouvel élément paradoxal apparaisse) pour entrer dans l’ère des jugements pratiques et des compromis ou la logique économique et la logique thérapeutique devant promouvoir l’innovation vont probablement prendre une part importante.

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