publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Mise au point

Publié le 31 aoû 2008Lecture 10 min

Quelle place réserver à la bivalirudine en cardiologie interventionnelle ?

J. BERLAND, Clinique Sainte-Hilaire, Rouen

La bivalirudine (Angiox®) est une molécule de synthèse à action antithrombine directe. Son efficacité et sa sécurité d’action ont été largement démontrées, tout particulièrement avec la publication en 2007 et 2008 des études ACUITY et HORIZONS. Alors qu’elle offre une alternative extrêmement séduisante au couple héparine + anti-GPIIb-IIIa, son utilisation en pratique courante peine à se généraliser en France. Une revue des données de la littérature concernant l’utilisation de ce produit en cardiologie interventionnelle semble donc particulièrement pertinente.  

Rappel pharmacologique La bivalirudine inhibe directement la thrombine en se liant spécifiquement à la fois au site catalytique et à l’exosite de liaison anionique de la thrombine circulante et de la thrombine liée au caillot (figure 1). La thrombine joue un rôle majeur dans le processus thrombotique à tous les stades et active également les plaquettes.  Administrée par voie intraveineuse, la bivalirudine produit un effet anticoagulant rapide. Son efficacité peut être vérifiée biologiquement par les valeurs de TCA qui dépassent rapidement 300 s à la dose de perfusion habituelle (bolus IV de 0,75 mg/kg + perfusion de 2,5 mg/kg/h). La demi-vie initiale, très courte, est de 27 min ce qui entraîne donc un arrêt de l’activité du produit rapidement après l’arrêt de la perfusion. Chez l’insuffisant rénal, le bolus initial demeure inchangé, seule une réduction de la dose de perfusion peut être nécessaire. Cela explique donc les facilités et la sécurité d’utilisation de cette molécule chez un grand nombre de patients soumis à l’angioplastie coronaire.    La rapidité d’action et la demi-vie courte de la bivalirudine expliquent la facilité et la sécurité d’utilisation.   Figure 1. Bivalirudine : mécanisme d’action. Des études cliniques très favorables  La bivalirudine avait démontré son efficacité il y a déjà une quinzaine d’années lors des procédures d’angioplasties conventionnelles sans mise en place de stent, en remplacement de l’héparine non fractionnée(1). Mais ce sont les études REPLACE-2, publiée au début des années 2000, ACUITY et HORIZONS, publiées respectivement en 2007 et 2008 qui constituent l’essentiel de la validation scientifique de cette molécule en cardiologie interventionnelle. REPLACE-2 : la bivalirudine dans l’angioplastie des patients en angor stable et instable  L’étude REPLACE-2 a regroupé 6 010 patients devant être soumis à une angioplastie coronaire dont 56 % présentaient un angor stable ou une épreuve d’effort positive et 44 % un angor instable, l’infarctus du myocarde (IDM) étant exclu ; 86 % des patients ont reçu une prothèse endocoronaire non active. L’administration d’anticoagulants était proscrite dans les heures qui précédaient l’intervention.  Les résultats évalués au 30e jour n’ont pas montré de différence significative concernant le critère principal de jugement associant mortalité, infarctus, revascularisation urgente ou saignement majeur(2). Les saignements majeurs au point de ponction ont été moins fréquents avec la bivalirudine qu’avec l’héparine non fractionnée, associée à un anti-GPIIb-IIIa (2,4 % vs 4,1 % ; p < 0,01). Les résultats à 1 an ont été publiés en 2004(3). Le taux de mortalité était de 2,5 % pour des patients sous héparine + anti-GPIIb-IIIa contre 1,9 % chez ceux traités par bivalirudine (différence non significative). Une tendance non significative de mortalité à 1 an plus basse dans le groupe bivalirudine était présente dans tous les sous-groupes de patients analysés, en particulier parmi les patients insuffisants rénaux(4).  Comme explication potentielle de ce bénéfice, la diminution très significative des complications hémorragiques de 7,1 % sous héparine + anti-GPIIb-IIIa à 3,1% sous bivalirudine (p < 0,09) était proposée.  Il existe une tendance non significative de réduction de la mortalité à 1 an dans le groupe bivalirudine, essentiellement liée à une réduction significative des complications hémorragiques. ACUITY : la bivalirudine dans le syndrome coronaire aigu (SCA)  La majorité des patients de l’étude précédente REPLACE-2 étant en angor stable, l’intérêt de la bivalirudine en comparaison avec l’association héparine + anti-GPIIb-IIIa dans le cadre de l’angor instable restait à démontrer.  L’étude ACUITY publiée dans le New England Journal of Medicine en 2006(5) a répondu à cette question en évaluant le rôle de la bivalirudine chez les patients présentant un SCA estimés à risque moyen ou haut.  Cette étude a inclus 16 819 patients dans 450 centres et les a randomisé en trois groupes :  - un premier groupe de 4 600 patients traité par l’héparine non fractionnée ou de l’énoxaparine associée à un anti-GPIIb-IIIa ;  - un deuxième groupe de même effectif traité par une association de bivalirudine + anti- GPIIb-IIIa ;  - un troisième groupe de 4 612 patients recevait la bivalirudine seule.  Tous les patients ont bénéficié d’un examen angiographique dans les 74 premières heures de l’admission ; dans chacun des sous-groupes, 56 % des patients ont bénéficié d’une angioplastie dans les suites de la coronarographie, 11 % ont été pontés et 32 % ont été suivis sous traitement médical conventionnel. Seulement 64 % de la population de chaque groupe étaient prétraité par une thiénopyridine avant la coronarographie ou l’angioplastie. Pour l’ensemble de la popula-tion (sujets revascularisés ou non à 35 jours), les résultats démontrent un taux comparable de complications ischémiques dans les 3 stratégies et une très nette diminution du taux de saignements majeurs avec la bivalirudine seule (3 %) vs les deux autres stratégies (5,7 % et 5,3 % ; p < 0,001).  Cette diminution de près de la moitié des complications hémorragiques graves entraîne un bénéfice clinique avec un taux cumulé d’événements de 10,3 % pour la bivalirudine seule contre 11,9 % avec les deux autres stratégies (p = 0,014).  Parmi la population de l’essai ACUITY, 7 789 patients ont bénéficié d’une angioplastie coronaire avec 60 % de taux d’utilisation des stents actifs répartis à égalité entre stents au sirolimus et stents au paclitaxel.  Les résultats de ce sous-groupe de patients ont fait l’objet d’une publication séparée en 2007(6). La proportion de complications ischémiques postprocédure au 30e jour n’était pas différente dans les 3 stratégies, en particulier le taux de thrombose de stents au 30e jour : 1,4 %. Là encore, le taux de saignements majeurs diminuait de 7 % pour l’association héparine + anti- GPIIb-IIIa à 4 % pour la bivalirudine seule (p < 0,001), avec une tendance vers un meilleur bénéfice clinique global sous bivalirudine seule (figure 2).  L’ensemble de ces résultats était assez homogène dans les sous-groupes de patients, hormis pour la population qui n’avait pas reçu de thiénopyridine avant l’angioplastie dans laquelle les complications ischémiques étaient plus fréquentes.  Les auteurs en ont conclu que l’administration d’aspirine, de clopidogrel et de bivalirudine avant l’angioplastie coronaire, apporte le meilleur bénéfice clinique chez les patients présentant un SCA, pour lesquels une intervention percutanée coronaire est pratiquée.  L’administration d’aspirine, de clopidogrel et de bivalirudine avant une angioplastie coronaire apporte le meilleur bénéfice clinique chez les patients présentant un SCA. Figure 2. ACUITY- PCI : comparaison des événements hémorragiques (A) et du bénéfice clinique net (B) pour les différents régimes de traitement. ISAR-REACT 3 : la bivalirudine dans les SCA à bas risque  Les résultats de l’étude ISARREACT 3, récemment présentée à l’ACC 2008 par A. Kastrati, confortent ces données en les validant chez les patients à plus faible risque et prétraités par clopidogrel(8).  Chez 4 570 patients instables avec un taux de troponine négatif qui devaient bénéficier d’une intervention de revascularisation percutanée et ayant reçu 600 mg de clopidogrel 2 h au moins avant l’angioplastie, l’étude a comparé le taux de complications ischémiques et d’hémorragies à 30 jours dans deux groupes :  - le premier ayant reçu la bivalirudine à la dose habituelle 0,75 mg/kg ;  - le deuxième ayant reçu un bolus d’héparine de 140 U/kg au début de l’angioplastie.  Le taux cumulé de décès, d’infarctus, de revascularisation et d’hémorragies majeures n’était pas significativement différent dans les deux groupes : 8,3 % pour la bivalirudine et 8,7 % pour l’héparine non fractionnée. Le taux d’hémorragies majeures était nettement moins important dans le groupe bivalirudine (3,1 % vs 4,6 % ; p = 0,008) ainsi que le taux de saignements mineurs. L’association de 600 mg de clopidogrel avec la dose habituelle de bivalirudine ne semble donc pas augmenter le risque hémorragique et apporte à cette population plutôt à bas risque un bénéfice clinique modéré.  HORIZONS : la bivalirudine dans les SCA ST+  Dans cette étude, 3 702 patients ayant un IDM avec sus-décalage du segment ST qui se présentaient dans les 12 premières heures des symptômes et pouvaient bénéficier d’une angioplastie primaire ont été randomisés en deux groupes(8) : traitement conventionnel comportant de l’héparine + un anti-GPIIb-IIIa ou bivalirudine seule.  Le traitement antithrombotique était instauré à l’arrivée à l’hôpital. Les deux critères principaux d’évaluation à 30 jours dans cette étude étaient : les saignements majeurs et un critère composite d’événements cliniques définis par la somme des décès, réinfarctus, revascularisations secondaires du vaisseau et accidents vasculaires cérébraux. L’anticoagulation avec bivalirudine seule a permis une amélioration du critère composite des événements cliniques (9,2 % vs 12,1 % ; p = 0,005) et une nette diminution du taux de saignements majeurs (4,9 % vs 8 % ; RR = 0,6 et p < 0,001) entraînant un taux de mortalité totale significativement plus bas (2,1 % vs 3,1 % ; p = 0,047) (figure 3).  On notait cependant une très discrète augmentation du risque de thrombose aiguë de stent dans les premières 24 heures, mais qui n’était plus présente au 30e jour.  Figure 3. HORIZONS AMI : événements cliniques à 30 jours.  L’anticoagulation par bivalirudine seule a permis une amélioration du critère composite des événements cliniques et une réduction significative des taux de saignements majeurs et de mortalité totale.    Tous les patients traités avaient reçu aussi une dose de charge de clopidogrel à l’arrivée à l’hôpital. Une sous-étude (HORIZONS AMI) a comparé les posologies de clopidogrel : 300 mg chez 1 153 patients et 600 mg chez 2 158 patients. Les résultats de ce travail présentés par G. Dangas à l’ACC 2008, sont en faveur du dosage de 600 mg car il était associé à des taux significativement moins importants de mortalité à 30 jours, de réinfarctus et de thromboses de stent sans augmentation du risque hémorragique(9).  Indications pratiques  Les données de la littérature pouvant faire considérer la bivalirudine comme une alternative plus sécurisante que l’héparine, de nombreux centres américains ont commencé à l’utiliser de façon prédominante dans l’angioplastie.  L’expérience du Washington Hospital Center où depuis 2002, plus de 80 % des interventions coronaires percutanées sont réalisées avec la bivalirudine(10), a permis de réduire l’utilisation des anti-GPIIb-IIIa de 30 % à moins de 10 %. Chez tous les patients traités par voie fémorale, l’utilisation quasi généralisée de la bivalirudine a permis d’observer une réduction progressive des risques d’hématome (< 2,2 %), de transfusion (< 1 %) et de réparation chirurgicale (< 0,5 %).  Dans notre expérience personnelle, nous utilisons la bivalirudine pour des angioplasties réalisées par voie fémorale à risque de complications hémorragiques, c’est-à-dire souvent chez les patients âgés ou insuffisants rénaux.   Conclusion Malgré tous ses résultats positifs, sa simplicité d’administration et son coût moindre, la bivalirudine n’est pas utilisée en pratique courante en France. La pratique beaucoup plus fréquente de la voie radiale dans notre pays (limitant de fait l’intérêt de ce produit quant aux complications hémorragiques) et l’absence de données actuelles concernant l’utilisation de la bivalirudine en préhospitalier à la place des anti-GPIIb-IIIa avant une désobstruction instrumentale dans l’IDM, peuvent expliquer cette sous-utilisation.  Cependant, les publications récentes démontrent un excellent rapport bénéfice/risque lors des angioplasties réalisées par voie fémorale par rapport à l’association héparine + anti-GPIIb-IIIa. son utilisation chez les patients à risque hémorragique devrait, selon les recommandations, être privilégiée(11).

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 2 sur 10