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Mise au point

Publié le 22 déc 2023Lecture 12 min

Angioplastie des anomalies coronaires congénitales : pourquoi, pour qui, et comment ?

Pierre AUBRYa, b*, Olivier BOUDVILLAINa*, Xavier HALNA DU FRETAYc*, Athanasios KOUTSOUKISd*, Patrick DUPOUYd*, Yassine ETTAGMOUTIb*, Philippe DEGRELLe*

Peu de patients adultes présentant une anomalie de connexion aortique d’une artère coronaire (ANOCOR) ont besoin d’une correction de cette dernière. La réparation chirurgicale est citée comme le traitement de première intention dans les recommandations actuelles(1-2). Cependant, ces dernières s’adressent surtout à la population pédiatrique et aux adultes jeunes (< 35 ans). Par ailleurs, elles ne reposent pas sur des études contrôlées randomisées. Après la découverte d’une ANOCOR, la prise de décision thérapeutique peut être difficile chez un adulte > 35 ans, très peu exposé au risque de mort subite(3). Les pratiques actuelles montrent parfois une réticence à proposer un traitement chirurgical en cas d’ANOCOR droite associée à une symptomatologie d’allure ischémique ou à une ischémie myocardique(4).

L'objectif de cette revue est d’exposer la place éventuelle du traitement percutané comme une alternative à la chirurgie pour certaines ANOCOR. Le traitement percutané de la maladie coronaire athéromateuse associée à une ANOCOR ne sera pas abordé dans cet article.   QUEL RATIONNEL POUR UN TRAITEMENT PERCUTANÉ ?   Le risque de mort subite Si un lien a été établi de longue date entre les ANOCOR avec un trajet interartériel et la mort subite ou l’arrêt cardiaque récupéré, le risque individuel absolu est faible(5). D’après des estimations, ce risque annuel est de l’ordre de 0,2 % pour les ANOCOR gauches et de 0,02 % pour les ANOCOR droites. Le risque pour ces dernières est donc nettement plus bas que celui (parfois proche de 1 %) des autres cardiopathies ou syndromes électriques reconnus comme responsables de mort subite, en particulier chez le jeune sportif. Contrairement à d’autres pathologies, nous ne disposons pas encore de score pour stratifier le risque individuel de mort subite. Les mécanismes exacts conduisant à une fibrillation ventriculaire, responsable de l’arrêt circulatoire, restent encore mal identifiés, même si une ischémie myocardique est certainement présente. Une période de vulnérabilité a été identifiée, qui correspond aux tranches d’âge 15-35 ans et qui est associée à un profil sportif particulier (pratique répétée d’une activité physique d’intensité élevée). Les autres facteurs de risque reconnus sont une ANOCOR gauche et une symptomatologie d’effort d’allure ischémique (angor, lipothymie ou syncope). De très rares cas de mort subite ont été rapportés chez l’adulte > 35 ans(6). Aussi, l’approche de la prévention primaire de la mort subite n’est pas la même, d’une part entre les formes gauches et les formes droites identifiées à risque, et d’autre part, entre les populations d’âge < 35 ans ou > 35 ans.   La symptomatologie d’allure ischémique et l’ischémie myocardique Une symptomatologie, parfois mimant celle d’une maladie coronaire athéromateuse, peut être le mode de découverte d’une ANOCOR chez l’adulte d’âge moyen ou plus élevé. La prévalence d’une ischémie myocardique documentée par imagerie est reconnue comme basse pour les ANOCOR, y compris pour les formes symptomatiques ou à risque. Cela peut s’expliquer par une réduction de surface artérielle dépassant exceptionnellement la valeur de 70 %. Aussi la composante fixe de la sténose congénitale n’atteint pas forcément le critère hémodynamique classique associé à une réduction significative de la réserve coronaire. L’effort, même maximal, ou les vasodilatateurs de la microcirculation coronaire ne suffisent pas toujours à déceler une ischémie myocardique. Il faut évoquer une participation dynamique s’ajoutant à la sténose congénitale fixe, en particulier lorsqu’il existe un passage intramural aortique associé au trajet interartériel(7). Le stimulant paraissant le plus sensible pour explorer à la fois la composante fixe et la composante dynamique d’une sténose congénitale est la dobutamine, avec son effet sur la contrainte pariétale aortique par une augmentation plus importante du volume d’éjection ventriculaire gauche. La question d’une revascularisation myocardique en cas d’ANOCOR symptomatique ou associée à une ischémie myocardique, peut donc se poser chez un patient très peu exposé au risque de mort subite.   Les recommandations actuelles Les recommandations européennes et nord-américaines(1-2) pour la prise en charge des adultes en cas d’ANOCOR avec un trajet interartériel sont assez proches avec la chirurgie toujours proposée en première ligne, et avec des indications larges (niveau I à IIa) pour les formes symptomatiques ou avec ischémie myocardique. Les ANOCOR droites asymptomatiques et sans ischémie myocardique relèvent de la seule surveillance dans les recommandations européennes, alors que les ANOCOR gauches asymptomatiques et sans ischémie myocardique peuvent être proposées à la chirurgie. L’angioplastie n’apparaît que dans une seule recommandation nord-américaine en cas de risque chirurgical élevé(8). Toutes ces recommandations ne tiennent généralement pas compte de l’âge, alors que ce dernier est très lié au risque de mort subite. Enfin, ces recommandations reposent sur des avis d’experts, car nous ne disposons pas d’études comparatives (chirurgie versus surveillance).   Les techniques chirurgicales et leurs limites Différentes techniques de correction chirurgicale sont utilisées depuis de nombreuses années(9). La plus ancienne est celle de l’unroofing avec une résection endoaortique de la bandelette pariétale partagée entre média aortique et média coronaire. Cette technique est privilégiée chez l’enfant ou lorsque l’artère ectopique passe à distance de l’attache commissurale. Une autre technique assez utilisée chez l’adulte consiste à créer un nouvel ostium au niveau de la fin du trajet ectopique coronaire. Elle nécessite un patch d’élargissement. Les séries chirurgicales rapportent une mortalité périopératoire proche de zéro, mais différentes complications majeures précoces ou tardives (prévalence de l’ordre de 5 %) ont été décrites(9). Il s’agit de complications coronaires ou valvulaires nécessitant généralement une nouvelle intervention : apparition d’une insuffisance aortique pour la technique d’unroofing et survenue de thrombose précoce, de sténose cicatricielle ou d’anévrisme pour la technique chirurgicale avec néo-ostium. Comme pour d’autres pathologies congénitales rares où les études randomisées sont pas ou peu réalisables, nous ne disposons pas encore pour les ANOCOR de données solides sur les bénéfices de la chirurgie vis-à-vis du risque de mort subite. Cependant, les cas rapportés de mort subite après une correction chirurgicale restent exceptionnels. On doit rappeler que la revascularisation par pontage sans ligature coronaire est associée à un taux non négligeable d’involution ou d’occlusion du greffon. Le traitement chirurgical a évolué assez récemment pour les rares ANOCOR gauches avec un trajet rétropulmonaire et nécessitant une correction. Cette dernière consiste à réaliser un unroofing musculaire au-dessus du trajet ectopique, au niveau de la crête supraventriculaire ou du myocarde interventriculaire(10). Cette technique laisse en place l’ostium coronaire gauche, et est parfois associée à un patch d’élargissement ou à une translocation pulmonaire antérieure. Il s’agit d’une procédure reconnue comme complexe sur le plan technique, sans connaissance actuelle des résultats à moyen terme.   QUELS PATIENTS SONT ÉLIGIBLES ?   L’évaluation et la prise en charge des patients avec ANOCOR doivent être discutées au mieux par une équipe multidisciplinaire spécialisée et disposant d’un algorithme décisionnel mis à jour régulièrement. La proposition de corriger une ANOCOR repose sur l’âge, la présentation clinique, les résultats d’un bilan non invasif et souvent invasif chez l’adulte, et parfois le profil sportif du patient. Les trois étapes décisionnelles importantes sont les suivantes : – la forme anatomique est-elle à risque ? – Faut-il corriger l’anomalie ? – Comment corriger l’anomalie ?   La figure 1 indique les paramètres généralement analysés pour statuer, et l’algorithme utilisé par notre groupe de travail. L’avis du patient après une information éclairée sur les différentes stratégies est important aussi. Les ANOCOR droites chez l’adulte > 35 ans représentent aujourd’hui la principale indication potentielle à un traitement percutané. En effet, plus de 95 % de ces anomalies ont un trajet interartériel et leur grande majorité est associée à un passage intramural aortique. Figure 1. Algorithme décisionnel utilisé par le groupe ANOCOR. ANOCOR : anomalie de connexion aortique d’une artère coronaire. DAI : défibrillateur automatique implantable. * optionnel. ** stratégie de revascularisation à adapter en cas de maladie coronaire significative.   Le scanner coronaire est devenu l’outil d’imagerie de référence pour classer l’anomalie coronaire (figure 2). Une exploration invasive peut être proposée chez l’adulte s’il faut rechercher ou évaluer une maladie coronaire athéromateuse associée. L’imagerie endocoronaire (échographie endocoronaire préférable car plus maniable que la tomographie par cohérence optique) est utile pour analyser quantitativement (forme, diamètre, et surface) l’ANOCOR, mesurer la longueur du trajet interartériel et du passage intramural aortique, ou pour confirmer ou infirmer un passage intramural aortique (figure 3). On peut y associer une évaluation physiologique avec la mesure d’indices (Pd/ Pa, iFR, diastolic FFR) au repos et sous stimulation (dobutamine préférable à l’adénosine). Les rares formes anatomiques droites sans passage intramural aortique ne sont pas, en théorie, des candidates à un traitement percutané, du fait de l’absence de réduction de surface artérielle > 50 %. Figure 2. Images tomographiques d’une artère coronaire droite (flèche blanche) connectée dans le sinus gauche avec un trajet interartériel. A : rendu volumique ; B : coupe axiale ; C : reconstruction curviligne et avec aspect interartériel en fente (flèche jaune) évocateur d’un passage intramural aortique ; D : coupe sagittale. Figure 3. Imagerie multimodale d’une artère coronaire droite (flèche blanche) connectée dans le sinus gauche avec angiographie. (A) Tomographie (B) et échographie endocoronaire (C) confirmant un passage intramural aortique. AO : aorte. AP : artère pulmonaire.   À ce jour, étant donné le manque de recul sur le traitement percutané, les très rares ANOCOR gauches avec un trajet interartériel (prévalence 20 fois moindre que celle des ANOCOR droites et formes rarement diagnostiquées après l’âge de 35 ans), restent généralement proposées à la chirurgie. Cependant, en cas de haut risque opératoire, l’angioplastie est techniquement possible aussi pour les ANOCOR gauches. À côté des formes avec un trajet interartériel, il existe de très rares formes gauches avec un trajet rétropulmonaire qui peuvent être responsables d’ischémie myocardique. L’imagerie non invasive ou invasive peut mettre en évidence une réduction de calibre lorsque le trajet ectopique passe plus ou moins profondément dans le septum interventriculaire (figure 4). Le risque de mort subite semble proche de zéro pour ce type d’anomalie. L’angioplastie pourrait être une alternative thérapeutique à la chirurgie chez l’adulte dans cette forme anatomique lorsqu’il existe une réduction de surface > 50 % associée des critères hémodynamiques évocateurs d’ischémie myocardique. Figure 4. Imagerie tomographique à rayons X (A), angiographique et tomographique par cohérence optique (B et C) d’une artère interventriculaire antérieure (flèche blanche) connectée dans l’artère coronaire droite avec un trajet rétropulmonaire. Réduction de calibre non athéromateuse au niveau de la partie distale du trajet ectopique rétropulmonaire (flèche jaune) par rapport à la partie proximale (flèche verte).   COMMENT PROCÉDER ?   Il faut définir des objectifs anatomiques à l’angioplastie. On peut réaliser par le stenting une plastie de l’ostium coronaire et du trajet intramural aortique avec le passage d’une forme elliptique (ratio grand axe/petit axe ≥ 2,0) à une forme ovalaire (ratio grand axe/petit axe ≥ 1,3 et < 2,0). Le retour à une forme circulaire n’est pas toujours possible en raison du passage intramural aortique (figure 5). Figure 5. Images échographies endocoronaires d’un trajet interartériel (A) d’artère coronaire droite connectée dans le sinus gauche. Aspect après angioplastie avec stenting (B). Passage d’une forme elliptique (4,2 x 1,8 mm) à une forme circulaire (3,0 x 2,8 mm).   Parallèlement, une augmentation du diamètre artériel et de la surface luminale est attendue, souvent > 50 % et parfois proche de 100 % (figure 6). Enfin, de manière théorique, on peut espérer que la présence du stent limitera la compression latérale dynamique lors des efforts physiques d’intensité élevée. Figure 6. Angioplastie d’une artère coronaire droite connectée dans le sinus gauche avec un trajet interartériel (flèche blanche). Réduction du degré de sténose après stenting.   Les difficultés techniques de cathétérisme d’une ANOCOR droite sont connues. Elles peuvent être surmontées par une stratégie qui est résumée dans la figure 7. Les cathéters les plus utiles sont de type Extra-Back Up (ou équivalent) ou Amplatz Left. L’utilisation d’un cathéter d’extension permet d’améliorer la visualisation du réseau distal si besoin. Un stenting direct avec une prothèse à épaisseur de mailles élevée est généralement réalisé avec des hautes pressions (≥ 20 bars). La technique d’angioplastie est résumée dans la figure 8. Figure 7. Technique de cathétérisme d’une artère coronaire droite connectée dans le sinus gauche avec un trajet interartériel. A : cathétérisme du tronc commun avec une sonde Extra-Back Up en incidence oblique antérieure gauche (40°). B : rotation horaire douce du cathéter après extubation du tronc commun. C : mise en place d’un guide 0,014’’ lorsque l’orifice du cathéter est en face de l’ostium droit ectopique. D : poussée douce du cathéter vers l’ostium pour obtenir une meilleure opacification artérielle. E : opacification artérielle en incidence oblique antérieure droite (40°) pour visualiser le trajet interartériel avec aspect en bec de flûte (flèche jaune) évocateur d’un passage intramural aortique. Figure 8. Technique d’angioplastie d’une artère coronaire droite connectée dans le sinus gauche avec un trajet interartériel. A : cathétérisme du tronc commun avec une sonde Extra-Back Up. B : mise en place d’un guide 0,014’’ dans l’artère interventriculaire antérieure. C : mise en place d’un guide 0,014’’ dans l’artère coronaire droite. D : visualisation du segment interartériel. E : confirmation d’un passage intramural aortique par échographie endocoronaire. F : mise en place du stent. G : implantation du stent. H : résultat après angioplastie.   Un guidage par imagerie endocoronaire est conseillé. Il peut être utile de sécuriser la position du cathéter en plaçant un guide dans l’artère controlatérale. Il a été suggéré de préparer l’angioplastie avec un ballon coupant pour obtenir une meilleure expansion du stent. Le diamètre du stent choisi est celui de l’artère mesuré juste au début du trajet non ectopique. Il convient de couvrir tout le trajet interartériel et il faut éviter une protrusion trop importante de la prothèse dans l’aorte. Le contrôle par une imagerie endocoronaire et une évaluation physiologique permettent d’évaluer le résultat de l’angioplastie.   QUELS RÉSULTATS ?   Les résultats publiés sur l’angioplastie des ANOCOR restent limités(11-15). Moins de cent cas ont été rapportés avec une très grande majorité d’ANOCOR droites traitées de novo. De manière instructive, certains échecs de la chirurgie (occlusion aiguë, sténose cicatricielle, pontage non fonctionnel ou occlus) ont nécessité un traitement percutané. L’angioplastie avec stenting est capable de corriger une symptomatologie d’allure ischémique ou une ischémie myocardique documentée par imagerie. Comme pour la chirurgie, un effet bénéfique en prévention primaire sur le risque de mort subite n’a pas été démontré en l’absence d’études contrôlées. À ce jour, il n’a pas été rapporté de complications procédurales sévères à type de dissection débordant sur l’aorte ou de rupture coronaire. Au contraire de la création d’un néo ostium par chirurgie, le risque de thrombose aiguë ou subaiguë n’est pas décrit avec l’angioplastie. La durée d’hospitalisation est plus courte et la morbidité est plus basse avec le traitement percutané en comparaison avec la chirurgie. Des cas symptomatiques de resténose intrastent (environ 5 % des cas) par hyperplasie néo-intimale ont été rapportés, même avec les prothèses avec une élution médicamenteuse. Une nouvelle angioplastie est parfois nécessaire avec l’emploi préférentiel de ballons actifs. Cette nouvelle procédure peut être délicate en cas de protrusion aortique de mailles. Les contrôles tomographiques réalisés à ce jour n’ont pas mis en évidence de déformation ou d’écrasement de la structure métallique d’une prothèse implantée entre l’aorte et l’artère pulmonaire (figure 9). Très peu de cas d’ANOCOR gauches avec un trajet rétropulmonaire ont été traités à ce jour par voie percutanée. Figure 9. Images tomographiques à 24 mois d’une angioplastie d’artère coronaire droite connectée dans le sinus gauche. A : rendu volumique. B : coupe axiale sans injection.   * a. Département de cardiologie, Groupe Hospitalier Bichat-Claude-Bernard, Paris ; b. Service de cardiologie, Centre Hospitalier de Gonesse, Gonesse ; c. Département de cardiologie, Pôle Santé Oreliance, Saran ; d. Pôle cardiovasculaire imagerie et interventionnel, Clinique les Fontaines, Melun ; e. Institut national de chirurgie cardiaque et de cardiologie interventionnelle, Luxembourg. Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec ce travail. Dédicace : cet article est dédié à la mémoire du Dr Paolo Angelini (1941- 2023), cardiologue nord-américain (Texas Heart Institute), pionnier dans le domaine des anomalies coronaires congénitales et ami du groupe ANOCOR.

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