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Polémique

Publié le 20 jan 2023Lecture 8 min

Le prétraitement antiagrégant plaquettaire avant une exploration coronaire invasive - Est-il définitivement à bannir en dehors du STEMI ?

Grégoire RANGÉ, Les hôpitaux de Chartres ; Nicolas AMABILE, Institut Mutualiste Montsouris, Paris

Une double thérapie antiplaquettaire (DAPT) associant l'aspirine et un inhibiteur du P2Y12 est la pierre angulaire du traitement des patients traités par angioplastie coronaire. La DAPT réduit le risque de thrombose du stent et de récidive de l'infarctus du myocarde (IDM), mais le moment optimal d’instauration du traitement par inhibiteur du P2Y12 reste controversé. En effet, l'avantage d’un prétraitement, c'est-à-dire l'administration d'un agent inhibiteur du P2Y12 oral avant l'évaluation de l'anatomie coronaire, fait encore débat.

La raison d'être du prétraitement est de prévenir les événements ischémiques précoces (thrombose de stent, infarctus périprocédural) survenant pendant et après une intervention coronarienne percutanée (ICP). Cependant, cette stratégie peut exposer inutilement le patient à un risque hémorragique accru si la coronaropathie n'est finalement pas confirmée ou si une intervention chirurgicale urgente (par exemple, un pontage aortocoronarien, la réparation d'une dissection aortique) est nécessaire. En outre, elle peut augmenter le risque global de saignement périprocédural chez les patients subissant une ICP (figure 1).   De nombreuses études randomisées, des méta-analyses ainsi que des études observationnelles menées dans l’infarctus sans sus-décalage du ST (NSTEMI) ou le syndrome coronaire chronique (SCC) ont confirmé l’absence de bénéfice clinique du prétraitement sur les événements ischémiques hospitaliers ou à 30 jours après angioplastie coronaire, et l’augmentation concomitante significative du risque d’hémorragies graves. Ces publications ont amené l’ESC à transformer une recommandation à un prétraitement systématique dans le NSTEMI de classe Ib en 2011 en une « quasi » contre-indication de classe III en 2020. Dans le cadre du SCC, alors que le prétraitement avec dose de charge de 600 mg de clopidogrel était encore possible en cas de haute probabilité de maladie coronaire en 2014 (classe IIb), les nouvelles recommandations de 2020 en limitent l’usage au cas d’angioplasties programmées dont le réseau coronaire est connu (classe IA), excluant ainsi les procédures ad-hoc. Ce changement brutal de stratégie nous a amené à revoir complètement notre gestion des antiplaquettaires dans ces situations et à quasiment bannir toute possibilité de prétraitement dans notre pratique courante hors situation de STEMI. Ces recommandations nous exposent à devoir, soit décaler une angioplastie qui aurait pu être pratiquée dans le même temps que la coronarographie diagnostique, soit réaliser des angioplasties coronaires ad-hoc chez des patients non préparés et dans des environnements pharmacologiques imparfaits. Nous avons donc voulu savoir si les principales études ayant mené à ces recommandations étaient extrapolables à tous nos patients, si elles étaient toujours pertinentes en 2022 (compte tenu de l’amélioration des techniques interventionnel les, notamment en termes d’abord vasculaire), et s’il restait encore une place dans certaines situations au prétraitement.   PAS DE BÉNÉFICE SUR LES ÉVÉNEMENTS ISCHÉMIQUES PRÉCOCES ?   Bien qu’aucune étude n’ait démontré effectivement de bénéfice significatif du prétraitement sur les événements ischémiques, la méta-analyse de Bellemain retrouvait néanmoins une diminution significative des événements cliniques majeurs (MACE) à 30 jours dans les NSTEMI en faveur du prétraitement dans le sous-groupe traité par clopidogrel (figure 2).   Alors que le principal bénéfice de la DAPT dans l’angioplastie coronaire est la prévention de la thrombose intrastent (TIS) précoce, très peu d’études sur le prétraitement ont pris en compte cet événement dans sa définition des MACE. Nous avons alors recherché un lien entre prétraitement et TIS très précoce parmi les 44 916 patients non STEMI traités par angioplastie coronaire dans la base de données du registre France PCI. Les résultats, présentés à l’ESC par le Dr N. Amabile, montrent que l’absence de prétraitement multiplie le risque de TIS précoce par 2 (figure 3). De façon plus étonnante, nous retrouvons même une diminution significative de la mortalité à 1 an dans le groupe prétraitement. L’absence de bénéfice sur les événements ischémiques précoces du prétraitement n’est peut-être pas aussi claire que nous le présentent les publications et des études complémentaires intégrant la TIS comme critère primaire paraissent nécessaires.   SURRISQUE HÉMORRAGIQUE POUR TOUS ?   Il est indiscutable que l’ajout d’un second antiagrégant plaquettaire, a fortiori avant une exploration invasive artérielle, augmente le taux de saignements. La majorité des études a d’ailleurs confirmé le doublement du risque hémorragique associé au prétraitement. Néanmoins, la plupart de ces études ont plus de 10 ans et deux tiers des patients inclus ont bénéficié d’une angioplastie coronaire par voie fémorale dont on connaît l’impact négatif sur les saignements périprocéduraux. En effet, plus de la moitié des complications hémorragiques graves observées dans ces études concernait des saignements au point de ponction. Dans la méta-analyse de Dawson, aucune différence significative de saignements graves lié au prétraitement n’était observée chez les patients traités par voie radiale (figure 4). Même dans l’étude ACCOAST, seule étude de la méta-analyse ayant démontré une majoration significative des saignements majeurs à 30 J (hors PAC) chez les 4 033 patients présentant un NSTEMI prétraités par prasugrel (1,6 % vs 0,6 % : OR 2,86), aucun surrisque hémorragique n’a pu être confirmé chez les 1 711 patients traités par voie radiale en raison d’un taux d’événements trop faible (seulement 8 hémorragies graves dans cette population). Les conclusions de ces études « fémoralistes » sont donc difficilement extrapolables à nos patients de tous les jours chez qui l’accès radial représente en 2021 plus de 90 % des voies d’abord des angioplasties coronaires dans les 47 centres participants au registre France PCI. Outre les saignements au point de ponction, les autres grands pourvoyeurs d’hémorragies graves après angioplastie coronaire liées au prétraitement dans ces études étaient les PAC pratiqués en urgence dans les 7 jours suivant l’arrêt du P2Y12. Dans le cas du NSTEMI, ces situations sont devenues rares car les prises en charge percutanées sont de plus en plus privilégiées. Dans le cadre du SCC, l’intervention par PAC peut être différée d’une semaine après l’arrêt du P2Y12 dans la quasi-totalité des cas.   FAUT-IL ABOLIR L’ANGIOPLASTIE AD-HOC ?   L’absence de prétraitement avant une exploration invasive pour un patient présentant un SCC rend parfois délicate l’angioplastie coronaire ad-hoc qui représente pourtant 50 % des cas en pratique. Il est bien évidement recommandé de reporter l’angioplastie coronaire après une préparation antithrombotique optimale surtout en cas de lésions complexes, mais le caractère menaçant de certaines lésions que l’on préfère traiter rapidement, le souhait de ne pas multiplier les procédures, les difficultés de reprogrammer un patient venant d’un autre centre éloigné ou les contraintes de planning de salle de cathétérisme (notamment dans la période post-Covid), nous poussent à une angioplastie ad-hoc. Par ailleurs, les complications thrombotiques périprocédurales comme les TIS précoces ne sont pas réservées qu’aux lésions complexes et peuvent parfaitement compliquer l’angioplastie d’une lésion jugée a priori « simple ».   COMMENT GÉRER L’ANGIOPLASTIE AD-HOC ?   Pour pallier cette absence de prétraitement lors de ces angioplasties ad-hoc, différentes options thérapeutiques se sont développées dans nos salles de cathétérisme.   Une dose de charge de clopidogrel sur table La plus communément pratiquée dans le SCC est l’utilisation d’une dose de charge de 600 mg de clopidogrel sur table (si possible dès l’indication d’ICP posée). Cette attitude recommandée par l’ESC ne permet néanmoins pas d’obtenir une inhibition plaquettaire efficace avant 2 h, exposant le patient à un risque de TIS suraiguë.   L’administration d’un inhibiteur du P2Y12 Afin de raccourcir le délai d’obtention d’un inhibition plaquettaire optimale, certains préconisent dans le SCC l’administration d’un inhibiteur du P2Y12 (60 mg de prasugrel ou 180 mg de ticagrelor) sur table. Cette attitude séduisante laisse toujours un délai à risque thrombotique périprocédural d’environ 30 minutes après l’angioplastie. Dans une étude récente issue du registre suédois SCAAR, cette stratégie n’a non seulement pas confirmé de bénéfice en termes d’événements ischémiques, mais a même entraîné un doublement des hémorragies graves hospitalières par rapport à une dose de charge classique de clopidogrel en salle.   L’utilisation d’un antiagrégant plaquettaire en intraveineux D’autres options intéressantes ont été proposées en cas d’angioplastie ad-hoc à haut risque thrombotique et concernent l’utilisation d’un antiagrégant plaquettaire puissant intraveineux et immédiatement efficace permettant d’obtenir une inhibition plaquettaire optimale durant la procédure et pendant les quelques heures suivantes en attendant l’effet de la dose de charge de clopidogrel. Le cangrelor est la seule molécule validée dans cette indication. Elle s’appuie sur deux grandes études randomisées de plus de 8 000 patients chacune, de desseins apparemment très proches mais aux résultats néanmoins totalement différents : • La première, CHAMPION PCI, n’avait retrouvé aucun bénéfice à l’utilisation du cangrelor. En effet ce dernier n’entraînait aucune diminution des événements ischémiques précoces et majorait même significativement les événements hémorragiques obligeant à l’arrêt précoce de l’étude. • La seconde, CHAMPION Phoenix, montrait une diminution des événements ischémiques dans le groupe cangrelor mais dont le bénéfice était porté quasi exclusivement par les TIS dont la définition « exotique » (thrombus vu à l’angiographie pendant la procédure) avait été modifiée par rapport à l’étude CHAMPION PCI qui, elle, utilisait la définition classique ARC. CHAMPION Phoenix ne retrouvait plus de surrisque hémorragique dans le groupe cangrelor mais la définition d’hémorragie grave avait été également modifiée et durcie par rapport à l’étude CHAMPION PCI (GUSTO plutôt qu’ACUITY) afin d’en minorer l’incidence. Ces « arrangements » méthodologiques transformant une première étude négative en une seconde étude positive tendent à nuancer le bénéfice réel du cangrelor dans l’angioplastie coronaire non prétraitée.   L’administration d’une dose de charge d’anti-GpIIb/IIIa Enfin, une dernière alternative parfois utilisée est l’administration d’une dose de charge d’anti-GpIIb/IIIa IV en début de procédure d’angioplastie afin d’assurer une inhibition plaquettaire immédiate en cas lésions à haut risque thrombotique (lésions longues, bifurcation, tronc commun, etc.). Cette attitude validée dans le syndrome coronaire aigu n’a cependant jamais été validée dans le SCC. Le principal avantage des anti-GpIIb/IIIa par rapport au cangrelor est leur coût moins élevé (40 euros vs 400 euros). Comme nous le voyons, l’absence d’indications recommandées au prétraitement de nos patients stables ou instables hors ST+ avant toute visualisation du réseau coronaire oblige bon nombre d’angioplasticiens à rechercher des solutions alternatives, imparfaites et le plus souvent non validées, pour sécuriser leur procédure ad-hoc. Afin de synthétiser ces différentes options thérapeutiques, nous vous proposons un arbre décisionnel pour aider le clinicien dans sa stratégie de traitement AAP pré et perangioplastie coronaire (figure 5).   Plutôt qu’une attitude systématique, il faudra savoir adapter notre stratégie de prétraitement au profil et à la probabilité de maladie coronaire de chaque patient comme cela avait était proposé dans les recommandations 2014. Dans cette perspective, l’utilisation du scanner coronaire permettant de connaître l’anatomie coronaire avant réalisation de l’angiographie et la présence d’une documentation d’ischémie myocardique, pourraient faciliter la prescription d’un prétraitement a fortiori si le patient présente un âge contre-indiquant le recours à la chirurgie cardiaque.

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