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HTA

Publié le 14 sep 2004Lecture 10 min

Prévention cardio-vasculaire : l’hypertension

M. BEAUFILS, hôpital Tenon, Paris

La prévention des accidents cardio-vasculaires est un des enjeux majeurs de notre époque, point n’est besoin d’y revenir dans ce numéro qui lui est consacré.
Le risque cardio-vasculaire ne peut être envisagé que globalement et une prévention réaliste ne doit négliger aucun de ses facteurs. Il s’agit donc d’une stratégie qui est fondamentalement pluridisciplinaire et doit s’affranchir des barrières qui séparent encore trop les spécialités.
Nous nous limiterons ici, sans vouloir rappeler des règles que chacun connaît bien, à répéter les principes généraux qui intègrent l’hypertension dans la logique du risque cardio-vasculaire en général, et dans sa prévention.

L’HTA est un facteur de risque cardio-vasculaire Au sein de ce risque, l’hypertension occupe, en effet, une place majeure. Dès le début du XXe siècle, les compagnies américaines d’assurance sur la vie avaient montré que des chiffres élevés de pression artérielle sont associés à une réduction notable de l’espérance de vie. Plus tard, l’étude longitudinale de Framingham a mieux quantifié ce risque : comparativement à un sujet normotendu, une HTA « limite » augmente le risque coronaire de 50 % et une HTA avérée (160/90 à l’époque) de 250 %. La majoration est encore plus spectaculaire pour l’insuffisance cardiaque et plus encore pour la survenue d’un AVC. Dans un travail récent, Lewington et coll. se sont livrés à une métaanalyse de 61 études observationnelles, totalisant plus d’un million de sujets. Il existe, dans toutes les tranches d’âge considérées, une relation linéaire entre les chiffres de pression artérielle (systolique et diastolique) et la mortalité par cardiopathie ischémique, aussi bien que la mortalité par AVC. Cette relation est sans seuil dans toute la plage de valeurs considérée, allant de 115 jusqu’à 180 mmHg de PAS. Chaque tranche de PAS plus élevée de 20 mmHg est associée à un doublement de la mortalité par insuffisance coronaire, et un peu plus encore pour la mortalité par AVC. C’est cette absence de seuil qui a conduit les auteurs de la dernière recommandation du JNC à remettre en cause l’idée même d’un seuil d’hypertension, et à créer une catégorie, dite « préhypertension », commençant à 120 mmHg pour la systolique et 80 pour la diastolique.   Comment devient-on hypertendu ? Le phénotype hypertension suppose deux facteurs réunis : une prédisposition génétique et des facteurs d’environnement, largement diététiques. De l’intrication de ces facteurs découlent des modifications physiologiques, que nous n’envisagerons pas ici, aboutissant à l’élévation de la pression artérielle.   Facteurs génétiques Les lignées d’animaux génétiquement hypertendus représentent une source inépuisable d’études, génétiques autant que physiologiques, mais ces modèles sont fort éloignés de la pathologie humaine. Dans l’espèce humaine, il existe plusieurs formes d’hypertensions monogéniques, clairement individualisées. Ces hypertensions, de transmission mendélienne, sont néanmoins des raretés au regard de l’hypertension essentielle, au contraire si fréquente dans les populations. On sait pourtant que l’hypertension essentielle a une agrégation familiale, et donc probablement une composante génétique. Les études comparant vrais et faux jumeaux, fratrie non gémellaire, ou enfants adoptés, ont permis de faire la part de ce facteur génétique à environnement constant. La part imputable à la génétique dans la variance de la pression artérielle est estimée aux alentours de 30 %. Nombreuses ont été également les études génétiques dans les familles d’hypertendus, qui ont largement accru nos connaissances. Ce qui est clair est que l’hypertension essentielle n’est pas une affection monogénique dont le gène responsable nous échapperait. Elle est au contraire largement polygénique, associant à des degrés divers des « gènes de prédisposition » qui sont pour une large part reliés à des mécanismes physiologiques impliqués dans la régulation de la pression artérielle. Ainsi, divers gènes sont reliés aux composants du système rénine-angiotensine, d’autres sont impliqués dans la réponse rénale à la charge sodée, etc. Des mutations « mineures » des gènes impliqués dans les hypertensions monogéniques pourraient aussi contribuer à l’hypertension essentielle. La pharmacogénétique, identifiant des facteurs de sensibilité à diverses thérapeutiques antihypertensives, en est une autre approche prometteuse.   Facteurs environnementaux Les facteurs d’environnement sont donc très importants, dès lors qu’existe cette prédisposition génétique que nul ne peut mesurer aujourd’hui. Tout laisse penser néanmoins qu’il existe à tout moment une intrication très étroite entre ces deux influences. Ainsi, le rôle du sodium alimentaire dans la genèse de l’hypertension demeure un sujet d’âpres controverses. Mais l’accord est unanime sur le fait que certains sujets sont « sensibles au sodium » et d’autres non, et les facteurs génétiques de cette sensibilité ont été largement étudiés et en partie élucidés. L’obésité, la consommation excessive d’alcool sont d’autres facteurs favorisants bien connus. Le rôle du « stress » environnemental, social ou professionnel, n’est pas moins classique. Plusieurs pathologies de fort impact vasculaire ont volontiers tendance à s’associer. L’exemple le plus caricatural est celui du « syndrome métabolique », dont chacun sait qu’il est associé à un niveau de risque cardio-vasculaire particulièrement élevé.   Peut-on prévenir l’hypertension ? La discussion précédente avait surtout pour objet d’introduire cette question dont l’importance est évidente. Il est tout aussi évident que l’on a peu de chance d’agir sur les facteurs génétiques. En revanche, les connaître et les identifier aiderait grandement à apporter au niveau de l’environnement, principalement alimentaire, les inflexions salutaires permettant, sinon d’éviter réellement, au moins de retarder ou de minorer leur impact physiologique. Ces règles d’hygiène sont à l’évidence favorables pour tous les individus, et la population dans son ensemble devrait donc s’en inspirer. Les promouvoir est le rôle des campagnes d’information du grand public. En toute logique, ces mesures devraient être renforcées et surtout mieux surveillées et contrôlées, chez les sujets dont la pression artérielle n’est pas strictement normale. À ce stade, le médecin doit entrer en jeu, reprendre et préciser les recommandations dans le cadre de la relation duelle médecin-malade et veiller autant que faire se peut à leur application. Les patients concernés sont ceux qualifiés de « préhypertendus » par la recommandation du JNC VII (120 à 139 mmHg de PAS et/ou 80 à 89 mmHg de PAD), ou ceux qualifiés de patients à pression artérielle « normale haute » par les autres recommandations, européennes en particulier (130 à 139 mmHg de PAS et/ou 85 à 89 mmHg de PAD). Nous ne nous intéresserons pas ici à la querelle sémantique entre ces recommandations. En pratique, dans un cas comme dans l’autre, un grand nombre de sujets est concerné et, hors un monde idéal, seule une fraction d’entre eux sera prête à se plier à ces règles, et saura y persévérer. C’est sans doute l’une des limitations principales de cette prévention de l’hypertension.   Peut-on faire plus, et mieux ? La même prévention pourrait opportunément être proposée aux sujets jeunes ayant des antécédents familiaux d’hypertension et/ou de maladies cardio-vasculaires. Il s’agirait alors d’appliquer un traitement pharmacologique, dans un but préventif, à des sujets dont les seuls chiffres actuels de pression artérielle ne le justifieraient pas. L’argumentation d’une telle attitude n’est guère encore que théorique (doublée d’un intérêt industriel). La mesure serait assurément coûteuse, et le choix du médicament à utiliser serait bien arbitraire. Néanmoins, s’il était ainsi possible de retarder notablement l’apparition d’une HTA caractérisée, la balance entre coût, risque iatrogène et bénéfices pourrait mériter d’être considérée avec attention. Avant d’envisager sérieusement une telle politique, des études de taille et de qualité adéquates devraient préalablement en confirmer le bien-fondé. Le sujet est à la mode. Un grand essai est en cours (étude TROPHY) pour déterminer si l’administration précoce d’un antihypertenseur (inhibiteur de l’angiotensine) à des sujets dont la pression artérielle n’est encore que normale-haute peut éviter ou retarder le passage à une hypertension caractérisée.   Dépister l’hypertension Toutes les études épidémiologiques s’accordent sur le fait qu’une proportion importante des hypertensions n’est pas connue. Dans l’étude NHANES, plus de 30 % des patients ne sont pas au courant de ce que leurs chiffres de pression artérielle sont anormaux. Il reste donc des efforts à faire pour que la mesure de la pression artérielle soit partie intégrante de toute démarche médicale et que, de surcroît, les résultats de cette mesure soient intellectuellement enregistrés. C’est sans doute aux stades précoces de l’hypertension que la démarche est la plus défaillante. Nombre d’hypertensions essentielles se manifestent déjà, plus ou moins discrètement, durant l’adolescence, sous forme de hausses des chiffres tensionnels, souvent satellites d’émotions. Le fait que les chiffres reviennent rapidement à la normale lorsque le sujet est mis au calme permet trop souvent d’attribuer à la seule « émotivité » ce qui est en fait déjà une hypertension limite ou labile, quel que soit le terme que l’on veut lui appliquer. Cette erreur conceptuelle conduit à ignorer le fait que ce sujet a des antécédents familiaux, et qu’il présente divers facteurs de risque, parfaitement identifiables. Pourtant, à ce stade, le seul fait de désigner le trouble (qui n’est pas une maladie) permettrait d’appliquer une surveillance plus rationnelle, et de proposer une intervention précoce sur les facteurs de risque, telle que les mesures préventives évoquées plus haut. Traiter l’hypertension Les mêmes études épidémiologiques, stigmatisant le dépistage insuffisant de l’hypertension, constatent également qu’il n’est guère plus d’un hypertendu sur deux qui soit traité, et parmi ceux-là guère plus d’un sur deux dont la pression artérielle soit normalisée sous traitement. Pourtant, les preuves ne manquent pas qu’un traitement adéquat de l’hypertension assure une protection remarquable vis-à-vis des AVC, de l’insuffisance cardiaque, de la maladie coronaire, de la néphro-angiosclérose… Ces constatations sont basiques et totalement consensuelles, or l’hypertension n’en demeure pas moins le « silent killer » montré du doigt par les auteurs classiques.   Où est donc la distorsion ? Sans doute dans le fait qu’il s’agit d’une maladie chronique, longtemps asymptomatique, mais nécessitant un traitement de très longue haleine. Limiter cette distorsion suppose donc de la part du corps médical un minimum de rigueur et de persévérance. Tout médecin, généraliste ou spécialiste, dispose de divers documents (habituellement dérivés des grandes recommandations) destinés à le guider dans le traitement des hypertensions. Nous n’en proposerons pas ici un de plus, mais nous limiterons à un rappel des principes.   Suivre les recommandations Certes l’hypertension n’est pas toujours facile à maîtriser. L’usage d’une bithérapie ou plus est très souvent indispensable. Ces associations ne se font pas de manière fantaisiste, mais en suivant une stratégie parfaitement définie dans les recommandations. Celles-ci sont supposées connues, mais elles restent encore trop peu appliquées. Même si les recommandations ont un peu proliféré ces derniers temps, et avec quelques discordances entre elles, néanmoins : - aucune n’est mauvaise, et en suivre une, quelle qu’elle soit, est un gage de succès ; - dans la mesure où l’ANAES publie une recommandation pour notre pays (elle est en cours de mise à jour et devrait être publiée dans sa nouvelle mouture fin 2004), elle devrait être notre référence naturelle.   La prévention cardio-vasculaire en pratique   Évaluer le risque global On le sait, le premier temps de la gestion d’un hypertendu consiste à évaluer son risque cardio-vasculaire global. Diverses sont les méthodes pour ce faire : on peut compter les « facteurs de risque » ou utiliser diverses équations. Certes, l’équation de Framingham est critiquable et il est de bon ton aujourd’hui d’afficher le mépris que l’on en a. La valeur quantitative qu’elle offre n’est assurément pas à prendre comme une valeur exacte ni absolue (mais n’en est-il pas de même pour notre pèse-personne ?). Une valeur numérique, même inexacte, a néanmoins le mérite de situer le risque dans une échelle de valeurs et de servir de référence lors du suivi, tous éléments très utiles dans le dialogue avec le patient.   Définir une stratégie adaptée à chaque patient Cette démarche préliminaire d’évaluation du risque global permet de mettre en relief les différents éléments qui le composent, et donc de définir une stratégie de traitement adaptée à chaque patient. Cette stratégie doit prendre en compte tous les éléments du risque. Si la normalisation des chiffres de pression artérielle en est un élément indispensable, elle n’est pas une fin en soi. L’objectif essentiel est de réduire le risque global ; le respect des règles hygiéno-diététiques et l’arrêt du tabac en sont un point essentiel. La correction d’une dyslipémie ou d’une intolérance au glucose en est l’élément suivant.   Les investigations continuent… Sur le plan pharmacologique, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’une classe de médicaments antihypertenseurs ait apporté la preuve indiscutable de sa supériorité sur les autres en termes de prévention cardio-vasculaire. Diverses études ont suggéré un effet bénéfique, au moins chez certains patients, de l’adjonction d’aspirine (HOT), de l’association plus ou moins systématique d’une statine (ASCOT), etc. De telles stratégies doivent être mûrement pesées — tant en termes de risques que de coût — avant d’être appliquées à plus large échelle. Mais ces données indiquent au moins qu’il existe encore un vaste champ d’investigations qui laisse espérer, à relativement court terme, une efficacité encore accrue de la prévention cardio-vasculaire.

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