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Études

Publié le 22 fév 2005Lecture 7 min

Peut-on débuter le traitement de l'insuffisance cardiaque par les bêtabloquants ? Les raisons du cœur de Carmen

P. DOS SANTOS, hôpital cardiologique du Haut-Lévêque, Pessac

Les effets bénéfiques des IEC et des bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque sont incontestables. Historiquement, les IEC ont occupé et occupent la première place, les bêtabloquants étant prescrits en deuxième position.
Une remise en question de cette chronologie est tout à fait légitime et justifie cette mise au point.

Distension jugulaire. Les IEC sont considérés comme le traitement de première intention de l’insuffisance cardiaque. L’ensemble des recommandations pour la prise en charge de cette pathologie indique que la thérapeutique médicamenteuse devrait toujours débuter par l’introduction d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) dont la posologie devrait être augmentée progressivement jusqu’à l’obtention d’une dose ayant démontré son efficacité en termes de réduction de la mortalité et de la morbidité dans des études randomisées en double aveugle contre placebo. La prescription de diurétiques, quant à elle, dépend de l’existence de signes de rétention hydrosodée. Ce « privilège » accordé aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion résulte de la démonstration incontestable, et maintes fois reproduite par des études randomisées contre placebo, de leurs effets bénéfiques chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque systolique, quelle que soit sa sévérité. Selon ces études, les IEC diminuent la mortalité annuelle de 15 à 30 % en cas d’insuffisance cardiaque modérée à sévère. Cette réduction de la mortalité est obtenue chez des patients traités par ailleurs avec des diurétiques et, éventuellement, avec des digitaliques et d’autres vasodilatateurs. Le traitement par les IEC permet, de plus, de réduire le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque et améliore la qualité de vie. Une métaanalyse relativement récente établit que le traitement par IEC réduit la mortalité de 26 % et les réadmissions à l’hôpital pour insuffisance cardiaque de 27 % chez les patients souffrant de dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique ou d’insuffisance cardiaque après un postinfarctus du myocarde.   La place des IEC peut-elle (ou doit-elle) être remise en question ? Il est incontestable que ces effets bénéfiques, observés quelle que soit la gravité de la maladie, expliquent la considération particulière qui est accordée aux IEC et leur « pole position » lors de l’instauration du traitement, avant la prise en considération de toute autre classe. Ainsi, une règle a vu le jour, qui stipule que l’instauration des IEC est la première étape obligatoire de la mise en route du traitement de l’insuffisance cardiaque. Cette règle s’est peu à peu érigée en dogme qu’il devient difficile de combattre, comme l’était, il y a moins de 20 ans, la contre-indication des bêtabloquants chez les insuffisants cardiaques. Cette attitude rigide a, de plus, l’inconvénient de tuer dans l’œuf toute tentative d’approche personnalisée du patient. Cependant, il est important de considérer que la place prépondérante donnée aux IEC tient en grande partie, sinon exclusivement, à des raisons historiques. Les IEC ont été la première classe thérapeutique testée avec succès contre placebo chez les insuffisants cardiaques. Même s’il est impossible de rejouer la scène, il est toutefois envisageable que d’autres classes, évaluées dans des conditions similaires, auraient apporté des bénéfices comparables et mérité de ce fait le statut de traitement de première intention. Les bêtabloquants, qui ont démontré leur efficacité en termes de réduction de la morbidité et de la mortalité lorsqu’ils sont prescrits chez des patients insuffisants cardiaques déjà traités par des IEC, méritent à cet égard considération. Ainsi, la démonstration scientifique que le privilège accordé aux IEC est parfois usurpé requiert des études comparatives testant l’efficacité des IEC comparativement à celle d’une autre classe. La mise en route de telles études soulève sans conteste des problèmes éthiques. Peut-on priver un patient d’un traitement ayant fait la preuve spectaculaire de son efficacité et pratiquement qualifié d’obligatoire par toutes les recommandations des sociétés savantes ? Un des travers de ces recommandations est qu’elles peuvent pousser les médecins, parfois sous la pression larvée de potentiels avocats, à se transformer en « intégristes » appliquant le texte au pied de la lettre, sans discernement. Analyse de la cinétique segmentaire par codage couleur = altération de la fonction systolique avec akinésie de la moitié apicale du septum et de l’apex. Des arguments pour une remise en question Il est par exemple légitime de se demander si des patients ayant une fréquence cardiaque particulièrement élevée ne tireraient pas davantage de bénéfices d’un traitement par les bêtabloquants que d’un traitement par IEC.   Mort subite L’analyse des effets des différentes classes thérapeutiques sur les modalités de décès des patients souffrant d’insuffisance cardiaque appelle aussi quelques commentaires. Le traitement par les IEC induit incontestablement, de manière constante, une réduction de la mortalité par progression de la maladie et défaillance cardiaque. Il n’a cependant que des effets modestes ou nuls sur le décès par mort subite, qui est d’autant plus à craindre que l’insuffisance cardiaque est légère. Les bêtabloquants, en revanche, induisent une réduction de la mortalité subite que l’on peut évaluer à 30 % chez des patients déjà traités par IEC.   Remodelage ventriculaire Il est aussi licite de s’interroger sur la capacité du traitement à prévenir le remodelage ventriculaire gauche qui est un élément fondamental du déclenchement de la maladie et de sa progression. L’association des IEC et des bêtabloquants est particulièrement efficace sur ce paramètre lorsqu’il est apprécié par la mesure du volume ventriculaire gauche, alors que certaines études retrouvent un effet modeste ou nul des IEC utilisés seuls. Dans ce contexte, la véritable question est donc : les bêtabloquants utilisés seuls préviennent-ils ou peuvent-ils faire régresser le remodelage ventriculaire ? Lorsqu’on compare, du point de vue pharmacologique, les effets des IEC à ceux du carvédilol, il apparaît que ce dernier possède certaines propriétés spécifiques susceptibles de le doter d’effets antiremodelage supérieurs. Nous citerons ses propriétés alpha-1-bloquante antioxydante et anti-ischémique. En revanche, les IEC sont susceptibles d’être efficaces en diminuant les taux d’angiotensine II ou en augmentant la bradykinine, effets qui sont moins marqués ou absents après traitement par un bêtabloquant. Il est donc possible que le carvédilol ait, par des mécanismes différents, des propriétés antiremodelage équivalentes ou supérieures à celles des IEC.   Les leçons de CARMEN CARMEN est la meilleure source d’inspiration pour tenter de réfléchir sur ces questions. Cette étude européenne multicentrique a inclus 572 patients souffrant d’insuffisance cardiaque légère à modérée avec fraction d’éjection < 40 % et les a suivis pendant 18 mois. La population a été divisée en trois groupes de taille équivalente : • un groupe traité par carvédilol seul (dose cible = 50 mg/j) ; • un groupe traité par énalapril seul (dose cible = 20 mg/j) ; • un groupe traité par l’association carvédilol + énalapril. Pour ce dernier groupe, les investigateurs avaient osé le « sacrilège » de débuter le traitement par le carvédilol et de n’introduire l’énalapril qu’après obtention de la dose cible. Cette étude montre que le traitement par carvédilol réduit le volume ventriculaire gauche et améliore la fonction cardiaque de manière plus prononcée que le traitement par énalapril seul. Le traitement par énalapril pendant 18 mois n’induit pas de réduction du volume ventriculaire et n’améliore que modestement la fraction d’éjection. Ainsi, CARMEN, qui est la première grande étude contrôlée comparant directement un bêtabloquant et un IEC dans l’insuffisance cardiaque, montre que le traitement par carvédilol seul est capable de prévenir les phénomènes de remodelage et de diminuer la taille du ventricule gauche. L’étude de tolérance montre, par ailleurs, que le bêtabloquant a été aussi bien supporté que l’IEC. Un autre enseignement important de cette étude est que la combinaison des deux traitements a des effets supérieurs sur le remodelage à ceux de chacune des deux thérapeutiques prises séparément. Là encore, les études de tolérance montrent que la thérapeutique combinée (débutée par le bêtabloquant) a été aussi bien supportée que chacune des monothérapies.   La nécessaire évolution des pratiques Bien que les recommandations évoluent, il est souvent considéré que le traitement par les IEC doit être instauré dès que le diagnostic d’insuffisance cardiaque est posé, et que les bêtabloquants ne doivent être introduits que secondairement, si le patient demeure symptomatique. Cette attitude attentiste, renforcée par la crainte d’une mauvaise tolérance du traitement bêtabloquant, est susceptible de faire perdre un temps précieux à des patients dont la médiane de survie n’est que de 3 ans. Les résultats de l’étude CARMEN sont, de ce point de vue, riches en enseignements. Ils doivent nous faire envisager d’emblée de traiter les patients par l’association des IEC et des bêtabloquants. La décision d’introduire la deuxième classe ne doit en aucun cas être conditionnée par les résultats insuffisants de la première lorsqu’elle est utilisée seule. Cette étude lève par ailleurs toutes les éventuelles barrières éthiques qui pourraient nous retenir de retarder l’instauration des IEC pour introduire préalablement les bêtabloquants, puisque le traitement par carvédilol s’est avéré au moins équivalent au traitement par IEC sur une période de suivi de 18 mois. Une attitude personnalisée, basée sur le profil de chaque patient, est donc autorisée. De plus, CARMEN nous montre qu’il est généralement aisé d’instaurer une association bêtabloquant + IEC en débutant par le bêtabloquant. Enfin, une importante leçon de CARMEN est qu’il peut être utile de remettre en cause la place privilégiée, pour des raisons historiques, d’une thérapeutique donnée en la comparant à des thérapeutiques dont la démonstration de l’efficacité est plus récente, même si cela nous conduit temporairement, sur un nombre limité de patients, à nous écarter de la médecine fondée sur les preuves. Une bibliograpie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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