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Prévention et protection

Publié le 14 sep 2004Lecture 8 min

La lutte contre le tabagisme - Une priorité également pour les cardiologues

D. THOMAS, Institut de Cardiologie, Pitié-Salpêtrière, Paris

Parmi les facteurs de risque cardio-vasculaire, le tabac est longtemps resté dans l’ombre. C’est pourtant un facteur de risque qui frappe tôt, responsable essentiel et souvent isolé des accidents coronariens aigus du sujet jeune, intervenant sans véritable seuil ni d’intensité ni de durée de consommation et dont la correction est très rapidement efficace, avec le meilleur rapport coût/bénéfice parmi les actions de prévention cardio-vasculaire.
Les cardiologues doivent s’impliquer au quotidien dans la lutte contre le tabagisme.
La substitution nicotinique est à présent « recommandée » chez les patients coronariens fumeurs. La prévention du tabagisme doit commencer dès l’enfance et la Fédération Française de Cardiologie œuvre dans ce domaine depuis 7 ans, à travers ses campagnes « Jamais la première cigarette ».
Enfin, pour contrer efficacement les offensives de l’industrie du tabac, la lutte contre le tabagisme doit être aussi politique, tant au niveau national qu’international.
Nous devons également soutenir ces actions.

Une épidémie mondiale majeure et évolutive Le tabagisme a été à l’origine de la plus grave « épidémie » de la deuxième moitié du XXe siècle et reste, pour les décennies à venir, un problème mondial majeur de santé publique. Le nombre de décès attribuables annuellement à la consommation de tabac est d’environ 5 millions (3,94 à 5,93 millions). Cela représente 13 500 décès par jour, soit un décès toutes les 7 secondes. L’évolution du tabagisme féminin et l’intense promotion de la consommation de tabac dans les pays en voie de développement font prévoir un doublement du nombre des décès pour 2025. Cette hécatombe reste, paradoxalement, peu visible, car ces morts sont anonymes, isolées, sans véritable impact médiatique au quotidien. Il est vrai que l’agent responsable de cette épidémie est particulier. N’importe quel produit de consommation courante, accessible à tout individu y compris aux mineurs, et dont la responsabilité serait démontrée dans un seul décès, serait immédiatement interdit à la vente, et le vendeur poursuivi et condamné s’il poursuivait son commerce. Tous les alibis avancés pour expliquer cette tolérance ou cette indifférence ne peuvent tenir au regard de l’ampleur du désastre actuel et à venir.   Un impact cardio-vasculaire sous-estimé et touchant des sujets jeunes Quand on pense décès attribuables au tabagisme, il vient avant tout à l’esprit le risque de cancer du poumon. En effet, la majorité des cancers du poumon est directement et uniquement due à la consommation de tabac. Cependant, le nombre absolu de décès cardio-vasculaires attribuables au tabagisme dans le monde est évalué à 1 690 000 par an, soit le double de celui des décès par cancer du poumon (tableau 1). Par ailleurs, le nombre absolu de décès cardio-vasculaires attribuables au tabagisme est, chez les hommes, deux fois plus important entre 30 et 69 ans (24 % des décès cardio-vasculaires) qu’après 70 ans et, si l’on ne prend en compte que les pays industrialisés, c’est 40 % des décès cardio-vasculaires qui sont attribuables au tabagisme dans cette tranche d’âge (tableau 2). Des mécanismes dominés par la thrombose et le spasme Le tabac est un puissant facteur thrombogène. Cela est lié à l’augmentation de l’agrégation plaquettaire, du taux de fibrinogène et de la viscosité sanguine (par augmentation des éléments figurés du sang). Il entraîne également une altération de la vasomotricité artérielle endothélium-dépendante, ce qui explique la fréquence des manifestations de spasme coronaire chez les fumeurs. Il a un effet défavorable sur le bilan lipidique, avec diminution du HDL cholestérol. Enfin, le tabac potentialise l’automatisme cellulaire cardiaque, ce qui diminue le seuil de fibrillation ventriculaire. La nicotine est essentiellement responsable de la dépendance. Ses effets hémodynamiques se limitent à des modifications mineures de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle systolique par stimulation adrénergique. Ces effets sont présents pour les taux de nicotine circulante induits par la combustion d’une cigarette, mais sont totalement absents pour les taux atteints lors de l’utilisation des substituts nicotiniques quelles que soient les doses, y compris chez les patients coronariens.   Le sevrage tabagique   Bénéfices attendus Nous ne disposons pas, pour le tabac, d’études comparables à celles réalisées dans le traitement de l’hypercholestérolémie ou de l’hypertension artérielle, car elles seraient éthiquement inacceptables, mais nous avons néanmoins les preuves indiscutables d’un bénéfice. Les mécanismes des complications cardio-vasculaires liées au tabagisme (thrombose ou spasme) expliquent que ce bénéfice puisse être assez rapidement obtenu. Dans le cadre de la prévention primaire, ce bénéfice sera d’autant plus important que le sevrage aura été précoce. Un sevrage tardif donne indiscutablement un bénéfice aux ex-fumeurs, mais ne leur permet pas de rejoindre le risque des sujets qui n’ont jamais fumé (tableau 3). Dans le cadre de la prévention secondaire, des études publiées dans les années 80 avaient déjà montré que les fumeurs ayant fait un infarctus du myocarde et arrêtant de fumer ont une mortalité diminuée de l’ordre de 50 % comparativement aux sujets poursuivant leur consommation de tabac. Chez les patients ayant bénéficié d’un pontage coronaire ou d’une angioplastie, la persistance du tabagisme augmente de façon importante le risque d’événements. Enfin, dans les suites d’un infarctus du myocarde, le risque de décès par trouble du rythme est inférieur chez les patients ayant cessé de fumer comparativement à ceux restant fumeurs. Il n’y a pas de démarche médicale ou chirurgicale qui puisse donner un bénéfice aussi rapide et aussi important sur la morbidité et la mortalité coronaires dans le cadre de la prévention secondaire que l’arrêt du tabagisme, et cela pour un coût négligeable et sans risque d’effet délétère.   Une priorité dans les actions de prévention La prise en charge médicale du tabagisme est actuellement insuffisante. Elle mérite d’être placée sur le même plan que la prise en charge des autres facteurs de risque, hypertension artérielle, hypercholestérolémie ou diabète. Cela nécessite : Un abord systématique du sujet avec tout patient fumeur. La motivation des patients dépend beaucoup de la préoccupation manifestée par son médecin vis-à-vis de ce facteur de risque. L’efficacité du simple « conseil minimum » en est la démonstration. Sa pratique systématique par l’ensemble des médecins français ferait, à elle seule, augmenter de 200 000 le nombre de sevrages chaque année. Une évaluation précise de la dépendance et de l’environnement du sujet fumeur. Il faut évaluer la dépendance à la nicotine par le test de Fagerström et dépister par des tests appropriés des manifestations d’anxiété et de dépression qui devront être prises en charge. Une utilisation des outils thérapeutiques démontrés comme efficaces, c’est-à-dire les substituts nicotiniques, le bupropion et les thérapies cognitives et comportementales. Les praticiens doivent savoir utiliser ces traitements et, dans les cas les plus complexes, orienter vers les consultations spécialisées de sevrage tabagique. Un suivi et un accompagnement au long cours de tous les sujets sevrés. La plupart des rechutes sont liées à un manque de soutien ou de prise en compte par les praticiens d’effets collatéraux liés au sevrage (prise de poids, syndrome dépressif, etc.). Dans cette prise en charge, doivent également collaborer tous les professionnels de santé (pharmaciens, chirurgiens dentistes, infirmières, sages-femmes, kinésithérapeutes).   Une approche évolutive chez le patient coronarien   L’une des nouveautés apportées par les recommandations récentes de l’AFSSAPS (mai 2003) concerne l’utilisation des substituts nicotiniques chez le coronarien. Les substituts nicotiniques sont « recommandés chez les patients coronariens fumeurs… et peuvent être prescrits dès la sortie de l’Unité de Soins Intensifs, au décours immédiat d’un infarctus du myocarde… ». Cette évolution des recommandations est liée à la démonstration, dans des études expérimentales et cliniques, de l’innocuité et de l’efficacité de cette approche chez les patients coronariens, et doit être largement diffusée afin d’obtenir une modification rapide des pratiques. (http://afssaps.sante.fr/10/tabac/intab.htm) Le rimonabant (non encore commercialisé), premier inhibiteur sélectif des récepteurs CB1 du système endocannabinoïde, s’avère aussi efficace que les substituts nicotiniques ou le bupropion dans le sevrage, mais évite la prise de poids. Il devrait être, dans les années à venir, un autre outil très efficace pour le sevrage des patients coronariens.   Le mieux est de ne pas commencer….   « Jamais la première cigarette » Depuis 1997, la Fédération Française de Cardiologie s’est engagée dans des actions visant à prévenir l’entrée des jeunes dans le tabagisme. Chaque année, la campagne « Jamais la première cigarette » a pour objectif de sensibiliser les jeunes de 10 à 15 ans sur la nocivité du tabac et la nécessité de choisir volontairement de ne pas commencer à fumer. Plutôt que d’imposer aux jeunes un message qui serait noyé dans la masse considérable des informations qu’ils reçoivent au quotidien, il a été choisi de les faire participer activement à la campagne en les impliquant dans sa réalisation elle-même. Des milliers de jeunes ont été mobilisés autour de deux objectifs. La réalisation d’une enquête, conçue et réalisée sur le terrain par eux-mêmes avec d’autres jeunes du même âge sur le thème « Pourquoi vas-tu un jour accepter ou refuser la première cigarette, celle qui va te faire entrer dans le monde des fumeurs… ou des non-fumeurs ? » Les enquêtes successives ont apporté des informations fondamentales pour améliorer la communication sur ce thème auprès des jeunes. Un concours pour la réalisation d’un clip vidéo « Jamais la première cigarette ». Misant sur le formidable potentiel de créativité des jeunes pour exprimer avec leurs idées et leurs mots les éléments déterminants pour les dissuader de commencer à fumer, le principe est de concevoir un scénario avec réalisation d’un story board. Le projet gagnant est réalisé par une équipe professionnelle et diffusé dans des espaces publicitaires gracieux de télévision et de cinéma, ciblant préférentiellement les jeunes.   Un problème « politique » aussi Dans ce domaine, deux événements majeurs ont récemment marqué un véritable engagement politique international dans la lutte contre le tabagisme. La première Conférence Internationale Francophone sur le Contrôle du Tabac (CIFCOT) de Montréal (septembre 2002), à laquelle ont été associés les pays francophones d’Afrique noire et du Maghreb. Cette conférence a abouti à la Déclaration de Montréal, véritable déclaration de guerre à l’industrie du tabac ; elle souligne que la lutte contre le tabagisme passe obligatoirement par une solution politique et un encadrement rigoureux de l’industrie du tabac par tous les états. La deuxième CIFCOT se tiendra à Paris en septembre 2005. L’adoption à l’unanimité par les 192 états membres de l’OMS de la Convention Cadre Internationale de Lutte contre le Tabagisme en mai 2003. Cette convention entrera en vigueur et aura force de loi lorsque 40 pays l’auront ratifiée. À noter qu’il s’agit du premier traité international de santé publique. (http://www.who.int/tobacco). Cette coalition internationale contre le tabagisme affronte une industrie aux mains de compagnies multinationales influentes. La révélation de documents de l’industrie du tabac, montrant qu’elle avait volontairement occulté sa connaissance des phénomènes de dépendance et des effets nocifs du tabac sur la santé, a altéré sa crédibilité auprès de l’opinion publique. Cette industrie reste cependant puissante et seules des décisions politiques fermes et courageuses permettront d’augmenter encore ce discrédit et de donner une chance supplémentaire d’enrayer l’épidémie tabagique.   Points forts   Le tabac est le facteur de risque cardio-vasculaire dominant des sujets jeunes. Les bénéfices du sevrage tabagique sont très importants, tant en prévention secondaire que primaire. Tous les médecins et autres acteurs de santé doivent s’impliquer au quotidien dans la lutte contre le tabagisme. Les substituts nicotiniques sont à présent recommandés chez le coronarien fumeur. Des actions décisives doivent être menées pour prévenir l’initiation des jeunes au tabagisme. La lutte contre le tabagisme est également un problème politique, qu’il convient de gérer à l’échelon national et international.

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