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Études

Publié le 02 oct 2007Lecture 8 min

Essais cliniques, recommandations, registres : notre pratique change

J.-P. BASSAND, hôpital universitaire Jean Minjoz, Besançon

On a coutume de dire de la cardiologie qu’elle est la discipline qui a connu les plus grands bouleversements ces 35 dernières années. En effet, le début des années 70 marque une nouvelle ère pour la cardiologie, avec l’apparition de progrès considérables dans la conception et la connaissances des maladies, leurs mécanismes physiopathologiques, la thérapeutique pharmacologique ou non pharmacologique, les méthodes d’imagerie pour ne signaler que les faits les plus saillants et les plus remarquables. Nulle discipline n’a connu un tel succès dans son développement et sa progression au cours de la dernière génération. Nulle discipline n’a connu une transformation aussi complète du pronostic fonctionnel et vital des malades, quelle que soit la pathologie considérée.

Evidence-based medicine Toutefois, une autre révolution s’est imposée en cardiologie de façon progressive et graduelle, à savoir la médecine basée sur les preuves ou Evidence based medicine. Là encore, on peut souligner que la cardiologie est en avance puisque notre discipline, contrairement à beaucoup d’autres, est quasiment complètement couverte par un faisceau de recommandations sur la prise en charge, quelle soit diagnostique ou thérapeutique, des pathologies les plus fréquentes et les plus invalidantes. Cette révolution est profonde ; on peut affirmer sans réserve qu’elle a abouti à une transformation complète de la prise en charge et du pronostic des malades. Toutefois, elle a été difficile et demeure difficile à mettre en œuvre. En effet, l’adhésion à la médecine basée sur les preuves ne comporte pas de côté spectaculaire et donne l’impression au clinicien de se soumettre à des règles qu’il n’a pas décidées lui-même et qui, dès lors, le privent de son libre arbitre. Les beaux esprits s’insurgent régulièrement sur le côté infantilisant qu’ils attribuent à la médecine basée sur les preuves, et la pourfendent allègrement. Il est donc indispensable de clarifier la situation et de dire très nettement combien l’adoption de la médecine basée sur les preuves a transformé l’exercice de la discipline et, partant, le pronostic des patients.   Comment les recommandations de prise en charge sont-elles rédigées ?(1)   Un processus long et complexe La rédaction de recommandations mobilise l’énergie d’un grand nombre de personnes sur une période allant de 18 mois à 2 ans. Les recommandations de prise en charge ne sont en aucune façon les tables de la loi. Elles s’appliquent dans la majorité des cas, mais pas dans tous les cas. Le médecin qui en prend connaissance doit savoir qu’elles répondent au cas général, mais que, pour certains cas particuliers, la discussion et la confrontation des idées par rapport aux recommandations reste nécessaire. Les recommandations sont rédigées par un groupe d’une douzaine ou une quinzaine d’experts qui ont pour mission de relire toute la littérature publiée sur le sujet, qu’il s’agisse d’essais randomisés, de métaanalyses, de registres ou d’enquêtes, et en fonction, de proposer une démarche diagnostique et thérapeutique cohérente, faisant appel à des méthodes, des traitements ou des procédures dont la preuve de l’efficacité et de la sécurité d’emploi a été établie dans les données publiées. Ces recommandations rédigées par ce groupe d’experts sont relues, disséquées et corrigées par un groupe de relecteurs encore plus grand, choisis dans la discipline mais également en dehors de la discipline, dont le rôle est de mettre en lumière tous les aspects qui n’ont pas été envisagés par les rédacteurs, ou de modérer ou de pondérer les avis jugés excessifs… Le document est alors repris, retravaillé et re-soumis aux relecteurs.   Un processus soumis à l’esprit critique des utilisateurs Avant publication finale, le texte est soumis à l’esprit critique des utilisateurs, c’est-à-dire de collègues venants de différents horizons (une soixantaine à une centaine d’experts venant de toute l’Europe dans le cas de la Société européenne de cardiologie) en séance publique. Là encore, les avis émis par les collègues sont analysés et les recommandations modifiées si les opinions émises sont estimées pertinentes. Le produit fini est publié au terme d’un cycle très long et très minutieux. La rédaction fait appel à une méthodologie précise, en particulier pour la gradation des recommandations. Un très grand soin est apporté à la rédaction, sachant que, dès qu’elles sont publiées, les recommandations sont disséquées et analysées dans le détail par les autorités de santé des différents pays d’Europe, mais également par l’industrie. Les recommandations ne sont, en effet, pas innocentes, elles peuvent avoir un impact considérable sur l’utilisation ou la non-utilisation d’une drogue ou d’un produit.   Les essais cliniques randomisés Ce sont les essais cliniques randomisés qui apportent les preuves. Les critiques les plus fréquemment portées sont que les essais cliniques ou les métaanalyses d’essais cliniques ne représentent pas la réalité de la pratique quotidienne. En ce sens, la critique est recevable. Il est clair que les populations des essais cliniques, quelle que soit la pathologie considérée, quels que soient le traitement ou la procédure testés, ne représentent en aucune façon les malades observés dans la vie courante. Les critères de sélection pour l’entrée dans les essais cliniques éliminent un grand nombre de malades. D’une façon générale, les populations d’essais cliniques sont moins âgées, comportent moins de patients de sexe féminin et moins de patients avec comorbidités que la population générale. Il est donc vrai que la généralisation des résultats des essais cliniques n’est pas aisée. On recommande en principe de n’appliquer les résultats d’un essai clinique que pour la population définie dans les critères d’inclusion. Bien sûr, dans la réalité, il est exceptionnel qu’une nouvelle thérapeutique dont l’efficacité a été démontrée dans un essai clinique, soit administrée seulement aux patients qui répondent à la définition des critères d’inclusion de l’essai en question. C’est la raison pour laquelle l’établissement de registres est un complément indispensable aux essais cliniques. Ils permettent d’analyser les populations prises en charge dans la routine clinique, les méthodes de prise en charge et leur impact sur l’évolution des patients. À ce titre, il y a lieu d’apporter quelques précisions sémantiques.   Les registres On confond souvent registre et enquête. Une enquête est limitée dans le temps, peut ne comporter qu’un nombre limité d’établissements y participant, sur une période de temps limitée, par exemple un mois dans l’année. Ces enquêtes ont l’avantage d’être simples à réaliser, mais ne représentent qu’un instantané d’une situation qui peut être très mouvante. On doit donc fondamentalement les différencier des registres dans lesquels sont inclus de façon continue et permanente tous les patients consécutifs se présentant dans les départements de cardiologie qui y participent. Les registres se sont récemment multipliés sur la planète, ont incorporé plusieurs dizaines de milliers, quelque fois plus de cent mille patients souffrant d’une pathologie déterminée, comme les syndromes coronariens aigus sans surdécalage du segment ST. C’est le cas du registre GRACE, multinational(2), du registre CRUSADE conduit aux États-Unis(3), du registre REACH(4) également conduit sur toute la planète, mais aussi de nombreux registres nationaux, comme RIKS en Suède(5), MINAP en Grande-Bretagne(6), GISSI en Italie, ACOS en Allemagne. Dans l’absolu, la validité d’un registre se mesure à la capacité qu’ont les auteurs du registre à incorporer tous les patients consécutifs se présentant dans les départements de cardiologie qui participent au registre. L’idéal étant d’avoir la population complète d’une nation (population-based permanent registry) conduit par exemple en Suède (RIKS). Les messages qui viennent de ces registres sont absolument clairs, constants et répétés : Ils confirment que les populations incluses dans les registres sont plus âgées, plus malades, ont plus de comorbidités que les populations des essais cliniques. Ils confirment que la prise en charge aussi bien diagnostique que thérapeutique des populations concernées varie considérablement d’une institution à une autre, d’un pays à un autre, d’une ville à une autre, dans un même pays. Ils confirment que la qualité de la prise en charge et la qualité des soins s’améliorent dans une institution donnée dès lors qu’elle participe à un registre. Ils confirment que les populations les plus à risque sont généralement celles qui reçoivent les traitements les moins optimaux. Ils confirment enfin et surtout que la mise en application des recommandations de prise en charge, qu’elles soient diagnostiques ou thérapeutiques, aboutit à une amélioration considérable du pronostic des patients. En d’autres termes, les essais cliniques définissent des preuves, les recommandations de prise en charge la résument, les registres montrent que la mise en application des recommandations améliore le pronostic des patients. Muni de ces certitudes, on est donc en droit de s’interroger sur la raison pour laquelle une telle résistance à la mise en application des recommandations est observée dans le corps médical. Cette résistance tient à plusieurs facteurs, le plus important étant probablement l’ignorance de l’existence de recommandations. Il y a bien entendu d’autres facteurs qu’il est inutile de discuter ici, tenant à la personnalité de chaque individu (eminence-based medicine, versus evidence-based medicine !) ; ou médecine basée sur les impressions dite aussi « médecine impressionniste »(7). En pratique   Comment s’assurer, dès lors, que les recommandations de prise en charge sont observées et admises. Le plus important est bien entendu d’en assurer la diffusion et la connaissance par le public supposé les utiliser. La responsabilité des sociétés savantes dans cette entreprise est considérable. Le message doit être répété, martelé, diffusé sous toutes formes possibles. L’autre moyen à mettre en œuvre est bien entendu l’évaluation des pratiques professionnelles. Cela passe par l’établissement de mesures de performance qui peuvent être établies aussi bien à l’échelon individuel qu’à l’échelon d’un département de cardiologie. Ces mesures de performance tiennent compte pour une pathologie déterminée de la rapidité de mise en œuvre de la thérapeutique, des moyens utilisés pendant la phase hospitalière, mais aussi au décours de la phase hospitalière, et tiennent compte des moyens médicamenteux mais également des recommandations sur le mode de vie. C’est à ce jour la seule méthode connue qui permette d’améliorer la prise en charge des malades cardiaques avec une efficacité indéniable sur le pronostic. Analyser les recommandations, établir des mesures de performance, les appliquer dans un département de cardiologie est une démarche peu glorieuse comparativement à la réalisation d’une angioplastie ou d’une intervention complexe, mais cette démarche a un impact considérable, peut-être plus important que le geste interventionnel lui-même. De toutes façons, les médecins doivent s’habituer à l’idée qu’ils n’ont plus le choix, et que l’évaluation des pratiques professionnelles deviendra une réalité et une obligation légale.

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