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Cœur et sport

Publié le 11 déc 2007Lecture 6 min

La cardiologie de l'extrême - Cœur et Formule 1 : il faut des bras !

J. GAUTHIER, Arles, France Club des Cardiologues du Sport Pôle Excellence FIA Institute ; Circuit Paul Ricard ; Le Castellet France

Le système cardiovasculaire du pilote de Formule 1 est très sollicité. En témoigne en premier lieu l’accélération de la fréquence cardiaque liée à la stimulation adrénergique.

    La fréquence cardiaque La fréquence cardiaque moyenne au cours de l’effort de pilotage est élevée. En Formule 1, on l’estime entre 140 et 180 bpm pendant les 90 minutes d’un Grand Prix. Sur des séquences spécifiques plus courtes que sont le départ, le premier virage, un tour de qualification, un incident de course, elles peuvent s’élever jusqu’à 200 bpm. Le cœur d’un pilote de rallye est encore plus sollicité au cours d’une épreuve spéciale de quelques minutes, allant jusqu’à 220 bpm. Ces fréquences cardiaques élevées sont asymptomatiques. L’élévation de fréquence est polyfactorielle : la charge d’activité et les facteurs d’environnement sont à prendre en considération, mais le rôle prépondérant est tenu par le système nerveux autonome. Les situations de danger, les contraintes de la compétition, la très forte médiatisation du Championnat du Monde stimulent en permanence l’axe adrénergique cardioaccélérateur. La stimulation adrénergique peut aussi provoquer des modifications de l’électrocardiogramme : - augmentation de l’amplitude de l’onde P, - variations de l’intervalle QT : raccourcissement de QT et allongement de QTc, - hyperexcitabilité auriculaire et ventriculaire, sans trouble rythmique grave en l’absence de cardiopathie. Ces modifications ne sont pas spécifiques au sport automobile et ne constituent pas un facteur limitant. La stimulation adrénergique est aussi responsable d’effets associés préjudiciables à l’effort sportif : glycogénolyse, augmentation de la lactatémie. Ce sont donc les conséquences multiples, cardiométaboliques, d’une forte sollicitation du système nerveux autonome par la compétition automobile qui peuvent constituer une limitation à l’effort de pilotage, plutôt qu’une élévation isolée de la fréquence cardiaque. Les facteurs d’environnement peuvent faciliter cette limitation : - la chaleur : sous l’effet du stockage thermique au niveau du moteur et des freins, très proches du pilote, des vêtements de protection contre le feu, de l’absence de ventilation de l’habitacle, la température dans la voiture est en moyenne de 15 ° supérieure à la température extérieure ; - la déshydratation : les pertes hydriques sont estimées à environ 1,5 litre par heure de course ; il est techniquement très difficile à un pilote de boire pendant la course ; - le verrouillage sus-pubien des harnais constitue un obstacle à la circulation veineuse de retour ; - les vibrations, le bruit (120 décibels), les contraintes visuelles sont des facteurs associés non négligeables. Position d’Olivier Panis JS43 (échelle 1/10). La consommation en oxygène  L’effort de conduite est un effort statique, à participation musculaire globale moyenne. La dépense énergétique pour une heure de conduite sportive est d’environ 600 kcal ; le pourcentage habituellement utilisé de la consommation maximale en oxygène (VO2 max) n’est que de 60 % ; toutefois, la consommation segmentaire au niveau des bras est très élevée, autour de 70 % de la VO2 max globale alors qu’elle n’est que de 50 % dans la population générale. La consommation segmentaire au niveau des bras est très élevée. Voici les résultats enregistrés sur une population de vingt pilotes, explorés sur cycloergomètre standard pour la VO2 max globale, et sur ergomètre isocinétique avec volant de F1 pour la VO2 max des bras (paliers de 2 min jusqu’à épuisement ; vitesse progressive de rotation du volant imposée ) : - VO2 max en moyenne sur ergocycle (F1) : 54 ± 5 ml (population sportive générale 45 ± 5 ml) - VO2 max bras en moyenne sur ergomètre isocinétique (F1) : 34 ± 5 ml (population sportive générale 23 ± 2 ml) La VO2 max des bras des pilotes est supérieure de 40 % à celle de la population sportive générale. La composante isométrique (figure) est donc majeure au niveau des bras et des mains bloquées en tension sur le volant (grip), rendant prépondérante la participation anaérobie. L’augmentation de la VO2 et du débit cardiaque est limitée ; la faiblesse du volume d’éjection sera compensée par une élévation de la fréquence cardiaque et une augmentation du retour veineux, pourtant contrariée par le verrouillage des harnais. Le grip particulier des mains du pilote sur le volant est donc un élément prépondérant de la charge d’activité ; il peut constituer un facteur limitant par sa composante musculaire. La baisse de performance se manifeste d’abord à ce niveau. Il y a bien un seuil minimal de consommation en oxygène au niveau des bras pour être compétitif en Formule 1.   La conduction cardiaque  Les accélérations constituent une autre spécificité très importante de la charge d’activité du pilote. Elles sont de type linéaire ou angulaire : - antéro-postérieures Gx , de 3 à 5 G en moyenne ; - latérales Gy , jusqu’à 5 G ; - verticales Gz , 1,5 G au maximum. D’une manière générale, elles ne sont pas d’une grande amplitude, mais il faut prendre en compte pendant une course leur caractère répétitif, et leur durée de plusieurs secondes. Lors de certains accidents, on a enregistré des accélérations pouvant aller jusqu’à 100 G. Lors d’une accélération, le pilote passe de 0 à 100 km/h en 1,5 s ; le freinage est encore plus impressionnant : de 300 à 50 km/h en 50 mètres. Ces variations brutales ne sont pas sans conséquence ; en effet, c’est la vitesse instantanée de variation de l’accélération et de la décélération (G/sec) qui est importante. Une variation de 1 G/s suffit à provoquer des troubles cliniques et électriques. Les accélérations peuvent entraîner des anomalies de l’électrocardiogramme : - variations des intervalles PR et QT ; - variations de la largeur et de l’amplitude de QRS ; - troubles conductifs. Expérimentalement, un mammifère comme le rat soumis à une accélération progressive de type Gz jusqu’à 4 G pendant une dizaine de minutes développe un trouble conductif évolutif allant d’un bloc auriculoventriculaire de premier degré jusqu’à un bloc complet. Chez l’homme, il n’y a pas de cas avéré pendant la compétition, mais plusieurs pilotes professionnels ont bénéficié de l’implantation d’un stimulateur cardiaque après leur carrière. On peut évoquer la responsabilité des accélérations répétitives sur leur système de conduction. Une enquête prospective serait d’un grand intérêt.   L’hypoxie Certains pilotes signalent des lipothymies et des troubles visuels au cours de l’effort de pilotage. Les accélérations brutales provoquent parfois par effet mécanique une baisse temporaire de débit cérébral, responsable d’une hypoxie. Une syncope est possible chez le sujet non entraîné. Il n’y a pas d’hypertension intracrânienne comme on peut le voir chez les pilotes de voltige aérienne. La baisse de débit est aussi responsable d’une limitation temporaire de l’irrigation rétinienne ; dans un premier temps, le pilote décrit un voile gris, par diminution du champ visuel périphérique ; secondairement, apparaît un voile noir, par diminution du champ visuel central. La conduite peut être fortement perturbée, surtout chez les pilotes inexpérimentés, le phénomène diminuant avec l’entraînement. L’hypoxie est aggravée par un phénomène d’apnée spécifique à l’effort de pilotage, mettant en cause un double mécanisme : - compression thoracique au cours des accélérations antéro-postérieures et latérales, phénomène assez comparable à la compression thoracique de l’immersion ; - blocage respiratoire secondaire à l’effort de concentration. Sur un Grand Prix, on estime la durée des temps d’apnée cumulés à plus d’un quart du temps total de la course. La réponse ventilatoire est une hypoxie et une hypercapnie, responsables d’une diminution de la performance musculaire et de la vigilance, par majoration de l’hypoxie cérébrale.   En conclusion   La limite de l’activité cardiovasculaire du pilote de Formule 1 est déterminée par : - la très forte sollicitation du système nerveux autonome, plus par ses effets métaboliques que rythmiques ; - l’exigence d’un niveau très élevé de consommation en oxygène segmentaire au niveau des bras ; - les effets des accélérations sur le débit cérébral et rétinien. À long terme, on peut s’interroger sur d’éventuelles séquelles concernant la conduction cardiaque. Ces effets sont fortement limités par l’entraînement régulier aux efforts de conduite. Un travail prospectif permettra de dire s’il faut aussi préparer les pilotes sur le plan de l’apnée sèche. L’expérience montre qu’on peut piloter très longtemps à un haut niveau à condition de n’avoir aucune pathologie cardiovasculaire préalable, mais aussi qu’on peut réussir très jeune dans ce sport passionnant qui recèle encore quelques mystères physiologiques pour ses pratiquants.

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