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Cœur et sport

Publié le 15 avr 2023Lecture 12 min

Plongée et pathologie coronaire

Vincent LAFAY, CHP Beauregard, Marseille

La plongée est un sport de plus en plus pratiqué, y compris par des plongeurs de plus en plus âgés, et y compris par ceux qui ne sont pas toujours sportifs. En pratique, le cardiologue se retrouve confronté à trois situations :
– le coronarien qui souhaite reprendre la plongée ;
– le coronarien qui souhaite commencer la plongée ;
– le plongeur ou futur plongeur avec facteurs de risque.
Nous aborderons aussi les questions concernant les différents types de mélanges utilisés, et nous terminerons avec un paragraphe concernant la plongée en apnée.

Plongée et coronaropathie : quels sont les problèmes ?   Toutes les données épidémiologiques le confirment : la première cause authentifiée de décès en plongée est cardiovasculaire(1). Si elle vient loin derrière le registre « noyade », il faut savoir que de nombreux cas encore étiquetés « noyade » sont en fait de véritables œdèmes pulmonaires d’immersion dont la cause cardiovasculaire est possible, voire probable chez les plus âgés. Autre notion très importante, la première comorbidité associée en cas de décès est l’hypertension artérielle (HTA). Le cardiologue est donc en première ligne pour la prévention des accidents graves en plongée. Si l’on considère que la coronaropathie est la première cause de mortalité cardiovasculaire en médecine du sport, il s’agit donc d’un sujet fondamental en médecine de la plongée. Le cardiologue est souvent sollicité, mais la plongée est un sport particulier qui peut le laisser perplexe en l’absence de quelques connaissances simples.   Quelles sont les principales notions à prendre en compte ?   La plongée est un sport en « situation d’isolement » : toute prise en charge efficace d’un accident coronarien durant la plongée est impossible : les communications sous l’eau sont difficiles, il faut remonter la victime, et une remontée rapide l’expose, ainsi que ses sauveteurs, à un important risque d’accident de décompression. Une fois en surface, puis sur le bateau, les moyens d’intervention sont limités et les temps d’intervention médicale, longs. L’intrication des risques d’accident de décompression et coronarien rend la prise en charge difficile en urgence. Toutes ces notions sont peu compatibles avec la maladie coronarienne dont la décompensation peut être très brutale, avec un pronostic vital immédiatement engagé. En plongée, « malaise » est très rapidement synonyme de « mort subite ». La plongée favorise le risque de décompensation de la maladie coronarienne : outre les notions d’effort physique (nage prolongée, courant contraire, mauvaises conditions météo…) bien connues des cardiologues, les conditions environnementales inhérentes à la plongée sont défavorables. Enfin, anxiété, contrainte ou émotion, fréquemment retrouvées en plongée, sont trois facteurs connus pour majorer rapidement le travail cardiaque. Lors de l’immersion, il existe une redistribution veineuse vers le thorax et une vasoconstriction périphérique. La précharge et la post-charge cardiaque augmentent en même temps. La simple immersion augmente donc le travail cardiaque, et la demande en oxygène du myocarde. Par ailleurs, elle augmente le travail ventilatoire avec un risque d’altération de la fonction diastolique, comme nous le verrons plus loin. L’eau est un milieu dont la conductivité thermique est 24 fois supérieure à celle de l’air. Par ailleurs, la ventilation d’un air comprimé augmente les pressions partielles de gaz, dont celle de l’oxygène. Or le froid et l’hyperoxie sont deux facteurs majeurs et synergiques qui entraînent une vasoconstriction périphérique marquée (effet sympathique) et un ralentissement de la fréquence cardiaque (par hypertonie vagale). Il existe une hyperstimulation mixte du système nerveux autonome : c’est une caractéristique physiopathologique de la plongée. À noter que les patients hypertendus, qui ont une maladie de la vasomotricité, sont plus sensibles à cette vasoconstriction. Les conséquences sont une augmentation importante de la post-charge, un risque de spasme coronaire et un risque de survenue de troubles du rythme ou de la conduction. Ces risques sont globalement proportionnels à la profondeur. La compression par elle-même a peu d’effets sur le système cardiovasculaire comme cela a été montré jusqu’à des profondeurs de 700 m en caisson chez l’Homme. Il n’en est pas de même pour sa conséquence qui est l’obligation de ventiler des gaz comprimés donc denses. Cela se traduit par une augmentation du travail ventilatoire qui se répercute sur l’hémodynamique avec en particulier une perturbation de la fonction diastolique, comme cela est bien connu chez l’asthmatique en crise avec le « pouls paradoxal ». Les patients hypertendus, dont la fonction diastolique est déjà altérée sont plus à risque dans ce contexte. Ces risques sont aussi proportionnels à la profondeur et à la densité des gaz utilisés. La décompression doit être progressive et impose des vitesses de remontée lentes et des paliers de décompression. En soi, cela a peu de répercussions sur le plan cardiovasculaire, mais, comme nous l’avons vu, cela limite drastiquement les possibilités d’intervention en cas d’accident coronarien. Il faut néanmoins signaler la possibilité d’une augmentation des pressions droites par microemboles gazeux avec ses conséquences hémodynamiques diastoliques par interdépendance ventriculaire, ou des risques de dysfonction endothéliale favorisés par les effets mécaniques des microbulles gazeuses dans la circulation. Enfin, le risque majeur est celui d’un accident de décompression pouvant être favorisé par un shunt droit/ gauche comme un Foramen Ovale Perméable (FOP), mais cela sort de notre sujet. Ces risques sont proportionnels avec la profondeur et la durée de la plongée. Les conséquences cardiovasculaires de la plongée sont résumées dans le tableau 1. Tous ces risques sont majorés chez le plongeur hypertendu, et la plupart par la profondeur, la durée, les mauvaises conditions et les difficultés techniques de la plongée.   La plongée en scaphandre n’est donc absolument pas un sport anodin chez le patient cardiaque, en particulier le coronarien. L’avis du cardiologue est fondamental dans ce domaine. Mais attention, ce n’est pas à lui de signer le certificat de non-contre-indication, car il existe de nombreuses autres contre-indications à la plongée sous-marine. Le cardiologue doit se limiter à donner son avis en ce qui le concerne. Pour la Fédération française d’études et de sports sous-marins (FFESSM), en cas de coronaropathie, le certificat doit être établi par un médecin fédéral, après avis du cardiologue.   Le coronarien qui souhaite reprendre la plongée   Il s’agit en effet d’une question délicate. En premier lieu, il convient de rappeler au plongeur que ce sport n’est vraiment pas adapté à sa pathologie, et qu’il existe des risques certains. Néanmoins, on peut envisager la reprise des plongées suivant des conditions précises et chez un plongeur motivé et responsable. Cette dernière condition est très importante, car il faut toujours rappeler au plongeur qu’il prend des risques non seulement pour lui, mais aussi pour toutes les personnes qui lui viendraient en aide. Les conditions de reprise de la plongée chez un coronarien sont détaillées dans les recommandations de la FFESSM(2). • Le plongeur doit être asymptomatique au repos et à l’effort depuis au moins six mois, et sans consommation de nitrés. Tout symptôme non élucidé doit rester une contre-indication absolue à la reprise de la plongée. • Le dernier geste de revascularisation doit remonter à plus de 6 mois. • La notion d’un angor spastique est une contre-indication définitive à la plongée. • Le sevrage tabagique doit être obtenu. Dans le cas contraire, le plongeur est considéré comme peu responsable. • Le plongeur doit avoir un suivi annuel, avec un traitement optimal. • La FEVG (de moins de 6 mois) doit être supérieure à 50 %. • Il doit avoir réalisé une épreuve d’effort (ou mieux échographie d’effort) maximale asymptomatique et négative. La puissance obtenue doit être suffisante pour la plongée, soit 10 METS chez l’homme de moins de 50 ans (8 METS après) et 8 METS chez la femme (6 METS après 50 ans). En cas de traitement bêta bloquant, il peut être nécessaire de vérifier le maintien de cette puissance sous traitement. • Une coronaropathie tritronculaire, ou incluant une atteinte du tronc gauche doit être considérée comme une maladie grave et évolutive, et donc une contre-indication a priori. Cependant, les progrès réalisés ces dernières années dans les méthodes de revascularisation peuvent laisser envisager d’évaluer ces patients au cas par cas, tout en maintenant une grande vigilance. • Les chiffres tensionnels doivent être strictement contrôlés. • Un patient coronarien ne peut plus assurer d’encadrement pour l’enseignement. • Il faut privilégier les IEC ou sartans et éviter les traitements bradycardisants. Si un traitement bêtabloquant est indiqué, il doit être maintenu. Une double antiagrégation plaquettaire (AAP) est une contre-indication, de même que l’association AAP et anticoagulant. Ces conditions sont globalement identiques pour les plongeurs professionnels, comme cela est rappelé dans les recommandations de MEDSUBHYP mises à jour en 2018. La décision finale revient à la médecine du travail en fonction des possibilités d’adaptation de poste. La plongée très engagée comme la plongée aux mélanges (plongée TEK), la plongée spéléo deviennent des contre-indications a priori chez le coronarien. Pour l’utilisation du Nitrox (mélange enrichi en oxygène), les avis restent partagés chez le patient coronarien. Le Nitrox doit être évité en cas d’hypertension artérielle associée. La reprise de la plongée doit être progressive, proche d’un lieu de prise en charge médicale, en évitant les périodes à eaux froides. Il est raisonnable de conseiller une limitation des profondeurs (20 m) pour les 10 ou 20 premières plongées. Le plongeur doit être averti d’interrompre immédiatement la plongée devant toute symptomatologie douteuse (douleur, dyspnée, toux, précordialgies, malaise, palpitations…). La reprise de la plongée n’est donc pas formellement contreindiquée chez le coronarien, mais nécessite une importante vigilance partagée par le cardiologue et le plongeur. Elle ne doit jamais se faire dans l’urgence d’un séjour plus ou moins exotique déjà réservé !   Le coronarien qui souhaite se mettre à la plongée   Compte tenu de ce qui précède, la réponse devait sembler évidente. Il faut, par tous les moyens, essayer de décourager le futur plongeur en lui rappelant que les risques ne sont pas assumés uniquement par lui-même. Ces risques sont d’autant plus importants qu’il est novice dans un domaine où les compétences techniques sont fondamentales pour la sécurité. Cependant, il resterait peu compréhensible de formuler une contre-indication absolue dans les mêmes conditions médicales où le certificat serait signé par ailleurs pour un plongeur plus aguerri. Il vaut beaucoup mieux prendre le temps d’assumer une acceptation raisonnée que de poser une contre-indication de principe. Cette dernière attitude est toujours beaucoup plus facile, et certainement moins chronophage, mais elle est inefficace, en particulier chez les patients les moins responsables, qui chercheront toujours ailleurs ce qu’ils n’ont pas obtenu avec vous. En pratique, après discussion, les conditions précédentes peuvent être prises en compte de la même façon que chez un patient déjà plongeur. Il est cependant nécessaire que le statut de « patient à risque » soit connu des personnes assurant l’encadrement, et que celui-ci soit sinon mentionné, au moins évoqué dans les restrictions figurant sur le certificat de non-contre-indication.   Le plongeur avec facteurs de risque ou le futur plongeur   Il s’agit du cas le plus fréquent : un patient suivi dans un tout autre contexte que la coronaropathie, mais plongeur par ailleurs, ou un patient adressé pour « aptitude » à la plongée. Les plongeurs sont souvent des hédonistes, aussi, surcharge pondérale, HTA, dyslipidémie voire diabète ne sont pas rares dans cette population. La coronaropathie peut être réelle, mais asymptomatique, d’autant plus que la population de plongeurs vieillit et est souvent peu entraînée. L’examen clinique du plongeur doit insister sur certains points : L’interrogatoire des antécédents personnels, mais aussi familiaux (surtout chez le jeune patient), les facteurs de risque, les traitements en cours, mais aussi les notions techniques de pratique de la plongée (ancienneté, niveau de formation, encadrement, types de plongées pratiquées). Le niveau d’entraînement physique doit aussi être estimé par l’interrogatoire, car il est un des éléments majeurs de la survenue d’une complication cardiovasculaire dans la pratique sportive et surtout en plongée. L’examen clinique est classique, mais, comme nous l’avons vu, l’HTA est la première comorbidité des accidents graves et cela s’explique aisément par la physiopathologie. La prise tensionnelle est donc un élément fondamental de l’examen du plongeur et toute HTA doit être traitée strictement. Une HTA mal contrôlée est une contre-indication à la plongée. Le plongeur devra en être informé de la vigilance à avoir et de la conduite à tenir en plongée. Ces informations sont disponibles sur le site de la FFESSM(3). La paraclinique ne doit pas être systématique sauf pour l’ECG, y compris et surtout chez le jeune futur plongeur où il permet le dépistage de nombreuses pathologies (CMH, canalopathies, troubles du rythme ou de la conduction) potentiellement létales en plongée. L’échocardiographie est indispensable chez tout patient symptomatique, mais aussi conseillée chez tous les patients hypertendus. Elle doit s’appliquer, entre autres, à une bonne évaluation de la fonction diastolique. L’épreuve d’effort est nécessaire chez tous les sujets symptomatiques et chez tous les sujets porteurs d’une cardiopathie connue, traitée ou non. Elle doit par ailleurs être largement pratiquée chez les sujets présentant des facteurs de risque particulièrement péjoratifs pour les activités subaquatiques : les hypertendus et les diabétiques, et chez les sujets présentant un risque cardiovasculaire modéré ou important comprenant une association d’au moins deux facteurs de risque parmi les suivants : âge (> 40 ans chez les hommes, > 50 ans chez les femmes), tabagisme (actif ou sevré depuis moins de 5 ans), dyslipidémie (LDL-cholestérol > 1,5 g/l), obésité (IMC > 30), hérédité. Les autres examens paracliniques relèvent du cas pas cas. En raison de sa grande prévalence et de sa faible implication pathologique dans l’absolu, le dépistage d’un FOP ne doit pas être réalisé en prévention primaire chez le plongeur sportif ou professionnel. L’implantation d’un défibrillateur implantable est logiquement une contre-indication définitive pour la plongée. Le porteur d’un pace maker peut plonger, s’il n’est pas stimulodépendant, et en suivant des données fournies par le constructeur. En l’absence de données, il est recommandé de limiter les plongées à 30 mètres. L’association avec une coronaropathie doit attirer la vigilance du cardiologue. La rythmicité de cette démarche est conseillée : – tous les ans : examen clinique approfondi avec mesure de la pression artérielle au repos ; – ECG tous les 3 à 5 ans, biennal ou annuel après 50 ans si facteur de risque associé ; – les autres examens paracliniques dépendent du contexte et des facteurs de risque associés. Les contre-indications temporaires ou définitives à la plongée en scaphandre sont résumées dans le tableau 2.   Plongée en apnée et coronaropathie   De nombreux sports se pratiquent en apnée. Nous ne considérerons ici que la plongée en apnée sous toutes ses formes. Il est souvent considéré que la plongée en apnée fait prendre moins de risques, et qu’elle peut être envisagée en substitut de la plongée en scaphandre. Ceci est une profonde erreur. En fait, le problème est assez simple si l’on considère la physiopathologie et que l’on se réfère au tableau 1 : en apnée, les causes sont toujours majorées, parfois de manière très importante. L’immersion expose encore plus le plongeur au froid, car les apnéistes utilisent des combinaisons fines pour ne pas gêner leur descente en profondeur. Les variations de profondeur sont très rapides, entraînant des variations de température et surtout de pression d’oxygène très importantes. La vasoconstriction ainsi obtenue est très intense au point d’obtenir des chiffres tensionnels de 220/110 à 340/180 mmHg autour de 40 mètres de profondeur(4). La plongée en apnée entraîne un important déplacement de sang veineux (le bloodshift, autour de 1 litre à 30 mètres de profondeur) vers le thorax qui reste une cavité aérienne imparfaitement compressible en raison du gril costal, et donc en dépression relative permanente. Ce phénomène permet au plongeur apnéiste de résister à des pressions très élevées, mais bouleverse complètement l’hémodynamique avec une élévation très importante des pressions droites. Des études échographiques réalisées à seulement 5 mètres de profondeur montrent un profil déjà de type constrictif(5). L’apnée prolongée se traduit par une hypoxie profonde, une acidose majeure avec hypercapnie et un retour brutal de sang veineux froid vers le cœur dès le retour en surface : cela représente une condition quasi expérimentale de cardioplégie. Ajouter à tout cela les efforts physiques qui sont importants en début de plongée et lors du redécollage du fond. Toutes ces notions font aisément comprendre que la plongée en apnée n’est pas à conseiller au myocarde susceptible, en particulier coronarien. La conclusion de ces quelques lignes est simple : la plongée en apnée est définitivement contre-indiquée en cas de coronaropathie. L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêts concernant cet article.

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