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Publié le 15 oct 2022Lecture 10 min

Recommandations sur la gestion cardiovasculaire des patients nécessitant une chirurgie non cardiaque : les pratiques vont-elles changer ?

Michel ZEITOUNI, Sorbonne Université, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Action Cœur, Paris

Publiées lors de l’ESC en août 2022, les recommandations « Cardiovascular assessment and management of patients undergoing non cardiac surgery » s’intéressent à la gestion cardiovasculaire des individus adressés pour une chirurgie non cardiaque(1). Cette mise à jour des recommandations de 2014 a été effectuée par un groupe de travail composé de membres des sociétés savantes de cardiologie, anesthésie et chirurgie, ainsi que d’associations de patients.

Ces recommandations répondent à une problématique fréquente rencontrée par cardiologues, anesthésistes et chirurgiens : plus de 300 millions de patients sont opérés chaque année, dont une majorité est âgée de plus de 45 ans avec des facteurs de risque cardiovasculaire, dont 15 à 20 % une maladie coronaire et 5 % ont un antécédent d’AVC. Il est estimé qu’il y a 4 millions de décès per- ou postopératoires chaque année, dont 50 % seraient des décès cardiovasculaires(2,3). Cette morbi-mortalité cardiovasculaire résulte de la conjugaison du risque cardiovasculaire du patient, du risque de la chirurgie, et des circonstances de la chirurgie en elle-même (urgente, programmée). Par une meilleure stratification des risques patients et chirurgicaux, ces recommandations visent à réduire la morbi-mortalité liés aux procédures (figure 1). Ainsi ces recommandations s’articulent en 4 axes : 1/ la stratification du risque cardiovasculaire, 2/ les stratégies de réduction du risque cardiovasculaire, 3/ la gestion pré- et postopératoire des traitements cardiovasculaires, 4/ la gestion des patients avec une maladie coronaire ou une valvulopathie connue. Afin de pouvoir naviguer à travers ces différentes problématiques, la Task Force de l’ESC 2022 a réuni cardiologues, anesthésistes et chirurgiens afin de rédiger des recommandations globales.   • Détection et prévention du risque cardiovasculaire   Stratification du risque cardiovasculaire Les recommandations de 2022 n’utilisent pas de score pour stratifier le risque des patients devant être opérés, mais plutôt un algorithme décisionnel pour l’évaluation du risque (figure 2). Celui-ci divise les patients en 3 groupes qui seront évalués en fonction du niveau de risque de la chirurgie : • Patients de moins de 65 ans, et sans facteurs de risque cardiovasculaire. • Patients âgés de plus de 65 ans, ou avec des facteurs de risque cardiovasculaire. • Patients avec une maladie cardiovasculaire connue. En fonction de la stratification du risque, 3 actions sont recommandées : – électrocardiogramme ; – mesure des biomarqueurs cardiaques : il est recommandé de doser la troponine hypersensible T ou I avant une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé pour les patients avec une maladie cardiovasculaire connue ou âgé de plus de 65 ans (recommandation classe I, niveau de preuve C). Pour ces mêmes patients, le dosage du NT-proBNP/BNP et recommandé avec une classe IIa, niveau de preuve C) ; – mesure de la capacité fonctionnelle par Duke Activity Status Index (DASI) ou la possibilité de monter 2 étages (classe IIa, niveau de preuve C).   • Découverte d’un souffle cardiaque non connu avant chirurgie non cardiaque   En cas de découverte d’un souffle cardiaque associé à des symptômes angineux ou d’insuffisance cardiaque, une ETT doit être faite quel que soit le niveau de risque de la chirurgie (classe I, niveau C). En cas de souffle cardiaque sans autres symptômes, l’ETT est uniquement indiquée si la chirurgie est à haut risque (classe I, niveau C), et peut être discutée en cas de chirurgie à risque intermédiaire (IIa, niveau C).   Quand faire une ETT en préopératoire ? L’ETT n’est pas recommandée en routine en préopératoire (classe III, niveau C). Elle est recommandée en cas de capacité fonctionnelle altérée ou de NT-proBNP élevé en préopératoire, ou en cas de découverte de souffle avant une chirurgie à haut risque (classe I, niveau C). Elle est envisageable chez les patients suspectés d’avoir une maladie cardiovasculaire avant une chirurgie à haut risque (IIa, niveau C). En cas de chirurgie semi-urgente sans possibilité d’avoir recours à une ETT, un examen cardiologique fait par un spécialiste peut être une alternative à une ETT (IIa, niveau C).   Quand faire une coronarographie en préopératoire ? Une coronarographie de routine chez les patients atteints d’une maladie coronaire stable n’est pas recommandée chez les patients pour qui une chirurgie à bas risque ou risque intermédiaire est envisagée (classe III, niveau C). Les indications de coronarographie et revascularisation sont les mêmes qu’en dehors du cadre préopératoire (classe I, niveau C). Le coroscanner peut être considéré pour éliminer une maladie coronaire chez les patients suspectés d’avoir une maladie coronaire stable, souffrant d’un angor avec un risque élevé d’avoir une maladie coronaire, et chez les patients incapables d’avoir un évaluation fonctionnelle, quel que soit le niveau de risque de la chirurgie (classe IIa, niveau C).   • Stratégie de réduction du risque cardiovasculaire   Les stratégies de réduction du risque cardiovasculaire s’appuient sur l’implémentation de stratégie habituelle de prévention primaire standard chez les individus sans maladie cardiovasculaire, et une évaluation de l’état cardiovasculaire des patients avec une pathologie connue. Il est recommandé d’arrêter le tabac 4 semaines avant une chirurgie non urgente (classe I, niveau B). Si le timing le permet, il est recommandé de traiter les facteurs de risque cardiovasculaire avant la chirurgie (I, C). L’hémoglobine doit être mesurée en préopératoire de chirurgie à risque intermédiaire ou élevé (I, B), et une éventuelle anémie doit être traitée en préopératoire pour réduire les complications cardiovasculaires potentielles (I, A). L’initiation de bêtabloquant avant une chirurgie n’est pas recommandée (III, A). Chez les patients déjà traités, il convient de garder les bêtabloquants et les statines (I, B). Chez les patients sans insuffisance cardiaque, l’arrêt des IEC ou ARA2 est conseillée la veille de la chirurgie (IIa, B). Les inhibiteurs du SGLT2 doivent être arrêtés au moins 3 jours avant une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé (IIa, C).   Réduction du risque opératoire des patients atteints d’une maladie coronaire Pour les patients suivis pour une maladie coronaire chronique et stable asymptomatiques avec une capacité fonctionnelle mauvaise, les recommandations préconisent une recherche d’ischémie avant une chirurgie à haut risque (IIa, C). La revascularisation avant une chirurgie à haut risque peut être discutée en fonction des symptômes, du degré d’ischémie et de l’anatomie coronaire (IIb, B). En contraste, la revascularisation en routine avant une chirurgie à bas risque ou risque intermédiaire n’est pas recommandée (III, B).   Réduction du risque opératoire des patients porteurs d’une valvulopathie aortique Les patients avec une insuffisance aortique sévère symptomatique doivent avoir un remplacement avant toute chirurgie à risque intermédiaire ou élevé (I, C). Chez les patients avec un rétrécissement aortique serré symptomatique devant avoir une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé, il existe une indication de TAVI ou chirurgie de remplacement de la valve aortique (I, C). Chez les patients avec un RAC serré asymptomatique, une prise en charge par TAVI ou chirurgie doit être discutée en cas de chirurgie à haut risque programmée non urgente (IIa, C). En cas de RAC serré symptomatique et de nécessité d’une chirurgie urgente, une valvuloplastie au ballon peut être envisagée (IIb, C).   Réduction du risque opératoire des patients porteurs d’une insuffisance mitrale En cas d’insuffisance mitrale primaire moyenne à sévère et symptomatique malgré traitement médical optimal, une intervention percutanée ou chirurgicale de réparation de la valve mitrale doit être envisagée (IIa, C). La recommandation est la même dans les insuffisances mitrales secondaires.   Réduction du risque des patients porteurs d’un rétrécissement mitral Pour les patients avec un rétrécissement mitral moyen à sévère et une PAPS supérieure à 50 mmHg, une intervention percutanée ou chirurgicale sur la valve est recommandée avant une chirurgie à risque intermédiaire ou haut (I, C).   • Biomarqueurs et infarctus périprocédural   Comme il a été décrit plus haut, le dosage préopératoire des biomarqueurs est maintenant recommandé pour stratifier le risque opératoire, et guider la réalisation d’une ETT préopératoire. Ce dosage permet de stratifier le risque et de dépister un infarctus périprocédural lorsque la troponine est suivie. La détection d’un infarctus périopératoire se fait par la mesure de la troponine postopératoire à J1 et J2 associée aux symptômes et aux éventuelles modifications de l’ECG. La Task Force de l’ESC définit l’infarctus périopératoire comme une élévation de la troponine au double de la normale (figure 3). Ainsi, la détection de l’infarctus périopératoire est maintenant recommandée avec une classe I, niveau de preuve B, pour les chirurgies à risque intermédiaire ou élevé.   • Gestion périopératoire des antithrombotiques   Classification des chirurgies en fonction du risque hémorragique Cette gestion s’appuie sur la problématique habituelle : prévenir le risque ischémique périopératoire et postopératoire, sans augmenter les hémorragies. Ainsi, les actes chirurgicaux sont classés en fonction de leur risque hémorragique (tableau 1). Gestion des antiplaquettaires Les recommandations d’arrêt précoce de la DAPT pour une monothérapie antiagrégante simple sont basées sur les essais cliniques récents dans le domaine (MASTER- DAPT, SMART-DAPT2) : • Il est recommandé de différer toute chirurgie élective à 6 mois après une angioplastie, et 12 mois après un SCA (classe I, niveau A). • Il est recommandé de traiter les patients avec au moins 1 mois de DAPT après angioplastie pour les chirurgies semi-urgentes (I, B). • Dans tous les cas, une approche multidisciplinaire doit être abordée avec cardiologue, chirurgie et anesthésiste (I, C). • Chez les patients à haut risque ischémique avec un STEMI ou NSTEMI récent, une attente de 3 mois est préconisée avant la chirurgie (IIa, C). • L’aspirine doit être maintenue chez les patients traités par stent (I, B). • Quand une interruption de la DAPT est décidée, il faut arrêter le ticagrélor 3 à 5 jours, le clopidogrel 5 jours et le prasugrel 7 jours avant la chirurgie (I, C). • Chez les patients traités avec des procédures à haut risque hémorragique (neurochirurgie), il est recommandé d’arrêter l’aspirine 7 jours avant. • En cas de chirurgie très urgente après un SCA ST+, un relais par cangrélor ou inhibiteur peut être discuté avec un arrêt des perfusions 6 h avant (consensus). • Les antiplaquettaires doivent être repris dès que possible en cas d’arrêt pour la chirurgie (48 h postopératoire).   Gestion des anticoagulants Chez les patients avec une valve mécanique (IIa, C) ou une pathologie thrombotique à très haut risque (IIb, C), un relais par HBPM ou HNF est recommandé. Dans tous les autres cas, le relais des anticoagulants oraux (AVK ou anticoagulant oraux directs) par héparine ou HBPM n’est plus recommandé. Ces données reposent sur l’essai clinique BRIDGE qui a montré que l’arrêt des anticoagulants sans relais avant une chirurgie n’entraînait pas d’augmentation des événements thrombo-emboliques, mais diminuait les hémorragies(4). Ainsi, il est recommandé (hors porteurs de valves mécaniques) : • D’attendre la baisse de l’INR chez les patients sous AVK (classe I). • D’interrompre les anticoagulants oraux directs avant la procédure, avec une durée allant de la veille à 2 jours avant en fonction du niveau de risque hémorragique de la procédure. • En cas de chirurgie mineure, les anticoagulants peuvent être poursuivis (I, B). • Pour les procédures à très haut risque de saignement (neurochirurgie), l’arrêt doit être effectué au moins 5 demi-vies avant (IIa, C), avec une reprise de l’anticoagulation dès que possible. • En cas de traitement par dabigatran chez des patients nécessitant une chirurgie urgente à risque intermédiaire ou élevé de saignement, l’idarucizumab (antidote du dabigatran) peut être utilisé (IIa, B). • Quand un antidote n’est pas disponible, l’administration de PPSB est recommandée (IIa, C).   Prévention de la maladie thrombo-embolique veineuse après une chirurgie non cardiaque Ces recommandations n’apportent pas de changements importants concernant la prévention de phlébite après une chirurgie, hormis quelques précisions : elle est recommandée à 14 jours pour une chirurgie de genou, et 35 jours pour une chirurgie de hanche (IIa, A) ; les anticoagulants oraux directs pourraient être utilisés dans ces considérations (IIb, A).   • Conclusions   Ces recommandations prennent acte de la nécessité de standardiser le risque cardiovasculaire des individus avant une chirurgie non cardiaque, en particulier devant le caractère vieillissant et de plus en plus à haut risque de la population. Ces recommandations proposent des algorithmes de stratification du risque — basée sur le risque lié au patient et à la chirurgie — et de réduction du risque cardiovasculaire issues du bon sens tels qu’une considération spécifique pour les patients de plus de 65 ans, la préconisation de l’arrêt du tabac, et la possibilité de différer une chirurgie non urgente pour mettre en place une prévention cardiovasculaire par statine et antihypertenseur. Elles clarifient et simplifient également les conduites à tenir sur la gestion des antiplaquettaires et des anticoagulants en préopératoire, et postopératoire. On peut noter cependant quelques limites : ces recommandations « micro-gèrent » l’usage d’outils essentiels et routiniers de la cardiologie, tels que l’ECG et l’ETT, pourtant faciles d’accès en consultation. En contraste, elles implémentent l’utilisation de biomarqueurs hypersensibles (et très peu spécifiques) tels que la troponine Hs avant, pendant et après les chirurgies, menant potentiellement à une cascade d’examen lourds et invasifs souvent peu contributifs. Des recommandations fortes sont apparues pour la prise en charge de valvulopathies en préopératoire, malgré un niveau de preuve insuffisant et quasiment aucun essai randomisé sur le sujet. Au total, seulement 17 % de ces recommandations sont appuyées par un niveau de preuve A, et 52 % par niveau de preuve C. « More research is needed » pour faire naître des futures recommandations plus solides dans le contexte particulier du préopératoire qui nécessite à la fois une prise en charge personnalisée du risque, mais aussi multi-spécialiste, pour ne pas mettre d’obstacles ou d’étapes superflues entre la pathologie à soigner chirurgicalement — et des marqueurs de risques perçus via des biomarqueurs peu spécifiques.

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