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Grand angle

Publié le 15 déc 2020Lecture 8 min

Perspectives de l'intelligence artificielle pour l’endovasculaire - Le point de vue du radiologue interventionnel

Tom BOEKEN, service de radiologie interventionnelle, hôpital Européen Georges Pompidou, Paris

Le bouleversement des pratiques cliniques par l’intelligence artificielle (IA) n’a pas encore eu lieu ; pourtant, son arrivée dans le monde de la radiologie et de la chirurgie divise. Certains estiment que l’IA, véritable technologie de rupture, sera à la hauteur des espoirs : l’avenir serait celui d’un radiologue augmenté ou d’un chirurgien assisté au service d’une médecine individualisée. D’autres, moins enthousiastes, y voient un effet de mode, voire une menace à plus long terme. Au-delà du ressenti, avec plus de 1 000 publications indexées sur PubMed traitant directement du sujet pour la seule année 2020, et avec une place toujours plus importante au sein des congrès, l’IA s’est imposée comme un incontournable outil de la recherche.

L'IA a pour vocation d’établir un pont entre la « datafication » du monde médical et la prise de décision clinique. Il est aisé d’imaginer l’automatisation de tâches répétitives et codifiées, telle la détection d’une fracture en radiographie standard ou la présence d’une hémorragie au scanner cérébral. Les publications se font beaucoup plus rares en radiologie interventionnelle ou dans le domaine des traitements endovasculaires : le radiologue interventionnel/chirurgien peut-il également bénéficier des avancées dans le traitement statistique des images ? Paradoxalement, les innovations mathématiques récentes offrent à nos spécialités un avantage considérable sur les autres techniques interventionnelles : l’ensemble des données peropératoires (provenant de la fluoroscopie, angiographie, scannographie, etc.) sont déjà disponibles, dans un format standardisé et rapidement exploitable. Au contraire, les données d’imagerie peropératoires endoscopiques ou coelioscopiques sont nettement plus complexes, non standardisées et rarement enregistrées. À l’ère de la valorisation de la donnée médicale, quelles perspectives envisager au-delà de l’instant immédiat où elles sont générées ? Aperçu de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé Il n’existe pas de définition consensuelle pour l’intelligence artificielle. D’un point de vue sémantique, elle regroupe l’ensemble des techniques qui cherchent à reproduire artificiellement certaines fonctions cognitives humaines. Ce concept suggère deux approches, parfois opposées, répondant aux différentes problématiques cliniques : • Faut-il envisager une machine qui sache imiter ou mieux faire que le radiologue/chirurgien dans sa pratique quotidienne ? C’est l’exemple du dépistage du cancer du sein par mammographie, pour lequel l’équipe de Google a publié dans Nature les performances de leur modèle : une aire sous la courbe ROC meilleure de 11,5 % en comparaison à la lecture humaine(1). • Ou s’agit-il d’extraire à partir des données disponibles des applications jusque-là non envisageables, un « sens caché » de l’information ? C’est l’exemple récent du modèle prédictif de gravité des patients hospitalisés pour Covid-19 à partir de données cliniques, biologiques et radiologiques(2). Un tel modèle ne fait pas « mieux » que l’œil humain ; il propose une synthèse quantifiée des données non réalisable par ailleurs. Cette publication souligne également la rapidité avec laquelle il est possible d’entraîner ces modèles. Mathématiquement, l’IA appliquée à la santé cherche à extraire (ou à donner un sens) aux données disponibles. Le modèle s’interpose entre une entrée (input) et une sortie (output). Le type d’apprentissage dépend de la question clinique. Dans le traitement des images, il est classique de considérer trois catégories de problèmes : – la classification (chat/chien) ; – la détection (avec région d’intérêt ou bounding box : fracture/pas de fracture) ; – la segmentation (pixel par pixel). On identifie au sein de l’IA le machine learning (ML), sous-catégorie qui regroupe l’ensemble des techniques d’apprentissage ne nécessitant pas de programmation explicite préalable. Une des méthodes du ML repose sur l’apprentissage via des réseaux neuronaux (artificial neural network, ou ANN, dont font partie les réseaux convolutés ou CNN) : il s’agit d’un ensemble de noeuds auxquels on associe un poids (weight) individuel. La puissance de calcul actuelle a permis d’augmenter le nombre de couches (layers) entre l’entrée et la sortie du modèle pour aboutir au deep learning (DL). Schématiquement, on distingue l’apprentissage supervisé (les données sont annotées) de l’apprentissage non supervisé. L’apprentissage supervisé permet d’établir les poids du réseau grâce à une base de données annotées préalablement (on parle de labeled training set). Le modèle est ensuite ajusté et testé sur une base de validation (la validation set, sous-catégorie de la training set ou base distincte) (figure 1)(3). Il faudrait ensuite théoriquement quantifier les performances de l’outils prospectivement sur un set de validation externe. Figure 1 : Exemples publiés par B. Letzen et al.(3). Principes élémentaires d’apprentissage dans le cadre du carcinome hépatocellulaire (HCC) et de la chimioembolisation (TACE). Ce dernier point est essentiel : l’objectif du machine learning est de pouvoir généraliser un résultat au-delà des exemples fournis. Donner un sens aux données ne permet cependant pas toujours de les expliquer. Les risques encourus par l’opacité de ce concept sont détaillés plus bas. L’approche classique en chirurgie vasculaire et radiologie interventionnelle Une première approche consisterait à faire abstraction de la spécificité des techniques endovasculaires, en les considérant comme un traitement standard : les problèmes cliniques d’aide à la décision ressemblent à ceux des autres spécialités thérapeutiques (chirurgie, oncologie, etc.). Les modèles pourraient traiter les données pré- et post-thérapeutiques en affinant : • Le diagnostic. Il s’agit par exemple du grade amélioré d’une AOMI, du grade de sévérité d’une sténose, ou la classification d’un anévrisme. Ce domaine est largement traité par l’IA appliqué à la radiologie diagnostique : l’information se trouve dans l’image préthérapeutique et ne dépend pas du geste opératoire réalisé ultérieurement. • Les paramètres évolutifs de la maladie. Ce sont par exemple les modèles dynamiques dans le cadre du suivi d’un anévrisme, la détermination de temps de rupture, l’optimisation du traitement. Plusieurs modèles permettent d’établir des clusters évolutifs de patients et de déterminer des temps individuels de rupture, c’est-à-dire de décrochage du cluster(4). Ces modèles seraient particulièrement intéressants pour le suivi oncologique. • La prédiction et le pronostic. Par exemple, le modèle de redistribution du flux post-thérapeutique, de la réponse oncologique à la chimioembolisation, du risque vasculaire global par ailleurs. Cette problématique de nouveau biomarqueur est détaillée plus bas. L’apprentissage soulève des paradoxes à l’ère de la médecine personnalisée. L’oncologie interventionnelle en est particulièrement sensible : en développant des modèles de prédiction de réponse à un traitement, on risque de créer une médecine de « boîtes noires », qui accorderait plus d’importance à un résultat généralisable (c’est-à-dire reproductible au sens algorithmique), qu’aux exceptions. Ceci pourrait alors conduire les thérapeutes, au sein d’essais ou lors de leur pratique, à « sur-sélectionner » leurs patients vis-à-vis d’un traitement donné afin d’obtenir les résultats les plus robustes. Par analogie, les premiers essais en immunothérapie (anti-PD1/PDL1) dans le cancer du poumon ont abouti à une sur-sélection des patients présentant un statut PDL1 élevé et donc plus susceptibles de répondre durablement au traitement. Certains patients PDL1 négatifs avaient pourtant le même profil de réponse prolongée à l’immunothérapie et risquaient de subir une perte de chance par exclusion. Si des algorithmes permettent de prédire la réponse à un traitement endovasculaire spécifique, ils risquent eux aussi mécaniquement d’exclure des potentiels répondeurs en sur-sélectionnant les cas les plus reproductibles. Ces biomarqueurs « boîtes noires » doivent donc rester interprétables et accessibles. Les perspectives spécifiques endovasculaires Les traitements endovasculaires réalisés sous contrôle fluoroscopique génèrent des données peropératoires uniques dans le domaine de la chirurgie ou de la radiologie. Certaines interventions peuvent être entièrement reconstituées à partir de ces données. Ainsi, quelques exemples de projets en cours s’intéressent à ces séries et tentent de les annoter avec une réalité clinique : c’est le principe de l’imagerie augmentée. Le congrès dédié à ces problématiques (MICCAI, Medical Image Computing and Computer Assisted Intervention congress) a répertorié en 2020 plus d’une vingtaine de solutions traitant directement des angiographies. Voici quelques applications. La segmentation en temps réel de l’arbre vasculaire : l’exemple de l’anévrisme aortique abdominal La fusion permet de réduire l’irradiation et la quantité de produit de contraste en superposant des données d’imagerie préopératoires (scanner) avec la fluoroscopie temps réel. Plusieurs équipes se sont intéressées à la correction en temps réel des erreurs de la fusion dues aux mouvements du patient, à la présence d’artéfacts, voire aux modifications de la configuration anatomique induite par le matériel endovasculaire(5-7). Le deep learning permet une segmentation en temps réel du positionnement de la prothèse aortique, illustré par ce modèle établi à partir de 175 patients (figure 2). Figure 2 : Résultats publiés par YJ Zhou et al.(7). Exemple de réseau permettant une segmentation peropératoire d'une endoprothèse aortique. Plus largement, la segmentation vasculaire pourrait être augmentée d’une donnée supplémentaire en associant par exemple : – le type de matériel (guide/cathéter) utilisé lors du cathétérisme sélectif d’une artère dans le but d’élaborer un outil d’aide peropératoire ; – la distribution réelle pré et postopératoire du flux pour un outil de prédiction du résultat hémodynamique après revascularisation ; – le trajet emprunté pour un outil de navigation temps réel. La « perfusion » : donnée spatiale et temporelle La perfusion d’organe est la seconde donnée clé disponible en fluoroscopie après l’arbre vasculaire. Elle est particulièrement importante dans le domaine de l’embolisation thérapeutique bénigne (hypertrophie prostatique ou fibromes utérins symptomatiques) ou maligne (chimioembolisation tumorale). Contrairement à l’imagerie diagnostique en coupe, l’angiographie donne accès à une information temporelle et spatiale. Un exemple issu de la neuroradiologie interventionnelle démontre la faisabilité d’un score automatisé de perfusion cérébrale au cours d’une revascularisation(8). Il est facile d’imaginer de nombreuses applications : score de prédiction de réussite, score final d’efficacité thérapeutique, indication à un traitement complémentaire, etc. Ce type de solution permet également d’apporter un oeil expert au radiologue moins expérimenté, voire d’aide à la formation. Une autre utilisation des données spatiales et temporelles permet de déduire des images une réalité hémodynamique. Une équipe a par exemple montré qu’on pouvait entraîner un modèle à « lire » une angiographie coronaire pour en cartographier la réserve (fractional flow reserve ou FFR) sans la mesurer physiquement(9). Ainsi, les auteurs suggèrent d’aider le thérapeute à identifier les lésions cliniquement significatives. Conclusion La chirurgie vasculaire et la radiologie interventionnelle sont particulièrement adaptées à l’innovation thérapeutique proposée par l’IA : les données perinterventionnelles spatiales et temporelles sont disponibles et standardisées. À court terme, les modèles permettront une aide peropératoire au choix de matériel, à la navigation, à la modélisation de la distribution du flux pré et postopératoire et à une fusion plus précise. À moyen ou long terme, l’IA pourrait permettre l’élaboration de solutions multifactorielles de prédiction et d’aide à la décision thérapeutique, dans les limites des risques de la généralisation, que les algorithmes actuels n’apportent pas. Figure 3 : ERésultats publiés par M. Nielsen et al.(8). Exemple d’angiographies cérébrales témoignant de différents grades de perfusion. Base d’apprentissage pour un modèle d’évaluation automatisé.

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