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Coronaires

Publié le 14 juin 2011Lecture 11 min

Comment traiter un coronarien qui nécessite un traitement par anti-vitamine K ?

E. FERRARI, CHU Nice

L’association d’un anti-vitamine K (AVK) et d’un antiagrégant plaquettaire est une indication thérapeutique qui se discute régulièrement dans notre exercice quotidien. S’il peut y avoir un bénéfice à en attendre, cette association peut poser de réels problèmes pratiques.
Nous allons revoir les principales situations que pourrait rencontrer tout potentiel prescripteur de l’association AAP + AVK en abordant les nouveaux anti-plaquettaires et les nouveaux anti-thrombines malgré des données très tenues.

Il n’est pas anodin d’associer un antiagrégant et une anti-thrombine au point que les recommandations de l’American College of Chest Physicians de 1998 statuaient « qu’il ne faut pas associer AVK et aspirine et que, lorsqu’un patient a besoin d’un AVK, l’aspirine doit être arrêtée » ! Si les choses ont évolué, il y a 2 extrêmes à éviter : • Ne pas faire bénéficier de cette association à un patient qui en tirerait bénéfice. • Galvauder cette « bithérapie ». On ne peut en effet associer « impunément » une anti-thrombine et un antiagrégant. Il y a « un prix à payer » en l’occurrence un sur-risque hémorragique. Il faut donc peser le pour et le contre, autrement dit, le bénéfice que l’on peut en espérer mais aussi le risque pour chaque patient. Dans ce bilan du bénéfice/risque il faudrait idéalement pouvoir mesurer le gain potentiel de l’un et de l’autre anti-thrombotique. Par exemple chez un patient coronarien porteur d’une valve mécanique, l’AVK peut apporter un bénéfice sur le problème coronarien mais l’aspirine peut aussi apporter un bénéfice sur la valvulopathie. Nous traiterons des différentes situations.   Première question à se poser : l’AVK est-il absolument indispensable ? C’est une phase importante de la décision thérapeutique. Un AVK a pu être donné depuis longtemps pour une indication « non-consensuelle » : un athérome ectasiant coronarien, l’existence d’une thrombophilie mineure chez un sujet qui aurait présenté un seul épisode de thrombose veineuse profonde, etc.   Y a-t-il un risque hémorragique particulier ? Question, en théorie majeure, en pratique, dont la réponse est extrêmement difficile. Si dans les études de la littérature certains facteurs de risque ressortent  (l’âge, le petit poids corporel, le sexe féminin, etc.), ces résultats n’ont qu’une réalité statistique. La compliance du patient et sa capacité à participer à la gestion de son traitement sont capitales. Il faut rejeter tout « a priori » sachant que le niveau social des patients n’est pas le seul élément qui entre en compte dans cette compréhension.   Peut-on diminuer l’INR cible en espérant diminuer le risque de saignement ? • Cette pratique peut se concevoir après une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire, où après 6 mois de traitement, des données existent pour montrer la faisabilité et l’efficacité d’un INR entre 1,5 et 2. Cette possibilité a été reprises dans les dernières recommandations 2009 de l’HAS sur le traitement de la TVP/EP. • En revanche dans la FA, vouloir baisser l’INR est une méthode improductive et dangereuse. Hylek(1) démontre qu’un INR à 1,7 au lieu de 2,0 multiplie par 2 le risque d’AVC. Un INR à 1,5 multiplie ce risque d’AVC par 3,3. Un INR à 1,3 le multiplie par 6 ! Le prescripteur timoré pourrait se dire alors qu’un AVC qui surviendrait avec un INR plus bas serait moins grave, avec un moindre risque d’hémorragie secondaire… La même Hylek démontre exactement le contraire(2) : le taux de décès dû à l’AVC est de l’ordre de 1 % lorsque l’INR au moment de l’accident cérébral est > 2 contre 9 % quand cet INR est < 2. Mais aussi le taux de décès global à J30 après un AVC est de 6 % lorsque l’INR est > 2 contre 16 % lorsque l’INR est < 2. Autrement dit, dans la FA non seulement un INR bas ne protège pas des accidents emboliques, mais les AVC qui surviennent sont « plus graves ». • En pathologie coronaire, dans le cadre de la prévention secondaire, et malgré un traitement concomitant par aspirine, il est aussi parfaitement bien démontré qu’un INR cible < 2 n’apporte pas de bénéfice. L’étude CHAMPS(3) qui portait sur plus de 5 000 patients ayant récemment (< 14 jours) présenté un IDM, n’a pas montré de bénéfice lorsque la warfarine (avec un objectif d’INR cible entre 1,5 et 2,5) était associée à 80 mg d’aspirine contre de l’aspirine seule (162 mg). Après 2,7 ans de suivi, on ne constatait aucun bénéfice dans le groupe AVK + aspirine avec, en revanche, un surcroît d’hémorragies. Dans ce travail, il est important de noter que, bien que l’INR cible théorique se situait entre 1,5 et 2,5, l’INR moyen obtenu était de 1,8. Il s’agissait bien d’une hypocoagulation modérée. L’étude CARS(4) et l’étude OASIS(5) avaient déjà montré qu’un INR trop bas (respectivement 1,4 et 1,5) était inefficace en prévention secondaire. Cette règle d’un manque d’efficacité de l’AVK à faible dose reste vraie, y compris lorsqu’on associe de l’aspirine. • Dans l’étude SPAF III (Lancet 1996) la bithérapie par AVK faible dose (avec un INR à 1,3) + aspirine a entraîné un taux d’AVC et d’embolies systémiques de 7,9 % contre 1,9 % chez les patients traités par AVK avec INR habituel(2-3). • L’étude NASPEAF(6) a testé sur des fibrillations auriculaires à risque embolique intermédiaire soit un AAP seul : il s’agissait du trifusal (600 mg/j) soit l’AVK seul (avec un INR habituel entre 2 et 3) soit l’association des 2 avec pour l’AVK un INR cible entre 1,25 et 2. Après 2,8 ans de suivi, l’association de l’antiagrégant et de l’AVK s’avère supérieure à l’AVK seul ou à l’AAP seul : RR d’événements emboliques = 0,33 [0,12-0,91]. Mais l’INR moyen chez ces patients à risque intermédiaire était en fait de 1,8. La même étude avait testé chez des patients à haut risque embolique l’AVK seul contre l’antiagrégant + l’AVK. L’INR cible cette fois-ci était entre 1,4 et 2,4. L’association s’avère là aussi meilleure que l’AVK seul : RR d’événements emboliques = 0,51 [0,27-0,96]. Mais là aussi, les cliniciens avaient fait en sorte de rester dans le haut de la fourchette de l’INR cible, en moyenne 2,2.   Si notre patient coronarien a absolument besoin de l’AVK, peut être peut-on se dispenser de l’aspirine ? Les nombreuses études des années 1980-90 sur la prévention secondaire utilisant un anti-vitamine K après un évènement coronarien nous ont appris que l’AVK seul était très efficace lorsqu’on le comparait au placebo(7,8,9) avec globalement un bénéfice sur le seul critère mortalité de près de 35 % dans SIXTY et de 25 % dans WARIS et un bénéfice de 40 à 50 % sur la récidive d’infarctus. Il faut noter que l’anticoagulation recherchée était importante avec des INR cibles (même si à l’époque l’INR n’existait pas) entre 2,7 et 4,5 pour SIXTY, entre 2,8 et 4,8 pour WARIS et pour ASPECT. Si un coronarien a donc absolument besoin d’un traitement AVK avec un INR élevé, le bénéfice attendu portera aussi sur les événements coronariens.   Est-ce à dire que nous n’avons plus besoin d’aspirine chez les coronariens traités par AVK à forte dose ? L’étude ASPECT II(10) sur près de 1 000 patients va dans ce sens puisque chez des coronariens avérés, la comparaison des 3 traitements : aspirine seule, AVK [INR à 2,4] + aspirine, AVK seul [INR à 3,4] montre la supériorité des 2 « bras » AVK en termes d’évènements thrombotiques et de décès à 1 an versus l’aspirine seule : respectivement 5 % vs 9 %. Le groupe AVK seul, à bonne dose, faisant moins saigner que le groupe AVK à dose moyenne plus aspirine et s’avérant ainsi le traitement avec lequel survient le moins d’événements au bout de 18 mois. Mais il s’agit de la seule étude qui va dans ce sens. Dans un schéma très similaire, mais sur plus de 3 600 patients, l’étude WARIS II(11) montre elle aussi une supériorité des 2 bras AVK versus l’aspirine mais une supériorité cette fois-ci de l’association AVK [INR à 2,2] + aspirine vs AVK [INR à 2,8] seul. On aurait envie de conclure qu’un INR à 3,4 est plus efficace qu’un INR à 2,4 + aspirine, mais qu’un INR à 2,8 est moins efficace qu’un INR à 2,2 + aspirine… En fait, 3 méta-analyses ont fait le point sur tous ces résultats : • Celle de Yusuf en 2003(12) concluait sur plus de 20 000 patients : - qu’un traitement AVK avec INR > 2,8 réduit significativement les événements thrombotiques en augmentant le risque de saignement ; - qu’un traitement AVK dit modéré [INR entre 2 et 3] réduit aussi les événements thrombotiques par rapport aux contrôles ; - que l’association AVK à dose modérée + aspirine est plus efficace et pas plus dangereux que l’aspirine seule (?!). En revanche, un traitement AVK à faible dose [INR < 2] n’était pas plus efficace que l’aspirine mais augmentait le risque hémorragique. • Comment, le bon sens clinique, pourrait-il admettre qu’un traitement AVK avec un INR < 2 ferait plus saigner que l’aspirine alors que l’association AVK efficace plus aspirine ne ferait pas plus saigner que l’aspirine ? • Celle de Rothberg MB(13) qui n’intègre que les études dans lesquelles l’aspirine seule est comparée à l’association AVK avec INR > 2 + aspirine. Cette méta-analyse prend ainsi en compte 10 essais, totalisant près de 6 000 patients. Elle conclue que : - l’association diminue le risque d’IdM de 44 %, - diminue aussi le risque d’AVC de 54 %, - diminue le taux de revascularisation de 20 %. Tout ceci sans diminuer la mortalité et au prix d’une augmentation par 2,5 du risque hémorragique (hémorragies graves). Il faut alors traiter 16 diabétiques coronariens pendant 3 mois pour éviter un IdM ou un AVC alors qu’une hémorragie grave surviendra au bout de 333 traitements entrepris. La dernière méta-analyse d’Andreotti F et al.(14) pose la même question : elle repose sur 14 essais et inclus plus de patients du fait de l’absence de limite quant au niveau de l’INR. Ses conclusions sont : • que si on n’impose pas un certain niveau d’anticoagulation l’association AVK + aspirine n’entraîne pas de bénéfice sur les événements thrombo-emboliques (RR = 0,96 [0,90-1,03]). • Alors qu’elle majore le risque hémorragique (RR = 1,77 [1,47-2,13]). • En revanche lorsque l’INR se situe entre 2 et 3, il existe un bénéfice clair sur les événements thrombo-emboliques (RR = 0,73 [0,63-0,84] p < 0,0001) au prix d’une majoration du risque hémorragique (RR = 2,32 [1,63-3,29]). Ceci correspond alors à la nécessité de traiter 33 patients pour éviter un événement alors qu’un saignement surviendra tous les 100 patients traités. La conclusion est donc qu’il faut réserver l’association AVK + aspirine chez les patients à haut risque de récidive et à faible risque hémorragique mais en visant un INR > 2.   Quid chez le porteur de valve ? Chez le patient coronarien porteur d’une valve mécanique nécessitant donc un AVK, il est établi que l’adjonction d’aspirine est possible et bénéfique au prix d’une augmentation du risque hémorragique. Plusieurs essais randomisés ont permis d’arriver à cette conclusion clairement explicitée dans les guidelines nord-américains de l’ACCP. La réduction du risque d’événements thrombo-emboliques est significativement diminuée (RR = 0,33 [0,19-0,58]) toujours au prix d’une majoration du risque hémorragique (RR = 1,58 [1,02-2,44]) avec un effet divers sur la mortalité toute cause en fonction des études prises en compte (RR = 0,72 [0,29-1,83]).   Comment optimiser le traitement AVK quand on en attend un bénéfice ? Il faut revenir sur ce qui est probablement le risque majeur d’hémorragie lors des traitements par anti-vitamine K : la mauvaise gestion du traitement. Il est clair qu’une meilleure gestion du traitement AVK est l’assurance d’un moindre risque hémorragique. Le travail de Heneghan(15) qui est une méta-analyse sur l’apport de l’auto-contrôle et de l’auto-gestion du traitement par AVK (outils dont nous avons toujours du mal à disposer dans notre pays) montre le bénéfice que l’on peut attendre d’une meilleure gestion : 39 % de réduction sur le seul critère mortalité ! 55 % de réduction des évènements thrombo-emboliques ! 35 % de baisse des hémorragies majeures en faveur de l’auto-surveillance. Un bénéfice encore plus important est atteint lorsque le patient gère lui-même ses posologies d’AVK en fonction des résultats avec 63 % de réduction des décès ! L’arrivée des anti IIa et anti Xa (dabigatran et rivaroxaban) sur le marché va probablement éviter les grandes fluctuations de la « décoagulation », causes importantes de saignement, mais ne rendra pas leur association aux AAP sans risque. Rappelons nous que 50 % des patients qui saignent sous AVK le font avec un INR dans la cible.   Peut-on associer aspirine/clopidogrel et anti-vitamines K ? Cette situation survient périodiquement chez un patient qui nécessite la mise en place d’une endoprothèse coronaire et qui aurait par ailleurs un besoin impératif des AVK. Dans cette situation, on peut difficilement s’affranchir de la bithérapie antiagrégante qui a démontré sa supériorité dans la prévention de la thrombose aiguë et sub-aiguë de stent coronaire. Le bénéfice attendu étant une diminution de 2 à 0,5 % (en valeur absolue) du risque de thrombose de stent. Événement grave, puisque corrélé à la survenue d’un IdM ou d’un décès dans plus de 50 % des cas. Plusieurs recommandations ont été proposées. Les règles essentielles seraient : • d’essayer de garder aspirine (l’étude Current a montré que 75 mg suffisent) + clopidogrel (75 mg/j) pendant au moins 1 mois. • d’éviter, autant que possible les stents actifs qui nécessitent en théorie une plus longue durée de la bithérapie, mais si le stent nu doit entraîner 3 à 5 fois plus de resténose avec à chaque fois la nécessité d’un nouveau cathétérisme chez un sujet nécessitant un AVK la chose mérite réflexion. • de garder l’INR au bas de la fourchette de la cible (plus proche de 2 que de 3). Dans cette situation, le prasugrel qui fait un peu plus saigner que le clopidogrel doit certainement être évité, en revanche le ticagrelor qui fait un peu moins saigner que le clopidogrel pourrait ici trouver une place de choix.   Bithérapie antiagrégante et FA à risque modéré La nouveauté est probablement l’étude ACTIVE. Si la comparaison d’aspirine + clopidogrel au traitement AVK a clairement montré que l’AVK faisait beaucoup mieux (près de 3 % vs près de 6 % d’AVC), le bras aspirine + clopidogrel montre aussi une supériorité vis-à-vis de l’aspirine seule. Chez un coronarien avéré, on peut donc considérer, sur une FA à risque modéré, a fortiori chez un patient à risque hémorragique, de ne garder que la bithérapie et d’éviter les AVK. Le dabigatran changera bientôt cette donne. In fine : les 10 messages essentiels à retenir pour un patient nécessitant un traitement AVK pourraient être : 1) On peut parfois associer AVK + aspirine chez un coronarien soit du fait de sa coronaropathie elle-même soit du fait d’une autre pathologie nécessitant l’AVK. 2) L’indication de l’AVK doit cependant être parfaitement pesée. 3) Le risque hémorragique est multiplié par plus de 2. 4) L’INR cible dans la FA doit rester > 2 si l’on espère un bénéfice. 5) L’association sera favorisée chez les sujets à haut risque de récidives. 6) Elle sera évitée chez les sujets à haut risque hémorragique. 7) Le traitement AVK doit être évalué de façon rapprochée. 8) Lorsque l’AVK est nécessaire à forte dose (INR > 3,5 : valvulaire) chez un patient à risque hémorragique on doit certainement se passer de l’aspirine. 9) Un patient peut nécessiter, au moins momentanément, l’association d’une bithérapie antiagrégante avec les AVK (lors de la mise en place d’une endoprothèse coronaire). Cette situation ne doit pas être galvaudée. 10) Les anti IIa et anti Xa s’ils pourraient minimiser le risque hémorragique ne devraient pas changer ces grands principes.

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