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Insuffisance cardiaque

Publié le 24 mai 2005Lecture 8 min

L'ordonnance type de la dysfonction ventriculaire gauche

M. GALINIER et A. COHEN-SOLAL, CHU Rangueil, Toulouse et hôpital Beaujon, Clichy

C’est à l’occasion d’un bilan de santé de la Sécurité sociale qu’est découvert chez cet homme âgé de 40 ans asymptomatique, non tabagique et non alcoolique, un bloc de branche gauche.

    Observation C’est à l’occasion d’un bilan de santé de la Sécurité sociale qu’est découvert chez cet homme âgé de 40 ans asymptomatique, non tabagique et non alcoolique, un bloc de branche gauche. Son examen clinique demeure normal. Il pèse 74 kg pour 1,75 m, la tension artérielle est à 120/ 70 mmHg et la fréquence cardiaque à 78/min. Il ne présente aucune anomalie des paramètres biologiques ; la glycémie et le bilan lipidique sont normaux. La clairance de la créatinine est à 130 ml/min et la kaliémie à 4,1 mmol/l. L’échocardiographie retrouve un ventricule gauche modérément dilaté (diamètre télédiastolique de 60 mm) avec une altération de la fonction systolique, la fraction d’éjection étant à 34 %, sans élévation des pressions de remplissage au Doppler transmitral, ni hypertension artérielle pulmonaire. La scintigraphie myocardique au MIBI sensibilisée par une épreuve d’effort n’objective aucune anomalie de la perfusion myocardique. On conclut à une cardiomyopathie dilatée débutante. Un traitement par un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) à faible posologie (énalapril 5 mg, 1/2 cp matin et soir) est alors débuté, avec une augmentation progressive des posologies tous les 15 jours jusqu’à la dose cible de 20 mg en 2 prises. Un contrôle de la créatininémie et de la kaliémie est programmé 1 à 2 semaines après la mise en route du traitement ainsi qu’après chaque augmentation de posologie. Dans un second temps, un bêtabloquant est introduit à faible dose (carvédilol 6,25 mg, 1/2 cp matin et soir) avec augmentation tous les 15 jours de la posologie jusqu’à obtention de la dose cible (carvédilol 25 mg, 1 cp matin et soir). Au plan hygiéno-diététique, il lui est recommandé de diminuer sa consommation sodée, en surveillant régulièrement son poids, de s’assurer auprès de son médecin traitant qu’il soit vacciné contre la grippe et le pneumocoque et de maintenir une activité d’endurance régulière sous la forme d’une marche quotidienne.   Le point de vue de M. GALINIER Chez ce patient présentant une cardiomyopathie dilatée non ischémique asymptomatique, le but de la prise en charge thérapeutique sera triple : • lutter contre le remodelage ventriculaire gauche et donc prévenir l’aggravation de la dysfonction ventriculaire gauche systolique pour retarder l’apparition d’une insuffisance cardiaque clinique ; • prévenir le risque de mort subite par arythmie ventriculaire qui, au cours de l’insuffisance cardiaque, est la principale cause de décès des patients paucisymptomatiques ; • éviter la survenue d’événements intercurrents qui pourraient favoriser la survenue d’une insuffisance cardiaque clinique grâce à une éducation thérapeutique appropriée.   Lutte contre le remodelage ventriculaire gauche Les IEC constituent depuis plus de 20 ans le socle du traitement des dysfonctions ventriculaires gauches, asymptomatiques ou symptomatiques, l’angiotensine II et l’aldostérone, jouant un rôle clé dans les processus de remodelage. En effet, le bras prévention de l’étude SOLVD (Study Of Left Ventricular Dysfunction), qui s’est intéressé à des patients présentant une dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique, a clairement démontré le bénéfice de l’énalapril, qui, à la posologie de 20 mg, diminue le risque de décès ou d’hospitalisation pour décompensation cardiaque et ralentit l’apparition d’une insuffisance cardiaque. De plus, si la mortalité totale n’était pas réduite après un suivi initial de 3,2 ans, elle l’est au terme d’une extension du suivi à 11,3 ans. Enfin, l’énalapril diminue la survenue du diabète. Ces données sont confirmées par les résultats des travaux réalisés avec les IEC en postinfarctus du myocarde compliqué de dysfonction ventriculaire gauche, qui démontrent tous une diminution de la mortalité et des hospitalisations. Ce bénéfice des IEC est plus marqué chez l’homme que chez la femme présentant une dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique. En cas d’intolérance aux IEC, notamment d’une toux, au vu des résultats de l’étude VALUE (Valsartan Antihypertensive Long-term Use Evaluation trial) qui démontrent un bénéfice similaire du valsartan et du captopril chez les patients en postinfarctus présentant une dysfonction ventriculaire gauche, et de l’étude CHARM Alternative (Candesartan in Heart failure : Assessment of Reduction in Mortality and morbidity), qui a démontré le bénéfice du candesartan chez les patients insuffisants cardiaques intolérants aux IEC, bien que ces derniers aient été symptomatiques en classe II ou III, un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II pourra être utilisé, en ciblant une forte posologie (320 mg de valsartan ou 32 mg de candesartan). Les antagonistes des récepteurs de l’aldostérone peuvent également s’opposer aux mécanismes du remodelage ventriculaire gauche, notamment grâce à leur action antifibrosante dans le postinfarctus du myocarde compliqué de dysfonction ventriculaire gauche. L’étude EPHESUS (EPlerenone in HEart failure Safety and efficacy and SUrvival Study) a, en effet, démontré l’intérêt de l’adjonction d’éplérénone aux IEC et aux bêtabloquants chez ces patients. Cependant, nous sommes loin de notre sujet présentant une cardiomyopathie non ischémique asymptomatique, puisque dans cette étude, les patients devaient avoir présenté une insuffisance cardiaque clinique initialement et que l’antialdostérone était prescrit dans les suites immédiates d’un infarctus, situations où les systèmes neuro-hormonaux sont particulièrement activés. Ainsi, nous ne possédons pas encore assez d’arguments pour adjoindre un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone chez notre patient qui, de plus, n’en tirera pas le bénéfice d’une prévention de l’hypokaliémie puisque, asymptomatique, il ne doit pas être sous diurétique proximal. Les bêtabloquants constituent la troisième voie pour s’opposer au remodelage ventriculaire gauche. En effet, dans l’étude CARMEN (Carvedilol ACE inhibitor Remodeling Mild heart failure EvaluatioN) qui s’est intéressée à des patients présentant une insuffisance cardiaque systolique légère à modérée, le traitement par carvédilol à la posologie de 50 mg par jour s’est révélé plus efficace que le traitement par IEC seul (énalapril) pour réduire le volume télésystolique ventriculaire gauche et améliorer ainsi la fraction d’éjection. La combinaison des deux traitements a cependant des effets supérieurs sur le remodelage comparativement à ceux de chacune des deux thérapeutiques isolées. Les IEC et les bêtabloquants constituent donc le couple idéal pour s’opposer à l’évolution spontanément défavorable d’une cardiomyopathie dilatée asymptomatique. S’il est classique de débuter par les IEC puis d’introduire les bêtabloquants, l’inverse est également possible au vu des résultats de l’étude CARMEN. Mais quel que soit l’ordre d’introduction, l’obtention de la dose maximale tolérée de ces deux agents, proche de celle des grands essais thérapeutiques s’imposera : 20 mg pour l’énalapril et 50 mg en 2 prises pour le carvédilol.   Prévention de la mort subite Au cours des dysfonctions ventriculaires gauches symptomatiques, le pourcentage de morts subites parmi les modes de décès est d’autant plus important que les patients sont paucisymptomatiques. - L’introduction précoce des bêtabloquants doit donc devenir la règle. Elle ne se discute pas en postinfarctus du myocarde compliqué de dysfonction ventriculaire gauche, le carvédilol à la posologie de 50 mg par jour ayant dans cette indication réduit la mortalité totale dans l’étude CAPRICORN (CArvedilol Post-infaRct survIval COntRol in left ventricular dysfunctioN). Au cours des cardiomyopathies dilatées, l’utilisation des bêtabloquants est également recommandée pour diminuer le risque de mort subite. Comme le carvédilol lutte par ailleurs contre le remodelage ventriculaire gauche, il faut l’utiliser chez notre patient. - Les antagonistes des récepteurs de l’aldostérone sont la deuxième thérapeutique au cours de l’insuffisance cardiaque pour lutter contre le risque de mort subite. En postinfarctus du myocarde compliqué de dysfonction ventriculaire gauche, l’éplérénone a, en association aux IEC et aux bêtabloquants, réduit significativement ce risque. Cependant, nous l’avons vu pour le remodelage, il est difficile dans l’état actuel de nos connaissances d’étendre cet effet bénéfique à notre patient.   Éducation thérapeutique Les patients porteurs d’une cardiomyopathie dilatée comme tous ceux atteints d’insuffisance cardiaque devraient bénéficier d’une éducation thérapeutique afin de devenir des acteurs de leur propre suivi grâce à une meilleure connaissance de leur maladie, des symptômes d’une éventuelle décompensation, des modalités d’un régime pauvre en sel, ainsi que de la nécessité de l’arrêt de la consommation de toute boisson alcoolisée, des médicaments qui luttent contre leur maladie et de l’intérêt d’une activité physique d’endurance. Cette éducation thérapeutique sera au mieux réalisée lors de séances collectives par des équipes pluridisciplinaires où le rôle des paramédicaux s’est révélé essentiel.   Commentaires de A. Cohen-Solal Cette observation appelle simplement quatre remarques de ma part. - La découverte d’une altération isolée de la fonction systolique ventriculaire gauche avec un diamètre télédiastolique à 60 mm seulement et des pressions de remplissage basses chez un sujet asymptomatique doit d’abord faire rechercher s’il s’agit vraiment d’une myocardiopathie débutante ou simplement d’une altération modérée de la fonction systolique en rapport avec le bloc de branche gauche. C’est pour cela qu’il est, à mon sens, très important de quantifier exactement la FEVG par échographie (méthode de Simpson) et par ventriculographie isotopique afin de ne pas traiter abusivement un patient. Néanmoins, à 36 %, il y a peu de chance que l’altération de la fonction systolique soit uniquement en rapport avec le bloc de branche gauche ; il s’agit donc très vraisemblablement d’une myocardiopathie dilatée débutante découverte de façon systématique. - Chez ce sujet sans hypotension artérielle, il ne devrait pas y avoir de grosses difficultés à titrer rapidement les IEC puis les bêtabloquants aux doses recommandées et je souscris à celles qui sont prescrites par mes collègues sur leur ordonnance. Ce qui reste discuté est le « timing » du traitement : faut-il attendre d’avoir titré au maximum l’énalapril (20 mg, 40 mg) avant de débuter le traitement bêtabloquant ou peut-on introduire le carvédilol dès la posologie de 10 mg/j d’énalapril par exemple ? Probablement oui. - La troisième question qui se pose est celle du diurétique. A priori, il s’agit d’une dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique dans laquelle les diurétiques ne sont pas indiqués (guidelines de l’ESC). Néanmoins, les diurétiques, quels qu’ils soient, ont été évalués chez des patients symptomatiques en classe II, III et IV de la NYHA. Donc, en théorie, il n’y aurait pas d’indication formelle à prescrire un bêtabloquant chez ce patient ni à prescrire un diurétique ! C’est pour cela que je réaliserais un dosage de BNP et une épreuve d’effort pour voir si les pressions de remplissage sont vraiment basses et si le patient est vraiment asymptomatique. Si la capacité fonctionnelle est réduite ou le BNP est augmenté, je prescrirais un diurétique, furosémide à la dose de 20 mg/j, voire un thiazidique. Rappelons que, dans les essais thérapeutiques, l’instauration d’un traitement bêtabloquant a toujours été faite sur un fond de traitement par IEC et diurétiques. - Enfin, je suggérerais chez ce patient une enquête génétique.

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