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Cardiologie générale

Publié le 12 déc 2006Lecture 8 min

Le cœur est-il le siège des sentiments ? De la volatilité de l’âme

C. RÉGNIER, Société internationale d’histoire de la médecine, Paris

Dématérialisé, sa fonction hémodynamique (longtemps) ignorée, le cœur est bardé d’une puissante symbolique : creuset des passions, artisan et victime des sentiments, réceptacle des bonheurs et des chagrins, symbole du courage et de la vie, en résumé, siège contesté de l’âme. De l’Égypte ancienne à l’Europe chrétienne, le cœur n’a cessé de distiller ses légendes…

La langue française collectionne les « mots du cœur », ceux qui donnent à ce muscle toute sa « sentimentalité humaine » : le souvenir, la communication et l’émission-réception des passions. Se substituant au cerveau, le cœur se souvient, il gouverne la mémoire : loin des yeux, loin du cœur, d'ailleurs, on garde sur le cœur, ce que l'on ne veut pas oublier. Au XVIe siècle, apprendre par cœur se disait recorder. Le cœur symbolise aussi la communication, il préside aux accords, concordats, à la concorde et à la cordialité de cum cordia, les « cœurs ensemble », mais il est aussi responsable des discordes et désaccords. Son domaine de prédilection demeure la production, la capture et la transformation des passions, des vertus et des vices : cœur de pierre, cœur sur la main, rancœur, cœur-joie, cœur ouvert, contre-cœur, franc-cœur, cœur gros, cœur au ventre, cœur fidèle, bourreau des cœurs, noble cœur, cœur de lion... Exposé directement aux sentiments qu’il façonne et à ceux qu’il reçoit, le cœur est aussi arraché, brisé, fendu, crevé, gonflé, serré, percé. Au fil des siècles, les hommes, médecins et philosophes en particulier, s’interrogèrent sur la localisation anatomique de cette âme dont la volatilité absolue ne pouvait être admise indéfiniment ; comme siège de l’âme, le cœur fut concurrencé par le cerveau, le foie, la rate, le sang. Mythologie et mystique cardiaques reposent sur des croyances populaires, des chimères, des systèmes philosophiques, des images littéraires, des démonstrations.   Tout débute en Égypte ancienne... La pesée du cœur en Égypte ancienne représenté dans le Papyrus Imenemsaouf (XXIe dynastie de Tanis). Musée du Louvre. Paris. Sainte Catherine de Sienne présentant le cœur de Jésus par Guidoccio Cozzarelli (1450-1517). Pinacothèque de Sienne. Tapisserie en laine et soie représentant le don du cœur (vers 1400-1410). Musée du Louvre. Paris. Livre en forme de cœur du XVe siècle. Le livre d’heures à l’usage d’Amiens. Bibliothèque Nationale de France. Paris Reliquaire du cœur d’Anne de Bretagne (1514). Musée Dobrée. Nantes. Pesée du cœur et jugement d’Osiris : le mythe de la pureté Pour les Égyptiens, le cœur était à la fois agent et signe de la vie ; organe central de l'homme et centre vital, réceptacle de toutes les émotions, il figurait comme le siège de l'intelligence. Plusieurs noms désignaient le cœur : haty, le muscle cardiaque, ib le cœur liturgique et affectif et cardia son aire de projection médiastinale (mal définie). Ces mots couramment employés l'un pour l'autre ajoutèrent d'autant à la confusion entre anatomie et symbolisme. Le Traité du cœur du papyrus d'Ebers (1 600 ans avant J.-C.) évoque les bons et les mauvais rapports qu'entretiennent le ib et le cœur haty. Médecins et prêtres égyptiens considéraient que les souffrances de l'un avaient des répercussions sur le fonctionnement de l'autre. Pour les Égyptiens, l'être comportait un bâ, improprement traduit par l'âme, une ombre et un corps (djet). Ce dernier devait demeurer intact pour que le ka, double spirituel, puisse accéder au monde souterrain, ce qui explique la complexité des rites funéraires visant à conserver l'intégrité physique du défunt. Au cours de la momification, le cœur laissé in situ subissait l’épreuve de la pesée également appelée jugement d’Osiris ; s’il était détruit accidentellement, le défunt était voué à une mort éternelle. C'est Thot, le dieu de la Justice à tête d'ibis, qui pesait le cœur pour en apprécier la pureté. Thot était également le gardien du calendrier, le maître de l'écriture, de la parole, de la pensée, le dieu des magiciens. L'opération consistait à déposer le cœur sur un plateau d'une balance et sur l'autre plateau une plume à l'effigie de Maât, fille du soleil, déesse de la Vérité. Si le cœur était plus lourd que la plume, le corps du défunt était dévoré par un lion à tête de crocodile ; sinon Osiris, maître du royaume des morts, lui ouvrait les portes du paradis. À partir du Moyen-Empire (2060-1786), les prêtres autorisèrent l'extraction des cœurs chargés de péchés et leur substitution par des scarabées symbolisant le souffle de la vie.   De l’âme à la raison La physiologie hippocratico-galénique affirmait que le cœur propulsait de l'air chaud dans les artères ; en effet, lorsqu’ils disséquaient les organes vasculaires, les praticiens de l'Antiquité observaient la vacuité du ventricule gauche et des artères, d’où cette croyance d’un air chaud circulant dans le réseau vasculaire. Selon cette théorie, le sang était réchauffé dans le ventricule droit alors que les oreillettes jouaient le rôle d’un soufflet. Les écrits hippocratiques (rédigés entre le Ve et le IVe siècle avant J.-C.) indiquent : L'intelligence de l'homme est innée dans le ventricule gauche et commande au reste de l'âme. Des « sucs » bons ou mauvais, reflets des pensées intimes, étaient donc fabriqués dans le cœur qui les (re) distribuait à tous les autres organes. René Descartes (1596-1650) lia étroitement le cœur, le cerveau et la glande pinéale (l’épiphyse). Pour le philosophe, l'âme logeait dans tout le corps en raison de son indivisibilité et de son caractère immatériel. Si le cœur et le cerveau demeuraient les territoires d’élection de l’âme, il fallait compter sur les innombrables canaux qui parcouraient l'organisme pour que l’âme se répande dans tout le corps. Pour Descartes, le cœur était le siège incontesté des émotions parce que nous percevons en lui les passions du corps qui se manifestent par une modification et une conscience accrues du rythme cardiaque. Pour sa part, le cerveau collecte les informations captées et véhiculées par les organes des sens, ceux-ci participant à l’expression des fonctions corporelles de l'âme. Cependant il fallait bien rechercher ce lieu privilégié où l'âme exerçait ses fonctions... le poste de commande se trouvait – selon Descartes – dans cette glande fort petite située dans le milieu de sa substance [du cerveau]. Il s’agissait de la glande pinéale (ou épiphyse)…   Un symbole d'immortalité, de souffrance et d'amour Prenant à son compte la physiologie antique, l'Occident chrétien situait également l'âme dans le cœur, d'où la symbolique de l'immortalité. Le cœur devint l'expression de la souffrance pour le Christ et de l'amour pour la Vierge. Dès le début de l’ère chrétienne, le cœur fut investi d'une puissante symbolique religieuse : la Bible mentionne 85 fois son nom qui est employé le plus souvent au sens figuré. On lit dans Jérémie : Mon cœur souffre au-dedans de moi (Jer. 8,18), Mes entrailles ! mes entrailles ! je souffre au-dedans de mon cœur (Jer. 4,19) ou encore Mon cœur est brisé au-dedans de moi (Jer. 23,9). Le culte du « cœur souffrant » se rapporte à la sixième blessure du Christ après celle du côté droit et les quatre plaies des mains et des pieds. La blessure au cœur de Jésus résulte de l'impiété des hommes, comme le rappelle sainte Hildegarde (1098-1179) dans son manuel de médecine : les douleurs cardiaques constituent pour les hommes un message de Dieu les incitant à modifier leurs habitudes de vie et mettre un terme à leurs conflits intimes... Le culte du « sacré-cœur » trouve son origine au XIIIe siècle dans le couvent cistercien d'Eisleben (Saxe) où sainte Gertrude (~1256-~1302) se mit en extase pour louer le cœur de Marie, symbole de l'amour maternel. Le culte du « cœur flamboyant de Jésus », dispensateur de chaleur humaine et d’amour, remonte au XVIe siècle lorsque sainte Thérèse de Jésus (1525-1582) en fit son attribut ; il devait rappeler aux croyants la Passion et leurs propres péchés. Les autorités ecclésiastiques étaient plutôt hostiles au développement de ces « rites cardiaques » mais la pression populaire et celle des Jésuites, lui firent tolérer, en plein siècle de la Raison, le culte du sacré-cœur... Du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, le culte du cœur fut très présent dans les rites funéraires des rois de France (par la grâce de Dieu) ; leur cœur était inhumé séparément lors de ferventes cérémonies populaires. Le cœur royal symbolisait le pouvoir spirituel du souverain, son âme, sa raison et ses qualités humaines (courage, vaillance, pureté, amour). Ainsi, Henri IV, assassiné le 4 mai 1610, fut porté en la basilique de Saint-Denis le 18 juin. Son cœur ouvert, nettoyé dans de l'huile de térébenthine, séché, farci de plantes aromatiques fut disposé dans un sac de toile cirée, enfermé dans une boîte de plomb et placé dans un reliquaire. Après avoir été exposé trois jours en l'église Saint-Louis de Paris, il partit le 9 mai pour l'église Saint-Thomas du collège des Jésuites de La Flèche (Sarthe). Escorté par douze cavaliers portant un flambeau, le cœur royal reposait sur les genoux de son confesseur le père Coton. À Nogent-le-Rotrou, La Ferté-Bernard, Chartres, Le Mans, une foule immense attendait le convoi et embrassa le coffret renfermant la royale relique. Le 18 mai, le cœur arrivait à la Flèche, passait sous un arc de triomphe ; au cours de la cérémonie, le Père Coton déclara : « Voilà le cœur de la France qui repose en ce lieu qu'il a choisi lui-même pour servir de sauvegarde aux bons et de bouclier aux méchants. » En 1793, les deux cœurs royaux de La Flèche — celui de Marie de Médicis avait rejoint celui d’Henri IV en 1642 — furent brûlés en place publique.   Il était une fois le cœur… Au centre du corps humain, palpitant, bruyant, palpable, le cœur se voit, s’entend, accélère, ralentit, s’arrête, fait mal ; rien d’étonnant à ce qu’il soit associé à toutes les passions humaines et aux sentiments de l’homme. Depuis la nuit des temps, dans toutes les civilisations, il s’est chargé d’une symbolique puissante et se trouve bien au cœur de la vie organique et spirituelle. Toutes les religions du monde s’en sont emparées pour en faire un acteur de premier plan dans la compréhension des rapports entre l’homme et le divin.

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