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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 28 fév 2011Lecture 8 min

La fibrillation atriale : un facteur de risque ? Une maladie cardiovasculaire ?

J.-C. DAUBERT, service de cardiologie, Centre cardio-pneumologique, CHU de Rennes

En 1997, dans une lecture demeurée célèbre1, Eugene Braunwald, l’un des pères de la cardiologie moderne, prophétisait l’émergence prochaine de deux nouvelles épidémies en médecine cardiovasculaire : l’insuffisance cardiaque et la fibrillation atriale (FA), responsables l’une et l’autre d’une croissance exponentielle de la morbidité cardiovasculaire, en particulier du nombre d’hospitalisations.

Avec une incidence et une gravité qui augmentent parallèlement au vieillissement de la population, une prise en charge qui a peu progressé depuis 20 ans et de lourds enjeux médico-économiques, la fibrillation atriale est à l’évidence un des défis majeurs de la médecine cardiovasculaire pour le XXIe siècle. Comme prédit1, l’épidémiologie de la FA prend une allure épidémique. Sa prévalence, estimée à 0,4 % de la population générale, augmentede façon exponentielle avec l'âge. Inférieure à 1 % chez les sujets âgés de moins de 60 ans, elle dépasse 6 % au-delà de 80 ans. Soixante-dix pour cent des patients en FA ont entre 65 et 85 ans. La FA est donc un problème du sujet âgé.   La FA : facteur de risque ? Un facteur de risque est habituellement défini comme un facteur auquel l’exposition de l’individu est associée à une augmentation du risque de survenue d’un accident cardiovasculaire, alors qu’à l’inverse, sa suppression ou son atténuation le diminuent. Cette définition implique un lien de causalité entre facteur de risque et maladie. La FA est associée à trois risques principaux : le risque thromboembolique, essentiellement l’accident vasculaire cérébral, l’insuffisance cardiaque et le risque de décès. S’il est relativement aisé de démontrer un lien épidémiologique entre FA et risque de survenue de ces accidents cardiovasculaires, il est plus difficile de démontrer que la suppression ou l’atténuation de la FA peuvent réduire ce risque. Apporter ces preuves constituera un objectif majeur du traitement de la FA, qu’il soit pharmacologique ou non pharmacologique, pour les prochaines années.   La FA : facteur de risque thromboembolique En supprimant la contraction atriale, en ralentissant les flux de vidange dans l’oreillette, en particulier l’auricule gauche, et en induisant un remodelage anatomique (dilatation atriale), la FA favorise la stase, la thrombose in situet le risque embolique. Le principal point de départ des emboles est l’auricule gauche. Exceptionnellement, une FA isolée (cœur sain) peut être la cause d’un accident thromboembolique. Le plus souvent, la FA est associée à d’autres facteurs de risque thromboemboliques. Les plus significatifs sont utilisés dans les scores prédictifs, dont le CHADS2. Ce sont par ordre de risque croissant : l’âge > 75 ans, l’insuffisance cardiaque, l’HTA, le diabète et les antécédents d’AVC ou d’AIT (x 2). En moyenne, le taux annuel d'accidents emboliques cérébraux chez les patients en FA varie entre 3 et 8 % selon les facteurs de risque associés. Il est 2 à 7 fois plus élevé que chez les patients indemnes de FA, appariés en âge et en sexe. Un accident vasculaire cérébral ischémique sur 6 survient dans un contexte de FA. Le risque embolique lié à la FA augmente avec l'âge, passant de 1,5 %/an chez les patients âgés de 50 à 59 ans, à 23,5 %/an pour les patients âgés de 80 à 89 ans2. Ainsi, le problème de la prévention se pose avec une particulière acuité chez les sujets âgés. La suppression ou l’atténuation de la FA réduisent-elles le risque thromboembolique ? Il n’existe pas de preuve formelle que la restauration et le maintien du rythme sinusal ou une diminution de la charge (% du temps passé) en FA réduisent significativement le risque thromboembolique chez les patients avec FA. Cette preuve ne pourra venir que d’essais contrôlés dédiés étudiant l’effet d’un traitement médicamenteux (antiarythmique) ou non médicamenteux (ablation) de la FA sur le risque thromboembolique, considéré comme objectif primaire. Dans l’attente, nous disposons d’arguments indirects et d’une présomption d’efficacité. C’est ainsi que, dans l’étude ATHENA3, le risque relatif d’AVC était réduit de 34 % (p = 0,027) dans le groupe dronédarone par rapport au groupe placebo. Mais rien ne permet d’affirmer que cet effet préventif est la conséquence directe d’un meilleur contrôle de la FA. Et même si c’était le cas, cela ne saurait dispenser des traitements antithrombotiques, pour l’essentiel, les anticoagulants oraux (antivitamine K ou, bientôt, de nouvelles antithrombines) chez les patients à risque élevé ou intermédiaire.   L’insuffisance cardiaque : FA cause ou conséquence ? Il est clairement établi que la perte de la contraction atriale jointe à une cadence ventriculaire rapide et irrégulière est un facteur majeur d’aggravation d’une insuffisance cardiaque préexistante ou de décompensation d’une cardiopathie jusqu’alors bien compensée. Il reste encore à démontrer que la FA est un facteur pronostique indépendant dans l’insuffisance cardiaque chronique. Les données récentes basées sur des analyses planifiées ou post hocde grands essais cliniques sur l’insuffisance cardiaque restent très divergentes. Il existe autant d’études à conclure que la FA est un facteur pronostique indépendant que d’études à conclure qu’elle n’est qu’un marqueur de progression de la maladie ou de cardiopathie évoluée4. La suppression ou l’atténuation de la FA réduisent-elles le risque d’insuffisance cardiaque ? À côté des insuffisances cardiaques aggravées, la FA paroxystiqueou permanente peut aussi créer par elle-même une dysfonction ventriculaire gauche (cardiomyopathie rythmique) et une insuffisance cardiaque sévère, susceptibles de régresser totalement ou partiellement après restauration d’un rythme sinusal stable ou contrôle drastique de la fréquence cardiaque. Cela a pu être démontré après une cure radicale de la FA par ablation endocavitaire5. Ce nouveau concept de régression ou de prévention de l’insuffisance cardiaque par traitement médicamenteux ou non médicamenteux de la FA doit maintenant être évalué avec rigueur, sur de larges populations non sélectionnées. La FA est un facteur de risque indépendant de mortalité Après ajustement par l’âge, le taux de décès chez les patients en FA est environ le double de celui observé chez les patients en rythme sinusal2. La relation FA/risque létal est plus forte chez la femme que chez l’homme. Comme attendu, il existe un lien fort entre la surmortalité associée à la FA et l’existence ou la sévérité de la cardiopathie sous-jacente. L’étude AFFIRM6 qui étaitune étude de mortalité,a confirmé que quelles que soient les options thérapeutiques, le seul fait d’être en FA s’accompagnait d’une surmortalité. La suppression ou l’atténuation de la FA réduisent-elles le risque de mortalité ? À l’inverse,dans AFFIRM6,le fait d’être en rythme sinusal à la fin de l’étude prédisait un meilleur pronostic avec une réduction du risque relatif de décès de 47 % (p < 0,0001). Mais la portée de cette observation doit être relativisée par le résultat globalement négatif de l’étude, qui n’a pu démontrer de différence sur la mortalité entre deux stratégies de prise en charge de la FA, une stratégie de contrôle du rythme et une stratégie de contrôle de fréquence. Cela traduit possiblement un rapport risque/bénéfice défavorable des thérapies utilisées dans AFFIRM pour le contrôle du rythme. Dans cette étude, l’emploi d’antiarythmiques (essentiellement les produits de classe IC et l’amiodarone) était associé à une augmentation relative de 49 % (p = 0,0005) du risque de mortalité. Les antiarythmiques modernes semblent avoir un meilleur profil risque/bénéfice. Dans ATHENA3, une tendance favorable a été observée avec la dronédarone pour la mortalité totale (RRR : 16 % ; NS) ; la mortalité cardiovasculaire étant significativement réduite (RRR : 29 % ; p = 0,03).   FA et risque global de morbimortalité cardiovasculaire Les patients avec FA ont un risque de mortalité accru. Ils sont aussi plus souvent hospitalisés1,2. Le contrôle ou l’atténuation de la FA, en particulier par les antiarythmiques, peuvent-ils réduire ce risque global de morbimortalité cardiovasculaire ? Après l’échec retentissant des essais de mortalité avec les antiarythmiques dans le post-infarctus dans les années 1990-2000, deux études récentes ont eu le courage de tester l’effet de nouveaux antiarythmiques sur la morbimortalité de patients avec FA. DIAMOND HF7a étudié les effets du dofétilide, antiarythmique de classe III, chez des patients en insuffisance cardiaque et montré une absence d’effet négatif sur la mortalité (HR : 0,95), ainsi qu’une réduction significative (RRR : 25 %) du risque d’hospitalisation pour aggravation de l’insuffisance cardiaque (critère secondaire). Le dofétilide ne sera pas développé en France. ATHENA3a montré que la dronédarone réduisait de 24 % (p < 0,001) le risque combiné de décès ou d’hospitalisation pour cause cardiovasculaire. Le risque d’hospitalisation était réduit de 26 %, avec un effet dominant sur les hospitalisations liées à la prise en charge de la FA ou à un syndrome coronaire aigu. Il existe donc des preuves solides et concordantes que de nouveaux antiarythmiques, essentiellement la dronédarone, peuvent réduire le risque global de morbimortalité cardiovasculaire chez des patients avec FA, à risque intermédiaire ou élevé, y compris les patients âgés. Dans ATHENA, le bénéfice observé était identique que les patients aient plus de 75 ans (45 % de l’effectif total) ou moins.   La FA : maladie cardiovasculaire ?   De nombreux arguments suggèrent que la FA peut être plus qu’un simple marqueur ou facteur de risque cardiovasculaire. Elle pourrait constituer, au moins dans certaines formes, une véritable maladie cardiovasculaire. L’identification de formes familiales8et d’un certain nombre de gènes candidats9 renforce l’hypothèse de FA maladie. Bien que rares, les formes familiales monogéniques constituent des exemples privilégiés pour décrypter l’histoire naturelle de la maladie. Le trouble du rythme apparaît habituellement dans l’enfance ou pendant l’adolescence. Il évolue d’abord sur un mode paroxystique puis devient rapidement permanent. Avec le temps, des anomalies cardiaques structurelles apparaissent : dilatation bi-atriale, régurgitations mitrale/tricuspide, voire en cas de suivi très long, dysfonction ventriculaire gauche8. Ainsi, à l’anomalie électrique de départ, fait suite un remodelage anatomique et fonctionnel, source potentielle de complications tardives. À côté de ces rares formes familiales, la fibrillation auriculaire commune apparaît comme une maladie multifactorielle, probablement multigénique, où les facteurs génétiques sont fortement modulés par l’environnement. La recherche moderne basée sur l’étude de grandes cohortes de patients devrait permettre de revoir le cadre nosologique de cette maladie en identifiant les différents profils génétiques de prédisposition et peut-être de nouvelles cibles thérapeutiques. Ainsi, la FA n’est pas qu’un marqueur de progression d’une maladie ou de cardiopathie évoluée5, elle est aussi une vraie maladie avec un potentiel de complications cardiovasculaires qui s’exprimeront plus ou moins tôt et plus ou moins sévèrement selon le profil génétique de l’individu et les facteurs environnementaux auxquels il sera exposé. On ne sait encore si le contrôle durable de la FA est susceptible d’enrayer l’histoire naturelle.   Conclusion   Beaucoup d’arguments suggèrent que la FA est un facteur de risque cardiovasculaire à part entière, voire une véritable maladie cardiovasculaire, même si la démonstration d’une diminution du risque après suppression ou atténuation de la FA nécessite d’être confortée par des preuves plus solides. “Publié dans Gérontologie Pratique”

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