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Valvulopathies

Publié le 25 mar 2008Lecture 9 min

La chirurgie valvulaire chez l'octogénaire

T. LANGANAY, E. FLECHER, O. FOUQUET, I. ABOULIATIM et A. LEGUERRIER, clinique chirurgicale cardiovasculaire et thoracique, CHU de Rennes


Les Journées européennes de la SFC
L’augmentation considérable de l’espérance de vie dans les pays industrialisés et l’incidence croissante des maladies cardiovasculaires avec l’âge se conjuguent pour faire de ces dernières la première cause de mortalité après 80 ans. Cette évolution démographique conduit à prendre en charge un nombre sans cesse croissant de patients vieillissants, souvent porteurs de nombreuses comorbidités qui peuvent compliquer cette prise en charge et même faire discuter la chirurgie. C’est ainsi que 226 patients, âgés de 85 ans et plus, ont été opérés d’une valvulopathie, essentiellement aortique, le rétrécissement valvulaire aortique étant la plus fréquente des cardiopathies à cet âge, dans notre centre depuis 20 ans.

    La chirurgie valvulaire aortique   Patients Entre décembre 1978 et décembre 2004, 988 patients, âgés de 80 à 93 ans, présentant un rétrécissement valvulaire aortique serré ont été opérés dans notre centre. L’âge moyen est de 82,4 ans ± 2,3 ; le sexe féminin est prédominant (58,6 %). La lésion est décrite dans 90 % des cas (885 opérés) comme un rétrécissement valvulaire aortique calcifié dégénératif et athéromateux. Une bicuspidie était présente dans 32 cas. Le retentissement fonctionnel est habituellement marqué : dyspnée d’effort (830 opérés) ou de repos (284), angor d’effort (394) ou spontané (102), antécédents d’insuffisance ventriculaire gauche (378) ou de syncope d’effort (175). La classification fonctionnelle de la New York Heart Association (NYHA) traduit bien l’importance de la gêne présentée puisque 84 % des patients étaient en stade III ou IV avant la chirurgie. Cinquante-quatre patients (5,5 %) ont été opérés en urgence. Parmi les opérés, 85 % étaient en rythme sinusal préopératoire et la majorité présentait une fonction ventriculaire gauche conservée, avec une fraction d’éjection moyenne à 56,9 ± 12,7 %. Dans 77 cas (9,7 %), elle était inférieure à 40 % et même inférieure à 30 % chez 31 patients (3,9 %). Le rétrécissement aortique était pur dans 907 cas (91,8 %), et une insuffisance aortique était associée au second plan dans 81 cas (8,2 %). La coronarographie préopératoire a mis en évidence des lésions significatives chez 275 patients (32,8 %), 164 patients étaient monotronculaires, 89 bitronculaires et 22 présentaient des lésions tritronculaires. Un total de 457 patients (46 %) présentaient une ou plusieurs comorbidités associées, à type d’insuffisance respiratoire, d’insuffisance rénale, de maladie polyartérielle, pouvant majorer le risque opératoire.   Intervention chirurgicale L’intervention a comporté un remplacement valvulaire aortique isolé dans 785 cas (79,5 %) ou associé à une revascularisation coronaire dans 160 cas (17 %). Presque toujours il s’est agi de l’implantation d’une bioprothèse (978 patients soit 99 %), seules 10 prothèses mécaniques ont été mises en place.   Résultats La mortalité opératoire a été de 9,4 % (93 décès). Les causes cardiaques, essentiellement à type de défaillance myocardique, sont les plus nombreuses (52 cas, 56 %), suivies par les complications abdominales (16 cas, 17 %) et les infections (7 cas, 7,5 %). La durée d’hospitalisation était en moyenne de 12,3 ± 6,1 jours. Seuls 3 des 895 survivants à l’opération ont été perdus de vue à distance, ce qui représente un suivi global de 99,7 %. Le recul varie de 1 mois à 19 ans (moyenne à 5 ans ± 3,2) pour un total de 4 446 années-patients. La mortalité tardive a été de 482 décès soit un taux linéaire de 10,8 % années-patients. Les causes cardiaques représentent 109 cas (22,6 %), les accidents liés à la prothèse 64 cas (13,3 %) dont 59 accidents vasculaires cérébraux (AVC) attribués à la valve par convention. Les causes diverses concernent 157 patients (32,6 %) dont 60 cancers, 42 états de marasme ou de sénilité, 20 insuffisances respiratoires et 13 accidents dont 3 suicides. Le taux de survie actuarielle, mortalité opératoire incluse, s’établit respectivement à 82 %, 59 % et 23 % à 2, 5 et 10 ans (figure 1). Figure 1. Survie actuarielle après remplacement valvulaire aortique (mortalité opératoire incluse). La très grande majorité des opérés a retiré de l’intervention un bénéfice fonctionnel considérable, 46 % sont asymptomatiques (NYHA 1) et 43 % n’ont qu’une gêne très limitée pour des efforts importants (NYHA II). Au total, 89 % des opérés se considèrent comme dénués de limitation fonctionnelle, 62 % des réponses font état d’une activité normale, 57 % se disent très améliorés, 40 % améliorés et 3 % des opérés, inchangés ou aggravés par la chirurgie.   La chirurgie valvulaire mitrale   Patients Entre 1995 et 2006, 60 octogénaires ont bénéficié d’une chirurgie de la valve mitrale dans notre centre (soit 3,7 % des 1 586 patients opérés de la valve mitrale pendant la même période). L’âge moyen est de 81,7 ans ± 1,6 ; la prédominance féminine est nette (38 patients, 64 %). Tous les patients sont symptomatiques, 26 % (16 patients) sont en stade II de la NYHA, 42 % (25 cas) en stade III et 32 % (19 patients) en stade IV. Huit patients (13,3 %) ont été opérés en urgence. Vingt-trois patients (38 %) présentaient une ou plusieurs pathologies associées à type de bronchopathie chronique (6 patients), d’insuffisance rénale (7 patients), de maladie polyartérielle (9 patients) ; 45 patients étaient en rythme sinusal (75 %) et 13 en fibrillation auriculaire. Quatre patients présentaient une altération importante de la fonction ventriculaire gauche avec une fraction d’éjection < 40 %, la fraction d’éjection moyenne étant mesurée à 64 % ± 9,5. La coronarographie préopératoire était normale chez 33 patients (64 %) et pathologique pour 19 d’entre eux (36 %), 8 patients étant considérés comme monotronculaires, 1 patient bitronculaire et 1 tritronculaire.   Intervention chirurgicale Cinq patients présentaient des antécédents de chirurgie valvulaire mitrale et devaient être réopérés en raison d’une altération de bioprothèse (3 cas) ou de fuite périprothétique. L’intervention a consisté en un remplacement valvulaire (25), isolé (18 patients) ou associé (7 patients), et 35 valvuloplasties ont été réalisées, soit isolées (24 patients), soit associées (11 patients). Au total, il s’est agi 42 fois d’une chirurgie isolée de la valve mitrale et 18 fois d’une chirurgie associée au geste sur la valve mitrale. Vingt-trois bioprothèses ont été implantées et 2 valves mécaniques.   Résultats La mortalité opératoire a été de 21,7 %, soit 13 décès sur 60 interventions, 8 décès (61 %) principalement de cause cardiaque. La durée d’hospitalisation était en moyenne de 12,2 ± 7,8 jours. Deux des 47 survivants opératoires ont été perdus de vue, ce qui donne un taux de survie de 95,7 %. Le suivi moyen est de 3,1 ± 2,1 ans (0,2 à 9 ans). Quinze décès tardifs sont survenus, 5 d’origine cardiaque et 10 extracardiaque. Le taux de survie actuarielle, mortalité opératoire incluse, est de 72,3 % à 1 an, 61,5 % à 3 ans et 41,2 % à 5 ans. Cent pour cent des opérés se disent en stade fonctionnel NYHA I ou II après l’intervention contre 64 % en stade III ou IV en préopératoire, cette amélioration fonctionnelle étant considérée comme durable.   Commentaires   Une population croissante Depuis 1978, le nombre d’opérés très âgés a augmenté de façon très importante dans notre centre. Si les 1 450 octogénaires opérés d’un rétrécissement valvulaire aortique depuis cette date, représentent 10,7 % du total des opérés d’un rétrécissement aortique (soit 11 546 patients), seuls 3 d’entre eux avaient été opérés avant 1980, tandis qu’ils représentaient 12,5 % des opérés dans les années 90 et, depuis 2005, 22,3 % du total, soit 407 patients sur 1 822 opérés. Le nombre d’octogénaires opérés a augmenté depuis 25 ans et leur profil s’est modifié selon deux tendances inverses : - une amélioration de l’état cardiaque, comme en témoigne le pourcentage de patients en défaillance cardiaque gauche préopératoire qui baisse de 59,5 à 25,3 % (p < 0,001) dans notre série de rétrécissements aortiques ; - une aggravation sur le plan général avec un taux de comorbidités qui augmente jusqu’à 63,7 % pour la période récente contre 34,9 % au début de l’expérience (p < 0,001). Le taux de coronaropathie associée s’établit aujourd’hui à 35 contre 4 % initialement (p < 0,001).   Un risque opératoire stratifié L’analyse uni- et multivariée a permis d’identifier de nombreux facteurs de risque opératoire qui sont détaillés dans les tableaux 1 et 2. Ces facteurs sont de trois ordres : - le siège et le type de la lésion valvulaire qui conditionne le geste opératoire : la chirurgie de la valve mitrale est plus risquée que celle de la valve aortique (21,7 contre 6,5 %) ; lésions associées des artères coronaires ou de l’aorte ascendante, meilleure préservation de la fonction ventriculaire gauche après plastie mitrale que remplacement ; - l’état de la fonction cardiaque : ancienneté et degré d’évolution de la cardiopathie, hypertension artérielle pulmonaire, instabilité hémodynamique préopératoire, état de la fonction ventriculaire gauche ; - le terrain : les comorbidités associées sont fréquentes (insuffisance rénale ou respiratoire, maladie polyartérielle, etc.) et peuvent alourdir le risque opératoire. La décision opératoire ne se limite pas à l’estimation du risque opératoire ou de l’espérance de survie escomptée. Elle repose aussi beaucoup sur la qualité de vie qui est attendue. Un bon résultat fonctionnel Le remplacement valvulaire aortique est suivi d’un excellent résultat fonctionnel puisque 85 % des opérés sont en stade NYHA I ou II et ce, de façon durable. Ce qui est remarquable pour la chirurgie mitrale c’est qu’une fois passé le cap opératoire, la qualité de survie offerte est du même ordre que celle observée après un remplacement valvulaire aortique. La comparaison entre la survie des rétrécissements aortiques opérés et celle d’un groupe de patients appariés, indemnes de pathologie valvulaire aortique montre une normalisation de l’espérance de vie avec les deux courbes qui se croisent au bout de 8 ans ; la surmortalité immédiate qui représente l’acte chirurgical s’estompe progressivement (figure 2). La littérature confirme également ces données pour la chirurgie mitrale avec une survie à 7 ans supérieure à 50 %, qui devient supérieure à celle d’une population canadienne appariée. Figure 2. Comparaison entre la survie des patients opérés d’une sténose aortique et celle d’une population française appariée. Grâce aux progrès médicaux, la mortalité opératoire de la chirurgie du rétrécissement aortique a diminué pendant cette même période, jusqu’à 6,5 % en cas de remplacement valvulaire isolé et 11,6 % si pontage coronaire associé.   La chirurgie du sujet âgé    Elle se caractérise par une fréquence plus élevée de coronaropathie et de comorbidités associées, d’où l’importance de leur prise en compte dans la décision opératoire compte tenu de leur impact éventuel sur la mortalité et la qualité du résultat opératoire. Ainsi, la littérature permet d’insister sur la valeur prédictive de l’état neurologique du patient en termes de qualité et d’espérance de vie. La deuxième caractéristique est la fragilité des tissus à cet âge et la fréquence des calcifications, notamment des anneaux valvulaires, source de difficultés techniques opératoires, d’AVC emboliques et de fuites paraprothétiques. La troisième caractéristique du sujet âgé, et la plus importante, est l’absence de toute réserve physiologique, d’où découle toute la gravité des comorbidités associées et de la moindre défaillance d’une fonction physiologique (rénale, respiratoire, etc.), responsable de séjours prolongés en réanimation. Un des arguments souvent opposés à la chirurgie cardiaque chez le sujet très âgé est son coût chez des patients à l’espérance de vie tout de même limitée. Mais de nombreuses études ont montré qu’un traitement actif, y compris chirurgical, s’avère en définitif moins coûteux pour la collectivité que les traitements médicaux conventionnels marqués par une répétition des hospitalisations au fil de l’évolution pour aboutir à l’invalidité chronique et à l’hospitalisation permanente. Le rétrécissement aortique est la valvulopathie la plus fréquemment rencontrée. Les bons résultats obtenus par la chirurgie, à la fois sur la survie prolongée et la qualité de cette dernière, au prix d’un risque voisin de 6,5 %, sont à opposer au pronostic spontané très défavorable du rétrécissement qui, une fois devenu serré, est très invalidant et engage le pronostic vital, parfois de façon brutale. L’indication opératoire dans le rétrécissement aortique paraît la moins discutable. Il convient d’être plus prudent s’il s’agit d’une insuffisance aortique, heureusement beaucoup plus rare et relevant de causes très différentes (endocardite, par exemple), dont le risque chirurgical est > 15 %. De même, le risque élevé de la chirurgie mitrale, établi autour de 20 % dans les grandes bases de données comme celles de la STS, doit faire peser avec beaucoup de prudence la décision opératoire en tenant compte notamment des possibilités de chirurgie conservatrice et de la nécessité ou non d’y associer des pontages coronaires. La chirurgie valvulaire du sujet très âgé est associée à une mortalité opératoire plus élevée, mais le risque n’est que partiellement fondé sur l’âge qui ne saurait à lui seul constituer une limite à l’indication opératoire. La décision chirurgicale devra toujours être individualisée en tenant compte de la valve en cause (aortique ou mitrale), de l’état général du patient et notamment neurologique, de la fonction myocardique, des comorbidités associées, de la qualité de vie attendue après la chirurgie et de la motivation personnelle du patient pour l’intervention.   En pratique   La chirurgie conventionnelle reste la technique de référence pour le traitement des valvulopathies, même chez les sujets très âgés, grâce à la qualité des résultats obtenus au prix d’un risque opératoire qui reste raisonnable à condition de respecter certaines règles. Des procédures combinées permettront peut-être de diminuer l’agression chirurgicale, mais la place exacte des techniques percutanées reste à définir dans le cadre d’études multicentriques maintenant que leur faisabilité a été démontrée. La règle d’or est de toujours faire preuve de bon sens face à un patient, sans lui dénier le droit à la chirurgie au seul prétexte de son âge ni, à l’inverse, le pousser vers l’intervention lorsque son âge physiologique rend cette dernière à haut risque et de bénéfice discutable.

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