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Congrès et symposiums

Publié le 08 mar 2011Lecture 7 min

Interaction médicamenteuse entre le clopidogrel et les inhibiteurs de la pompe à protons

E. FERRARI, CHU Nice

Journées européennes de la SFC

Cette interaction médicamenteuse a fait couler beaucoup d’encre depuis quelques mois. Il est remarquable de constater que le nombre de publications sur ce thème ces 2 dernières années est aussi important que celui concernant des maladies (non cardiologiques) responsables d’un nombre de décès infiniment plus important mais pour lesquels l’industrie n’a rien à proposer et qui ne sont pas à la mode.

La question est-elle pertinente ? Elle l’est. En effet, si l’efficacité du clopidogrel s’avérait diminuée par cette interaction, ce phénomène serait directement responsable d’une augmentation d’événements cardiovasculaires et donc de thromboses de stent en particulier. Dans certaines séries ou métaanalyses, la thrombose de stent est multipliée par un facteur 3 à 7 lorsque le patient est non répondeur au clopidogrel. Dans la non-réponse du clopidogrel il existe, comme tout le monde cardiologique le sait maintenant, des prédispositions génétiques avec, chez certains patients, un métabolisme du clopidogrel qui est altéré. Or, s’agissant d’une prodrogue, c’est justement le métabolite qui est la partie « active » du médicament. Chez ces patients donner du clopidogrel n’aura donc aucun effet ou tout du moins un effet largement minimisé. On estime toutefois que ces résistances au clopidogrel dues à un mauvais outillage génétique ne sont responsables que de 10 à 15 % des résistances observées. Les autres résistances peuvent être dues à des interactions médicamenteuses avec une coprescription qui va saturer une des voies du métabolisme du cytochrome P450.   Les arguments biologiques Biologiquement il est absolument certain que le clopidogrel lorsqu’il est associé à un IPP n’a pas la même efficacité que donné seul. Dans un étude en cross-over qui a obtenu la récompense de la meilleure présentation dans le domaine de la thrombose au congrès européen de cardiologie à Barcelone en 2009, nous avons montré que, chez des patients prenant 75 mg de clopidogrel, le taux moyen d’inhibition plaquettaire mesuré avec le Verify Now est de 52 %. Dès lors qu’on a rajouté de l’ésoméprazole, la réponse anti-plaquettaire était diminuée de 32 % avec émergence de nombreux sujets non répondeurs, puisque ce taux était multiplié par 8. Mais la première piste de cette interaction médicamenteuse entre clopidogrel et IPP a été décrite par Martine Gillard (JACC 2008) ; l’étude OCLA (oméprazole, clopidogrel, aspirine) avait montré que les patients qui étaient traités par clopidogrel plus oméprazole avaient une réponse à l’antiplaquettaire beaucoup moins bonne que ceux traités par l’antiplaquettaire seul. Là aussi, l’incidence de la résistance biologique définie par un VASP à moins de 50 % était multipliée par un facteur 4.   Les arguments des registres ou études cas-témoins Si l’on regarde les données des registres, des études cas-témoins ou des études non dédiées à ce problème, les résultats sont assez disparates, mais schématiquement, il existe toujours une franche tendance, voire une significativité statistique à ce que les patients coronariens prenant du clopidogrel et un IPP aient davantage d’événements cliniques cardiovasculaires que ceux prenant le clopidogrel seul. Ainsi, dans le registre publié par Rassen (Circulation 2009 ; 120 : 2322-2329), l’auteur rapporte une incidence d’infarctus du myocarde et de décès augmentée d’environ 20 % comparativement à une population ne prenant pas d’IPP. Dans l’étude de HO parue dans le JAMA en 2009, chez 5 244 patients prenant clopidogrel + IPP, le risque relatif de décès ou de réhospitalisations après un premier événement cardiovasculaire était multiplié par 1,27, versus quelque 3 000 patients ne prenant pas d’IPP. L’un des renseignements importants dans cette étude est que, dans la vraie vie, aux États-Unis 64 % des patients coronariens étaient sous IPP.   L’étude randomisée, la métaanalyse et la pertinence des résultats L’étude COGENT, un essai randomisé qui a fait beaucoup de bruit lors de sa présentation orale et qui a finalement été publié, avec retard, dans le New England Journal of Medicine, a pu faire croire au lecteur pressé que toutes ces pistes étaient fausses et que le problème, s’il existait sur le plan biologique, n’avait pas de répercussions cliniques. En fait, l’étude COGENT n’a inclus que très peu de patients venant de présenter un événement coronarien aigu, mais essentiellement des patients stables. Dans cette étude, l’aspirine dosée de 75 à 325 mg/j était associée au clopidogrel 75 mg/j et, de façon randomisée, à un placebo ou à de l’oméprazole à 20 mg par jour. En termes d’événements gastro-intestinaux, clairement, l’IPP est protecteur puisqu’il existe une baisse de ces événements d’environ 65 %. En termes d’événements cardiovasculaires, ce travail semblait dire que l’adjonction d’un IPP ne perturbe pas l’efficacité du traitement anti-plaquettaire. En fait, cette étude ne répond absolument pas à la question que nous nous posons dans la pratique à savoir : est ce que l’adjonction d’un IPP chez un coronarien qui en a besoin, parce qu’il vient de faire un syndrome coronarien aigu, va diminuer son effet et sa protection ? Outre le fait déjà cité que COGENT n’intéressait que des patients stables, dont certains n’ayant jamais fait de coronaropathie clinique, les inclusions ont été arrêtées lorsque 3 800 patients ont été enrôlés, contre 5 000 qui étaient prévus. Surtout, les résultats ont été obtenus parce que l’on comptabilisait essentiellement les revascularisations coronaires qui, si on excepte les thromboses de stent, n’ont rien à voir avec une interaction IPP-clopidogrel. La vraie conclusion de l’étude, qui est d’ailleurs donnée par les auteurs dans l’article et rappelée par la FDA dans une correspondance au NEJM est que les résultats de l’étude COGENT n’éliminent pas une différence significative en termes d’événements coronariens qui serait due à une interaction clopidogrel- IPP. Une autre façon de voir les choses est que le dessin de l’étude de COGENT est très proche de celui de CHARISMA qui avait montré l’inefficacité du clopidogrel associé à l’aspirine versus l’aspirine toute seule chez des patients vasculaires stables. Au pire, l’adjonction d’un IPP avec le clopidogrel aura effacé le bénéfice de ce dernier qui, dans cette situation, n’a pas été démontré (CQFD). Une métaanalyse publiée dans le JACC par l’équipe de la Pitié apporte probablement une conclusion cohérente à ces résultats divergents. Dans cette métaanalyse, 46 037 utilisateurs d’IPP ont été analysés. Le taux d’événements cardiaques majeurs est augmenté de 42 % versus ceux qui ont du clopidogrel sans IPP. Le taux de décès y est augmenté de 20 %. L’analyse détaillée de cette étude a pu déterminer les résultats en fonction de la taille de la cohorte, de la qualité de l’étude (grande ou faible) et surtout du risque coronarien des patients. Il s’avère que ce résultat est homogène sauf lorsque l’on compare les patients à haut risque où l’interaction négative est franche versus les patients à faible risque pour lesquels effectivement aucune interaction n’est retrouvée. Cette conclusion est cohérente avec ce que nous savons sur le bénéfice du clopidogrel, à savoir qu’il n’existe essentiellement que pour des patients présentant un syndrome coronarien aigu. Elle est probablement trop alarmiste quant à l’inconvénient clinique de l’association IPP-clopidogrel puisqu’une augmentation des événements cardiaques majeurs de 42 % n’est pas conforme au bénéfice connu du clopidogrel dans les SCA, qui est plutôt de l’ordre de 20 %. De la même façon, l’augmentation du risque de décès mesurée à 20 % est très au-dessus des chiffres prévus puisque le clopidogrel n’a montré un bénéfice sur la mortalité que dans l’étude COMMIT (45 852 infarctus du myocarde traités en Chine) où 75 mg de clopidogrel permettaient d’abaisser la mortalité toute cause de 8,1 % à 7,5 %. On ne voit pas très bien, là encore, comment l’annulation d’un effet thérapeutique pourrait entraîner davantage de dégâts que son « non-effet ».   Que faire ? Quoiqu’il en soit, les pouvoirs publics, à la fois aux États-Unis et en Europe, avaient publié des alertes cliniques (précautions qui sont relativement rares dans le monde de la cardiologie) pour mettre en garde contre cette interaction. Ces alertes cliniques n’ont été aucunement levées après l’étude COGENT et restent totalement en vigueur. Surtout, nous avons maintenant des solutions de remplacement au clopidogrel, en particulier le prasugrel déjà commercialisé et le ticagrelor qui va bientôt l’être. Pour ces deux médicaments, on sait déjà qu’il n’y a pas d’interaction médicamenteuse biologique avec les IPP ; même si le prasugrel est aussi une prodrogue, il peut être métabolisé par d’autres voies que celle du cytochrome P450 ; le ticagrelor lui n’a pas besoin d’être métabolisé pour être actif. En attendant le ticagrelor, le problème pourrait se poser chez un patient coronarien aigu aux antécédents gastriques chez lequel le prasugrel serait contre-indiqué. Rappelons que la seule contre-indication formelle de cet antiagrégant est un antécédent d’accident cérébral. Le poids < 60 kg et l’âge > 75 ans ne sont que des contre-indications relatives. Cela peut permettre de s’adapter dans des situations à haut risque thrombotique. L’autre solution serait de faire tester la réponse au clopidogrel lorsqu’il est associé à un IPP, mais les outils utilisables, aussi intéressants qu’ils soient dans le domaine de la recherche ne peuvent, à ce jour, donner une conduite à tenir univoque… et il ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale.   En pratique   Il y a à l’évidence une interaction médicamenteuse biologique entre les IPP et le clopidogrel. Le lien avec les événements cliniques n’est pas facile à démontrer, mais il est fort probable que les patients à haut risque, chez lesquels le bénéfice du clopidogrel a été démontré, sont ceux qui pourraient pâtir de cette interaction. L’étude COGENT qui a tardé à être publiée ne répond absolument pas à la question. Les alertes cliniques annoncées par la FDA et par l’EMEA restent de rigueur. Enfin et surtout, la notice du clopidogrel précise bien la précaution d’emploi quant aux médicaments qui pourraient interférer avec la voie du cytochrome C19. Pourquoi ne pas la suivre ? Pour finir, nous avons heureusement déjà des solutions de remplacement avec des antiplaquettaires qui sont bien plus efficaces et plus rapides d’action.

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