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Insuffisance cardiaque

Publié le 11 avr 2006Lecture 8 min

Anémie et insuffisance cardiaque chronique

O. MILLERON, service de cardiologie, CHI Le Raincy Montfermeil

Malgré l’apport de nouvelles classes thérapeutiques bloquant l’activation neurohormonale, la morbidité et la mortalité de l’insuffisance cardiaque restent importantes. Il est donc nécessaire de rechercher d’autres moyens pour améliorer la qualité de vie et la survie de nos patients. La présence d’une anémie est fréquente chez les patients insuffisants cardiaques mais les mécanismes physiopathologiques responsables de cette association restent mal connus. Cependant, si plusieurs études ont établi que l’anémie chez les patients insuffisants cardiaques est associée à une augmentation de la mortalité, les recommandations récentes des sociétés savantes sur la prise en charge de l’insuffisance cardiaque ne mentionnent pas ce sujet. Récemment, deux équipes ont rapporté une amélioration fonctionnelle et une diminution importante de la mortalité lors du traitement de l’anémie dans cette population, ouvrant une nouvelle piste pour améliorer la prise en charge de nos patients.

Prévalence de l'anémie dans l'insuffisance cardiaque La prévalence de l’anémie dans l’insuffisance cardiaque dépend de la définition retenue et de la population étudiée. En prenant la définition de l’OMS (hémoglobine < 13 g/dl chez l’homme et < 12 g/dl chez la femme), la prévalence de l’anémie varie de 30 à 50 %. Lorsque la définition de l’anémie est plus restrictive (hémoglobine < 12 g/dl chez l’homme et < 11 g/dl chez la femme), la prévalence est de 15,5 % dans le registre italien IN-CHF et de 9,9 % dans la population incluse dans l’étude Val-HeFT (Valsartan Heart Failure Trial). Il semble, par ailleurs, que la prévalence de l’anémie augmente avec le stade NYHA pouvant atteindre 79 % chez les patients en stade IV de la NYHA.   Étiologies de l’anémie dans l’insuffisance cardiaque Bien que l’anémie soit fréquente au cours de l’insuffisance cardiaque chronique, son étiologie reste controversée. La question est de savoir si l’anémie est directement la conséquence de l’insuffisance cardiaque ou si elle est la conséquence de comorbidités associées chez ces patients souvent âgés. Les causes potentielles d’anémie au cours de l’insuffisance cardiaque sont : • l’hémodilution, • la carence martiale secondaire à une dénutrition, une malabsorption ou une hémorragie chronique sous antiagrégants plaquettaires, • la diminution de production d’érythropoïétine par le rein, secondaire à une insuffisance rénale chronique, à l’utilisation d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou à l’action des cytokines inflammatoires comme le TNF-a, • une résistance de la moelle osseuse à l’érythropoïétine pour laquelle l’utilisation des IEC et l’action des cytokines inflammatoires sont évoquées, • une hypoperfusion de la moelle osseuse. Les données de la littérature sont relativement rares et contradictoires sur l’origine de l’anémie dans l’insuffisance cardiaque. Une étude rétrospective a trouvé une étiologie autre que l’insuffisance cardiaque à l’anémie dans 98 % des cas dans une cohorte de 699 patients. Les étiologies les plus fréquentes étaient l’insuffisance rénale, la carence en fer, en folate ou en vitamine B12. Une autre étude a retrouvé une faible proportion de déficit en fer, folate ou vitamine B12 dans une population de patients insuffisants cardiaques présentant une anémie. Par ailleurs, l’hémodilution pourrait être responsable de la moitié des anémies constatées chez les patients en insuffisance cardiaque. - L’étude en cours STAMINA-HFP (STudy of AneMiA in a Heart Failure Population) s’intéresse à la prévalence et à l’étiologie de l’anémie chez les patients insuffisants cardiaques. Elle devrait donc permettre d’améliorer notre compréhension des mécanismes physiopathologiques de l’anémie dans l’insuffisance cardiaque. Il existe cependant quelques spécificités de l’anémie dans l’insuffisance cardiaque qui conduisent à formuler une hypothèse physiopathologique sous le nom de « syndrome d’anémie cardio-rénale » (figure 1) : • les dosages d’EPO chez les patients insuffisants cardiaques révèlent deux informations intéressantes : les taux d’EPO sont normaux ou élevés (ce qui va contre l’hypothèse d’une anémie secondaire à l’insuffisance rénale) mais sont moins élevés que ce qui serait attendu en fonction du taux d’hémoglobine. C’est le concept d’une insuffisance relative de sécrétion d’EPO ; • des taux élevés de cytokines inflammatoires comme le tumor necrosis factor-alpha (TNF-a) sont associés dans les maladies chroniques inflammatoires à l’apparition d’une anémie avec comme mécanisme une diminution de la production d’EPO mais aussi une résistance à l’EPO au niveau de la moelle osseuse. Or, les taux de TNF-a) sont élevés dans l’insuffisance cardiaque, il est donc séduisant d’imaginer que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans l’insuffisance cardiaque. Figure 1. Hypothèses physiopathologiques pour expliquer le syndrome d’anémie cardiorénale. L’anémie pourrait être la conséquence d’un cercle vicieux instauré entre le cœur, le rein et la moelle osseuse.   Anémie et événements cliniques Sur un plan théorique, l’anémie entraîne une diminution de la capacité de transport de l’oxygène et une hypoxie avec comme conséquence une tachycardie, une mise en jeu du système sympathique et des systèmes neurohormonaux, tout cela aggravant potentiellement le cercle vicieux déjà présent au cours de l’insuffisance cardiaque. De nombreuses études ont étudié la relation entre anémie et événements cardiovasculaires. Il est important de noter que l’anémie a des conséquences en termes de capacité fonctionnelle et de morbi-mortalité à partir de taux d’hémoglobine souvent considérés en pratique clinique comme quasi normaux. Il ressort des nombreux travaux sur ce sujet que l’anémie est corrélée à la classe NYHA et à la tolérance à l’exercice mesurée par le pic de VO2. Par ailleurs, il existe une surmortalité chez les patients présentant une anémie, même après ajustement sur la FEVG, la classe NYHA et la créatinine (figure 2). Mais la plupart de ces études sont rétrospectives ou sont des analyses a posteriori de grandes cohortes de patients inclus dans des études randomisées. Elles ne permettent donc pas d’affirmer définitivement que l’anémie est la conséquence de l’insuffisance cardiaque et constitue un facteur aggravant de l’insuffisance cardiaque (qu’il faudrait donc traiter) ou que l’anémie est uniquement un facteur de gravité reflétant une comorbidité plus importante. Figure 2. Mortalité à un an dans une cohorte de 1 061 patients avec FEVG < 40 % en stade III ou IV de la NYHA en fonction du décile de concentration en hémoglobine à l’inclusion. (Horwich et al . JACC 2002 ; 39 : 1780-6). Une étude portant sur la valeur pronostique du taux d’hémoglobine chez des patients présentant une insuffisance cardiaque récente n’a pas montré de corrélation après analyse multivariée entre anémie et mortalité. Ces résultats vont contre l’hypothèse que l’anémie ne serait que le reflet de comorbités associées sans lien avec l’insuffisance cardiaque mais sont en faveur d’une anémie qui serait la conséquence d’une insuffisance cardiaque évoluée.   Les études d’interventions   La transfusion Aucune étude n’a spécifiquement évalué le bénéfice des culots globulaires dans l’insuffisance cardiaque. Étant donné le manque chronique de produits sanguins et les risques de transmission virale associés à la transfusion, il ne semble pas que la transfusion puisse constituer une voie d’avenir chez ces patients.   L’érythropoïétine et ses analogues Elles constituent le traitement de choix de l’anémie chronique chez les patients présentant une insuffisance rénale chronique. Dans cette population, ce traitement est associé à une amélioration de la fraction d’éjection et du débit cardiaque. Le concept de syndrome d’anémie cardio-rénale a conduit deux équipes à tester l’hypothèse d’un bénéfice possible de l’EPO chez les patients en insuffisance cardiaque présentant une anémie.   L’EPO - L’équipe de Silverberg a publié en 2000, la première étude évaluant l’utilisation de l’EPO en sous-cutané, associée à un traitement par fer par voie intraveineuse dans une cohorte de 26 patients ayant une FEVG < 35 %, en stade III ou IV de la NYHA malgré un traitement médical optimal et ayant une hémoglobine < 12 g/dl. Le traitement par EPO et fer a permis une augmentation de l’hémoglobine de 10,16 ± 0,95 g/dl à 12,10 ± 1,21 g/dl, de la fraction d’éjection de 27,7 ± 4,8 % à 35,4 ± 7,6 % et une diminution de la classe NYHA de 3,66 ± 0,47 à 2,66 ± 0,70. Toutes ces différences étaient significatives malgré le faible effectif de patients. La même équipe a publié, un an plus tard, une étude randomisée avec le même protocole de traitement et les mêmes critères de sélection des patients : après un suivi de 8 mois, quatre patients étaient décédés dans le groupe sans traitement contre aucun dans le groupe traité, une amélioration significative de la classe NYHA et de la fraction d’éjection du ventricule gauche était constatée dans le groupe traité. La méthodologie de ces deux études (pas de groupe placebo, pas de double insu) et leurs faibles effectifs de patients doivent nous amener à considérer avec prudence ces résultats. - L’équipe de Mancini a réalisé une étude en simple aveugle comparant l’effet du traitement par EPO en sous-cutané associé à du fer et de l’acide folique per os vs placebo sur l’amélioration des paramètres fonctionnels à l’effort avec comme critères le pic de VO2 et la distance parcourue en 6 minutes. Les critères de sélection des patients étaient identiques à ceux des deux études précédentes. Alors qu’il n’y a pas eu de modifications significatives dans le groupe placebo, on a constaté, après 3 mois de traitement, une augmentation significative de l’hémoglobine, du pic de VO2 et de la distance parcourue en 6 minutes.   Y a-t-il un risque théorique à traiter l’anémie dans l’insuffisance cardiaque ? L’histoire des traitements de l’insuffisance cardiaque a montré que des thérapeutiques découlant de concepts théoriques séduisants pouvaient en pratique aboutir à une augmentation de la mortalité. Il faut donc se poser la question d’un potentiel effet délétère de l’EPO dans cette population. Or, les données de la littérature nous apprennent que : - le traitement par EPO chez l’insuffisant rénal est associé à une majoration de l’hypertension dans 20 à 30 % des cas ; - l’EPO a des effets sur l’activation plaquettaire et pourrait augmenter le risque de thrombose ; - elle provoque une activation endothéliale avec production d’endothéline qui est délétère dans l’insuffisance cardiaque.   En pratique   L’anémie semble corrélée à la gravité et au pronostic d’insuffisance cardiaque et le traitement de l’anémie paraît améliorer la tolérance à l’effort. Le concept théorique de syndrome d’anémie cardio-rénale permet d’expliquer cette association et d’envisager un nouveau mode thérapeutique pour améliorer la qualité de vie et la survie des patients insuffisants cardiaques. Cependant le traitement par EPO étant potentiellement délétère, les études cliniques peu nombreuses et méthodologiquement insatisfaisantes, il serait prématuré de mettre en route ce traitement chez nos patients tant que nous ne disposons pas d’évaluations plus précises du rapport bénéfice/risque de ce traitement. En revanche, il faut rechercher et traiter les anémies carentielles comme dans le reste de la population.

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