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Coronaires

Publié le 11 sep 2012Lecture 7 min

C’est un infarctus b….l de m….e ! Quelques réflexions autour du segment ST

S. WEBER, Hôpital Cochin, Paris

Et oui ! Les avancées impressionnantes de la novlangue et l’écrasante montée en puissance du conformisme docile au sein du corps médical, et notamment de ses membres les plus jeunes, tendent à marginaliser le vocable de « infarctus du myocarde » qui semble presque être devenu un gros mot ! Avant d’envisager de façon volontairement informelle et non académique quelques réflexions issues de 40 ans (en comptant mes gardes d’externe !) de compagnonnage avec cette pathologie, je voudrais m’attarder sur ce changement de dénomination qui comme toute démarche linguistique n’est pas innocente loin de là.

Au nom de quoi abandonner ce terme d’infarctus du myocarde pourtant marqueur d’un succès et d’un triomphe ? Succès en matière de communication entre le corps médical et le grand public d’une part et surtout triomphe thérapeutique d’autre part.   Les plus anciens se souviendront que jusqu’à approximativement le tournant des années 70, il s’agissait de « crise cardiaque », terminologie certes menaçante, mais vague, imprécise, dénuée de signification explicative et surtout ne véhiculant guère de message de santé publique. La popularisation du terme « infarctus du myocarde » souvent déformé de façon touchante en « infractus », voire même modifié avec un humour grinçant en « fracture de la cocarde » signifiait bien dans l’esprit d’un large public une destruction d’une partie du muscle cardiaque secondaire à l’occlusion d’un vaisseau nourricier. Ce vocable était largement repris, largement non seulement dans les articles « santé » des magazines et des émissions télévisées, mais plus encore, et c’est cela le vrai examen de passage, dans la vie quotidienne, les romans, le cinéma, les séries télé, etc. Ce vocable était informatif, le malade et sa famille sachant globalement quelle avait été la raison de l’hospitalisation et véhiculant implicitement un message « préventif » : contrôle des principaux facteurs de risque dont le tabac, nécessité d’un suivi cardiologique, etc.   Figure. Occlusion coronaire lors d’un infarctus.   Je serais curieux de savoir quelle fraction de la population générale hexagonale réagit à SCA ST+ ? J’attends avec impatience (mais sans y croire) le diminutif ou la paraphrase qui en serait faite par le grand public ? Pour l’instant, je n’ai toujours pas lu dans un polar ou entendu à la télé un dialogue du genre : « Martine je te trouve tendue là, est ce que tout baigne ? » « Je sais pas… Il est 8 heures et demi… Cela fait une bonne heure que Gégé aurait du être rentré et avec ce qu’il fume en ce moment et ses soucis j’espère qu’il ne nous a pas fait un SCA ST+ tropo+ ! »   En contre partie, de cette perte de lisibilité pour nos patients, avons-nous gagné en performances pédagogiques pour nos étudiants ? J’en doute fortement, la terminologie ancienne « angor instable vs infarctus du myocarde » était centrée sur le lien chronologique entre les deux. Un angor instable s’il n’était pas bien diagnostiqué et bien soigné aboutissait souvent à l’infarctus. Actuellement, les arborescences complexes des arbres décisionnels au goût du jour sensibilisent nos jeunes futurs collègues à la variété des agressions aiguës du myocarde selon le segment ST, la troponine et l’âge du capitaine, mais laissent à penser qu’il s’agit là d’entités physiopathologiques différentes, prédéterminées dès la formation de la plaque d’athérome et non pas d’un enchaînement d’évènements de gravité croissante, mais pouvant être à tout moment enrayé par un diagnostic précis et un traitement efficace.   Une mise au rancart absurde   Cette mise au rancart de ce noble vocable « d’infarctus du myocarde » me paraît d’autant plus absurde que c’est bien sous l’appellation « infarctus » qu’a été obtenu, sur 3 décennies successives triomphantes, l’un des plus beaux succès thérapeutiques que l’on puisse imaginer pour une pathologie aussi fréquente et aussi grave. Tout d’abord, la prévalence de ce fameux « SCA ST+ » que l’on cherche à nous imposer, a très fortement diminué dans tous les pays occidentaux, correspondant en partie à une diminution de la prévalence ajustée à l’âge de « la maladie coronaire » mais, en plus grande partie, en la conversion d’infarctus transmuraux « classiques » de moins en moins nombreux en syndromes coronaires aigus non transmuraux répondant aux nombreuses situations cliniques recouvertes par l’appellation SCA ST-.   Une moindre prévalence   La mise en œuvre des mesures préventives et surtout la large utilisation de molécules simples : antiagrégants, statines, bêtabloquants et dans une moindre mesure IEC, sont probablement les principaux déterminants de cette nette diminution de prévalence. S’y ajoute probablement une fluctuation de l’histoire naturelle de la maladie coronaire.   Moins d’infarctus mais aussi une énorme amélioration du pronostic de l’infarctus hospitalisé. Plutôt que de citer des statistiques moult fois publiées, je préfère évoquer le souvenir bien plus palpable et concret d’une époque pas si lointaine où environ un malade sur quatre hospitalisés pour infarctus ne quittait pas l’hôpital vivant et où il était malheureusement impossible de rassurer les familles avant au moins la fin de la première semaine d’hospitalisation, laquelle était volontiers prolongée de 2-3 semaines, voire plus si affinités. Enfin, lors des consultations de suivi, il était parfois difficile, ou au moins embarrassant de répondre aux interrogations du patient sur son pronostic et sur d’éventuels aménagements restrictifs qu’il devait envisager pour son projet de vie ultérieur.   Actuellement, il est le plus souvent possible de rassurer patient et famille dès la sortie de la salle de coronarographie, c’est-à-dire dès les toutes premières heures d’hospitalisation ; la mortalité hospitalière de l’infarctus reperfusé en temps utile est de moins de 5 % (tout du moins pour des populations standards en matière d’âge et de comorbidité) et enfin, il devient honnête et loyal d’envisager avec la majorité des patients, lors des premières consultations de suivi, un pronostic excellent, si toutefois le traitement et la prévention secondaire sont efficaces et surtout un projet de vie ne devant pas être modifié par la survenue de cet infarctus.   Rompre avec ses mauvaises habitudes   Ce constat de « mission accomplie » de la cardiologie me met d’autant plus à l’aise pour évoquer certains petits défauts, travers, mauvaises habitudes dont la correction nous permettrait de faire encore mieux !   Le segment ST n’est pas l’axe de rotation de l’Univers ! La terminologie du moment amène bien sûr à « zoomer » sur ce fameux segment ST et, tout photographe même débutant le sait bien, quand on zoome on amplifie certes le centre de l’image, mais on rétrécit considérablement l’ampleur du champ de vision.   Autour du segment ST, il y a le reste de l’électrocardiogramme : le sus-décalage est loin d’être synonyme d’infarctus transmural. Parfois, et cela n’est pas exceptionnel dans certains groupes ethniques, le ST est surélevé de la naissance à la mort (d’une cause non cardiaque à un âge avancé). L’examen du tracé de référence lorsqu’il est disponible peut être précieux. L’existence de signes en miroir, la prise en compte d’un trouble conductif intraventriculaire, l’identification d’autres causes de sus-décalage du segment ST telles la péricardite, certaines formes rares d’embolie pulmonaire, certaines variantes du syndrome de Brugada, etc., doivent être au moins évoquées avant la classification binaire : c’est ou ce n’est pas un ST +.   Autour de l’ECG, il y a le reste du cœur : les caractéristiques cliniques de la douleur restent déterminantes (interroger son patient, même algique, voire hyperalgique, c’est possible et ce n’est pas ringard), l’examen physique, l’analyse rapide, la cinétique segmentaire à l’écho si un doute persiste, font partie intégrante du diagnostic positif d’infarctus et ne retardent pas la prise en charge à condition d’être effectués de façon pertinente et intelligente.   Autour du cœur il y a le reste du malade et il faut savoir se dégager du reflexe quasi spinal et oligo synaptique de ST+ =sal e de coronarographie. L’horaire de prise en charge par rapport au début des signes cliniques, les antécédents cardiologiques, les comorbidités, le contexte social et cognitif pour les patients les plus âgés participent pleinement à la décision d’organiser ou non un transfert en salle de coronarographie s’il existe effectivement un « ST+ ».   Un sus-décalage de ST n’est pas une rupture de rate ou une plaie de l’artère fémorale. Dans ces 2 dernières situations, en dehors d’une approche interventionnelle immédiate (chirurgicale) le décès rapide du patient est inéluctable. Établir l’un de ces deux diagnostics signifie obligatoirement une indication opératoire urgente. Tel n’est pas le cas pour l’infarctus ST+. Bien entendu, l’ampleur de l’amélioration du pronostic est statistiquement très conséquente et individuellement parfois spectaculaire comme la prise en charge précoce d’une occlusion de l’IVA proximale, voire du tronc commun gauche. Mais tous les ST + ne sont pas des infarctus antérieurs étendus pris en charge à la Golden Hour. Malgré un très beau sus ST, le bien fondé d’une reperfusion à la 8-9ème heure d’une nécrose latérale ou inférieure mérite d’être discutée en tenant compte du reste du patient, du risque iatrogène du geste interventionnel lui-même et de celui de son encadrement pharmacologique aussi bien dans l’immédiat que dans l’année suivante. Deux infarctus pour le prix d’un seul ? L’une des décisions les plus difficiles à prendre en urgence est l’évaluation du bien fondé d’une reperfusion d’un infarctus chez un patient que l’on sait non adhérent au traitement médical. Vaut-il mieux laisser cette nécrose latérale ou inférieure ou apicale vue tardivement suivre son histoire naturelle dans le cadre de quelques jours de surveillance essentiellement rythmique en USIC ou doit-on s’acharner à ouvrir à tout prix cette artère chez un patient dont on sait bien que le suivi pharmacologique et notamment l’adhérence aux antiplaquettaires sera aléatoire. En pratique, faut-il sauver hypothétiquement quelques grammes de muscle au risque d’une thrombose aiguë de stent par rupture de traitement qui donnera « la chance » au patient d’être exposé une deuxième fois au risque de fibrillation ventriculaire lors de la deuxième oblitération artérielle aiguë quelques jours ou quelques semaines plus tard ? Faut-il préférer le beau geste, qui fait surtout plaisir au docteur, à la juste attitude qui rend réellement service au patient ?   Décidément notre métier s’accommode mal des classifications binaires 0-1, noir-blanc, ST+- pas de ST + !

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