Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 oct 2020Lecture 7 min
L’essentiel des recommandations pour la fibrillation atriale
Nicolas LELLOUCHE, cardiologie, hôpital Henri Mondor, AP-HP, Créteil
Les recommandations sur la fibrillation atriale (FA)(1) étaient très attendues pour ce congrès ESC 2020, qui s’est déroulé dans des conditions très particulières. Ces recommandations sont extrêmement denses (125 pages) et traitent de l’ensemble de la prise en charge et des situations cliniques rencontrées au cours de la FA. Dans sa globalité, ces recommandations représentent une continuité par rapport aux dernières publiées en 2016, et il n’y a pas de nouveautés majeures dans ces recommandations, mais plutôt des confirmations. Ces recommandations valident une approche globale, intégrée, du patient souffrant de FA. En effet, elles mettent en avant la place centrale du patient dans la prise en charge de son hygiène de vie, de ses facteurs de risque cardiovasculaire ou de la décision thérapeutique concernant la FA (notamment pour la décision du traitement par ablation). L’acronyme ABC est utilisé pour résumer cette prise en charge globale : A = Anticoagulation, B = Améliorer les symptômes (Better symptom control), C = traiter les Comorbidités. (tableaux 1 et 2).
Définition de la FA
On retrouve la définition classique de la FA clinique qui est diagnostiquée quand on obtient un ECG de 12 dérivations en FA ou sur un tracé monopiste de FA de plus de 30 secondes. Cette définition de la FA se distingue des AHRE (atrial high-rate episodes) qui sont des épisodes d’arythmie atriale (FA, flutter ou tachycardie atriale) qui sont enregistrés sur des prothèses cardiaques (PM ou DAI) et confirmés par la lecture des enregistrements intracardiaques (EGM). Pour définir un AHRE, il faut une fréquence atriale ≥ 175/min dont la durée est ≥ 5 minutes. Enfin, la FA subclinique inclut les AHRE, mais sa durée peut être plus courte (à partir de 10-20 secondes).
La stratégie thérapeutique chez ces patients, notamment l’indication de la mise sous anticoagulants est encore discutée, dans l’attente des résultats d’études randomisées (ARTESIA, NOAH-AF). Les recommandations de 2016 proposaient une stratégie basée sur le score de CHA2DS2VASc avec des indications identiques à celles de la FA standard, dès lors que les AHRE dépassaient 6 minutes. Ces recommandations 2020 ne tranchent pas clairement sur l’indication des anticoagulants dans ce contexte mais propose plutôt une stratégie basée sur le taux de risque d’AVC, dépendant du score de CHA2DS2VASc avec une indication d’autant plus grande que le score est élevé ainsi que sur la durée de la FA et l’évolutivité de sa durée. On retiendra une indication potentielle de traitement anticoagulant pour un CHA2DS2VASc à 2 et une FA durant plus de 24 heures ou un CHA2DS2VASc ≥ 3 et un épisode de plus de 6 minutes.
Classification de la FA
Ceci n’a pas changé par rapport aux recommandations de 2016. On classifie la FA de la façon décrite tableau 3.
Dépistage de la FA
Les objets connectés qui permettent d’enregistrer un tracé électrocardiographique monopiste sont pour la plupart utiles pour le dépistage de la FA, même s’ils n’ont pas tous été évalués. Ces objets ont un intérêt chez les patients présentant des symptômes, notamment à type de palpitations ou malaise non étiquetés. Cependant se pose la question du dépistage systématique sur une population cible asymptomatique. Ainsi les recommandations proposent de dépister systématiquement la FA par ces objets si âge ≥ 65 ans (niveau I B). En effet, dans cette population, on retrouve 4,4 % de prévalence de FA avec 1,4 % de FA nouvellement diagnostiquée. Il est aussi possible de proposer ce dépistage chez des patients avec au moins 2 facteurs de risque (FDR) cardiovasculaires ou âgés de plus de 75 ans. De manière intéressante, les recommandations insistent sur la nécessité que le patient soit informé du test qu’il passe et qu’une fois l’outil mis en place, une infrastructure doit exister pour analyser les données, faire le diagnostic et retourner vers le patient pour délivrer une prise en charge adaptée, notamment thérapeutique.
Le traitement antiarythmique de la FA
Maintien du rythme sinusal
Concernant les antiarythmiques (AA) pour le maintien en rythme sinusal (RS), les recommandations reprennent l’essentiel de celles de 2016. Les principaux médicaments proposés pour le maintien en RS sont : l’amiodarone : le plus efficace, mais au prix d’effets secondaires importants ; les AA de classe IC (flécaïnide et propafénone) (niveau I A) traitement assez bien toléré, mais il faut vérifier l’absence de contre-indications : cardiopathie ischémique et insuffisance cardiaque (IC) systolique. Le sotalol est rétrogradé (classe IIb) compte tenu de son efficacité qui semble plus faible que les AA de classe Ic au prix d’effets secondaires plus importants, notamment de torsades de pointe, à doses élevées. Il est donc essentiellement indiqué en cas de cardiopathie ischémique à fonction VG conservée. La dronédarone, qui n’est pas commercialisée en France, est aussi mentionnée dans les recommandations pour le maintien en RS (niveau I A) chez des patients sans cardiopathie sousjacente, avec cardiopathie ischémique à fonction VG conservée ou si IC à fonction VG préservée.
L’ablation de la FA est confirmée dans ces recommandations, avec une augmentation du niveau de preuve de cette technique dans certaines indications. Elle permet essentiellement de diminuer les symptômes liés à l’arythmie(2) et présente un intérêt chez les patients IC(3). Elle est indiquée chez des patients symptomatiques après un échec de traitement AA de classe I ou III (niveau I A) pour les FA paroxystiques ou persistantes ou en première ligne (en alternative aux AA de classe I ou III) avec un niveau IIa pour les FA paroxystiques et IIb pour les FA persistantes. Les patients présentant une IC possiblement liée à la FA (cardiomyopathie rythmique) le niveau de recommandation est I B. Concernant la technique d’ablation, l’isolation des veines pulmonaires est la technique de référence pour tous les types de FA (niveau I A). L’utilisation des autres techniques complémentaires d’ablation (lignes, CAFE ou autres) peut être effectuée, mais est laissée à l’appréciation de l’opérateur, avec un niveau IIb. L’indication de l’ablation hybride de FA (en dehors d’une chirurgie cardiaque associée) est recommandée niveau IIa pour les patients avec échec d’une ou plusieurs ablations endocavitaires ou en niveau IIb après échec d’un traitement antiarythmique. En pratique ce type d’intervention est effectué pour les FA persistantes souvent de longue durée après échec de plusieurs procédures endocavitaires. (figure 1)
Figure 1. Algorithme de traitement antiarythmique de la FA.
Contrôle de la fréquence cardiaque
Concernant la stratégie de ralentissement de la fréquence cardiaque, il n’y a pas de nouveautés par rapport à 2016. Les AA permettant le ralentissement de la fréquence cardiaque sont : les bêtabloquants, les inhibiteurs calciques bradycardisants, la digoxine et dans une moindre mesure l’amiodarone. L’objectif à atteindre est une fréquence cardiaque de repos < 110/min en FA. En première intention, on utilisera les bêtabloquants ou les inhibiteurs calciques. Si la fréquence cardiaque est mal contrôlée, il est possible de rajouter la digoxine et éventuellement l’amiodarone. Enfin en 3e ligne, en cas d’échec des traitements médicamenteux, on proposera l’implantation d’une prothèse cardiaque (pacemaker ou défibrillateur plus ou moins avec resynchronisation), suivie de l’ablation du noeud auriculoventriculaire. Cette stratégie est réservée aux patients avec échec de toutes les stratégies pour le maintien en RS ou chez des patients âgés symptomatiques.
La cardioversion
Concernant la cardioversion médicamenteuse et électrique, les recommandations 2020 reprennent le schéma d’une FA récente de moins de 48 heures versus une FA de plus de 48 heures ou d’ancienneté inconnue. Pour les FA de plus de 48 heures ou d’ancienneté indéterminée, les 2 stratégies de cardioversion, l’une attendant 3 semaines sous anticoagulants (ATC) efficaces ou une stratégie plus rapide avec ETO, sont valides. Pour les FA de moins de 48 heures, les recommandations proposent 2 stratégies possibles : soit attente de cardioversion en attendant une conversion spontanée en RS dans les 48 heures suivant le début de la FA, soit une stratégie de cardioversion précoce.
Dans tous les cas, un traitement ATC doit être débuté avant la cardioversion. Après la cardioversion, il convient de poursuivre au moins 4 semaines de traitement ATC et au-delà les recommandations renvoient au traitement au long cours pour la FA selon le score de CHA2DS2VASc. Une exception est mentionnée pour les patients avec FA datant de moins de 24 heures avec retour précoce en RS et un CHA2DS2VASc à 0 pour les hommes ou 1 pour les femmes. Dans ce cas il est possible de ne pas mettre le patient sous ATC pendant 4 semaines post-réduction. (figure 2)
Figure 2. Algorithme pour la cardioversion.
Le traitement antithrombotique
Anticoagulants
Ces recommandations reprennent le score de CHA2DS2VASc pour stratifier le risque thromboembolique du patient et la mise sous anticoagulants au long cours. Les indications de traitement ATC au long cours sont similaires aux recommandations de 2016 confirmant la place importante des anticoagulants oraux directs (AOD) par rapport aux AVK. (tableaux 4 et 5, figure 3)
Par ailleurs, concernant la stratification du risque hémorragique, on observe le retour du score de HASBLED. Il est en revanche clairement noté que le score de HASBLED ou aucune autre évaluation du risque hémorragique ne peut pas servir à contre-indiquer « a priori » la mise sous traitement anticoagulant (classe III).
Ces recommandations confirment l’intérêt des AOD en première intention par rapport aux AVK (classe I A) et chez les patients avec des INR labiles (TTR < 70 %) (classe I B).
Fermeture d’auricule gauche
Chez les patients présentant une contre-indication à une anticoagulation au long cours et avec un risque thromboembolique élevé (cf. indication des anticoagulants) il est possible de proposer une fermeture percutanée de l’auricule gauche (niveau IIb B idem 2016).
En pratique
▸ Ces recommandations ESC 2020 sur la FA reprennent et confirment une approche holistique de la FA, centrée sur le patient, en partant de sa cause, notamment des facteurs de risque cardiovasculaire jusqu’à l’ablation, le traitement anticoagulant avec la confirmation de la place centrale des AOD et éventuellement la fermeture d’auricule gauche.
▸ Elles mettent aussi en avant l’intérêt du dépistage de cette pathologie dans les populations à risque cardiovasculaire avec les objets connectés qui sont, pour la plupart, tout à fait efficaces pour le diagnostic cette arythmie.
▸ Elles valident aussi avec un niveau de preuve I le traitement de l’ablation de la FA si l’arythmie persiste malgré un traitement antiarythmique de classe I ou III ou chez le patient insuffisant cardiaque.
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