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Coronaires

Publié le 15 déc 2019Lecture 7 min

Maladie coronaire après 80 ans : traitement invasif ou médical ?

Gilles BARONE-ROCHETTE*, Département de cardiologie, CHU Grenoble-Alpes

Les patients âgés de plus de 80 ans sont de plus en plus nombreux dans nos consultations, nos services et même nos soins intensifs. L'OMS prévoit que la morbi-mortalité cardiovasculaire augmentera de 120 à 137 % d'ici 20 ans, en raison du vieillissement de la population. La maladie coronaire sera bien sûr la pathologie la plus fréquente. Cependant, nous manquons de données solides sur l’impact de nos stratégies thérapeutiques dans cette population. Dans cet article nous ferons un point sur les éléments connus et ceux qui demandent encore des investigations pour améliorer la prise en charge de ces patients.

Ce que l’on sait Si l’on compare des patients de plus de 80 ans et d’autres de moins de 80 ans, nous voyons que les patients plus âgés présentent une maladie coronaire plus sévère, plus diffuse avec atteinte tritronculaire et du tronc commun(1). Nous savons aussi que lorsqu’une procédure interventionnelle est décidée il faut savoir que nous exposons le patient par rapport à des patients plus jeunes à plus de complications per-procédures (mort, AVC, complication vasculaire, insuffisance rénale, etc.)(2). Si une stratégie invasive est décidée il faudra préférer dans toutes les présentations cliniques la voie radiale(3) et utiliser les stents actifs(4). Qui doit bénéficier d’une procédure invasive ? Les choses sont plus floues Les éléments permettant de décider si l’on doit réaliser une procédure invasive ou un traitement médical seul chez les plus de 80 ans manquent de données factuelles. La plupart des essais cliniques excluent les patients de plus de 75 ans. Les données disponibles sur l’impact d’une stratégie chez les personnes âgées proviennent en grande partie d’analyses de sousgroupes des études randomisées et de registres avec tous les biais que cela implique. Pour les patients de 80 ans et plus présentant un STEMI Les choses sont un peu plus claires. La mortalité hospitalière du plus de 80 ans victime d’un STEMI même avec une revascularisation réussie est extrêmement plus importante que les patients plus jeunes passant de moins de 4 % à plus de 25 %, voire plus de 30 % pour les plus de 90 ans(5). Ne pas donner la chance à la revascularisation dans ce contexte, c’est donc décider en âme et conscience que l’espérance de vie ou la qualité de vie de ce patient ne sont pas en accord avec une prise en charge curative. Il faut donc accepter que le patient soit orienté vers une prise en charge palliative. Le patient survivant sera le plus souvent insuffisant cardiaque et il ne faudra pas se poser la question secondairement d’une revascularisation. Si une revascularisation est décidée l’angioplastie, doit être préférée à la thrombolyse comme cela a été démontré avec l’étude TRIANA et l’analyse groupée avec des études antérieures. La thrombolyse reste une alternative possible avec adaptation des doses en fonction du poids du patient(6). Pour le syndrome coronarien chronique Les dernières recommandations soulignent l’attention particulière qui doit être faite aux effets secondaires des drogues, à l’intolérance et surdosage chez les patients âgés. La procédure invasive et de revascularisation quant à elle, se fera sur les symptômes, l’étendue de l’ischémie, la fragilité, l’espérance de vie, et les comorbidités(7). Il serait tout de même hasardeux de penser que tout a été démontré. Rappelons que même chez le patient plus jeune les résultats très récents de l’étude ISCHEMIA (NCT01471522) présentés à l’AHA n’ont pas montré de bénéfice de la revascularisation par rapport au traitement médical chez le patient avec une ischémie modérée à sévère sur un critère de jugement principal associant le décès cardiovasculaire, infarctus, hospitalisation pour angor instable et insuffisance cardiaque, et arrêt cardiaque. Cette étude nous fait donc nous poser beaucoup de questions sur les stratégies à adopter pour la prise en charge de nos patients angineux toutvenant. Mais ISCHEMIA ne s’adressait pas spécifiquement à des patients âgés. Cela veut dire que des études dédiées dans le syndrome coronarien chronique chez les patients âgés devront être menées en intégrant des particularités que nous verrons plus loin au domaine gériatrique. Pour le NSTEMI Nous avons quelques études randomisées. La première est une étude italienne qui a comparé une stratégie invasive première face à une stratégie conservatrice où le patient pouvait après un échec d’un traitement médical seul bénéficier d’une coronarographie. Le critère primaire était composite associant le décès, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral invalidant et hospitalisation répétée pour cause cardiovasculaire ou hémorragie grave. Au total, 313 patients âgés de 75 ans et plus atteints de NSTEMI ou d’un angor instable ont été inclus dans 21 hôpitaux avec un suivi de 1 an. L’étude était sous-dimensionnée et aucune différence significative n’a été retrouvée entre les deux groupes(8). After Eighty est la dernière étude en date ; 457 patients âgés de 80 ans et plus atteints de NSTEMI ou d’angor instable ont été inclus dans 16 hôpitaux avec un suivi médian de 1,53 an. Les patients bénéficiaient soit d’une stratégie invasive, soit d’un traitement médical seul. Il est apparu une différence significative en faveur de la stratégie invasive. Le critère primaire s’est produit chez 93 (40,6 %) des 229 patients du groupe invasif et chez 140 (61,4 %) des 228 patients du groupe conservateur (risque relatif [HR] 0,53 [IC95% : 0,41-0,69], p = 0,0001). • Un nombre réduit de patients randomisés Cependant quand on regarde le flow chart de l’étude, on voit que plus de 4 000 patients ont été screenés pour ne randomiser au final que 457 patients. De nombreux patients ont été exclus pour des raisons logistiques car il faut savoir que les centres participants n’avaient pas tous la coronarographie sur place. Le transfert du patient âgé dans un centre pour bénéficier d’une coronarographie a entraîné un biais de sélection. De plus, il n’y avait pas dans cette étude d’évaluation d’éléments gériatriques comme la fragilité et les comorbidités étaient peu nombreuses. Il s’agissait donc d’une population avec un vieillissement réussi non représentative de la plupart de nos patients âgés fragiles. Autre élément important, 82 % de la population coronarographiée présentaient une sténose significative, mais seulement moins de 50 % de ces lésions seront revascularisées. Ainsi, on peut penser que l’on peut améliorer les méthodes permettant d’orienter le patient vers une procédure de revascularisation(9). Cette étude montre donc qu’il est nécessaire de développer et évaluer des stratégies dédiées aux personnes âgées. Des spécificités à prendre en compte pour le design des études La première est la proportion importante de patients de plus de 80 ans présentant un NSTEMI de type 2. Cependant, plus encore nous manquons de données factuelles sur la prise en charge des patients âgés victimes d’un NSTEMI de type 2. Une des particularités primordiales dans ces populations gériatriques est la prise en compte de la fragilité. Si la fragilité a maintenant une définition consensuelle qui se présente comme une réduction physiologique multisystémique limitant les capacités d’adaptation au stress, son mode d’évaluation n’est pas consensuel. Cependant, plusieurs études montrent qu’il s’agit d’un facteur indépendant de comorbidité de la mortalité(10). Sa valeur pronostique indépendante a été démontré dans plusieurs domaines cardiologiques (NSTEMI, TAVI)(11,12). La fragilité est extrêmement fréquente à 80 ans, son non-dépistage et donc sa non-prise en charge entraîne une explosion de la fréquence d’entrée dans la dépendance. Le budget alloué à la perte d’autonomie s’élève à 34 milliards €/an en France. Toutes ces particularités et ces interrogations persistantes, nous ont poussé à mettre en place l’étude EVAOLD (EVAluation noninvasive or invasive apprOaches in eLDerly Patients with ischemia). Il s’agit d’une étude multicentrique française soutenue par le réseau FACT qui s’attache à comparer chez les patients avec NSTEMI de 80 ans ou plus, une stratégie invasive première dans les 72 heures face à une stratégie invasive guidée par la mesure première de la charge ischémique sous traitement évaluée en scintigraphie ou échographie avec stress pharmacologique. Au total, 1 700 patients doivent être inclus avec un critère de noninfériorité sur le critère composite à un an : décès toutes causes, infarctus et AVC non fatal. L’étude se veut aussi très originale car les évaluations des comorbidités mais aussi de la fragilité seront réalisées lors du suivi ainsi qu’une évaluation de l’autonomie, la qualité de vie et des répercussions microéconomiques de notre prise en charge. En pratique Dans la cadre d’un patient de plus de 80 ans présentant un STEMI, une stratégie invasive doit être proposée ou alors c’est qu’une prise en charge palliative est décidée dès le début. Pour le NSTEMI, il est préférable sur les données actuelles de la littérature de préférer la prise en charge invasive par rapport au traitement médical seul. Mais des études sont encore nécessaires avec l’intégration des notions de fragilité pour le développement de prise en charge adaptée au profil du patient. Enfin pour le syndrome coronarien chronique, je dirais que les résultats de l’étude ISCHEMIA ne permettront pas de conclure et que là aussi tout est à faire avec des études randomisées à construire s’adressant spécifiquement aux patients de plus de 80 ans tout cela en intégrant les évaluations gériatriques, notamment l’évaluation de l’entrée dans la dépendance en fonction des stratégies.

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