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Cardiovasculaire

Publié le 01 mai 2019Lecture 8 min

Quels bénéfices cardiovasculaires peut-on attendre du sevrage tabagique ?

Daniel THOMAS, Institut de Cardiologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

Facteur de risque cardiovasculaire majeur, le tabagisme représente la plus importante cause de mortalité cardiovasculaire évitable(1). Présent dans plus de 80 % des cas d’infarctus du myocarde avant 45 ans, il est le facteur souvent unique de ces accidents précoces(2). Il intervient sans seuil d’intensité, y compris pour des consommations très faibles(3) et une simple exposition au tabagisme passif(4). Le sevrage tabagique peut rapidement apporter une protection très importante(5-7), avec le meilleur rapport coût/efficacité parmi les mesures de prévention cardiovasculaire(8,9).
Une aide médicale au sevrage tabagique est pour toutes ces raisons une véritable priorité.

Un risque majeur parfaitement documenté par les données épidémiologiques L’étude Interheart a confirmé que le tabagisme est en deuxième position parmi les facteurs de risque d’infarctus du myocarde, très près derrière les dyslipidémies. Cette étude montre que(10) : – le risque est proportionnel à la consommation, mais sans seuil au-dessous duquel fumer soit sans danger, même pour quelques cigarettes (risque augmenté de 63 % pour 1 à 9 cigarettes/jour) ; – le risque est identique, quel que soit le type de tabagisme (cigarettes avec ou sans filtre, pipe, cigare, narguilé, tabac non fumé…) ; – la part de risque attribuable au tabagisme est d’autant plus importante que les sujets sont jeunes (figure 1). Chez les hommes de moins de 55 ans, 58 % des infarctus sont directement attribuables au tabagisme ; – le risque d’infarctus concerne aussi le tabagisme passif (+24 % pour une exposition de 1 à 7 heures par semaine et +62 % pour une exposition de plus de 22 heures par semaine). Les métaanalyses concernant le tabagisme passif montrent une augmentation du risque de décès cardiovasculaire de l’ordre de 20 à 30 %(4). Le tabagisme joue aussi un rôle majeur dans la survenue et l’évolution de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, de l’anévrisme de l’aorte abdominale et des accidents vasculaires cérébraux(7). Figure 1. Risque d’infarctus du myocarde en fonction de l’âge et du nombre de cigarettes/jour (d’après -Teo et al.[10]). Le tabagisme est le responsable essentiel et souvent isolé de l’infarctus du sujet jeune. Dans chaque tranche d’âge sont représentés respectivement les risques d’un ex-fumeur (ex-F), d’un fumeur de 1 à 19 cigarettes/jour (1-19) et d’un fumeur d’au moins 20 cigarettes/jour (≥ 20) par rapport au risque d’un sujet n’ayant jamais fumé (NF). Des mécanismes rapidement réversibles, dominés par la thrombose et le spasme(11) Le tabagisme augmente l’agrégabilité plaquettaire, le taux de fibrinogène et altère la vasomotricité artérielle endothélium dépendante, éléments favorisant la thrombose et le spasme et expliquant la précocité et la fréquence particulière des accidents thrombotiques aigus, y compris dans des artères dont les parois sont relativement peu altérées. Il est aussi associé à une baisse du HDL-cholestérol et à une augmentation des marqueurs de l’inflammation. Certains de ces mécanismes contribuent à la formation des plaques d’athérosclérose, hypothéquant le long terme, tandis que d’autres sont responsables d’accidents aigus souvent très précoces. Tous ces mécanismes sont activés pour des niveaux très faibles d’exposition, y compris le tabagisme passif, avec un effet-dose non linéaire(12) (figure 2). Figure 2. Risque relatif d’événement coronaire en fonction de l’exposition tabagique. Les effets cardiovasculaires sont déjà présents et importants pour des expositions faibles (d’après Law MR, Wald NJ.[12]). Par ailleurs, le monoxyde de carbone, qui diminue la capacité de transport de l’oxygène, contribue chez les patients coronariens, à l’aggravation d’une ischémie et les effets hémodynamiques de la nicotine liés à la stimulation adrénergique, même s’ils n’entraînent que des modifications mineures et passagères de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle à chaque cigarette fumée, sont également dans ce contexte de patient coronarien délétère pour la balance myocardique en oxygène du myocarde et par le biais de l’ischémie potentialisent l’automatisme cellulaire cardiaque et le risque de troubles du rythme ventriculaires graves. À noter que ces effets de la nicotine sont par contre totalement absents pour les taux de nicotine circulante obtenus avec la substitution nicotinique pharmaceutique, y compris chez les patients coronariens(13). Des bénéfices cardiovasculaires du sevrage à la hauteur des risques du tabagisme Compte tenu des mécanismes en cause dans la survenue des accidents coronaires aigus (thrombose et spasme), et de leur réversibilité extrêmement rapide, concernant en particulier l’hyperagrégabilité plaquettaire(14), les bénéfices liés au sevrage tabagique peuvent être très rapidement observés tant en prévention primaire qu’en prévention secondaire. En prévention primaire L’impact global de santé publique du sevrage tabagique est majeur en prévention primaire. Il s’agit dans ce contexte de prévention primaire de la mesure permettant d’éviter le plus grand nombre de décès (5 fois plus que le traitement de la cholestérolémie et 3 fois plus que le traitement de l’hypertension artérielle)(15) (figure 3). Figure 3. Estimation de la réduction annuelle de la mortalité coronaire en Angleterre et au Pays de Galles entre 1981 et 2000, attribuable aux traitements des différents facteurs de risques en prévention primaire (d’après Unal B et al.[15]). C’est un arrêt le plus précoce possible qui doit être recherché, lui seul permettant d’éviter les accidents coronaires des sujets les plus jeunes. Cependant, même si un arrêt tardif ne permet pas de rejoindre strictement le statut d’un sujet n’ayant jamais fumé, il y a toujours un bénéfice à arrêter, quel que soit l’âge. Ainsi : – dans le suivi d’une cohorte finlandaise d’hommes initialement âgés de 40 à 59 ans, les sujets n’ayant jamais fumé sont décédés en moyenne à 73,4 ans, les fumeurs à 68,3 ans et les sujets déjà ex-fumeurs à 71,7 ans, soit un gain d’espérance de vie très significatif(16) ; – l’étude des médecins britanniques de Richard Doll a montré que les sujets ayant arrêté de fumer entre 35 et 44 ans ont la même espérance de vie que des sujets du même âge n’ayant jamais fumé(17) ; – une étude sur plus d’un million de femmes britanniques a montré que celles qui ont arrêté de fumer à 30 ans avaient totalement éliminé leur sur-risque de décès ultérieur par maladie coronaire et que celles ayant arrêté à 40 ans avaient éliminé 90 % de ce sur-risque(18). Le sevrage tabagique est également un élément déterminant du contrôle des symptômes et de l’évolution des lésions et complications de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, de l’anévrisme de l’aorte abdominale et des accidents vasculaires cérébraux(7). En prévention secondaire Les bénéfices du sevrage tabagique sont confirmés à tous les stades de la maladie coronaire(5,19). Une métaanalyse montre une réduction de mortalité totale de 36 % et de risque d’infarctus de 32 % chez des patients coronariens sevrés(6). Dans les suites d’un infarctus du myocarde, le risque de décès par trouble du rythme est inférieur dans le groupe des patients ayant cessé de fumer par rapport à celui de ceux restés fumeurs(20). Rester fumeur à la suite d’un pontage coronaire augmente de façon importante le risque d’infarctus du myocarde et de réintervention, alors qu’un sevrage ramène ce risque au niveau de celui des non-fumeurs(21). La poursuite d’un tabagisme après une angioplastie augmente le risque d’infarctus et de décès(22,23). L’ensemble de ces données montre que le sevrage tabagique apporte un bénéfice indiscutable chez le patient coronarien, avec une réduction significative de morbidité et de mortalité coronaires. Aucune autre démarche médicale ou chirurgicale ne donne un bénéfice de prévention aussi rapide et aussi important. Aucune n’a non plus un meilleur rapport coût/bénéfice tant en prévention secondaire qu’en prévention primaire(8,9,24). La prise en charge de ce facteur de risque doit donc figurer comme une priorité parmi les démarches de prévention. Une prise en charge du tabagisme qui doit être à la hauteur des bénéfices attendus Le sevrage tabagique mérite d’être placé sur le même plan que la correction des autres facteurs de risque, hypertension artérielle, hypercholestérolémie ou diabète. Fumer n’est pas simplement une « mauvaise habitude » et dans de nombreux cas le fumeur ne peut s’en débarrasser avec le seul conseil d’« arrêter de fumer ». Il faut « traiter » ce facteur. Le sevrage tabagique doit être accompagné d’une aide concrète : • Un abord systématique du sujet avec tout fumeur. La motivation et la confiance du patient dans sa capacité à réussir son sevrage dépendent beaucoup de la préoccupation manifestée par son médecin et en premier lieu par son cardiologue vis-à-vis du tabagisme. • Un recueil d’information sur le mode, l’ancienneté et l’intensité de la consommation, les tentatives de sevrage, les moyens utilisés et les causes de reprise, ainsi qu’une évaluation de la dépendance au tabac. • L’utilisation des outils thérapeutiques démontrés comme efficaces : – depuis 2003, les recommandations des autorités de santé préconisent l’utilisation des substituts nicotiniques chez le coronarien fumeur, y compris au décours immédiat d’un infarctus du myocarde(25). Les substituts nicotiniques constituent, au même titre que les autres prescriptions un véritable traitement de prévention secondaire(26). Ils sont à présent remboursés par l’Assurance maladie. La posologie doit être initialement rapidement ajustée aux besoins, un sous-dosage expliquant beaucoup d’échecs. Elle doit ensuite être progressivement dégressive avec une durée sans limitation absolue et qui ne doit pas être inférieure à 5 semaines ; – parmi les autres médicaments du sevrage, figurent le bupropion (Zyban®) ainsi que la varénicline (Champix®), agoniste partiel des récepteurs nicotiniques(27), pouvant être prescrits chez les patients cardiaques. L’étude EAGLES a montré que la varénicline s’avérait supérieure à la substitution nicotinique et au bupropion et que tous les traitements du sevrage tabagique étaient dénués d’effets secondaires neuropsychiatriques ou cardiaques spécifiques(28,29). La varénicline est remboursée depuis 2017 sur prescription médicale par l’Assurance maladie, mais reste indiquée seulement en deuxième intention chez des fumeurs fortement dépendants ; – quelle que soit l’aide médicamenteuse proposée, elle doit toujours être associée à une approche comportementale. Les thérapies cognitivo-comportementales ont fait la preuve de leur efficacité et peuvent être essentielles chez certains patients(30). Dans les cas les plus complexes, en particulier lorsqu’il y a eu plusieurs rechutes, une dépendance alcoolique associée et/ou des troubles dépressifs importants, les fumeurs doivent être adressés dans une consultation spécialisée de tabacologie. En pratique Les bénéfices cardiovasculaires du sevrage tabagique sont majeurs, permettant : – en prévention primaire, d’éviter les accidents les plus précoces ; – en prévention secondaire, de réduire environ de moitié les événements cardiovasculaires. Aussi, représente-t-il un défi essentiel de prévention pour le cardiologue, qui doit traiter ce facteur autant que les autres facteurs de risque cardiovasculaire. Références sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com

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