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Coronaires

Publié le 15 juin 2018Lecture 8 min

Infarctus myocardique de la femme : qu’a-t-on appris des registres ?

Martine GILARD*,**, Jacques BOSCHAT*, Romain DIDIER*, *CHU de Brest ; **Présidente de la SFC

Les études récentes ont bien montré de grandes différences entre les sexes concernant la physiopathologie et l’expression clinique de l’athérosclérose. Plusieurs registres chez des patients présentant un infarctus du myocarde (SCA ST+) ont révélé un moins bon pronostic chez les femmes par rapport aux hommes. Cependant, des données discordantes sont rapportées concernant le sexe comme contributeur indépendant de ce résultat. Faut-il tenir compte de différentes caractéristiques des patients et des comorbidités selon les sexes ?

Il est clair cependant que la mortalité observée chez les femmes varie selon les pays étudiés (figure 1) et qu’en France les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité chez les femmes, bien que l’on observe comme pour les hommes une baisse de celle-ci depuis les années 80 (figure 2)(1,2). Il est indéniable que dans l’ensemble des registres étudiés, l’infarctus du myocarde de la femme est moins étudié, moins diagnostiqué et moins bien traité. Figure 1. Mortalité cardiovasculaire dans le monde (2010)(1). Figure 2. Évolution de la mortalité en France entre 1980 et 2004 selon le sexe(2). Registres américains Dans le NRMI2 (National Registry of Myocardial Infarction 2) 384 878 patients de 30 à 89 ans sont étudiés de 1994 à 1998 (155 565 femmes et 229 313 hommes). La mortalité durant l’hospitalisation est plus forte pour les femmes que pour les hommes (16,7 % vs 11,5 %) avec un doublement de celle-ci pour les femmes de moins de 50 ans (figure 3). Figure 3. Pourcentage de décès hospitalier par infarctus selon l’âge et le sexe (interaction entre sexe et âge significatif [p < 0,001])(3). Il apparaît clairement aussi des différences de caractéristiques chez les femmes les plus jeunes (plus de diabète, d’insuffisance cardiaque et une présentation clinique moins suggestive d’infarctus aigu)(3). L’impact de l’angioplastie primaire est rapporté chez 29 222 patients du NRMI3 et 4 traités par angioplastie (< 6 h après le début des symptômes) de 1999 à 2002. Il apparaît clairement que dans l’ensemble existe une augmentation de la mortalité hospitalière passant de 3 %, 4,2 %, 5,7 % et 7,4 % suivant que le temps « door to balloon » passe de < 90 min, 91 à 12 min, 120 à 150 min, > 150 min. En plus celui-ci est plus long chez les femmes que chez les hommes (108 min vs 100 min ; p < 0,0001) avec comme corolaire une mortalité plus forte (6,9 % vs 3,6 % ; p < 0,0001)(4). Registres chinois Les différences des profils cliniques et de la prise en charge du SCA ST+ entre les hommes et les femmes ont été rapportés au cours de trois périodes (2001, 2006, 2011) sur une population de 11 986 sujets dont 3 750 femmes(5). Entre 2001 et 2011 l’âge moyen des femmes passe de 63 à 72 ans (p < 0,001) alors que celui des hommes reste stable (63 ans en 2011 ; p = 0,48) ; les femmes ont une plus grande prévalence de diabète, d’hypertension, ou d’antécédent de coronaropathie. Il existe manifestement une moins bonne prise en charge des femmes. Celles-ci sont hospitalisées plus tardivement que les hommes bien que ce délai diminue avec le temps. Les différences absolues entre les hommes et les femmes concernant la fibrinolyse, l’angioplastieprimaire, ou l’absence de reperfusion sont respectivement de 6,7 %, 5,5 %, 13,2 % en 2011. Registres suédois Le registre suédois SWEDEHEART rapporte les résultats provenant de 73 hôpitaux qui reçoivent les patients atteints d’un infarctus du myocarde entre janvier 2003 et décembre 2013(6). Ces données sont issues d’un « web-based system » où tous les éléments sont entrés en direct par les praticiens responsables des patients avec un taux de suivi important (96 %). La population étudiée comprend 180 638 patients avec 60 712 SCA ST+ (33,2 % de femmes) et 119 656 SAC ST- (dont 37,8 % de femmes). Le critère primaire de jugement est l’excès de mortalité à 6 mois, 1 an, et 5 ans après l’infarctus par rapport à une population suédoise témoin. Les femmes avec SCA ST+ (73,7 ans versus 66,5 ans) et SCA ST- (75,6 ans versus 70,4 ans) sont plus âgées que les hommes, elles ont plus de comorbidités avec plus de diabète, hypertension, insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire. À l’inverse, elles ont moins d’intoxication tabagique, d’antécédent de coronaropathie. Comme dans d’autres registres on retrouve une moindre utilisation des traitements pharmacologiques ou invasifs recommandés. La survie estimée et ajustée par âge et année est plus faible chez les femmes avec SCA ST+ à 6 mois (84,8 % versus 87,6 %), 1 an (83,2 % versus 86,8 %), et 5 ans (75,1 % versus 82,4 %). Pour le SCA ST-, la différence de survie relative entre les hommes et les femmes n’est pas évidente à 6 mois (90,0 % versus 89,6 %) et 1 an (86,9 % versus 87,0 %) ; cependant, les femmes avec SCA ST- ont une survie relative à 5 ans plus faible (73,1 % versus 76,0 %). L’excès de mortalité chez les femmes atteintes de SCA ST+ est donc 2 fois plus fort à 6 mois après ajustement pour l’âge et la date d’hospitalisation (EMRR : 2,12 [IC95% : 1,85-2,42]), 3 fois plus fort à 1 an (EMRR : 3,29 [IC95% : 2,40-4,51]), et toujours 2 fois plus fort à 5 ans (EMRR : 1,91 [IC95% : 1,73-2 10]). Pour le SCA ST-, les effets sont plus faibles mais significatifs à 6 mois (EMRR : 1,14 [IC95% : 1,10-1,18]), 1 an (EMRR : 1,24 [IC95% : 1,19-1,29]), et 5 ans (EMRR : 1,35 [IC95% : 1,28-1,42]. Avec un ajustement pour les comorbidités, les femmes avec SCA ST+ et SCA ST- continuent à démontrer une surmortalité. Après un ajustement pour les traitements indiqués dans les recommandations, les résultats sont plus nuancés. L’excès de mortalité chez les femmes avec SCA ST- ne sont plus significatifs à 6 mois (EMRR : 0,97 [IC95% : 0,94-1,00]) et 1 an (EMRR : 1,01 [IC95% : 0,97-1,04]), mais le restent à 5 ans (EMRR : 1,07 [IC95% : 1,02-1,12]). Pour le SCA ST+, l’ajustement pour les traitements montre une réduction de l’excès de mortalité identique entre hommes et femmes à 6 mois (EMRR : 1,26 [IC95% : 1,16-1,37]), 1 an (EMRR : 1,4 [IC95% : 1,26-1,62]), et 5 ans (EMRR : 1,31 [IC95% : 1,19-1,43]. Avec l’augmentation de l’âge, le risque d’un excès de mortalité après ajustement pour comorbidité et traitement augmente pour les femmes avec SCA ST+ (âge > 85 versus ≤ 55 ans, EMRR : 2,85 [IC95% : 2,26-3,60]) et SCA ST- (âge > 85 versus ≤ 55 ans, EMRR : 4,07 [IC95% : 3,38-4,92]). Le résultat est similaire pour les hommes avec SCA ST+ (âge > 85 versus ≤ 55 ans, EMRR : 2,27 [IC95% : 1,85-2,80] ; et SCA ST- (âge > 85 versus ≤ 55 ans, EMRR : 2,93 [IC95% : 2,56-3,35]), et il n’y a aucune interaction significative entre le sexe et l’âge. Les résultats fournis par ce registre tendent donc à prouver qu’une meilleure adhérence aux recommandations peut être un moyen de réduire la surmortalité féminine observée après infarctus du myocarde. Registre suisse Le registre suisse étudie l’évolution des résultats sur la mortalité hospitalière chez les hommes et les femmes sur une période de 20 ans de janvier 1997 à décembre 2016 concernant 51 725 patients admis pour infarctus du myocarde dans 83 hôpitaux (SCA ST+ 30 398 pts, SCA ST- 31 327 pts)(7). Pour les SCA ST+, 26 % sont des femmes. Elles sont plus âgées (71,3 ± 12,7 ans) que les hommes (62,8 ± 12,8 ans) (p < 0,001). La mortalité ajustée à l’âge diminue chez les hommes de 3 % (OR 0,97 ; IC95% : 0,96-0,98 ; p < 0,001) et chez les femmes de 5 % par année d’admission (OR 0,95 ; IC95% ; 0,93-0,96 ; p < 0,001). Pour les SCA ST- (27 % de femmes de 72,2 ± 12,2 ans versus 65,6 ± 12,6 ans) la diminution est plus forte pour les hommes (6 %) (OR 0,94 ; IC95% : 0,93-0,96 ; p < 0,001) que pour les femmes (5 %) (OR 0,95 ; IC95% : 0,93-0,97 ; p < 0,01). La reperfusion (thrombolyse ou ATC) augmente chez les hommes avec SCA ST+ de 60 % à 93 % (p < 0,001) et chez les femmes de 45 % à 90 % (p < 0,001). L’utilisation de la thrombolyse continue à diminuer de 47 % en 1997 à 0,2 % en 2016 (p < 0,001), alors l’angioplastie primaire augmente de 8,3 % à 91,8 % (p < 0,001). L’augmentation entre 1997 et 2016 est genre-dépendante (interaction entre l’année d’admission et le sexe, p < 0,001) : chez les hommes de 9,1 % à 92,5 % (p < 0,001) et chez les femmes de 6,0 % à 89,5 % (p < 0,001). Durant toutes ces années, les femmes reçoivent globalement moins de traitements recommandés que les hommes. Pour l’aspirine, 94,0 % des femmes en reçoivent versus 95,6 % des hommes (OR 0,72 ; IC95% : 0,66-0,78 ; p < 0,001) sans changement de l’OR dans le temps (Breslow-Day p = 0,80). Pour les inhibiteurs P2Y12 (clopidogrel, prasugrel ou ticagrelor) ils sont donnés à 63,8 % des femmes et à 72,3 % des hommes (OR 0,61 ; IC95% : 0,58-0,65 ; p < 0,001) avec un changement significatif de l’OR change pendant la période d’observation (Breslow-Day p = 0,009). Pour les statines, la différence est aussi notable. Les femmes en reçoivent dans 69,2 % versus 76,5 % pour les hommes (OR 0,69 ; IC95% : 0,66-0,73 ; p < 0,001) sans changement de l’OR dans le temps (Breslow-Day p = 0,24). Des différences sont aussi observées avec les bêtabloquants (OR 0,86 ; IC95% : 0,82-0,90 ; p < 0,001) et le inhibiteurs de l’enzyme de conversion (OR 0,95 ; IC95% : 0,92-0,98 ; p = 0,021). Enfin pour les patients les plus jeunes (< 60 ans), une diminution de la mortalité hospitalière par année d’admission est observée chez les femmes atteintes d’un SCA ST+ (OR 0,94 ; IC95% : 0,90-0,99 ; p = 0,025) mais pas chez les hommes (OR 1,01 ; IC95% : 0,98-1,04 ; p = 0,46) (interaction entre genre et année d’admission p = 0,019). Chez les patients avec SCA ST-, la mortalité diminue chez les femmes (OR 0,87 ; IC95% : 0,80-0,94 ; p < 0,001) mais n’est pas significative chez les hommes (OR 0,98 ; IC95% : 0,94-1,03 ; p = 0,41) (interaction entre genre et année d’admission, p = 0,006). De 1997 à 2016, la mortalité hospitalière des patients atteints d’infarctus en Suisse a diminué de moitié et l’écart entre les sexes s’est réduit. La réduction de la mortalité est plus prononcée chez les femmes, en particulier celles d’âge inférieure à 60 ans. La baisse de la mortalité pourrait en partie s’expliquer par l’augmentation de l’utilisation de la reperfusion, en particulier ATC, par laquelle la différence entre les sexes a tendance à s’atténuer. Registre français Les données recueillies dans le métaregistre français sont issues des registres régionaux RESA+31 (Toulouse), ORBI (Bretagne), RESCUe (Vienne), RESURCOR (Annecy), RICO (Côte-d’Or), FCOMT (Franche-Comté) et FAST Registry(8). La population est étudiée entre janvier 2005 et décembre 2012. Le premier contact médical retenu est l’appel au SAMU ou au centre de cardiologie interventionnelle. Sur les 18 618 patients consécutifs inclus dans les registres, 16 733 avec un appel moins de 12 h après le début des symptômes se répartissent en 12 712 hommes et 4 021 femmes. La proportion des femmes est identique quelle que soit la région : de 21,7 % (RESURCOR) à 29,9 % (FCOMT) (p = 0,48). Les femmes sont comme dans les autres registres plus âgées (70,6 ± 14 vs 60,6 ± 13 ; p < 0,001). Elles sont plus souvent diabétiques (19,6 % vs 15,4 %) ou hypertendues (58,7 % vs 38,8 %) p < 0,001 et ont moins souvent des antécédents de coronaropathies connues (16,8 % vs 19,9 %) p < 0,001. L’appel au 15 est plus fréquent chez les hommes (68,5 % vs 63,5 %), p < 0,001. Le délai de prise en charge est défavorable pour les femmes car il est plus long de 20 min quelle que soit la prise en charge, et cette différence est stable quelle que soit l’année d’inclusion. Les femmes reçoivent moins d’aspirine ou d’inhibiteurs P2Y12 en préhospitalier. Si le pourcentage d’angioplastie primaire est voisin (hommes : 67,6 %, femmes : 66,7 %), l’absence de reperfusion est plus fréquente chez les femmes (18,3 % vs 11,6 %) et l’angioplastie de sauvetage est moins souvent pratiquée (10,6 % vs 14,6 %). La mortalité hospitalière est 2,4 fois plus forte chez la femme que chez l’homme quels que soient l’âge, le délai et le traitement (9,6 % vs 3,9 %) (p < 0,001). Cette différence persiste après ajustement des facteurs de risque et de comorbidités. Elle ne varie pas durant la période d’inclusion (2005-2012) et il n’y a pas de différence entre les régions étudiées. En analyse multivariée, les prédicteurs de mortalité sont l’âge, le sexe et le diabète. L’ensemble de ces résultats incite à promouvoir des études prospectives pour essayer de déterminer avec précision les mécanismes responsables de ces différences, car ceci ne peut pas être exclusivement expliqué par les délais de prise en charge des patientes. Figure 4. Appel au 15 et reperfusion selon le sexe dans le métaregistre français. En pratique Les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité chez les femmes. On observe une amélioration de la prise en charge (près de 80 % de reperfusion dans le SCA ST+) avec une réduction constante de la mortalité au stade aigu. Cependant les SCA ST+ sont moins étudiés, moins diagnostiqués et moins traités chez les femmes. Les délais de prise en charge sont plus longs, la mortalité est plus importante chez la femme surtout la femme jeune.

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