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Cardiomyopathies

Publié le 06 sep 2016Lecture 9 min

Cardiomyopathie du diabétique

Cyrille BERGEROT*, Denis ANGOULVANT** *CHU de Lyon - **CHRU de Tours et Université François Rabelais

En 1972, Rubler et coll.(1) décrivaient sur une série d’autopsies une forme de cardiopathie sévère chez 4 patients diabétiques avec néphropathie ne présentant ni coronaropathie ni hypertension artérielle ni valvulopathie. Depuis, le concept de cardiopathie diabétique a peu évolué en termes de définition. En revanche beaucoup de travaux se sont intéressés aux mécanismes physiopathologiques, au dépistage et aux effets des traitements médicamenteux du diabète sur cette cardiopathie.

L’existence d’une atteinte coronaire et/ou d’une hypertension artérielle va bien entendu majorer le risque de développer une cardiopathie ,mais il est montré sur le plan épidémiologique une association indépendante entre le diabète et la survenue d’une insuffisance cardiaque (risque x 2,4 chez les hommes et x 5 chez les femmes)(2). Comprendre les mécanismes responsables de l’atteinte myocardique et développer des outils permettant leur dépistage précoce sont autant de voies de recherche visant à améliorer la prise en charge et in fine le pronostic des patients diabétiques. Mécanismes De nombreux mécanismes reliant les désordres métaboliques observés chez les patients diabétiques et l’apparition d’un phénotype cardiaque pathologique ont été rapportés. La compréhension de ces mécanismes n’est pas aisée car ils s’intriquent avec les lésions d’autres organes cibles du diabète comme le rein et le système nerveux périphérique qui peuvent à leur tour avoir un impact sur la structure et la fonction du myocarde. Parmi ces mécanismes, la glycation des protéines (fixation non enzymatique de glucose sur les protéines) qui est une conséquence de l’hyperglycémie chronique joue un rôle important. Cette glycation peut entraîner des modifications structurelles et fonctionnelles des protéines. Elle est, de plus, à l’origine de la formation de produits terminaux de glycation avancée (Advanced Glycation End Products) qui peuvent activer les réponses inflammatoires. L’autre mécanisme majeur est les troubles du métabolisme lipidique, en particulier ceux qui concernent les acides gras libres et leur oxydation. Hypertrophie ventriculaire gauche et dysfonction diastolique Plusieurs mécanismes favorisant l’apparition d’une HVG sans la présence d’hypertension artérielle chez le diabétique ont été rapportés. C’est surtout la présence accrue de cytokines et de médiateurs en rapport avec les troubles du métabolisme lipido-glucidique et de l’inflammation qui semble à l’origine de l’HVG comme les leptines, les espèces réactives de l’oxygène et l’IL-6. Une forte association entre HVG, insulinorésistance et anomalies des voies de signalisation de l’insuline est également rapportée. Dans les modèles expérimentaux comme chez l’homme, une surcharge lipidique du myocarde favorisée par un trouble de l’oxydation des lipides a été bien décrite. De plus, les troubles du métabolisme oxydatif des lipides ont été montrés comme étant à l’origine d’un switch d’expression génomique de l’alpha-actine vers la bêta-actine, switch potentiellement réversible sous traitement antioxydant. La dysfonction diastolique qui peut être observée dès la phase précoce de la maladie résulte en partie de l’HVG et d’autres mécanismes comme l’atteinte microvasculaire responsable d’ischémie, de troubles de la production d’ATP en lien avec une dysfonction mitochondriale et de fibrose. Des travaux récents montrent également un lien entre dysautonomie cardiaque liée à la neuropathie diabétique et dysfonction diastolique observée en échocardiographie. Atteinte microvasculaire Celle-ci est très fréquente mais difficile à mettre en évidence dans le myocarde. Elle a été bien décrite dans les années 80 par des études en microscopie électronique qui montraient des lésions focales des microvaisseaux du myocarde marquées par un épaississement de la membrane basale confinant à l’occlusion, une raréfaction microvasculaire et une dysfonction endothéliale. Le terme « cardio-angiosclérose » par analogie avec la néphro-angiosclérose décrit assez bien ce phénomène. La dysfonction microvasculaire peut être étudiée chez les patients diabétiques par des méthodes de mesure comme le flux de réserve coronaire en Doppler endocoronaire. Cette technique invasive permet sur une coronaire angiographiquement normale de mettre en évidence l’absence d’élévation significative de la vitesse de déplacement du sang (enregistré au Doppler) lors de l’injection d’adénosine qui devrait avoir un effet dilatateur sur le secteur microvasculaire fonctionnel. Ce test n’est pas réalisé en routine et il n’existe pas de traitement ciblant directement ce processus physiopathologique. Troubles métaboliques et dysfonction systolique L’altération de la fonction systolique peut apparaître précocement. Elle résulte bien sûr en partie des mécanismes énoncés auparavant mais également de phénomènes physiopathologiques impliquant directement la contraction cardiaque. Des modifications structurelles des protéines cardiaques impliquées dans le couplage excitation-contraction ont été observées (sous l’effet notamment de la glycation) à l’origine d’une réduction des transitoires calciques et de la force de contraction des sarcomères. Que retenir concernant les mécanismes physiopathologiques de la cardiopathie diabétique ? De futurs travaux expérimentaux et observationnels mettront en évidence d’autres cytokines et altérations cellulaires et subcellulaires cardiaques et microvasculaires impliquées dans l’apparition de la cardiopathie diabétique. Le dénominateur commun de ces mécanismes est qu’ils résultent tous, en partie au moins, des désordres métaboliques du diabète et en premier lieu de l’hyperglycémie et des troubles de l’oxydation des lipides. L’inflammation et les radicaux libres jouent un rôle majeur ainsi que le syndrome cardio-rénal et la neuropathie qui sont presque toujours présents. Diagnostic de la cardiopathie diabétique Si sur le plan physiopathologique, la littérature fondamentale est riche pour permettre de comprendre l’impact direct du diabète sur les modifications fonctionnelles du myocarde, qu’en est-il pour le clinicien ? Dispose-t-il aujourd’hui de moyens permettant de détecter et de soigner la cardiopathie diabétique ? L’échographie cardiaque a longtemps étudié les potentielles spécificités ultrasoniques du diabète sans toutefois parvenir à déterminer une quelconque spécificité phénotypique. Les études morphologiques tendaient à montrer une épaisseur et une masse myocardiques supérieures indépendamment de l’existence d’une hypertension en particulier, mais aucune anomalie spécifique en termes d’indices classiques de fonction systolique. Il a fallu attendre l’avènement de l’étude de la déformation myocardique pour démontrer que le diabète de type 2 est associé à une diminution infraclinique et modérée du strain longitudinal en particulier, mais aussi radial(3). Cette méthode de mesure devenue très sensible, maintenant embarquée sur les échographes, est une possibilité offerte d’approcher les anomalies physiopathologiques décrites plus haut (figure 1). Toujours en échographie, la prévalence des anomalies de fonction diastolique est considérée comme bien plus élevée en cas de diabète. Néanmoins, la forte prévalence d’éléments confondants tels que l’hypertension artérielle, l’obésité et une forte pénétrance de la maladie coronaire épicardique et microvasculaire fragilisent cette affirmation. En effet, la dysfonction diastolique, longtemps considérée comme le premier marqueur de l’atteinte diabétique, est souvent absente alors même que l’atteinte systolique infraclinique décrite plus haut est déjà présente(4). Figure 1. Principaux mécanismes physiopathologiques observés dans le développement de la cardiopathie diabétique. L’IRM cardiaque est aujourd’hui l’outil de référence le plus puissant pour l’étude de l’architecture, de la composition tissulaire et de la fonction myocardique. Si elle ne permet pas d’étudier la fonction diastolique, l’IRM est capable d’approcher les anomalies de fonction systolique comme le font les ultrasons, mais avec l’avantage d’une meilleure résolution spatiale pour une moins bonne résolution temporelle. Parmi les capacités de l’IRM, deux sont assez remarquables dans le cas du diabète : l’étude des anomalies de signal permettant d’identifier une éventuelle fibrose. Dans ce cas, il s’agit non d’une fibrose de remplacement comme après un infarctus, mais d’une fibrose subtile, répartie en plages aléatoires, et dont la localisation est souvent corrélée avec celle des plages de dysfonction systolique régionale. L’étude par IRM de spectroscopie du contenu myocardique en triglycérides a fait l’objet de nombreuses publications, et donné naissance à un nouveau concept, celui de « stéatose cardiaque ». Le contenu myocardique en triglycérides est augmenté dans le diabète de type 2 et associé à la présence d’une dysfonction diastolique(5). Figure 2. Approche des anomalies fonctionnelles par Speckle Tracking Echocardiography. L’altération modérée et homogène du strain longitudinal du myocarde diabétique (A) en comparaison d’un strain longitudinal non altéré chez un patient non diabétique. Les paramètres systoliques classiquement utilisés, en particulier la FEVG, ne sont pas différents chez ces deux patients (63 vs 65 % respectivement). Traitement du diabète, modifications fonctionnelles et insuffisance cardiaque Quel est l’impact des traitements « antidiabétiques » sur la fonction cardiaque et sur le risque d’insuffisance cardiaque ? L’étude de l’impact des traitements antidiabétiques ou du moins des traitements hypoglycémiants sur l’analyse fonctionnelle du myocarde est quasi inexistant dans la littérature. Le chapitre le plus complet concerne bien entendu les glitazones, dont la sécurité d’emploi a été longtemps débattue du point de vue du risque d’insuffisance cardiaque, avant qu’elles ne soient retirées du marché en France pour d’autres raisons. S’il y avait un bénéfice cardiovasculaire à son utilisation (étude Pro-active), le risque de décompensation cardiaque était majoré pas un mécanisme de rétention hydrosodée, et non d’un effet propre sur la fonction myocardique. Il n’y a pas aujourd’hui d’étude spécifique permettant de juger de l’impact direct des hypoglycémiants sur la fonction myocardique. Impact du contrôle glycémique sur la fonction cardiaque et le risque d’insuffisance cardiaque Il est légitime de s’interroger sur l’impact du contrôle glycémique indépendamment de la classe utilisée quand on sait qu’un mauvais contrôle glycémique est associé à l’augmentation du risque d’insuffisance cardiaque. Alors, glycémie témoin ou coupable ? Une petite étude de bonne qualité a montré qu’un meilleur contrôle glycémique s’associait à une amélioration du strain longitudinal(6). Cependant, les différents essais d’intervention sur le contrôle glycémique permettent d’envisager de façon assez formelle l’absence d’impact significatif d’un contrôle intensif sur le risque de développer une insuffisance cardiaque(7). Ces éléments suggèrent que les mécanismes conduisant à l’insuffisance cardiaque chez le diabétique de type 2 ne passent donc pas uniquement par une glucotoxicité directe, mais aussi par l’atteinte systémique et les comorbidités associées. Ils suggèrent également que les stratégies thérapeutiques ciblant le métabolisme glucidique cellulaire sont potentiellement à l’origine d’effets indésirables sévères. Depuis peu, cette déception relative est à tempérer puisque pour la première fois dans l’histoire du diabète de type 2, un hypoglycémiant permet de réduire l’incidence de l’insuffisance cardiaque. Il s’agit de l’empagliflozine, molécule glycosurique dont l’objectif est la baisse glycémique par ce biais. Cette molécule a également des propriétés natriurétiques qui pourraient expliquer l’impact pronostique observé. Reste à savoir si parmi les mécanismes éventuellement associés se trouve un effet « cardioprotecteur », ce qui à ce jour, n’est pas une hypothèse envisagée. Il est notable que cette dernière classe thérapeutique, à la différence des autres antidiabétiques, n’agit pas directement sur le métabolisme glucidique dans le compartiment cellulaire mais entraîne une baisse de la glycémie systémique. Impact des traitements « satellites » La protection myocardique, étant envisagée ici comme toute intervention permettant de limiter l’évolution des anomalies infracliniques vers des stades plus avancés d’insuffisance cardiaque, trouve essentiellement réponse dans les thérapeutiques associées. Les antidiabétiques, à part l’empagliflozine, et le contrôle glycémique ont plus haut montré leurs limites. Le blocage du système rénine-angiotensine et plus largement le contrôle tensionnel sont certainement les armes les plus efficaces. Néanmoins, dans l’étude ADVANCE en particulier, le blocage systématique du SRAA en combinaison avec l’indapamide permettait de réduire la masse ventriculaire gauche, mais n’avait pas d’impact sur l’incidence de l’insuffisance cardiaque. En pratique Le pronostic cardiovasculaire du patient diabétique de type 2 est en partie médié par un risque accru d’insuffisance cardiaque. Si le rationnel physiopathologique est bien établi et largement étudié, la traduction phénotypique à l’échelle du patient n’est pas tellement spécifique, intriquée avec les comorbidités associées. Les études en imagerie fine ont encore leur place à trouver pour l’identification et le traitement des patients à risque. Enfin, le contrôle glycémique et la plupart des hypoglycémiants n’ont pas d’impact pronostique net, mais l’arrivée d’une nouvelle classe thérapeutique (gliflozines) redonne un peu d’espoir dans la prévention du syndrome d’insuffisance cardiaque chez le patient atteint de diabète de type 2. De nouvelles stratégies thérapeutiques combinant nos connaissances concernant la physiopathologie et la détection de la cardiopathie diabétique sont à développer. Nous émettons l’hypothèse qu’une intervention précoce ciblant certains mécanismes (glycation, métabolisme oxydatif, inflammation, etc.) chez des patients présentant un phénotype infraclinique de cardiopathie diabétique pourrait retarder, voire inhiber l’apparition de la cardiopathie.

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