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Valvulopathies

Publié le 05 oct 2014Lecture 9 min

Le rétrécissement valvulaire aortique est-il un phénomène purement athéroscléreux ?

D. MESSIKA-ZEITOUN, Service de cardiologie et Inserm U698, hôpital Bichat, Paris

La sténose aortique est liée à l’accumulation progressive de dépôts calciques (cristaux d’hydroxyapatite) aboutissant à une diminution de la surface fonctionnelle et structurale de l’orifice aortique, et donc à un obstacle à l’éjection ventriculaire gauche. Pendant longtemps, la sténose aortique a été considérée comme un processus dégénératif « d’usure de la valve » lié à l’âge, mais cette conception est largement remise en cause. De multiples études cliniques et expérimentales montrent, en effet, que la sténose aortique est un processus actif de remodelage tissulaire pathologique biologiquement régulé.
Toutefois, les facteurs à l’origine de l’apparition et de la progression de la sténose aortique sont encore mal compris. Nous présentons, dans cette revue, les similitudes, mais également les différences entre sténose aortique et athérosclérose et les autres pistes physiopathologiques en cours d’évaluation.

Rétrécissement aortique et athérosclérose   Similitudes histologiques Les lésions histologiques observées au stade précoce de la sténose aortique sont comparables à celles notées dans l’athérosclérose, en particulier coronaire, et associent un infiltrat de cellules inflammatoires (principalement macrophages et lymphocytes), des dépôts de lipoprotéines, une accumulation de protéines de la matrice extracellulaire et des calcifications(1). Sous l’effet de stimuli encore à définir, se produit une infiltration de lipoprotéines plasmatiques au sein de la valve. Ces lipoprotéines subissent un processus d’oxydation et pourraient être à l’origine d’une cascade d’événements : expression de molécules d’adhésion par l’endothélium, sécrétion d’agents chimiotactiques responsables de l’afflux de cellules inflammatoires, modification des protéines et récepteurs membranaires exprimés par les myofibroblastes à l’origine de corps apoptiques servant de lit (nidus) au processus de calcification, différenciation des myofibroblastes valvulaires en cellules présentant un phénotype similaire à celui des cellules osseuses ostéoblastiques(2), sécrétion des protéines de la matrice extracellulaire osseuse et sécrétion de métalloprotéinases par les cellules inflammatoires(3).   L’inflammation dans la sténose aortique Des données histologiques et cliniques suggèrent que la sténose aortique peut être, au moins en partie, un processus inflammatoire comme l’athérosclérose. Au plan histologique, des cellules inflammatoires, principalement lymphocytes et macrophages, sont recrutées (figure). Des cytokines pro-inflammatoires sont également présentes (TNF α, IL1 β). Au plan clinique, il a été observé une élévation du taux de CRP chez les patients présentant une sténose aortique comparativement à des sujets contrôles(4). Une diminution de la CRP a également été retrouvée à 6 mois en postopératoire. Toutefois, la littérature est discordante. Dans la Cardiovascular Health Study, aucune association de la CRP avec la présence d’une sclérose (ou sténose aortique) ou avec la progression des lésions n’était notée(5). Dans la cohorte de Framingham, il n’existait pas non plus d’association entre marqueurs de l’inflammation et lésions valvulaires aortiques après ajustement pour les facteurs de risque cardiovasculaire(6).   Coupes histologiques d’une valve normale et d’une valve calcifiée Figure 1. Coupes histologiques d’une valve normale (A) et de celle d’un patient opéré pour une sténose aortique sévère (B à D). Noter les calcifications (B), la métaplasie osseuse (C) et l’importance de l’infiltrat inflammatoire et la néovascularisation (D).   Association aux facteurs de risque cardiovasculaire L’implication des facteurs de risque cardiovasculaire et l’existence d’un lien entre sténose aortique et athérosclérose ont été évoquées dès le début des années 80. Dans la Cardiovascular Health Study(7), sur un échantillon représentatif de 5 201 participants âgés de 65 ans et plus, l’incidence de la sclérose aortique (remaniement des sigmoïdes aortiques à l’échocardiographie sans sténose hémodynamique) était de 26 % et celle de la sténose de 2 %. Les facteurs associés à la présence d’une sclérose ou d’une sténose aortiques étaient l’âge, le sexe, le tabac (non sevré), l’hypertension, l’élévation de la Lp(a) et du LDL-cholestérol. Dans une autre étude de population portant sur plus de 6 500 participants(8), la prévalence des calcifications aortiques mesurées par scanner était plus élevée en cas de syndrome métabolique et augmentait avec le nombre de composantes du syndrome métabolique. Le syndrome métabolique pourrait être associé à une progression plus rapide de la sclérose aortique(9). Toujours dans la Cardiovascular Health Study, après ajustement pour l’âge et les facteurs de risque, la sclérose aortique était associée à une surmortalité coronaire de près de 50 % (y compris chez les participants sans pathologie cardiovasculaire connue)(10). Puisque la lésion de la valve aortique, non significative au plan hémodynamique, ne pouvait expliquer de telles conséquences, il a été suggéré que la sclérose aortique était un marqueur d’athérosclérose coronaire.   Rôle des lipides Plusieurs études ont évalué le rôle des lipides dans la progression des calcifications ou de la sténose aortique. Les résultats sont contradictoires. Le cholestérol pourrait être associé à l’acquisition de calcifications valvulaires aortiques, mais pas à leur progression(11). Au plan expérimental, chez le lapin, un régime enrichi en cholestérol est responsible d’un épaississement valvulaire, mais ne semble capable d’induire des calcifications valvulaires que lorsqu’il est associé à la vitamine D(12). Les statines, puissants hypocholestérolémiants, ont prouvé leur efficacité dans la maladie coronaire dans de nombreuses études de mortalité. Les similitudes avec l’athérosclérose ont conduit à évaluer leur efficacité dans la sténose aortique. Les principales études sont rapportées dans le tableau. Toutes les études rétrospectives sont positives : diminution de la progression de la sténose aortique - sur- face valvulaire ou degré de calcification. À l’inverse, toutes les études prospectives sauf une, non randomisée, sont négatives.   L’étude SALTIRE (Scottish Aortic Stenosis and Lipid Lowering Trial, Impact on Regression)(13) a randomisé en double aveugle 156 patients présentant un pic transvalvulaire > 2,5 m/s (80 mg d’atorvastatine versus placebo). Malgré une franche diminution du taux de LDL-cholestérol dans le groupe recevant une statine, il n’a pas été observé de différence sur la progression du gradient transvalvulaire transaortique en échographie ou sur la progression du score calcique mesuré en scanner entre les groupes statine et placebo. L’étude RAAVE (Rosuvastatin Affecting Aortic Valve Endothelium trial)(14) a inclus 121 patients présentant une sténose valvulaire aortique modérée à sévère traités par rosuvastatine en fonction de leur taux de cholestérol initial. Si le taux de LDL-C était > 130 mg/dl, ils recevaient 20 mg de rosuvastatine, s’il était < 130 mg/dl, ils recevaient le placebo. Les patients traités par rosuvastatine ont présenté une moindre augmentation des vitesses du flux transvalvulaire aortique comparativement au groupe placebo, mais l’étude n’était pas randomisée. L’étude SEAS (Simvastatin and Ezetimide in Aortic Stenosis)(15)a inclus plus de 1 800 patients et n’a mis en évidence aucun effet de 40 mg de simvastatine plus 10 mg d’ézétimibe en double aveugle versus placebo sur la progression de la sténose aortique et le nombre d’événements liés à celle-ci. De même, l’étude ASTRONOMER (Aortic Stenosis Progression Observation Measuring Effects Rosuvastatin)(16) (40 mg de rosuvastatine versus placebo), dont la particularité était d’avoir une population significativement plus jeune avec 50 % de bicuspides, n’a mis en évidence aucun effet du traitement hypolipémiant. Au vu de ces données, on peut donc conclure que les statines ne ralentissent pas la progression de la sténose aortique et que la sténose aortique per se, en l’absence d’hypercholestérolémie, ne constitue pas une indication aux statines. Certains points restent toutefois en suspens : - Quel est l’intérêt des statines données à un stade très précoce de la maladie (sclérose aortique) ? - Certaines études suggèrent que plus que le taux de cholestérol total ou de LDL, certaines fractions, en particulier LDL oxydées de petite taille, sont plus spécifiquement impliquées dans la physiopathologie de la sténose aortique(17). Différences avec l’athérosclérose Outre le rôle controversé du cholestérol et l’absence d’efficacité des statines, il existe d’autres différences importantes avec l’athérosclérose. La plupart des patients coronariens n’ont pas de sténose aortique et plus de la moitié de ceux présentant une sténose aortique sévère n’ont pas de lésions coronaires significatives. Ainsi, si sténose aortique et athérosclérose coronaire partagent certains facteurs favorisants (ou causaux), elles n’évoluent pas de manière parallèle, ce qui suggère des mécanismes physiopathologiques différents. Au plan biologique, alors que les cellules rencontrées majoritairement dans la paroi artérielle sont les cellules musculaires lisses, elles sont absentes dans les valves où, à l’inverse, les myofibroblastes sont majoritaires. Cette différence est importante car les myofibroblastes présentent des propriétés biologiques particulières : elles sécrètent plus de matrice collagène que les cellules musculaires lisses, expriment fortement l’enzyme de conversion de l’angiotensine, le facteur tissulaire... De plus, aucun phénomène de « rupture de plaque » ou de thrombus n’a été mis en évidence dans la sténose aortique. Enfin, les valves sont le tissu le plus mécaniquement contraint de l’organisme et sont soumises à chaque battement à d’importantes variations de flux et de pression. L’importance de ces facteurs mécaniques est probablement largement sous-estimée.   Autres pistes physiopathologiques   Le système rénine-angiotensine Il a été mis en évidence in situ la présence d’enzymes de conversion de l’angiotensine, d’angiotensine II et de récepteurs AT-1, suggérant que ce système est actif au niveau des valves aortiques pathologiques. L’angiotensine II présente de nombreuses propriétés, en particulier pro-inflammatoires, qui pourraient intervenir dans la physiopathologie de la sténose aortique. Seules deux études ont évalué l’effet des inhibiteurs du système rénine-angiotensine sur la progression de la sténose aortique, mais elles sont rétrospectives et leurs résultats contradictoires(18,19). Des études prospectives et randomisées sont donc nécessaires.   Rôle potentiel des métalloprotéinases matricielles La sténose aortique se caractérise par une désorganisation complète de l’architecture tissulaire de la valve. Ces lésions associent, à des degrés divers, des plages de fibrose, une désorganisation des faisceaux de collagène et fibres élastiques, une néovascularisation, des infiltrats inflammatoires, des cristaux de cholestérol et, bien sûr, des zones de calcification pouvant aller jusqu’à la métaplasie osseuse (figure). Les métalloprotéinases matricielles (MMPs) sont des enzymes participant à la dégradation de la matrice extracellulaire. Notre groupe a évalué l’expression de différentes MMPs et de leurs inhibiteurs, les TIMPs, dans la sténose aortique. Nos résultats suggèrent l’implication de ce système dans le remodelage valvulaire de la sténose aortique et permettent d’établir un lien entre inflammation et remodelage valvulaire (augmentation des MMPs sécrétées par les cellules de l’inflammation)(20).   Facteurs génétiques Plusieurs études suggèrent l’influence de facteurs génétiques dans la sténose aortique, mais les données dont nous disposons restent encore limitées. Celle-ci pourrait se faire à différents niveaux : Facteurs génétiques de susceptibilité. Une association avec un polymorphisme des gènes du récepteur de la vitamine D, de l’apolipoprotéine E, du récepteur α aux estrogènes ou du TGF β a ainsi été retrouvée. Toutefois, toutes ces études reposent sur de petits effectifs. Études familiales. Sur deux familles, une mutation sur le gène NOTCH1 à l’origine du développement d’une sténose aortique sur valve bi- et tricuspide (associée à d’autres malformations cardiaques) a été mise en évidence, et la voie de signalisation intracellulaire précisée(21). C’est à ce jour la seule mutation connue associée à la sténose aortique. Des cas familiaux de sténose aortique sur valve tricuspide ont également été mis en évidence(22). Dans la région de Nantes, 5 familles ont ainsi été identifiées. Le ou les gènes responsables ne sont pas connus à ce jour. Facteurs anatomiques. La bicuspidie constitue fréquemment le substratum anatomique sur lequel survient la sténose aortique. Elle représenterait plus de 50 % des sténoses aortiques opérées. La bicuspidie est, en effet, associée à une sténose aortique accélérée, et son déterminisme semble essentiellement génétique.   Rétrécissement aortique et remodelage osseux Il est intriguant de noter avec l’âge une diminution de la masse osseuse contrastant avec l’existence de calcifications ectopiques, en particulier valvulaires. Certaines données très préliminaires suggèrent un lien entre les deux phénomènes et nécessitent de plus larges investigations. Un déficit en inhibiteurs circulants ou tissulaires de la minéralisation a également été évoqué, mais reste à démontrer.   Conclusion   La sténose aortique présente d’importantes similitudes histologiques et cliniques avec l’athérosclérose. Toutefois, il ne s’agit pas à l’évidence d’un phénomène purement athéroscléreux : le rôle du cholestérol est controversé, les statines se sont révélées décevantes et le parallélisme clinique entre l’atteinte vasculaire athéromateuse et la sténose aortique est très modeste. Ainsi, même si des progrès ont été accomplis dans la compréhension de la physiopathologie de la sténose aortique, de nombreuses inconnues demeurent et constituent un enjeu thérapeutique majeur. Nous avons mis en place à l’hôpital Bichat, depuis novembre 2006, une cohorte de patients présentant une sténose aortique dont l’objectif est de mieux comprendre les déterminants de la progression de la sténose aortique (étude COFRASA-PHRC et dotation de recherche SFC/FFC). Les critères d’inclusion sont simples : patient asymptomatique présentant une sténose au moins minime définie par un gradient ≥ 10 mmHg. Si vous souhaitez participer à cette étude et nous aider ou pour tout autre renseignement complémentaire, n’hésitez pas à nous contacter : david.messika-zeitoun@bch.aphp.fr

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