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L'ESPRIT DE LUGDUNUM

Publié le 25 mar 2022Lecture 4 min

Et vous, combien d’étoiles au Michelin ?

Patrick LERMUSIAUX, service de chirurgie vasculaire et endovasculaire, Hospices civils de Lyon, CHU de Lyon

Rappelez-vous la dernière fois qu'un couple d'amis ou parents vous a raconté ses dernières vacances. Au départ tout se passe très bien, mais très rapidement apparaissent des dissensions dans la narration. Il peut s'agir de l'ordre des visites, de la couleur des bâtiments, du nom des villes... et souvent la dispute n'est pas loin. En réalité, tout ceci est normal.

En effet, nos capacités de mémorisation sont particulièrement médiocres. L’homme, qui a cette capacité à développer des outils, va pouvoir heureusement fabriquer des béquilles à sa défaillance neuronale, sous forme de textes, photographies et vidéos. Ainsi, si vous voulez être sûr qu’un événement heureux soit mémorisé, il vous faut créer l’événement. Le mariage en est un bon exemple. Si vous n’êtes pas orthodontiste ou ophtalmologue, allez dans un restaurant étoilé : il en restera quelque chose d’assez exceptionnel, qui sera mémorisé, du moins en partie. Ce jour-là, vous allez payer particulièrement cher, et vous attendez évidemment que tout soit parfait, ce d’autant plus que vous invitez un être cher. Tout cela pour vous dire que je suis particulièrement admiratif de ces grands chefs. Leur formation ressemble beaucoup à la nôtre. Les futurs chefs vont passer par tous les stades de la préparation culinaire, de l’épluchage des légumes aux différentes cuissons, réalisation des sauces, des desserts, jusqu’à la plonge. Aussi, ils feront un inter-CHU, et iront voir travailler d’autres chefs réputés, et souvent même une mobilité, en particulier au Japon. Comme les jeunes chirurgiens, ils commettront parfois des erreurs, et tomberont régulièrement sur des patrons au caractère gratiné. La grande majorité d’entre eux ne s’est pas éternisée sur les bancs de l’école. Ils n’ont pas fait HEC, n’ont pas un DU d’hygiène, ni un DESS qualité, ni une maîtrise de management. Dès l’accueil, le sourire est charmant, le décor raffiné. La nappe est repassée, les couverts soigneusement disposés. Les plats se succèdent avec toujours plus d’innovation. Jamais vous n’auriez pu penser qu’il soit possible de vous bluffer avec des betteraves ou des lentilles ! La cuisson et les températures sont parfaites. Les vins s’accordent magistralement. « Être toujours innovants » Ces chefs brillants sont condamnés à être toujours innovants. Tout doit être parfait quel que soit le jour de l’année, et les humeurs des différentes personnes de son équipe, sans compter les clients acariâtres. Ce sont même des hommes d’affaires qui vont faire rayonner leur savoir-faire aux quatre coins du monde, tout comme l’équipe chirurgicale qui arrive à publier dans des grandes revues internationales. Alors comment font-ils, quel est leur secret ? J’aimerais tant que nous soyons capables de reproduire leur modèle dans nos structures de soins ! Récemment j’ai amené l’un de mes proches, pour une douleur aiguë de la hanche, au service des urgences et j’ai pu constater qu’il n’y avait aucune étoile ici. Dès mon arrivée la personne à l’accueil m’a tancé, bien sûr j’aurais dû aller voir un médecin généraliste (qui à son tour nous aurait adressé aux urgences pour réaliser une radio). J’ai eu la chance de partager le récit des vacances des brancardiers puis les différents états d’âme des manipulateurs radio, pour affronter finalement un médecin à l’humeur assassine que j’ai réussi à adoucir que très partiellement en sortant mon joker : et oui nous sommes confrères ! Imaginez-vous être l’un des patients de votre service, se confrontant d’emblée à la file d’attente de l’accueil jusqu’à la chambre double avec un voisin entouré d’une famille particulièrement bruyante. La prise en charge au bloc opératoire se fera peut-être avec retard (je n’évoque même pas le cas où l’intervention sera carrément annulée après 10 heures de jeûne). À peine si j’ose mentionner une anesthésie locale ou locorégionale qui ne s’avère que partiellement efficace, une indication et une réalisation chirurgicale discutable. Attention, je reste optimiste, certains patients envoient des lettres d’encouragements : « merci, tout était parfait ! ». « Diriger son équipe et être évalué sur ses résultats » La force d’un chef cuisinier, comme celle d’un chef d’orchestre, de n’importe quel chef en général, est de diriger son équipe et d’être évalué sur ses résultats. Pour quelle raison étrange la médecine a changé de paradigme ? Actuellement, un chef de service de chirurgie n’a d’influence que sur ses internes et assistants, qui justement ne posent pas de problème. Tous les autres intervenants dépendent de systèmes hiérarchiques différents sur lesquels il n’a aucun pouvoir. Alors, comment faut-il faire, pour obtenir, malgré tout, des étoiles. La prise en charge du patient doit être rigoureuse, y compris dans les détails, et empathique. Il ne doit pas y avoir de maillon faible dans l’équipe. Il vous faut transmettre votre savoir au plus jeunes en discutant les dossiers, en les aidant régulièrement au bloc opératoire, et enfin, vous vous devez d’être innovant. Alors, êtes-vous un chirurgien étoilé ?

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