Publié le 15 oct 2023Lecture 7 min
L’évaluation fonctionnelle virtuelle coronaire doit se développer
Romain DIDIER, Clément BENIC, Pierre Philippe NICOL, Sinda HANNACHI, Martine GILARD, service de cardiologie, Centre hospitalier régional universitaire de Brest
La prise en charge des patients porteurs de lésions coronaires stables intermédiaires (comprises entre 50 et 70 %, hors tronc commun) a considérablement été modifiée durant ces dernières années avec une priorisation de l’évaluation fonctionnelle par rapport à une évaluation anatomique seule.
Cette évaluation physiologique peut être réalisée en amont de la coronarographie par des tests non invasifs de stress ou d’effort couplés à un examen d’imagerie (comme l’IRM, l’échographie ou la scintigraphie myocardique). Cependant l’évaluation fonctionnelle peut également être réalisée de façon invasive par la fractional flow reserve (FFR), avec la mise en place d’un guide de pression intracoronaire durant la coronarographie, afin de guider le cardiologue interventionnel dans la prise en charge des lésions intermédiaires stables à revasculariser ou à médicaliser. Bien que la revascularisation coronaire guidée par la FFR a largement démontré sont impact sur la réduction des événements cardiovasculaires majeurs et reste le gold standard(1,2), son utilisation reste insuffisante dans la pratique quotidienne. Plusieurs facteurs limitant la diffusion de la FFR ont pu être identifiés, tel que le prix des guides et de leur remboursement, l’augmentation de la durée de la procédure, l’induction d’une hyperhémie et le risque de lésions coronaires. Ainsi, de nouvelles technologies d’évaluation physiologique facilitée, basées sur l’analyse de l’angiographie coronaire n’utilisant pas de guide de pression, ont vu leur apparition en salle de coronarographie pour tenter de couvrir ces limitations. Nous détaillerons ici les principales données de la littérature, les avantages en pratique courante et les principales limites.
PRÉREQUIS DE L’ÉVALUATION FONCTIONNELLE CORONAIRE
L’évaluation fonctionnelle des lésions coronaires n’est valide que dans le cadre de lésions coronaires stables. En effet, les lésions coronaires instables sont plus à risque d’événements ischémiques qui ne peuvent pas être prédits par un test fonctionnel. Le contexte clinique, biologique et les caractéristiques morphologiques de la lésion à étudier doivent être pris en compte pour déterminer le caractère stable d’une lésion coronaire.
LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES
Plusieurs logiciels disponibles sur le marché permettent de donner une évaluation fonctionnelle coronaire :
– QFR : Quantitative Flow Ratio (Medis Medical Imaging distribué par Biotronik France) ;
– vFFR (Pie Medical Imaging) : vessel fractional flow reserve ;
– CaFFR (RainMed) : Computational pressure-flow dynamics derived FFR ;
– FFR angio (CathWorks) : angiography-derived FFR ;
– µFR® (Pulse Medical) : Murray law-based FFR.
Ces logiciels prennent en considération trois facteurs pour obtenir un index fonctionnel coronaire :
• la reconstruction 3D à partir de l’angiographie ;
• les conditions spécifiques d’écoulement du flux coronaire (résistances microvasculaires, pression aortique) ;
• une équation mathématique de mécanique des fluides.
À noter que la plupart des logiciels disponibles actuellement, excepté la µFR®, utilisent au minimum deux incidences angiographiques ce qui permet de limiter le risque d’erreur. En effet, 60 % des lésions coronaires étant excentriques, une évaluation à partir d’une seule incidence pourrait entraîner une sur- ou sous-estimation de la gravité des lésions(3).
LES DONNÉES DE LA LITTÉRATURE
À ce jour, parmi les logiciels d’évaluation fonctionnelle dérivée de l’angiographie, la QFR est celle qui possède le plus de données scientifiques.
L’étude FAVOR(4) a été la première à comparer QFR et FFR, retrouvant, chez 73 patients, une bonne corrélation avec la FFR (r = 0,77 ; p < 0,001), avec une précision diagnostique pour une FFR ≤ 0,80 de 80 %.
Les études FAVOR II China(5), FAVOR II Europe-Japan(6), et WIFI II(7) viennent renforcer ces résultats, en retrouvant une très bonne précision diagnostique estimée entre 83 et 92,7 % de la QFR en comparaison à la FFR chez un nombre plus important de patients.
Une méta-analyse récente, comprenant 16 études, retrouve une sensibilité de 0,85, une spécificité de 0,90, une valeur prédictive positive de 0,80 et une valeur prédictive négative de 0,92 de la QFR en comparaison à la FFR. Enfin, l’étude FAVOR III China(8), sur un effectif de 3 847 patients, vient démontrer la supériorité de la QFR en comparaison à l’angiographie seule pour guider la revascularisation coronaire, en termes de MACE (mortalité toute cause, infarctus du myocarde, revascularisation guidée par recherche d’ischémie) avec un hazard ratio à 0,65 (IC 95 % : 0,51-0,83 ; p = 0,0004).
TECHNIQUE DE RÉALISATION
La QFR dérive d’un modèle mathématique basé sur la dynamique des fluides permettant, grâce à la reconstruction en trois dimensions d’un vaisseau couplée à l’analyse de l’avancée du produit de contraste iodé (PDCi) dans la coronaire, d’estimer le débit coronaire. Ce débit coronaire obtenu en présence de lésion(s) (Qd) est rapporté au débit coronaire qui devrait exister au sein de cette même coronaire en absence de lésions (Qa), ce qui fournit la valeur de QFR (QFR = Qd/Qa). Une lésion est dite fonctionnellement significative pour une valeur de QFR ≤ 0,80.
EN PRATIQUE
Les acquisitions sont réalisées lors d’un examen de coronarographie après l’injection intracoronaire de dérivés nitrés.
Les étapes permettant la réalisation de la QFR
1/ L’acquisition de deux séquences angiographiques avec un angle supérieur à 25° l’une de l’autre, avec un cathéter de 5 F minimum (débit minimal de PDCi de 3 ml/s, cadence image minimale de 12,5 images par seconde) (figure 1).
Figure 1. Acquisition de deux séquences angiographiques avec un angle supérieur à 25° après injection de dérivés nitrés intracoronaire. Étude d’une lésion de l’interventriculaire antérieure (IVA) proximale.
2/ Sélection de la séquence en diastole pour visualisation maximale du PDCi guidée par l’électrocardiogramme ou par intelligence artificielle en cas d’artéfact (figure 2).
Figure 2. Sélection de l’image en diastole (guidée par intelligence artificielle devant la présence d’artéfact de l’électrocardiogramme) avec un remplissage vasculaire le plus complet possible par le PDCi.
3/ Réalisation d’une correspondance entre les deux incidences (en général, une bifurcation) (figure 3).
Figure 3. Réalisation du point de correspondance entre les deux acquisitions : ici, une trifurcation entre l’IVA, une branche septale et une petite branche diagonale.
4/ Définition du point proximal et distal du segment de coronaire à étudier permettant de contourer automatiquement le vaisseau, en y apportant des modifications manuelles si nécessaire (figure 4).
Figure 4. Détermination du point proximal et distal de l’artère à étudier, et correction du contour automatique de l’artère. Ici, correction d’un chevauchement de l’IVA avec une branche marginale (premier point), puis de l’IVA avec une branche septale (second point).
5/ Enfin l’analyse automatique du front de PDCi permettant de déterminer le moment à partir duquel le produit de contraste atteint la partie proximale et distale du segment de coronaire à étudier (frame counting), permettant de définir le flux intracoronaire et, par conséquent, le débit, ainsi que la valeur de QFR (figure 5).
Figure 5. À gauche, obtention du résultat final de QFR pour l’artère à étudier (QFR = 0,78), ainsi que la contribution de chaque lésion identifiée (lésions 1 et 2) au résultat final de QFR. À droite, résultat de la FFR réalisée au sein de cette même artère (FFR = 0,75), avec une excellente corrélation avec la QFR.
LES NOUVELLES OPTIONS DE LA QFR DEPUIS LA VERSION 2.2 DE MAI 2023
• La dQFR/ds est la dérivée de la QFR sur la longueur du segment coronaire étudié (le PPG Index étudiant la totalité du vaisseau étudié). Cette nouvelle valeur permet de caractériser l’atteinte diffuse ou focale de l’atteinte lésionnelle artérielle épicardique. Ainsi un dQFR/ds < 0,025 correspond à une atteinte diffuse.
• La QFR-IMR permet l’étude de la microcirculation sans utilisation de guide de pression permettant ainsi de tester les résistances microvasculaires chez les patients présentant de l’angor sans sténose épicardique significative.
• Le 3D-QCA bifurcation permettant une analyse simultanée des différentes branches coronaires de l’arbre vasculaire.
Ses avantages
Elle a l’avantage avant tout de ne pas utiliser de guide intracoronaire, – bien trop souvent un frein en pratique courante à l’utilisation de la FFR – , et elle supprime les risques de déstabilisation de plaque ou de dissection coronaire notamment liées au guide. De plus, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à l’utilisation d’une hyperhémie maximale, avec les risques inhérents potentiels liés à son utilisation (instabilité tensionnelle, troubles conductifs, bronchospasme, etc.), et reste donc utilisable en cas de tension artérielle limite.
L’évaluation fonctionnelle coronaire dérivée de l’angiographie a également l’avantage d’être plus rapide que la FFR et peut être réalisée en direct. Une analyse rétrospective des images peut également être faite. L’évaluation fonctionnelle coronaire dérivée de l’angiographie est d’une aide précieuse pour guider une angioplastie et évaluer son résultat. Par exemple, une valeur de QFR en postangioplastie > 0,90 est associée à un meilleur pronostic clinique.
Cette évaluation permet également de fournir des données précises quant au diamètre, à la longueur d’une lésion, mais aussi de prédire la QFR attendue après revascularisation (residual QFR). Il faut rappeler que les valeurs de diamètres sont des valeurs endoluminales issues de la tomographie par cohérence optique pour la QFR.
Ses limites
Une qualité d’acquisition optimale est impérative. Elle reste encore non validée dans certaines localisations ou particularités anatomiques telles que le tronc commun, les lésions ostiales, les lésions de bifurcations, ou l’analyse des pontages mais les limitations sont en cours d’évaluation clinique et certaines déjà publiées. À noter pour finir que la variabilité inter et intra observateur est légèrement supérieure à celle de la FFR.
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