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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 30 sep 2016Lecture 6 min

Peut-on prescrire un AOD chez un patient de plus de 85 ans en fibrillation atriale ?

É. PAUTAS, A. MONTI, H. LE PETITCORPS, Court séjour gériatrique - Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles Foix (DHU FAST, APHP), site Charles Foix, Ivry-sur-Seine ; Faculté de médecine Pierre et Marie Curie, Université Paris 6e

La prévalence de la fibrillation atriale (FA) augmente avec l’âge. Au moins 10 % des octogénaires sont atteints de FA et ce chiffre augmente entre 10 et 20 % de la population quand on s’intéresse aux patients de plus de 85 ou 90 ans(1). Les anti-vitamine K (AVK), anticoagulants oraux de référence pour la prévention des complications emboliques de la FA, restent sous-utilisés dans cette indication, principalement par crainte de leur risque hémorragique.

Dans la population gériatrique, ce risque hémorragique est surestimé par rapport au risque thrombotique, alors qu’il a clairement été démontré que le rapport bénéficerisque des AVK était en faveur de leur indication en cas de FA chez les patients âgés de plus de 85 ans(2). Ceci tient notamment aux difficultés de gestion des AVK liées à leur marge thérapeutique étroite et à leurs interactions médicamenteuses, notamment chez les patients les plus âgés. Dans ce cadre, les anticoagulants oraux directs (AOD), inhibiteur direct de la thrombine et inhibiteurs directs du facteur X activé, ont des particularités pharmacologiques qui les rendent attractifs par rapport aux AVK : marge thérapeutique plus large, délai d’action rapide, effet rapidement réversible, moins d’interactions médicamenteuses, absence de surveillance biologique. Ces éléments pharmacologiques sont-ils toujours vrais quand on s’intéresse à une population de patients âgés de plus de 85 ans et les données cliniques chez les patients âgés en FA permettent- elles d’utiliser les AOD, et dans quelles conditions ? Données cliniques chez les patients âgés Dans les essais thérapeutiques comparant AOD et warfarine dans la FA, de nombreux patients âgés de plus de 75 ans ont été inclus. Ils représentent 40 % des patients pour le dabigatran, 43 % des patients pour le rivaroxaban, 31 % des patients pour l’apixaban et 40 % des patients pour l’edoxaban. Dans les études RELY (dabigatran) et ROCKET (rivaroxaban), on note même respectivement 22 % et 18 % de patients âgés de 80 ans ou plus, et 650 des patients de ROCKET ont 85 ans ou plus. Sans pouvoir faire de comparaison entre les AOD chez les plus âgés, du fait principalement de populations non homogènes entre les essais, plusieurs métaanalyses de ces essais ont détaillé les résultats en fonction de sous-groupes de patients de plus de 75 ans ou de plus de 80 ans : elles concluent globalement à l’absence d’effet de l’âge sur les résultats en termes de bénéfice antithrombotique et de risque hémorragique(3-5). Il faut cependant relativiser ces résultats en considérant que les patients âgés inclus dans ces études ne sont pas les plus fragiles, ce qui peut être illustré par le fait qu’ils avaient des scores moyens de risque thrombotique (score CHADS en l’occurrence) relativement faibles autour de 2, hormis peut-être pour l’essai ROCKET dans lequel les patients de plus de 75 ans avaient un score CHADS moyen à 3,7. Des données de « vraie vie » sont maintenant publiées sous la forme de résultats de suivi de cohortes ou de registres, majoritairement pour le dabigatran et pour le rivaroxaban pour le moment, compte tenu du plus grand recul d’utilisation. Un très grand nombre de patients de plus de 80 ou 85 ans sont inclus dans ces cohortes ou registres ; cependant, quand les caractéristiques des patients sont détaillées, on note là aussi que les moyennes des scores CHADS sont basses, autour de 2, ce qui permet de considérer que les prescripteurs ont plus volontiers utilisé ces AOD pour des patients âgés parmi les moins polypathologiques. En tenant compte de cet élément, les résultats des AOD dans la « vraie vie » sont très comparables à ceux des essais en termes de risque hémorragique dans les sousgroupes de patients âgés quand ils sont disponibles, hormis peut-être dans deux registres nord-américains, une fréquence d’hémorragies digestives plus importante que dans les essais cliniques(6,7). En résumé, les données cliniques actuelles ne permettent pas de proposer de limitation à l’utilisation des AOD dans la FA sur la seule notion de l’âge du patient. D’autres éléments, que nous allons maintenant aborder, peuvent toutefois être pris en compte. Données pharmacologiques chez les patients âgés Les données pharmacologiques spécifiques aux sujets âgés pour les AOD sont pauvres et se limitent à des petits groupes de sujets de plus de 65 ans pour qui les aires sous la courbe du rivaroxaban et de l’apixaban apparaissent modérément augmentées. Les données sont un peu plus consistantes si l’on s’intéresse plus globalement aux sujets fragiles, en considérant que le reflet de la « fragilité pharmacologique » est la valeur de la clairance de la créatinine évaluée par la formule de Cockcroft. Les AOD ont une part variable d’élimination rénale : autour de 80 % pour le dabigatran et autour de 40 % pour les anti-Xa directs (rivaroxaban, apixaban, edoxaban), en retenant les chiffres par rapport aux doses absorbées de ces médicaments. Pour cette raison, la formule de Cockcroft a été utilisée dans les essais thérapeutiques des AOD comme critère d’exclusion des patients (Cockcroft < 30 ml/min) ou comme critère d’adaptation des posologies, en considérant qu’elle permettait d’évaluer leur degré d’insuffisance rénale (sévère, modérée, absente). Or, cette formule de Cockcroft est peu performante pour évaluer le débit de filtration glomérulaire, mais elle tient compte, en sus de la créatininémie, du poids et de l’âge qui sont deux critères de fragilité habituels en termes d’iatrogénie ; nous pensons donc qu’elle peut être utilisée comme une évaluation de la fragilité pharmacologique des patients, notamment pour les plus âgés. Ainsi, dans les études pharmacologiques des AOD, pour un Cockcroft entre 30 et 50 ml/min, les aires sous la courbe augmentent de façon significative quand elles sont comparées aux chiffres des sujets avec Cockcroft > 50 ml/min : multipliée par 3 pour le dabigatran, augmentée de 50 % pour le rivaroxaban et de 30 % pour l’apixaban. Aucune relation directe ne peut être faite entre ces données pharmacologiques et les données cliniques, notamment sur le risque hémorragique, mais elles permettent toutefois de comprendre des éléments pratiques de maniement des AOD chez les patients fragiles et principalement les sujets les plus âgés(8) : - la clairance de créatinine évaluée par la formule de Cockcroft fonction rénale est toujours à vérifier avant l’utilisation d’un AOD ; - les patients avec Cockcroft < 30 ml/min ont été exclus des essais cliniques ; en conséquence, ce degré d’insuffisance rénale doit à notre avis être considéré comme une contre-indication à l’utilisation des AOD, même si les résumés des caractéristiques des produits (RCP) des anti-Xa évoquent une utilisation possible jusqu’à 15 ml/min ; - des réductions de doses des AOD sont recommandées chez les patients avec Cockcroft < 50 ml/min ; il est donc important de les vérifier systématiquement dans les RCP avant la prescription ; - une réévaluation régulière du Cockcroft est nécessaire, particulièrement chez les sujets âgés volontiers susceptibles de présenter des pathologies intercurrentes affectant leur fonction rénale (déshydratation, traitement diurétique, traitement néphrotoxique, etc.). En pratique La balance bénéfice-risque du traitement anticoagulant chez les plus âgés, qui sont à plus haut risque hémorragique mais aussi à plus haut risque thrombotique, est nettement en faveur du traitement anticoagulant pour les AVK ; elle mérite d’être évaluée dans la vraie vie pour les AOD chez les patients les plus polypathologiques pour lesquels les données restent limitées. On ne peut cependant pas fixer d’âge « limite » pour l’utilisation des AOD dans la FA en se basant sur les données actuelles des essais et des suivis de cohortes. La surveillance clinique doit être accrue chez les plus âgés et les posologies des AOD doivent bien être évaluées, principalement sur le chiffre de clairance de créatinine évaluée par la formule de Cockcroft. Le danger de banalisation d’un traitement anticoagulant dont l’effet n’est plus régulièrement contrôlé biologiquement doit aussi être pris en compte et incite à ne pas négliger l’éducation thérapeutique, a fortiori pour les patients les plus fragiles. Enfin, certains patients âgés, ou leurs médecins, peuvent être rassurés par le fait d’avoir une surveillance biologique régulière, et il est donc important d’avoir leur sentiment au moment du choix entre AVK et AOD à l’initiation d’un anticoagulant oral.  Conflits d’intérêts : Le Pr É. Pautas déclare des interventions dans des sessions de formation ou dans des symposiums organisés par les laboratoires Bayer, Boehringer-Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Daiichi Sankyo, concernant le sujet des anticoagulants oraux chez les patients âgés.

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