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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 31 oct 2015Lecture 9 min

Traitement de la fibrillation atriale par les anticoagulants oraux directs chez le sujet âgé

O. HANON, Hôpital Broca, service de gérontologie 1, Paris

Les anticoagulants oraux directs (AOD) ont démontré leur intérêt pour la prise en charge des malades âgés en FA non valvulaire. Après 75 ans, les essais cliniques et les registres indiquent un bénéfice/risque des AOD supérieur aux AVK, avec en particulier un moindre risque d’hémorragie cérébrale. Leur élimination rénale est un facteur important à prendre en compte pour leur prescription. Une insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine < 30 ml/min selon la formule de Cockcroft) contre-indique leur utilisation. Leur demi-vie plus courte que celle des AVK et l’absence de monitoring imposent une bonne observance thérapeutique.

Pourquoi de nouveaux anticoagulants chez le sujet âgé ?   Depuis plus de 50 ans, le traitement de la fibrillation atriale repose sur les anti-vitamine K (AVK) dont le bénéfice est bien démontré après 75 ans en comparaison au placebo et à l’aspirine(1). Cependant, les AVK sont difficiles à utiliser chez les personnes âgées et représentent la principale cause d’hospitalisations pour iatrogénie en France, à l’origine de 17 000 hospitalisations par an et d’environ 5 000 décès par an. Les propriétés pharmacologiques des AVK expliquent en grande partie leur complexité d’utilisation chez le sujet âgé. En effet, ils possèdent une marge thérapeutique étroite qui rend leur efficacité difficile à obtenir. De nombreuses études ont montré que le TTR (temps dans la zone thérapeutique avec un INR entre 2 et 3) n’était obtenu que dans 50 % des cas. Ceci revient à dire que environ une fois sur deux, le traitement est soit pas assez efficace (INR < 2), soit trop efficace (INR > 3) et expose alors à des risques d’accident ischémique ou hémorragique. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette déstabilisation de l’équilibre de l’INR chez le sujet âgé : les coprescriptions fréquentes, l’existence d’une insuffisance rénale, d’une insuffisance hépatique, d’un régime alimentaire plus ou moins riche en vitamine K ou d’une dénutrition (les AVK étant fortement liés à l’albumine plasmatique, la dénutrition augmente le risque de surdosage). Un travail récent mené par la Société française de gériatrie et gérontologie, a ainsi mis en évidence un TTR seulement de 55 % chez 2 700 sujets vivant en EHPAD, âgés en moyenne de 87 ans, alors que les médicaments étaient pourtant délivrés par le personnel soignant(2). En outre, 25 % des patients avaient présenté au cours des derniers mois un INR > 4,5, les exposants à un risque hémorragique important. Dans ce cadre, de nouveaux traitements anticoagulants ont été développés afin de mettre à disposition des médicaments à large marge thérapeutique, d’utilisation plus simple et avec un profil d’efficacité/tolérance plus favorable.   Les AOD chez le sujet âgé   La particularité des AOD est de bloquer de façon directe un seul composant de la cascade hémostatique (facteur II [dabigatran] ou facteur Xa [rivaroxaban, apixaban, edoxaban]), à l’inverse des AVK qui inhibent la biosynthèse de plusieurs facteurs simultanément (facteurs II, VII, X et IX). De fait, les AOD présentent des propriétés pharmacologiques qui leur confèrent une pharmacocinétique prévisible, permettant une prescription simplifiée sans nécessité de surveillance des facteurs de coagulation ni des plaquettes.   Données des études cliniques avec les AOD dans la FA chez le sujet âgé Depuis 2009, quatre grandes études (RELY(3), ROCKET(4), ARISTOTLE(5), ENGAGE(6)) ont évalué l’intérêt des AOD en cas de FA en comparaison aux AVK. Elles ont été menées sur un très grand nombre de patients (n = 71 683), dont 29 099 ≥ 75 ans. Après 75 ans, les résul tats (tableau 1) indiquent une prévention des AVC, soit meilleure, soit similaire aux AOD en comparaison aux AVK, avec moins d’hémorragies cérébrales sous AOD que sous AVK et un risque d’hémorragie majeure globalement identique aux AVK. Une métaanalyse(7) récente a repris les données de ces 4 études. Globalement, les résultats indiquent un meilleur profil bénéfice/risque des AOD caractérisé par : - une meilleure prévention des AVC en comparaison à la warfarine (réduction significative de 19 % (RR = 0,81, IC95 % : 0,73-0,91 ; p < 0,0001) ; - moins de risque d’hémorragie cérébrale (réduction significative de 52 %, RR = 0,48, IC95 % : 0,39-0,59 ; p < 0,0001) ; - moins de risque de décès (réduction significative de la mortalité de 10 %, RR = 0,90, IC95 % : 0,85-0,95 ; p = 0,0003). En revanche, une augmentation des hémorragies digestives (non fatales) est rapportée sous AOD (augmentation de 25 %, RR = 1,25, IC95 % : 1,01-1,55 ; p = 0,04). Ces résultats sont observés quel que soit l’âge des patients (< ou > 75 ans), soulignant l’intérêt des AOD après 75 ans. Une autre métaanalyse(8) a été menée uniquement chez les patients âgés de plus de 75 ans dans les essais ayant évalué le dabigatran, le rivaroxaban ou l’apixaban (n = 25 031). Les résultats retrouvent une supériorité des AOD sur la prévention des AVC et/ou des embolies systémiques en comparaison aux AVK, caractérisée par une réduction significative des événements de 35 % (RR = 0,65, IC95 % : 0,48-0,96) et un risque d’hémorragie majeure similaire (RR = 1,02, IC95 % : 0,73-1,43). Point majeur, après 75 ans le risque d’hémorragie cérébrale apparaît diminué sous AOD en comparaison aux AVK(9). Au vu de ces résultats, les recommandations de la Société européenne de cardiologie(10) proposent l’utilisation des AOD en première intention en raison d’un bénéfice clinique net favorable par rapport aux AVK. Au total, ces résultats sont séduisants pour l’utilisation des nouveaux anticoagulants chez le sujet âgé. Cependant, même si les essais ont inclus près de 8 000 sujets de plus de 80 ans, peu de patients « gériatriques » très âgés, polypathologiques, à haut risque de décompensation aiguë, ont été randomisés dans ces études. Dans ce cadre, un registre observationnel en « vie réelle » (registre SAFIR) a débuté en France, avec comme objectif la surveillance et les déterminants du risque hémorragique sous AOD après 80 ans chez des sujets suivis dans des structures de gériatrie.   Données des études « en vie réelle » avec les AOD dans la FA chez le sujet âgé Plusieurs données de registres sont désormais disponibles pour évaluer l’efficacité et la tolérance des AOD en « condition réelle d’utilisation » afin d’estimer leurs effets « dans la vraie vie » chez des sujets non sélectionnés, et potentiellement différents des patients inclus dans les essais thérapeutiques (en termes d’âge, de comorbidités, d’observance, de comédications, etc.). La force de ces études vient du fait qu’elles sont pour la plupart d’entre elles, produites par des organismes indépendants de l’industrie pharmaceutique, par exemple : - la FDA (Food Drug Association) aux États-Unis ; - la CNAMTS (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés) et l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) en France.   Étude des Veterans (FDA)(11) Étude menée par la FDA qui porte sur une très large population de sujets américains (n = 134 414) âgés de plus de 65 ans, ayant initié un traitement anticoagulant pour une FA, entre octobre 2010 et décembre 2012, soit par du dabigatran soit par de la warfarine. Cette cohorte a pour particularité d’inclure un nombre très important de sujets âgés : n = 57 345 âgés de 75 à 84 ans ; n = 21 308 âgés ≥ 85 ans. Les résultats retrouvent des résultats similaires à ceux issus des essais randomisés caractérisés par (tableau 2) : - une meilleure prévention des AVC sous dabigatran en comparaison à la warfarine (réduction significative de 20 % (RR = 0,80, IC95 % : 0,67-0,96 ; p = 0,02) ; - moins de risque d’hémorragie cérébrale sous dabigatran que sous warfarine (réduction significative de 66 %, RR = 0,34, IC95 % : 0,26-0,46 ; p < 0,001) ; - moins de décès sous dabigatran que sous warfarine (réduction significative de la mortalité de 14 %, RR = 0,86, IC95 % : 0,77-0,96 ; p = 0,006) ; - une augmentation des hémorragies digestives sous dabigatran (augmentation de 28 %, RR = 1,28, IC95 % : 1,14- 1,44 ; p < 0,001). L’analyse des sujets les plus fragiles (> 85 ans) indique aussi un bénéfice important du dabigatran sur le risque d’hémorragie cérébrale ainsi que sur la prévention des AVC (en particulier chez les femmes) (tableau 2). * p < 0,05. Étude NACORA (CNAMTS, ANSM)(12) Étude menée par la CNAMTS et l’ANSM ayant analysé à partir des bases médico-administratives françaises SNIIRAM (régime général) et PMSI (MCO), tous les nouveaux utilisateurs d’AOD en France pendant le 2e semestre 2012 et tous les nouveaux utilisateurs d’AVK au cours du 2e semestre 2011. L’étude a été menée auprès de 71 589 patients, dont 7 000 de plus de 80 ans. Le critère d’évaluation était le nombre d’hémorragies majeures à 90 jours. Les résultats indiquent : - un moindre taux d’hémorragies majeures sous dabigatran que sous AVK (réduction significative du risque de 32 %, RR = 0,68, IC95 % : 0,52-0,89) ; - moins d’hémorragies majeures ou de décès sous dabigatran que sous AVK (réduction significative du risque de 18 %, RR = 0,82, IC95 % : 0,70-0,95) ; - un risque similaire d’hémorragies majeures sous rivaroxaban et sous AVK (RR = 0,95, IC95 % : 0,73-1,24).   Registre danois(13) Ce registre a été mené à partir des bases nationales de prescription (Danish National Prescription Registry, Danish Civil Registration System), incluant 13 914 sujets ayant bénéficié d’une initiation de traitement par dabigatran (entre 2011 et 2012) ou par warfarine (entre 2009 et 2010). Le nombre de sujets de plus de 80 ans dans cette cohorte est de 4 028. Les résultats retrouvent en particulier chez les patients âgés ayant reçu 110 mg x 2/jour : - une réduction significative des hémorragies intracérébrales de 76 % ; - une réduction significative des hospitalisations de 47 % ; - une réduction significative de la mortalité de 21 %. En résumé : • Les études menées en vie réelle sont concordantes avec les données des essais thérapeutiques et indiquent un bénéfice/risque favorable des AOD en comparaison aux AVK. • En particulier, après 75 ans toutes les études concordent pour indiquer une réduction de 50 à 70 % de la complication la plus redoutée à cet âge qu’est la survenue d’une hémorragie cérébrale souvent fatale ou génératrice d’un handicap majeur.   Bon usage des AOD chez le sujet âgé   En raison de l’élimination rénale des AOD, une évaluation de la fonction rénale est obligatoire avant leur prescription. Une clairance de la créatinine < 30 ml/min calculée avec la formule de Cockcroft contre-indique leur utilisation. Il est essentiel d’utiliser la formule de Cockcroft car c’est cette formule qui a été utilisée dans les essais thérapeutiques ayant évalué ces molécules. Après 75 ans, au cours du suivi, il convient d’évaluer la fonction rénale tous les 3 mois, voire plus en cas d’épisode intercurrent aigu (déshydratation, infection, prise d’un médicament néphrotoxique). Dans tous les cas, la posologie des AOD doit être adaptée à l’âge, le poids ou la fonction rénale en fonction du traitement utilisé (tableau 3). L’absence de monitoring impose une bonne observance thérapeutique, par conséquent, l’éducation thérapeutique reste essentielle comme pour toute prescription d’anticoagulant. L’évaluation des fonctions cognitives apparaît indispensable avant l’instauration d’un traitement par AOD. Elle se fait par l’interrogatoire du patient et de son entourage, ainsi que par la réalisation de test de dépistage des troubles cognitifs comme le MMS ou le MIS. Le MIS (Memory Impairement Screen)(14) a été considéré dans un consensus récent(15), comme l’un des plus simples à réaliser par des médecins non spécialistes des problèmes cognitifs, il consiste à faire répéter 4 mots inscrits sur une feuille : POIREAU-PLATANE-MERLANDAHLIA (immédiatement et 10 minutes plus tard). L’oubli d’un des mots (malgré un indiçage : par exemple « quel était le nom de l’arbre ? ») doit faire suspecter des troubles cognitifs et justifie un bilan complémentaire en consultation mémoire spécialisée. En cas de doute sur l’observance thérapeutique, une sécurisation de la prescription doit être envisagée : surveillance par un aidant, mise en place d’un pilulier ou dispensation des médicaments par une infirmière.   En pratique    Les essais thérapeutiques randomisés et les études observationnelles indiquent un profil bénéfice/risque plus favorable des AOD en comparaison aux AVK, avec en particulier un moindre risque d’hémorragie cérébrale, complication des anticoagulants la plus redoutée chez la personne âgée. Toutefois, leur élimination rénale est un facteur majeur à prendre en compte pour leur prescription (contre-indication en cas de clairance de la créatinine < 30 ml/min, surveillance de la clairance tous les 3 mois). La majorité des études ont inclus essentiellement des patients âgés de 75 à 85 ans. Dans ce cadre, un registre observationnel (registre SAFIR) a débuté en France, avec comme objectif la surveillance et les déterminants du risque hémorragique des sujets très âgés suivis dans des structures gériatriques.  

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