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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 14 sep 2014Lecture 6 min

Fibrillation atriale : les anti-vitamine K ont toujours une place !

J.-Y. LE HEUZEY, Hôpital européen Georges Pompidou, Université René Descartes, Paris

De tous les phénomènes délétères dont est menacé notre système cardiovasculaire, la thrombose, notamment de par son caractère ubiquitaire, est certainement l’un des plus redoutables. En conséquence, les traitements antithrombotiques figureront toujours parmi les armes principales du thérapeute. Dans les 50 dernières années, il a été possible de progressivement délimiter la part respective des différentes classes d’antithrombotiques. Héparines, anti-GPIIb/IIIa et fibrinolytiques se partagent les situations d’urgence, les antiagrégants plaquettaires sont au premier rang dans la prévention de la thrombose artérielle, les anti-vitamine K et les anticoagulants oraux directs (AOD) trouvent surtout leur place dans la thrombose veineuse et la prévention des accidents thrombo-emboliques de la fibrillation atriale. Cette délimitation n’est bien entendu que schématique et des « incursions » dans les domaines voisins ont déjà fait la preuve de leur efficacité pour certains médicaments. Mais la règle générale reste celle décrite ci-dessus.

En matière d’anticoagulation de la fibrillation atriale, le paysage s’est profondément modifié ces dernières années avec l’arrivée des AOD (anticoagulants oraux directs), auparavant dénommés NACO (nouveaux anticoagulants oraux), mais ils ne sont plus très nouveaux, le début des essais cliniques de ces médicaments remontant à plus de 10 ans ! L’arrivée de ces médicaments et la concurrence qu’ils ont installée avec les anti-vitamine K a donné lieu à tous les excès, principalement médiatiques, incluant plus de déraison que d’analyse scientifique raisonnée. Les anti-vitamine K ont un défaut majeur qui est l’énorme variabilité inter- et intra-individuelle de leur effet antithrombotique. Certains patients peuvent atteindre un INR cible de 2,5 avec un quart de comprimé tous les 2 jours alors que d’autres doivent en prendre 2 par jour pour obtenir le même résultat, soit un rapport de 1 à 16 ! Quelles autres thérapeutiques nécessitent qu’un patient prenne 1 comprimé et un autre 16 comprimés pour obtenir le même résultat ? Ce handicap majeur pour les anti-vitamine K ne doit pas être nié et doit être géré de la façon la plus précautionneuse possible, c’est ce qui est fait grâce à la mesure de l’INR. Un constat amer peut être fait dans notre pays, c’est la mauvaise gestion, au sens organisationnel du terme, des adaptations thérapeutiques de dose des anti-vitamine K. La priorité devrait être d’améliorer les modalités pratiques d’adaptation de doses. Toutes les enquêtes et études multinationales l’ont montré, les performances françaises en termes de stabilité de l’INR ne se situent pas plus haut que la moyenne, voire nettement en dessous dans certaines publications. Les raisons sont multiples, à commencer par la sévérité de la pathologie des patients (plus âgés, avec de nombreuses comorbidités, ce qui est souvent le cas en France). Il n’en demeure pas moins que l’on est frappé par certaines absurdités du système français en la matière. Les scandinaves et les allemands obtiennent de bien meilleurs résultats. Une des principales raisons est la possibilité pour les patients de faire de l’automesure de l’INR et surtout pour les médecins de mesurer cet INR à leur cabinet et donc d’adapter immédiatement la dose lors de la consultation du patient. Nous vivons tous les jours en France le « cérémonial » de l’appel téléphonique ou du fax au médecin généraliste ou au cardiologue pour demander l’adaptation des doses, avec un patient qui souvent a du mal à rapporter la dose exacte qu’il prenait, les modalités de l’alternance sur 3 ou 4 jours, voire la dose différente une fois par semaine… avec toutes les raisons de mauvaise compréhension entre le médecin et le malade, de plus très souvent âgé ou très âgé… La démarche des autorités de santé de rémunérer les pharmaciens d’officine pour le suivi des traitements anti-vitamine K se trompe manifestement de cible puisque le pharmacien n’est pas autorisé à faire des changements de dose ! Dans une étude comparative sur l’anticoagulation dans les 5 pays de l’Europe de l’Ouest les plus peuplés, on est stupéfait de voir que les modalités de gestion des anti-vitamine K en France ne sont rencontrées dans aucun des 4 autres pays (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni), c’est-à-dire la quasi-exclusivité de la mesure de l’INR dans les laboratoires de biologie* (figure).   Figure. Lieux de mesure de l’INR dans les 5 pays d’Europe de l’Ouest les plus peuplés.    Pour ce qui concerne le choix entre anti-vitamine K et anticoagulants oraux directs, les anti-vitamine K gardent toute leur place dans la prévention des traitements thromboemboliques de la fibrillation atriale. Les patients qui sont sous anti-vitamine K depuis de nombreuses années et qui n’ont jamais présenté ni accident thromboembolique, ni accident hémorragique, doivent être laissés sous anti-vitamine K. C’est un choix de bon sens, même si on ne sait pas s’il existe une supériorité de l’une ou l’autre classe chez ces patients, les études comparant anti-vitamine K et anticoagulants oraux directs n’ayant pas été menées que chez des patients prenant auparavant des anti-vitamine K. Les anti-vitamine K gardent toute leur place, principalement chez les patients cités ci-dessus mais aussi chez des malades avec une fibrillation atriale dite « valvulaire », c’est-à-dire avec une prothèse valvulaire mécanique ou une valvulopathie rhumatismale hémodynamiquement significative. De nombreux autres cas de figure peuvent se présenter (bioprothèse, plastie valvulaire, valvulopathie peu sévère) pour lesquelles l’appréciation du cardiologue doit faire choisir la classe thérapeutique au cas par cas. Dans le doute, compte tenu du contexte actuel, le choix de l’anti-vitamine K peut souvent être préféré. En effet, depuis la publication de l’étude RE-ALIGN la prudence doit s’imposer. Les anti-vitamine K gardent toute leur place dans le traitement antithrombotique de la fibrillation atriale, notamment pour les raisons citées précédemment, mais dans ce débat du choix AVK ou AOD, il convient de ne pas distordre la réalité scientifique. La dénomination « traitement de référence » pour les anti-vitamine K est inappropriée, sauf si on entend comme traitement de référence le traitement le plus ancien ! En effet, dans les études AFASAK, SPAF, CAFA, SPINAF, BAATAF et EAFT faites il y a une quinzaine d’années, environ 2 900 patients ont reçu des anti-vitamine K alors que dans les études RE-LY, ROCKET AF, ARISTOTLE et ENGAGE AF ils ont été environ 45 000 à recevoir des anticoagulants oraux directs. Le choix d’un anticoagulant oral direct en première intention peut parfaitement se justifier pour certains patients. Les anti-vitamine K gardent toute leur place dans le traitement antithrombotique de la fibrillation atriale, mais il ne peut être nié que les anticoagulants oraux directs apportent, pour certains patients, un avantage indiscutable. Leur maniement n’est pas non plus toujours facile, les difficultés et les pièges de leur gestion au quotidien sont souvent en miroir de ceux des anti-vitamine K. De nombreux points envisagés dans les débats récents l’ont été sans raison garder (aspects médico-économiques, problèmes des « antidotes » spécifiques, « culpabilisation » des prescripteurs, etc.) et nier que les anticoagulants oraux directs apportent un progrès est déraisonnable, de même que de penser que les anti-vitamine K ne gardent pas toute leur place dans la prise en charge des patients en fibrillation atriale. Le mésusage qui a été constaté dans l’utilisation toute initiale des anticoagulants oraux directs doit être combattu, les bons résultats des grandes études ne pouvant être retrouvés dans la vraie vie que si indications, contre-indications et modalités de surveillance sont scrupuleusement respectées (comme pour les anti-vitamine K d’ailleurs !). Que ne pourrait-on dans certains médias prendre le temps de réfléchir et de débattre sereinement plutôt que de s’opposer avec des arguments volontairement tronqués ? Ne pourrait-on pas utiliser son cerveau pour comprendre que tous les anticoagulants font saigner mais que les hémorragies que l’on crée se voient, alors que les embolies que l’on évite, et qui sont plus nombreuses, ne se voient pas puisque, par définition, on les évite !    *Le Heuzey JY et al. Differences among western european countries in anticoagulation management of atrial fibrillation. Data from the PREFER in AR registry. Thromb Haemost 2014 ; 111 : 833-41. L’auteur déclare avoir eu des relations professionnelles (études cliniques, conseil, congrès et symposia) avec les firmes commercialisant des médicaments anticoagulants, anciens ou plus récents, utilisés dans la fibrillation atriale.

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